Sachant donc ce qu'est la crainte du Seigneur, nous persuadons les hommes, et devant Dieu nous sommes mis à découvert. Mais j'espère être aussi à découvert dans vos consciences. Nous ne nous recommandons point de nouveau nous-mêmes à vous. Mais nous vous donnons une occasion de vous glorifier à notre sujet, afin que vous en ayez une vis-à-vis de ceux qui se vantent, d'apparence et non du coeur. Car, sommes-nous en extase, c'est pour Dieu; sommes-nous de sens rassis, c'est pour vous. Car l'amour du Christ nous possède, nous qui estimons qu'un seul est mort pour tous; tous donc sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité à cause d'eux. En sorte que, dès maintenant, nous ne connaissons personne selon la chair. Si même nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus [ainsi] ; en sorte que, si quelqu'un est en Christ, il est nouvelle créature (1); les choses anciennes ont passé ; voici, elles sont devenues nouvelles. Mais tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec Lui par Christ et qui nous a donné le ministère de la réconciliation, si bien que Dieu était en Christ réconciliant le monde avec soi, ne leur comptant pas leurs transgressions, et déposant en nous la parole de la réconciliation. Nous
sommes donc
ambassadeurs pour Christ, comme si Dieu exhortait par
nous.
Nous vous prions à cause de Christ: laissez-vous
réconcilier avec Dieu. Celui qui n'avait point connu
de péché, à cause de nous il l'a fait
péché, afin que nous devinssions justice de
Dieu en lui.
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L'apôtre a passé en revue successivement la gloire et les épreuves du ministère évangélique. Il n'en a pas encore exposé d'une façon précise l'objet. Il y vient maintenant, montrant cet objet dans une oeuvre aussi ardue que nécessaire: c'est, dit-il, un ministère de réconciliation. Ce dernier mot exprimera l'idée centrale dans la fin du chapitre cinquième.
Pour arriver plus nettement à cette conclusion, Paul va rappeler aux Corinthiens le principe moteur de son apostolat, c'est l'amour du Christ; puis le vrai caractère qu'il révèle dans l'exercice de ses fonctions, c'est celui d'un ambassadeur. Comme précédemment, il saura bien unir au flot toujours bondissant de ses expériences personnelles, le témoignage intérieur de la conscience des convertis.
I. Amour du Christ.
« Connaissant, dit tout d'abord le texte, la crainte du Seigneur.... » Mais alors nous nous sommes trompés; Paul ne s'appuie pas sur l'amour; il se base sur la crainte. Non pas. La crainte que le Seigneur inspire n'est point l'effroi! elle n'a rien de commun avec le tremblement de l'esclave. Faite de reconnaissance autant que de respect, elle s'associe dans le coeur de l'enfant à la tendresse pour son père; à beaucoup d'égards elle la produit. Telle est la crainte du Seigneur. Animé de ce sentiment, le missionnaire ne prétend point soumettre les hommes par des coups d'autorité ; il demande seulement à les persuader ; ainsi procède l'amour. A découvert devant Dieu, il entend l'être aussi devant chaque conscience ; il l'a déjà dit, il le répète; il ne pourra jamais l'affirmer trop haut. Sa lettre de recommandation, la voilà; il n'en veut pas d'autre. Cela deviendra même, en cas de besoin, un sujet de gloire pour les Corinthiens; ils opposeront cette lettre avec avantage aux chercheurs de gloire mondaine et tout extérieure. Il pourrait, lui, en revendiquer d'autres; car il lui est arrivé d'être ravi en extase. Mais quoi?
Les Corinthiens gagneraient-ils quelque chose à connaître ces ravissements de leur pasteur ? Il est persuadé du contraire. Il réserve donc pour l'intimité avec Dieu seul ces moments de transports extra-naturels. Son état ordinaire est celui d'un homme de sens rassis, de simple bon sens, si vous voulez. Les Corinthiens en bénéficiaient cent fois plus. Et nous aussi, n'est-ce pas? De toutes les extases dont il a pu jouir, il ne raconte qu'une seule à la fin de notre épître, et encore a-t-il l'air de s'en excuser. Perdre l'usage de ses facultés, même pour un court moment et pour être brusquement emporté dans les sphères des cieux, ne dirait-on pas que cela lui coûterait trop cher (2) ? Ni ces visions ni ces états extatiques ne sont le principe de son ministère. Il dépend d'une source bien autrement abondante et à laquelle le simple fidèle peut puiser aussi bien qu'un apôtre. On la nomme. l'amour de Christ. Amour de Jésus pour nous, demanderez-vous, ou de nous pour Jésus ? L'un et l'autre, répondrons-nous volontiers. Le premier pourtant se rencontre seul à l'origine. Nous l'aimons parce qu'il nous a aimés le premier (3), et non l'inverse. Paul, sur ce point, pense certainement comme Jean. Il se dit possédé, enveloppé de l'amour de son Sauveur. Or il l'a été dans le moment même où il le persécutait, à cette heure qu'il n'a jamais pu oublier et dans laquelle il ne respirait « que menace et carnage (4). » Lorsqu'il voulait absolument vivre par la justice qui vient de la loi, et que cette loi le précipitait dans la mort, Jésus l'a aimé. De cet amour tout gratuit, il a tiré, lui, l'ancien blasphémateur, une conséquence inexorable: « Un seul est mort pour tous; tous donc sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité à cause d'eux. »
Un pareil amour, allant jusqu'au sacrifice volontaire de soi-même, ne saurait être pour notre apôtre l'objet d'une contemplation rêveuse, ni d'une dissertation théologique. Cet amour l'a transformé entièrement, radicalement. Devenu dès lors une nouvelle créature, il consacre son ministère à la formation de créatures nouvelles. Le passé s'efface et laisse dans le souvenir du missionnaire une gratitude sans bornes pour celui qui l'en a délivré. Les choses vieilles sont métamorphosées. Les connaissances : le chrétien ne connaît plus personne, surtout pas son Sauveur selon la chair, c'est-à-dire selon l'expérience fragile et douteuse de nos sens, insuffisants dans le domaine de l'esprit (5). Les affections : le coeur ne s'attache plus à des mirages décevants; l'amour cesse de se confondre avec l'égoïsme; chacun se réjouit de donner plus que de recevoir. Les espérances: déjà maîtresses de leur objet, elles ne flottent plus dans le vide, elles sont la possession anticipée; au lieu des feux-follets de désirs toujours changeants, la flamme brillante éclairant le regard et lui montrant le but.... En vérité, partout où nous pouvons signaler la présence de Jésus, c'est une création nouvelle, plus féconde et plus permanente que celle dont la Genèse nous fait le récit.
2. Ambassadeurs.
« Tout cela, » conclut l'apôtre, résumant en très peu de mots son exposé du principe, de la nature et des effets du ministère, « tout cela provient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a donné le ministère de la réconciliation. »
Deux affirmations donc, inséparables l'une de l'autre: Dieu a réconcilié avec lui l'homme rebelle; Dieu, cette oeuvre une fois réalisée, en a confié l'application à d'autres hommes, serviteurs de ses desseins; exécuteurs de ses plans. Et l'oeuvre de Dieu ainsi comprise se décompose en trois actes essentiels: il était en Christ réconciliant le monde avec soi; il n'imputait point aux pécheurs leurs transgressions; il plaçait dans le coeur et sur les lèvres de ses ministres la parole de réconciliation.
Si nous faisions maintenant de la dogmatique, j'insisterais sur la preuve fournie par le verset dix-neuvième en faveur de la divinité de Jésus-Christ. En face d'un texte aussi précis, je ne conçois pas bien qu'on lui fasse dire autre chose que de qui est écrit: « Dieu était en Christ. » Et si cela n'implique pas la divinité de Jésus, c'est alors que les mots ont perdu leur sens naturel. je ne saurais me plier à ces arrangements.
Laissons donc cette controverse et restons à l'idée de la réconciliation. Elle appartient, ainsi que les termes qui l'expriment, essentiellement à Paul (6). Il l'a faite sienne, sans doute pour avoir éprouvé avec une intensité unique l'action intérieure dont il parle si bien. Au surplus, l'idée elle-même n'a rien de compliqué. Elle suppose un accord rompu entre deux alliés, deux amis, deux parents. Par les efforts d'un ou de plusieurs survenants, l'accord se rétablit. Entre Dieu et l'homme, une alliance était conclue; l'homme l'a brisée par sa désobéissance. Dieu restait libre de la laisser tomber pour toujours. Au lieu de cela, sans y être sollicité, ni par les hommes, ni par les anges, de son propre mouvement et ne cédant qu'à son amour, Dieu a offert la réconciliation. Pour l'opérer, il a envoyé son Fils dans le monde et l'a livré à la mort. Aucun mérite donc du côté de l'homme, seulement l'effrayante liberté d'accepter ou de repousser cette main tendue jusqu'à lui. Tel est l'enseignement de notre apôtre.
Mais il va plus loin. En même temps que Dieu offrait la réconciliation, il créait une institution humaine destinée à en répandre la connaissance dans le monde, à en devenir l'intermédiaire dans l'humanité: c'était le ministère évangélique. Dès lors, ne voyons-nous pas ce ministère élevé à une dignité sans rivale? Paul se sait honoré de ces nobles fonctions. Elles lui donnent le titre et la qualité d'un ambassadeur. « Pour Christ donc, écrit-il, nous exerçons une ambassade, comme si Dieu exhortait par notre moyen. » (v. 20.)
Vous savez ce que sont les ambassadeurs, quelle tâche on leur confie, de quels respects on les entoure chez les nations civilisées, quelles responsabilités ils portent avec eux.... Eh bien, regardez, écoutez. Dans le temps où nous sommes assemblés, - peut-être dans la chambre d'où vous ne pouvez vous joindre au culte qu'en pensée, - voici venir un étranger. Ses traits, fortement accentués, font ressortir un type juif; son apparence n'a rien de distingué, elle est ordinaire, très ordinaire même. Seul, son regard lance des éclairs, et son front semble cacher des pensées qui ne doivent pas être banales. Il vous voit mal; il a quelque peine à venir jusqu'à vous.... Ne raillez pas; ne méprisez pas. C'est un ambassadeur. Vous ne pouvez pas refuser de le recevoir et de l'entendre; son message est pour vous, et du reste il est envoyé par la plus haute autorité qui se puisse concevoir....
Vient-il vous proposer une alliance avec quelque république plus ou moins connue de la vôtre ? Veut-il vous demander compte d'une offense commise contre son Souverain ? Est-ce la paix qu'il vous apporte ? Est-ce la guerre ? A-t-il les mains pleines de promesses, ou de menaces ? ...
Regardez, écoutez encore ! Il y a dans son attitude, à côté des signes d'une autorité supérieure, je ne sais quelles marques de tendresse et d'humilité auxquelles les ambassades ne nous ont point habitués. Il ne commande pas; il n'impose aucune condition; il n'adresse point de reproches.... Que fait-il donc alors ? Il prie. Et qui prie-t-il ? Vous mêmes. Oui, cet étrange ambassadeur arrive avec une prière. Probablement, il vaut la peine de. l'entendre « Nous vous prions, dit-il, au nom du Christ Soyez réconciliés avec Dieu!... »
Comment donc ? Il y avait, il y a dans cette assemblée, il y a dans votre demeure, des hommes, des femmes, des jeunes gens dont l'accord avec Dieu aurait été rompu et qui, depuis des mois, peut-être des années, vivent dans ce désaccord, sans s'être réconciliés avec leur Père céleste.... Evidemment ce pauvre ambassadeur s'est trompé d'adresse. Qu'il se rende chez les adorateurs des fétiches ou chez les disciples de Confucius. Là, sans doute, son message est fort nécessaire. Mais ici, au chant de nos cantiques et au murmure de nos prières, il est facile de s'en convaincre : personne n'est brouillé avec Dieu.
En êtes-vous bien sûrs, mes chers lecteurs ? N'y a-t-il parmi vous pas une âme, pas une seule dont l'alliance avec son Dieu ait été violée, - d'autres peut-être qui n'avaient jamais noué cet accord; d'autres encore qui ressentent à la pensée de Dieu
.... plus de remords que d'amour?
N'y en eût-il qu'une seule, en effet, c'est pour elle que l'ambassadeur est venu. Mon frère, ma soeur, jeune étudiant, jeune ouvrier, sa prière est pour vous. « Soyez réconciliés avec Dieu! » Est-ce tellement malaisé? Les premiers pas, d'une incomparable difficulté, ont été faits. Du côté de Dieu, la réconciliation est opérée pleinement. Il vous en donne pour gage ce fait que nulle imagination n'eût jamais inventé, mais qui n'en est pas moins un fait : « Celui qui n'avait point connu de péché, il l'a fait péché à cause de nous, afin que nous devinssions justice de Dieu en lui. » Oui, sur la croix le saint et le juste a été fait péché, et pendant un instant équivalant à des siècles, parce que Dieu l'a vu à travers le voile épouvantable, il l'a abandonné (7). Que fallait-il de plus? Que manque-t-il du côté de Dieu à la réconciliation? De votre côté, il n'y a plus qu'à la saisir. Ne voulez-vous pas ?
Je ne crois ni fausser, ni dépasser la pensée de l'apôtre en l'étendant à quelques conséquences. La réconciliation dont il exerce le ministère, après avoir rétabli les liens entre Dieu et l'homme, veut resserrer entre les hommes aussi ceux qui devraient les unir et qui restent si souvent relâchés. Connaissez-vous, même sans aller les chercher très loin, des familles désunies? des frères, des soeurs qui ne se parlent plus à la suite de questions d'héritage et de partage, ou bien après des médisances malicieusement amplifiées, sottement accueillies et colportées ? Des amis qui ne se voient plus, pour quelques mille francs de plus ou de moins dans leurs coffres-forts ? Des époux dont la vie commune est en passe de devenir intolérable, à la suite d'un absurde malentendu que ni l'un ni l'autre n'a voulu expliquer?- Désunis entre vous, comment seriez-vous unis à ce Dieu qui est amour, et qui nous a laissé par Jésus-Christ ce commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres?... » Mes amis, l'ambassadeur n'est pas encore parti. Recevez son message; exaucez sa prière; soyez réconciliés avec Dieu!
Allons plus loin. jetons un regard anxieux, mais accompagné de prières, sur ces divisions profondes, mêlées de haines, qui séparent les classes les unes des autres, creusent entre elles des fossés chaque jour plus nombreux et plus profonds, et préparent, nous dit-on, une paix générale à la suite d'une guerre universelle. Il faut le proclamer bien haut. Ces dissensions, en train de devenir cruelles, ont pour origine première la méconnaissance de Dieu. On ne veut plus de lui; on affecte de l'ignorer; en réalité on le combat, et l'on se groupe par milliers autour du drapeau dont les plis portent la devise : Ni Dieu, ni maître! Chrétiens, nous portons en grande partie la responsabilité de ce malheur. Nos dissentiments d'une part, nos jouissances égoïstes de l'autre, ont détourné les foules de la foi. Elles ne croient plus, parce que nous n'aimons pas. Devenons sans tarder, et dans le meilleur sens de ces mots, des chrétiens sociaux. Avec ceux qui nous devancent déjà sur cette voie, sans perdre notre temps à critiquer telles de leurs fautes, joignons-nous à l'ambassadeur et répétons sa supplication: Soyez réconciliés avec Dieu !
Nous deviendrons de la sorte ambassadeurs nous-mêmes. Pourquoi non ? Ne se trouvera-t-il pas parmi vous des âmes pressées de revêtir ces fonctions ? jeunes gens, entrevoyez-vous pour vos efforts un but plus enviable et plus noble qu'une ambassade au nom du Christ ? Vous n'aurez pas besoin pour cela de vous familiariser avec les secrets de la diplomatie. Etudiez seulement saint Paul. Etudiez votre Bible. Etudiez Jésus-Christ. Puis, réconciliés par lui avec votre Père céleste, devenez dans nos chaires et dans vos foyers, au milieu des païens ou dans le cercle de vos camarades, devenez promptement, car le temps est court, ambassadeurs de Dieu!
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