Au sujet du service à rendre aux saints, il est superflu que je vous en écrive, car je sais quel est votre empressement, et je m'en fais gloire à votre sujet auprès des Macédoniens, puisque l'Achaïe est prête depuis l'an dernier, et votre zèle a excité le plus grand nombre. Mais j'ai envoyé les frères, afin que mon sujet de gloire à votre sujet ne soit pas anéanti en cette matière, et que vous soyez prêts ainsi que je l'ai dit, de peur que, lorsque les Macédoniens arriveront avec moi, ils ne vous trouvent non préparés et que la honte ne nous couvre nous, pour ne pas dire vous-mêmes, en telle occurrence. J'ai donc estimé nécessaire d'exhorter ces frères à se rendre les premiers chez vous, et à préparer complètement la bénédiction que vous avez annoncée d'avance, afin qu'elle se trouve prête comme un fruit de bénédiction et non de cupidité. - Mais [pensez-y]: Qui sème chichement moissonnera aussi chichement, qui sème en bénédiction moissonnera aussi en bénédiction Chacun
selon qu'il
a résolu en son coeur, non tristement ni par
contrainte, car c'est un joyeux donateur que Dieu aime.
Mais
Dieu peut faire surabonder en votre faveur toute
grâce, afin que, possédant toujours, en tout,
toute suffisance, vous surabondiez en toute bonne
oeuvre,
ainsi qu'il est écrit: Il a distribué, il a
donné aux indigents, sa justice dure à
toujours. Mais celui qui fournit la semence au semeur et
le
pain pour la nourriture fournira aussi avec plénitude
vos semailles et accroîtra les produits de votre
justice; [vous serez] enrichis en tout, en vue de toute
libéralité qui produit par nous, action de
grâce à Dieu. Parce que le ministère de
ce service (1)
non
seulement
achève de remplir les déficits des saints,
mais aussi surabonde par plusieurs actions de grâces
à Dieu. Par la preuve faite de ce ministère,
ils louent Dieu au sujet de l'obéissance que produit
votre confession de l'Evangile du Christ, et de la
libéralité de votre participation à
leurs besoins et à ceux de tous; et dans leurs
prières pour vous, ils désirent vous voir
à cause de l'extraordinaire grâce de Dieu
manifestée à votre sujet. Grâces
à Dieu pour son don inexprimable!
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Encore tout un chapitre consacré au sujet de la collecte; trois pensées principales en font la matière.
L'apôtre s'est en quelque mesure engagé pour les chrétiens de Corinthe et de toute l'Achaïe. Il a promis en leur nom des contributions abondantes. Si la collecte échoue, il en résultera une grande honte pour l'Eglise et pour son pasteur. En présence d'une pareille éventualité, les lecteurs de Paul ne sauraient faire de médiocres efforts; ils donneront largement.
Qu'ils ne s'inquiètent point d'être dépouillés, s'ils répondent aux engagements pris pour eux. Non seulement ils ne manqueront pas du nécessaire, mais il leur restera toujours assez pour répondre à de nouvelles demandes. Car Dieu lui-même se charge des ressources à fournir; or, quand il donne, c'est toujours au delà des besoins immédiats. Les Corinthiens devraient le savoir et ne pas se le faire répéter.
Enfin le résultat de ses libéralités sera double. D'une part, elles procureront aux indigents de Jérusalem un soulagement immédiat, d'où sortiront des concerts d'actions de grâce. De l'autre, cette reconnaissance s'élèvera bien au-dessus des donateurs humains pour monter jusqu'au bienfaiteur suprême. En définitive, donc, Dieu sera glorifié par la générosité des Corinthiens. Et c'est toujours la gloire de Dieu que Paul poursuit dans son ministère. Il prêche, il écrit, il collecte « pour la louange de la gloire » de son Père céleste. Ces trois considérations aboutissent à un court verset, hymne véritable d'adoration et de gratitude, comme notre apôtre aime à en chanter à travers sa correspondance : « Grâces à Dieu pour son don ineffable ! »
Reprenons ces pensées, et n'oublions pas de nous arrêter sur le cantique final.
I. Donner beaucoup.
Quel avocat aimable et habile que saint Paul! A la barre d'un de nos tribunaux on ne commencerait pas mieux: « Au sujet du service à rendre aux saints (donc : au sujet de la collecte), il est superflu que je vous écrive ».... Comment superflu? Et il n'a pas fait autre chose au chapitre huit ; et le chapitre neuf continue le même plaidoyer. Parfaitement. Et c'est quand nous croyons une recommandation superflue, que nous y insistons le plus. N'est-ce pas, pères et mères? Par un bonheur malheureusement trop rare, vous êtes sûrs de vos enfants. Ils ne sauraient contrevenir à vos ordres. Et vous les leur répétez avec soin; vous les mettez en garde ; vous les encouragez... et puis vous terminez en ajoutant: au fond, je n'avais pas besoin de te dire tout cela.... Sur quoi, vous continuez. C'est précisément ce que fait saint Paul. je n'ai' pas besoin de vous écrire je connais de longue date votre empressement mais je vous écris tout de même.... Quel avocat Quel père !
Père surtout. Vous connaissez bien certainement de ces familles où les parents se servent de l'exemple des aînés pour diriger les cadets. L'apôtre procède comme eux. Quand il est arrivé en Macédoine, il s'est hâté de peindre aux Macédoniens un brillant tableau des sacrifices déjà réalisés par les Corinthiens. Maintenant qu'il va partir pour Corinthe, il excite le zèle de l'Eglise corinthienne et des troupeaux d'Achaïe en déployant devant eux l'ardeur de leurs frères du nord. Car nous l'observions plus haut, si Corinthe avait bravement commencé, la suite ne répondait plus aux débuts; l'activité se ralentissait ; ou donnait moins ; on calculait plus. Pendant un temps, on put dire aux Macédoniens: Faites comme les Corinthiens! Aujourd'hui, il faut écrire à ceux du midi : Faites donc comme ceux du nord. - Que tout cela est vrai! n'est-ce pas ? Que tout cela est simple, naturel, familial, et qu'on se sent pressé de répéter le mot de Jean-Jacques Rousseau: « Ce n'est pas ainsi qu'on invente. »
Au surplus, laissons maintenant les comparaisons. Donner plus, donner moins que ceux de Philippes, en somme, c'est très secondaire. L'essentiel c'est de donner, même de donner beaucoup. Pourquoi? Mais pour une raison très simple. Les Corinthiens sont personnellement intéressés à la réussite de la collecte - Admettons un instant que nul autre motif ne les pousse, encore seraient-ils compromis dans leur réputation, s'ils abandonnaient le travail. A semer chichement on s'expose à moissonner chichement: avarice dans les semailles, pauvreté dans la récolte, vous ne sauriez échapper à cette loi. Voyons, Corinthiens du premier siècle ou du vingtième, ne vous faites pas prier, ne comptez pas les grains que vous jetez en terre : Dieu compterait alors les épis qu'il vous accorderait; ne gémissez pas sur les sacrifices auxquels vous consentez. Disons mieux : ne parlons pas tant de sacrifices. Donnons avec entrain ; mettons-y de la bonne humeur.... vous savez : c'est une grâce. Et entre tous ceux qu'il aime, Dieu désigne d'une façon très spéciale « celui qui donne gaîment. »
2. Dieu fournit les dons.
Fort bien! répondra-t-on. Vos arguments, infatigable quêteur, nous ont à peu près convaincus. Une question, pourtant, ou une réserve. Pour donner, il faut avoir. Toutes les gaîtés du monde ne remplissent pas une caisse vide. Quand nous aurons fourni largement des contributions - à supposer que cela nous soit possible - il ne nous restera plus rien. Nous ne pourrons plus du tout donner ; nous resterons les bras croisés, en présence des demandes les plus justifiées.
L'apôtre a prévu le cas. Sa réponse, solidement appuyée sur ses expériences et sur sa foi, peut se résumer en deux mots : ne vous tourmentez pas Dieu y pourvoira.
Vous craignez de manquer bientôt de tout? Allons donc! Mais vous ne connaissez pas votre Père céleste. Vous le mesurez à votre niveau. Ou bien vous le confondez avec ce maître injuste de la parabole qui veut prendre où il n'a rien mis. Quelle erreur, pour ne pas dire quelle ingratitude! Réfléchissez. Avant de vous inviter à donner, n'a-t-il pas commencé par vous combler ? oui, combler. je ne crois pas, en écrivant ce mot, blesser même les déshérités parmi vous. J'ose dire à tous: regardez, examinez, comptez. Je n'ai pas besoin de revenir aux exemples cités plus haut. Votre détresse même, si vous y avez passé, vous a révélé l'amour et les dons de Dieu. N'eussiez-vous reçu qu'un talent, ne le gardez pas égoïstement pour vous seul, mon bien cher ami. Ne le cachez pas dans un linge pour l'enfouir ensuite sous la terre. Si Dieu a semé chez vous un seul grain (et de qui cela pourrait-il se dire ?), encore est-ce pour vous apprendre à semer. « Il est puissant pour faire surabonder toute grâce envers vous, afin qu'ayant en toute chose, en tout temps, toute suffisance (y a-t-il assez de tout ?), vous surabondiez en toute bonne chose. »
Si vous en doutez, relisez, mais avec les yeux de saint Paul, le livre des Psaumes. Arrêtez-vous au cent douzième : « Il a fait des largesses; il a donné aux pauvres, sa justice dure éternellement. » L'exemple du juste de l'ancienne alliance, devenu pour Paul l'exemple de l'Eternel, renferme un ordre et une promesse. Le Seigneur a donné : donnez, car il vous donnera. Et jamais, à notre connaissance, aucun de ceux qui ont tâché d'obéir à cet ordre en s'appuyant sur cette promesse, n'a compris ce Psaume autrement que l'apôtre.
3. Pauvres soulagés; Dieu glorifié.
Sachant maintenant à quelle source votre charité s'alimente, contemplez-en les effets.
D'abord, cela va sans dire, soulagement de vos frères malheureux. Non pas délivrance immédiate de toutes leurs peines et guérison radicale de leurs maladies ou de leurs angoisses. Non : mais soulagement, ce qui est déjà considérable. Des plaies pansées et rendues moins douloureuses; des tristesses consolées ; des désespoirs évités; des lueurs de joie se glissant dans les ténèbres et les repoussant peu à peu. Sans parler de l'effet en retour produit en vous-mêmes par chacune de ces victoires; rien ne dilate notre coeur comme de restaurer celui des autres.
Ensuite, en dépendance étroite avec ce résultat, le précédant peut-être, l'accompagnant en tout cas et le suivant, la gloire de Dieu augmentée. Comment cela ? Rien de plus simple. Les frères et les soeurs que vous aurez soulagés, sachant de qui leur vient le secours, ne se contenteront pas de vous remercier. Ils feront monter plus haut leur reconnaissance. Elle s'élèvera jusqu'au ciel; elle ira chercher Dieu sur son trône et prendra sa part dans les concerts des séraphins. Il parait difficile d'ennoblir davantage les devoirs de la charité. Une offrande, - tirée de l'indigence ou du superflu, - joyeusement apportée au Seigneur dans la personne d'un de ses enfants, et voilà plus d'éclat dans la gloire éternelle du Père qui est aux cieux! Plus de prières montent jusqu'à lui, et il en est honoré. Merveilleux privilège de l'amour chrétien: il ne rafraîchit pas seulement ceux qui peinent; il ne réjouit pas seulement ceux qui donnent; il glorifie le Dieu qui nous a aimés et qui nous a donné son Fils.
Aussi, dans une sorte de vision, l'apôtre réunit aux chrétiens d'Achaïe ceux de Macédoine; à ces généreux donateurs les chrétiens pauvres de Jérusalem; à eux tous les organisateurs et les continuateurs de cette oeuvre, lui-même par conséquent avec ses convertis ; et cette foule d'âmes emportées dans un unique élan de charité, montent de l'Europe et de l'Asie jusque dans les sanctuaires invisibles pour glorifier l'Eternel.
Comprenez-vous maintenant l'hymne triomphal par lequel Paul termine son traité sur la collecte? Pouvait-il ne pas chanter ? Arrivé sur ces sommets sublimes où l'a conduit le sujet en apparence le plus terre-à-terre, sa conclusion devait être un cantique. Quoi de plus rebattu que des appels à notre bourse? Quoi de plus neuf, de plus original, que la façon dont l'apôtre nous les adresse? Pascal n'a-t-il pas dit quelque part: « Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont on joue l'un et l'autre, mais l'un la place mieux (2). » Qui donc a placé la sienne mieux que Paul?
Une courte moitié de verset lui suffit maintenant pour donner l'essor à son exaltation. « Grâces à Dieu pour son don ineffable! » A quel don pensait-il, en le déclarant de la sorte inexplicable, et même inexprimable par la parole humaine ?
Malgré l'autorité de Calvin, je doute qu'il s'agisse de la collecte. Certes, elle constituera un très beau don. Il semble pourtant difficile de l'appeler ineffable après que l'apôtre l'a caractérisée longuement en deux chapitres. Cherchons plus haut. Le don par excellence, n'est-ce pas celui que la Samaritaine ne connaissait point, mais que Jésus révélait à Nicodème, savoir la personne et l'oeuvre du Fils de Dieu (3) ? La rédemption, considérée dans son origine, examinée dans son essence, envisagée dans ses effets, n'est-elle pas ineffable ? Qui l'expliquera ? « Ce sont des choses que l'oeil n'avait point vues, que l'oreille n'avait point entendues, et qui ne seraient point montées au coeur de l'homme. »
Ajoutons-le, cependant. Notre texte nous y autorise; l'anniversaire fêté aujourd'hui même dans le monde chrétien nous y encourage (4). Le don ineffable de la rédemption nous est parvenu par le moyen d'un autre don, auquel la même qualité pourrait être appliquée : la parole de Dieu. Comment eussions - nous connu le salut et le Sauveur si l'histoire n'en eût pas été écrite par les hommes de Dieu? Comment eussions-nous lu cette histoire, si elle n'était pas arrivée jusqu'à nous par une série ininterrompue de directions divines ? Peu d'écrivains me semblent plus que saint Paul persuadés de cette pensée. Aussi pour justifier ses avertissements, pour affermir ses leçons et les faire pénétrer dans les esprits encore indécis, constamment il a recours à ce don de Dieu. Non pas uniquement lorsqu'il expose les plus graves mystères de la foi, mais aussi quand il demeure sur le terrain de la morale et des oeuvres. Vous vous rappelez les trois citations de son chapitre septième, où il se sert de la loi et des prophètes pour démontrer aux croyants la folie de s'atteler au joug des incrédules. Vous l'avez vu, au chapitre huitième, baser sa règle de l'égalité sur les ordres donnés aux Israélites dans le désert, à propos de la manne. Et maintenant, outre une citation textuelle du Psaume cent douzième, il vient de faire deux allusions au livre des Proverbes (chapitres XI et XII), une au prophète Esaïe LV, 10, et une plus lointaine à Osée X, 12. Cinq recours à l'Ancien Testament pour y trouver des prescriptions sur une collecte!
Il me paraît difficile de trop insister sur la portée de cette habitude paulinienne. Elle lui est commune, du reste, avec ses collègues. Mais comme nous possédons de lui beaucoup plus d'écrits que des autres apôtres, c'est bien chez lui qu'elle nous frappe le plus. je me trompe. Elle étonne encore bien davantage chez le maître d'eux tous, chez notre Seigneur Jésus-Christ. Car, lui aussi, avant de créer les textes du Nouveau Testament, en prend en foule dans l'Ancien. Des conclusions d'une actualité manifeste s'imposent, une fois ces faits reconnus. Réservons-les pour un chapitre prochain, où nous verrons l'apôtre transformer le don ineffable en armes toutes puissantes battant en brèche les forteresses ennemies.
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