Mais
nous vous
faisons connaître, frères, la grâce de
Dieu qui a été donnée aux Eglises de la
Macédoine, savoir qu'en grande épreuve
d'affliction, la surabondance de leur joie, et les
profondeurs de leur pauvreté ont produit
surabondamment la richesse de leur
désintéressement. C'est que selon leur
pouvoir, j'en témoigne, et au delà de leur
pouvoir, de leur plein gré, nous priant avec maintes
exhortations, ils ont donné la grâce et leur
participation au service en faveur des saints - donnant
non
pas comme nous avions espéré, mais se donnant
eux-mêmes, d'abord au Seigneur, puis à nous,
par la volonté de Dieu, en sorte que nous avons
exhorté Tite, afin que, comme il avait
commencé, il menât à terme pour vous
cette grâce. Mais de même que vous abondez en
tout, en foi, en parole, en connaissance, en toute sorte
de
zèle, dans l'amour qui va de vous à nous,
abondez aussi dans cette même grâce.
Je
ne parle pas par
commandement, mais en estimant par le zèle des autres
ce qui convient aussi à votre charité. Vous
connaissez, en effet, la grâce de notre Seigneur
Jésus, comment, à cause de nous, étant
riche, il a vécu en pauvre, afin que par sa
pauvreté vous fussiez enrichis. Et en cela, je vous
donne un conseil. Car voilà ce qui vous est
avantageux, à vous qui, dès l'année
dernière, avez commencé non seulement à
agir, mais à vouloir. Mais maintenant, amenez l'acte
à terme, afin que, de même qu'il y a eu
empressement dans le vouloir, il y ait aussi
achèvement d'après ce que vous avez. Car
là où se rencontre la bonne volonté,
chacun est agréable [à Dieu] d'après ce
qu'il a, non d'après ce qu'il n'a pas.
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La première partie de notre épître est terminée. Elle parlait du passé. La deuxième s'ouvre ici, on peut l'intituler : « le présent, » ou, plus exactement encore, « la collecte. »
C'est en effet d'une collecte pour les indigents que Paul va nous entretenir pendant deux chapitres consécutifs. Sujet, penserez-vous peut-être, d'un ordre inférieur et d'une importance secondaire. L'apôtre n'est pas de cet avis; le Seigneur Jésus non plus, car il s'arrêta, certain jour, pour regarder les offrandes déposées dans les troncs, aux abords du temple, et il nota soigneusement les deux pites de la veuve (1). je vous rappelle également une des plus belles scènes du désert dans l'histoire d'Israël. Moïse avait organisé une collecte parmi le peuple pour la construction du tabernacle. Elle réussit à merveille, vous savez; il fallut arrêter le zèle des donateurs, ils apportaient trop (2). Nos missionnaires, aujourd'hui, font des expériences analogues; ils obtiennent des nègres et des Chinois, des Hindous et des Mandais, des contributions considérables, volontairement mises à part pour le service de leurs Eglises.
Je reviens à saint Paul. Volontiers vous voyez en lui le missionnaire type. Serait-ce exagéré de le considérer aussi comme le collecteur modèle. De sa conversion à sa mort, il n'a cessé d'annoncer l'Evangile; de son premier séjour dans Antioche jusqu'à la fin de son troisième grand voyage, il n'a pas manqué une occasion de solliciter les dons des fidèles en faveur de leurs frères pauvres. Et lui qui n'aime certainement pas à raconter ce qu'il fait, il insiste pourtant maintes fois sur cette oeuvre spéciale, parce qu'il y voit un mandat capital de son apostolat.
Eh bien, à l'époque actuelle où les appels à notre libéralité augmentent d'année en année, - entendus, je me hâte d'en convenir, par des chrétiens de plus en plus généreux, - à notre époque, dis-je, il ne sera pas inutile d'examiner le principe et la pratique de l'apôtre dans cette question. Paul entend vous montrer la beauté et les mobiles d'une collecte chrétienne. Il les résume en trois affirmations, très faciles à retenir
- 1. Donner est une grâce.
- 2. Pour donner, il faut d'abord se donner.
- 3. Pour se donner, il faut appartenir au Christ. Suivons son raisonnement.
I. Donner est une grâce.
Deux mots d'histoire, afin de montrer sur ce point particulier l'oeuvre de Paul en accord avec ses exhortations.
Avant même de commencer ses voyages missionnaires, il vient d'Antioche à Jérusalem pour apporter avec Barnabas le produit d'une souscription faite en faveur des indigents (3) : l'Eglise mère doit recevoir de ses filles des moyens de subsistance. En arrivant dans la ville sainte, l'apôtre put se convaincre que les beaux temps de la communauté des biens étaient passés. Personne ne disait plus que ce qu'il avait appartenait à tous (4). On trouvait de nouveau des pauvres dans Jérusalem. On en trouva toujours, et Paul n'a pas cessé de collecter pour eux. Les chrétiens riches n'abondaient alors nulle part, mais les plus petites fortunes se faisaient un honneur et un devoir de venir en aide aux frères nécessiteux. Leur zèle, constamment stimulé par Paul, ne pouvait se refroidir.
Quand la conférence de Jérusalem vote ses dernières résolutions, elle recommande au missionnaire des païens de se souvenir des pauvres. « je n'y ai jamais manqué, » dit-il ailleurs en rappelant ce mandat (5). Dans sa première épître aux Corinthiens, il recommande aux fidèles de mettre à part le premier jour de la semaine en vue de la collecte. Il ajoute que cette manière de faire existe déjà, grâce à ses soins, dans les Eglises de Galatie; elle porte donc de bons fruits (6).
Maintenant il reprend toute la question ex professo. Il n'y consacre pas moins de deux chapitres. Non content de l'envisager sous toutes ses faces, il l'élève à la plus grande hauteur, car il donne pour mobile inspirateur d'une collecte chrétienne l'exemple même du Christ. Vous comprenez, sans doute, pourquoi il n'a pas traité ce sujet plus tôt : les Corinthiens n'auraient pas compris, ou bien auraient regimbé. Comment presser un troupeau de préparer des offrandes pour l'arrivée d'un pasteur dont il se défie ? Il fallait donc, avant tout, dissiper les malentendus et rétablir la bonne harmonie. Tite vient d'annoncer que cette victoire est remportée. Plus de nuages entre les convertis et le missionnaire; celui-ci, dès lors, peut demander : il demande.
Mais, l'avez-vous observé? Dans cette longue exhortation où les conseils pratiques alternent avec les pensées les plus profondes, Paul ne prononce pas une fois les mots d'argent ni d'or. Il ne parle ni de sicles ni de deniers. Il ne pousse pas des cris de détresse pour dépeindre les besoins auxquels il faut subvenir. Il ne pressure pas les Corinthiens comme on presse une grappe pour lui faire rendre tout son jus. Il se sert successivement des termes les plus variés et les plus aimables, pour pousser ses amis à des sacrifices. Mais il n'impose rien; il n'énonce aucune somme à réunir coûte que coûte dans un temps donné. Il demande avec joie et veut des donateurs joyeux. Pour lui, il s'agit d'un service égal à celui de la prédication; pour eux, d'une preuve de leur foi et de leur bonne volonté; pour tous, d'une grâce. Et il paraît qu'il tient beaucoup à ce dernier mot, car il ne l'emploie pas moins de cinq fois en douze versets.
Une grâce? Voilà qui vous étonne, je suppose. Encore passe s'il était uniquement question de ceux qui vont recevoir. Mais pas du tout : l'apôtre applique cette expression beaucoup plus encore à ceux qui donneront. Il n'y a pas moyen, en particulier, d'entendre autrement le verset septième, où il insiste sur le devoir d'augmenter les contributions ; il appelle cela : « abonder dans cette grâce. »
N'est-ce pas? c'est un peu raide; un peu extravagant; ou décidément trop mystique, diront les plus modérés.... Mais pourquoi raide? Pourquoi mystique? Est-il donc si étrange de découvrir un privilège, par conséquent une grâce, dans le fait de donner ? Jésus se serait-il mépris, en affirmant qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir ? (7) N'auriez-vous jamais vérifié cette assertion ? Demandez, alors, je vous prie, à ceux qui donnent; vous en trouverez plusieurs parmi nous. Beaucoup de chrétiens se considèrent comme de simples administrateurs des biens reçus de Dieu. Ils en font usage pour leurs frères. «. Dieu nous confie, - me disait l'un d'eux, un des plus riches, en même temps un des plus humbles, - Dieu nous remet une lettre de change tirée sur nous par Lui. A nous de l'acquitter! » Et il l'acquittait. Avec quelle bonne grâce et quel empressement, des centaines de malheureux pourraient le témoigner. Beaucoup plus l'auraient remercié, si seulement ils avaient découvert son nom. Mais, je vous en supplie, n'allez pas objecter que cette « grâce » est encore un de ces héritages dont les riches seuls sont investis. Nullement. Dans les collectes dont nous avons maintes fois à nous occuper, nous sommes confondus de voir arriver des offrandes absolument pareilles à la pite de la veuve.
Un jour, une société de mission souffrait d'un lourd déficit. J'avais lancé un appel à la générosité des très nombreux amis de l'oeuvre. Des réponses affluent. Dans le nombre, je surprends une petite enveloppe très ordinaire, avec la suscription : « Pour le déficit de ***. » J'ouvre; quatre-vingts centimes. Une dérision, soufflera quelqu'un? Non pas : un capital. Celle qui l'envoyait, âgée, infirme, vivait, je ne sais comment, du produit de son tricotage. Calculez ce qu'il faut d'économie, dans ces conditions, pour mettre de côté quatre-vingts centimes. Mais elle, la digne femme, n'avait pas calculé; aussi avait-elle reçu une grâce.
Et, puisque nous parlons de pite et de veuve, permettez une anecdote, propre à réformer une formule dont on use parfois jusqu'à l'abus. je ne nommerai personne. Un chrétien qui avait beaucoup d'esprit (c'est permis) faisait, lui aussi, une collecte. Il entre chez une dame veuve, largement dotée des biens de ce monde. Il expose l'objet de sa visite. - Eh ! monsieur, tout cela est fort intéressant, mais n'attendez de moi que la pite de la veuve. - je vous assure, madame, que je me garderais de vous demander autant. - je crains de m'être mal exprimée; je ne puis offrir que la pite de la veuve. - Parfaitement, madame; la pauvre veuve a donné tout ce qu'elle avait pour vivre; de votre part, je me contenterais de la moitié.
J'ignore la réponse de la riche veuve; elle a peut-être compris la « grâce » dont parle notre apôtre. Dieu nous donne à tous de la comprendre par expérience! Nous ne trouverons plus son expression exagérée ni mystique.
2. Pour donner il faut se donner.
Demandez, disions-nous à ceux qui donnent; ils vous feront part de la grâce reçue par eux. C'est précisément à ce témoignage que Paul adresse les Corinthiens. Demandez, leur écrit-il, à ceux de Macédoine. Oh! interrogez-les tant que vous voudrez, et puis imitez-les. Car je sais, moi, ce qu'ils ont fait.
Ces chrétiens-là, ceux de Philippes, je pense, ceux de Thessalonique, d'autres encore probablement, se trouvaient dans des circonstances assez dures. Ils traversaient des temps troublés; plusieurs perdaient leur avoir par le seul fait de leur conversion. Les bonnes raisons ne leur manquaient donc pas pour refuser des contributions à la collecte, ou au moins pour les réduire à de minimes proportions. Au lieu de cela, ils ont agi comme la femme dont nous racontions l'histoire. Ils ont donné plus qu'ils ne pouvaient. Le texte nous le fait nettement comprendre; ils se sont servis de leur pauvreté pour donner. Un miracle alors? Oui; un miracle très familier à la charité et rentrant pour elle dans le domaine des choses simples et faciles. L'affliction de ces Macédoniens a fait jaillir « surabondance de joie. » Pour les lecteurs de notre épître, ce ne sont plus pensées nouvelles; nous y vivons dès le chapitre premier et nous les retrouvons de page en page avec des applications différentes.
La tristesse de ces donateurs n'a donc eu rien à faire avec la tristesse du monde qui conduit à la mort. Au lieu de s'enfermer dans leurs chagrins, ils en sont sortis en secourant d'autres affligés. Plus ils descendaient profond dans leur propre indigence, plus ils en tiraient de ressources pour soulager leurs frères du dehors. Ressources tellement nombreuses qu'en fin de compte ils ont donné au delà de leur pouvoir. C'est l'apôtre qui leur donne cet extraordinaire brevet de générosité; vous ne pensez pas, je m'assure, qu'il parle ainsi par hyperbole ou par compliment mondain.
Cela ne nous empêche pas de nous étonner. Nous demandons comment pareille chose est possible. L'apôtre a la clef de l'énigme. Ces Macédoniens, - peut-être à leur tête Epaphrodite, Clément, Evodie, Syntyche, dont nous lisons les noms dans l'épître aux Philippiens - ces Macédoniens ne se sont pas contentés de donner, en réponse aux sollicitations de leur pasteur. Ils ont commencé par se donner. A qui ? Au Seigneur, au maître de Paul, devenu leur propre maître; et puis à Paul aussi, comme il prend soin de l'ajouter dans un mot bien touchant du verset 5me: « Ils se sont donnés eux-mêmes premièrement au Seigneur, et puis à nous, par la volonté de Dieu. » Mesurez, si vous le pouvez, l'étendue de ce don; il explique tout. Comme l'épouse se donne à son époux avec tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle possède; comme le soldat se donne à la patrie avec tout son sang; comme la diaconesse se donne à ses malades avec tout son coeur et toute sa santé; comme le pasteur fidèle se donne à son troupeau avec tout l'élan de sa jeunesse et tout l'enthousiasme de ses espérances, de même ces chrétiens de la Macédoine se sont donnés à Jésus avec tous ces pauvres biens terrestres dont ils s'étaient crus, d'abord, les possesseurs légitimes. Plus tard, Jésus étant devenu leur maître ; disons mieux : Jésus habitant en eux et les faisant vivre, que pouvaient-ils lui refuser? Là fut leur secret; là doit être le nôtre.
Le monde ne le croit pas ; beaucoup de chrétiens ont peine à le croire. Pourtant il n'y a pas de vérité plus certaine : se donner à Jésus, c'est à la fois posséder toutes choses et ne plus pouvoir en retenir une seule. C'est lui livrer tout ce que nous avons reçu de lui. Le lui livrer, c'est le mettre au service de nos frères par amour pour Lui. Pensons un peu à cela quand les collecteurs se succèdent à notre porte avec une fréquence que rien ne lasse, et que nos impatiences, voyez-vous, ne diminueront pas. Ils vous intéressent peu? Leur oeuvre vous laisse indifférents ? Cherchez mieux : derrière cette oeuvre vous découvrirez Jésus. Donnés à Lui, pourrez-vous refuser ? Ce n'est pas ce pasteur, cet évangéliste poudreux et fatigué qui demande. Non, c'est votre Sauveur. Et l'apôtre a si bien compris la puissance invincible de cet appel qu'il va vous enlever, d'un brusque coup d'aile, jusque sur les hauteurs des conseils de Dieu et de la préexistence du Christ.
3. Exemple du Christ.
Vous connaissez cette habitude des écrivains sacrés de passer sans transition des conseils de la morale aux considérations les plus profondes de la doctrine. Nous l'avons signalée déjà; en voici l'un des exemples les plus étonnants.
Nous sommes en pleines prescriptions relatives à une collecte. Malgré son insistance, l'apôtre ne veut pas imposer des ordres; le terrain sur lequel il s'est placé reste celui de la liberté. Il va faire bien mieux que commander; il va présenter un exemple, le seul auquel un chrétien vrai ne puisse dénier une autorité souveraine : l'exemple du Fils de Dieu. Relisez le texte : « Ce n'est pas par commandement que je parle, mais en estimant par le zèle des autres, ce qui convient aussi à votre charité. Vous connaissez, en effet, la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, comment, à cause de nous, étant riche, il a vécu en pauvre, afin que, par sa pauvreté, vous devinssiez riches (v. 8 et 9). Oserais-je ajouter que les mots « a vécu en pauvre », et « pauvreté » signifient également « vivre en mendiant », ou « en assisté », et « mendicité ».
Vous avez vu le changement de scène. Tout à l'heure, Paul transportait les Corinthiens en Macédoine; il les stimulait à la générosité par celle de leurs coreligionnaires du nord. Maintenant il les transporte dans le ciel. Il les invite à contempler les incommensurables richesses du Christ dans le séjour de la gloire. Puis, redescendant sur la terre, il leur présente Jésus dépouillé, réduit à la condition d'un assisté. Ainsi le présentait déjà l'ami de notre missionnaire, Luc l'historien: « avec lui se trouvaient plusieurs femmes qui l'assistaient de leurs biens (8). » Voilà le contraste.
Dans la vie nous en rencontrons, non certes de pareils, mais d'analogues. Nous voyons des positions brillantes détruites en quelques jours par des revers financiers et remplacées par la gêne. Nous entendons parler de faillites retentissantes, auxquelles, parfois, nous accordons un peu de pitié. elles entraînent dés privations si pénibles! Mais nous viendrait-il à l'esprit de comparer des revers de. ce genre au sacrifice volontaire accompli pour nous par notre Sauveur ?
On a fait grand bruit ces dernières années, de la résolution prise par un noble russe de renoncer à son titre et à sa fortune, de vivre en ouvrier et de gagner son pain en travaillant. Nous professons un vrai respect pour cette conduite. Et nous connaissons un trait fort semblable dans l'histoire de la mission; un comte, russe également, abandonna ses rentes et son château pour aller prêcher l'Evangile en Perse. Ici encore nous admirons. Mais un abîme sépare l'acte du Christ de ceux de Zaremba et du comte Tolstoï. Car enfin estimez aussi haut que vous voudrez la situation de ces deux hommes avant leur renoncement; faites-les plus millionnaires et plus aristocrates qu'ils ne l'ont jamais été, étaient-ils donc « en forme de Dieu » ? auraient-ils pu ne pas « considérer comme un rapt l'égalité avec Dieu (9)? » Vraiment nous n'osons pas même poser la question.
Et nous n'osons pas non plus essayer une description de la richesse du Christ avant son abaissement? Paul ne décrit pas davantage. Il a dit une fois : « Toutes choses sont à Christ, » cela suffit. jusque dans son mystérieux dépouillement à Gethsémané, Jésus aurait pu réclamer plus de douze légions d'anges : elles seraient accourues autour de lui. Quels trésors par conséquent, avant l'incarnation ? Richesse dont l'or, ni l'argent ne sauraient donner une idée ; richesse d'une vie qui s'écoule sans rien avoir à faire avec le temps, rien avec la souffrance, ni avec la maladie, ni avec la mort, ni avec le péché. Non pas, certes, que Jésus ait commis le péché durant sa vie terrestre ; mais il l'a touché, il en a été entouré; les formes les plus repoussantes de la dégradation humaine, les infirmités physiques ou morales les plus odieuses ; les bassesses, les rancunes, les jalousies, et puis l'inintelligence, la grossièreté, la vulgarité bête, voilà ce qui forma la société du Christ, après qu'il eut quitté celle des séraphins. Et voilà ce que notre apôtre entend, lorsqu'il écrit: « Lui qui, étant riche, à cause de vous a vécu en pauvre. » Rien qui fût sa propriété personnelle; rien qui lui formât une compagnie digne de lui!
Et pourquoi ? Afin que, par sa pauvreté, vous fussiez rendus riches. De quelle richesse ? De la sienne; de sa sainteté par conséquent, et de sa charité. Vous appelez bien cela des trésors, je suppose. Aimer comme il a aimé ; fuir la souillure ainsi qu'il la fuyait; avec lui triompher des tentations; par lui résister au lion dévorant, lorsqu'il cherche à nous dévorer (10) ; voilà les résultats, pour le disciple du Christ, de la pauvreté dans laquelle son Sauveur est entré. Allez demander aux milliardaires américains si leur colossale fortune, dont ils ignorent peut-être le montant, leur procura jamais une richesse semblable. Cherchez une banque solide dont les opérations, conduites avec une habileté consommée, vous assurent des revenus équivalents à ces biens. Vous ne trouverez pas. Ne vous épuisez donc pas en vains efforts. Seule la pauvreté du Christ vous garantit, si vous vous livrez à lui, ces inépuisables ressources (11).
Paul revient donc à son exhortation. Achevez, dit-il aux Corinthiens, l'oeuvre commencée,. Vous n'aviez pas mal débuté. Puis, un peu de lassitude, sans doute ; une bonne volonté moins décidée ; ici, des comptes de l'année qui ne soldaient pas en boni et laissaient craindre pour l'avenir ; là, comparaison avec les voisins : ils donnent peu, pourquoi donnerais-je beaucoup ?... Allons, mes bons amis, vous vous trompez. Il faut regarder non à votre frère, ni à votre soeur, mais à Christ. Ne vous imaginez pas, d'ailleurs, qu'il soit un maître inique. Il n'exigera pas au delà de vos moyens. Si les Macédoniens ont dépassé quelquefois les leurs, c'est de leur propre gré. Jésus vous demande la bonne volonté ; pas autre chose. Là où elle se rencontre, il est content. Si vous donnez en murmurant, en regrettant.... Eh bien, ne donnez pas. Cela vaudra mieux. Mais si, ayant peu, de tout votre coeur vous donnez peu, aux yeux de votre Seigneur cela sera beaucoup.
Mes chers lecteurs, je ne sais plus très bien si je parle avec Paul aux Corinthiens ou à mes compatriotes. je tâche d'abord de me parler à moi-même. Ensuite, oui, notre Epître étant écrite pour tous, je m'efforce aussi de vous parler. je sais, - en partie tout au moins, - les entreprises dirigées contre votre bourse par des nuées de collecteurs.
Il y aurait pour vous décider à les accueillir avec bienveillance, à vous inscrire sur leurs carnets, beaucoup de fortes raisons à vous présenter. je n'en chercherai plus. je me contenterai d'une question: Etes-vous à Christ? - et du suprême argument de l'apôtre: « Etant riche il s'est fait pauvre, afin que, par sa pauvreté, vous fussiez rendus riches. » Et vous savez, - inutile d'insister, - comment on juge un riche qui garde sa richesse pour lui.
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