Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER 

Tome III


LA FIDÉLITÉ DE DIEU (1)

 

Le Seigneur est fidèle.

(2 Thess. III, 3.)


Mes frères,

Aucun apôtre n'insiste avec plus d'énergie que saint Paul sur la liberté de Dieu. Une des pensées qui reviennent sans cesse dans ses épîtres, est que Dieu est souverainement libre dans l'usage qu'il fait de ses dons et de ses miséricordes. Cette insistance de l'Apôtre se comprend quand on se souvient qu'il écrit presque toujours à des Eglises composées en grande partie d'anciens Juifs, et que le penchant naturel, invétéré de tout coeur israélite, c'était de croire qu'Israël était l'objet exclusif des faveurs divines, que Dieu était lié envers Israël par une inviolable alliance, qu'en un mot Israël au sein du monde perdu demeurait à jamais le peuple de Dieu. Eh bien, pour déraciner cette orgueilleuse confiance, cette farouche étroitesse, Paul devait affirmer que Dieu est indépendant, qu'il est libre, que son alliance avec Israël ne l'empêche pas d'être le Dieu des Gentils, et qu'en tous temps, en tous lieux, il appelle ceux qu'il s'est choisis, il fait miséricorde à qui il veut.

Mais cet enseignement pouvait avoir ses périls; il soulevait une objection redoutable. La liberté de Dieu mal comprise, n'est-ce pas l'arbitraire en Dieu ? Si Dieu fait ce qu'il veut, s'il ne suit aucune loi, quelle idée devrons-nous concevoir de sa justice et de sa bonté; Dieu, n'est-ce pas le potier qui manie à son gré l'argile, et comment la créature ainsi choisie ou rejetée par lui pourra-t-elle résister à ses caprices ? Conclusion terrible qui épouvante la conscience, et à laquelle saint Paul semble arriver dans son épître aux Romains... Je dis semble arriver, parce qu'il serait inique de juger Paul sur ce texte seulement. L'inspiration des apôtres ne détruit ni n'affaiblit leur individualité. Saint Paul doit être jugé d'après l'ensemble de son enseignement. Cette nature ardente et puissante à la fois ne saisit pas les vérités à demi; quand une pensée se présente à lui, il atteint d'un regard d'aigle ses dernières conséquences, il l'embrasse tout entière et nous la présente dans toute sa force; mais, ne l'oubliez pas, cette pensée ne doit jamais être isolée, car à quelques lignes de là, elle sera complétée, expliquée par une autre qui semble au premier abord la contredire et qui ne fait que lui donner son vrai sens. Ainsi, pour me borner à quelques exemples, saint Paul, qui dépeint la corruption de l'homme en termes d'une telle énergie qu'il paraît vouloir lui enlever toute connaissance du bien, dit pourtant en parlant des païens qu'ils possèdent dans leur conscience une loi intérieure selon laquelle ils seront jugés; saint Paul, qui parle si fortement de l'impuissance morale, fait plus que personne appel à la volonté de l'homme et prononce cette parole étonnante : « Je puis tout en Christ qui me fortifie; » saint Paul, qui semble rétrécir parfois les miséricordes divines, proclame en beaucoup de passages que Dieu veut sauver tous les hommes; saint Paul, l'apôtre du salut par pure grâce, a sur la nécessité de la sanctification des paroles d'une redoutable solennité; saint Paul, qui semble fouler aux pieds tous les liens -de la chair et du sang, est, de tous les apôtres, celui qui exprime les sentiments naturels du coeur avec le plus de chaleur, avec la plus exquise délicatesse.

Cela étant, vous ne vous étonnerez point que Paul, le grand défenseur de la liberté divine, soit aussi celui qui insiste avec le plus de force sur la fidélité de Dieu : la fidélité de Dieu, c'est-à-dire cet attribut qui exclut en Dieu tout caprice, tout arbitraire, qui affirme que Dieu est toujours semblable à lui-même, qu'il n'y a en lui, suivant la parole de saint Jacques, aucune variation, ni aucune ombre de changement. Entrons, mes frères dans cette pensée de l'Apôtre. Efforçons-nous de montrer que le Seigneur est fidèle, et puisse ma parole apporter aux uns un avertissement qui les réveille, aux autres une assurance qui les console et les fortifie, à tous un enseignement à salut!

Le Seigneur est fidèle. Cette pensée, Dieu ne l'a-t-il pas écrite dans toutes ses oeuvres? Ne nous apparaît-elle pas avec évidence dans la création ? Ne la lisons-nous pas, chaque printemps, sur la face de la terre renouvelée ? Quand, après le long silence de l'hiver, nous voyons les arbres se charger de verdure, les fleurs sortir de terre, fraîches comme la rosée, nombreuses comme le sable des mers, plus brillantes que la pourpre de Salomon dans sa gloire, quand toutes les voix de la nature viennent enchanter nos sens, ne les entendons-nous pas proclamer la fidélité de Dieu ? Hélas! on peut compter sur cette fidélité et en méconnaître indignement la source! Ce paysan qui jamais peut-être n'a fléchi le genou devant Dieu, qui blasphème brutalement son nom, entr'ouvre la terre, confie à ses sillons le grain qu'il a amassé, et quand le sol durci par l'hiver se couvre d'une couche de' glace, il attend l'avenir avec confiance. L'athée a vu cette année renaître le printemps sans en être surpris; il croit que la moisson sortira de terre mûrie tour à tour par la pluie et les rayons du soleil Lui qui nie le souverain ordonnateur, il croit à l'ordre universel dans la nature, et s'il possède une vaste étendue de terre, il juge que sa fortune est mieux assurée que s'il la confiait aux chances de ses plus habiles spéculations. Le savant calcule avec une précision extrême ce qu'il appelle les lois de la nature; il compte tellement sur leur .exactitude que mille ans d'avance il annonce l'heure et la minute où deux astres se rencontreront dans l'espace. Tout, dans nos travaux, dans nos projets, dans nos plans d'avenir, repose sur la confiance que ce que Dieu a fait jusqu'à présent, il le fera encore; tout dans notre vie proclame instinctivement la fidélité de Dieu.

Qui le croirait pourtant? C'est sur cette fidélité même que l'homme charnel s'appuie pour se passer de Dieu. Il voit chaque chose revenir en son temps, il voit les mêmes causes produire les mêmes effets, et parce que tout se passe comme au temps de ses pères, il en conclut à l'inutilité de l'adoration, du culte et de la prière. Que sert d'invoquer Dieu, se dit-il, puisque sa volonté est immuable, inflexible, et que ma prière ne peut la changer? Oui, cette fidélité de Dieu, qui devrait remplir son coeur de reconnaissance, le laisse indifférent, froid, et sert d'excuse à son ingratitude. Il oublie Dieu pour ne plus voir que les lois que Dieu fait agir dans ses oeuvres; en réalité, il ne croit qu'à ces lois.

Que faudra-t-il donc, mes frères, pour que Dieu se manifeste, pour que son action soit reconnue ? Qu'il interrompe sans doute le cours de ses bienfaits, qu'il montre à ces ingrats l'action de sa main souveraine, qu'il cache son soleil ou qu'il lui laisse brûler la terre, qu'il nous envoie des fléaux qui sèment partout l'épouvante? Il le fait parfois, il intervient en suspendant ses dons. Savez-vous ce qui en résulte ? L'homme se dit

« C'en est fait! le hasard seul nous gouverne, » et l'expérience atteste que les bouleversements de la nature' engendrent fatalement l'athéisme. Ainsi, quoi que Dieu fasse, l'homme réussit à lui échapper. Si l'ordre règne, le pécheur dit : « Je puis me passer de Dieu. » Si le désordre intervient, le pécheur dit : « Il n'y a point de Dieu. »

Mais la nature visible n'est pas le seul domaine où Dieu se manifeste; c'est dans l'ordre moral qu'il nous apparaît dans tout son éclat, et c'est ici surtout que sa fidélité nous est nécessaire. Que sont les lois morales ? Des commandements variables que Dieu pourrait changer quand il le voudrait? Le pensez-vous, Oseriez-vous le croire ? N'est-il pas certain qu'elles sont l'expression de la nature même de Dieu, et n'est-ce pas là ce qu'indique admirablement l'Ecriture quand toujours elle fonde notre obéissance non sur une volonté plus ou moins arbitraire de Dieu, mais sur le fait même de la conformité de notre nature avec celle de Dieu ? « Soyez saints, car je suis saint, » disait le Dieu de l'Ancien Testament, et Jésus, mettant dans cette grande parole l'accent de l'Evangile, a dit à son tour : « Soyez parfaits, car votre Père céleste est parfait. »

S'il en est ainsi, je comprends aussitôt que Dieu lie petit se contredire soi-même, et qu'il faut à tout prix que sa loi soit accomplie. Quoi ! les lois physiques sont inexorables, et les lois morales ne le seraient pas! Quoi! vous regardez comme un insensé celui qui se raillerait des forces de la nature, qui prétendrait qu'elles n'ont pas leur effet, celui qui jouerait avec la vapeur ou qui bâtirait sa maison sur le cratère d'un volcan, et vous voyez sans effroi le pécheur qui viole chaque jour la volonté divine! Pourtant, de ces deux lois, laquelle est la plus certaine? Je puis concevoir, à la rigueur, un monde où la loi de la pesanteur n'existerait pas; les propriétés des corps n'intéressent point l'essence divine; Dieu les changerait que rien en nous ne protesterait ... ; mais un monde où, par la volonté de Dieu, le mal serait bien, un monde où le mensonge vaudrait ce que vaut la vérité, un monde où l'égoïsme aurait le même prix que l'amour ! je ne puis le supposer sans déchirer en deux ma conscience, sans bouleverser le fond même de mon être. Tout me dit que la loi morale doit recevoir son accomplissement; et si je crois qu'au printemps la semence enfouie dans le sol doit apparaître, je crois plus fermement encore que, suivant la redoutable parole de l'Apôtre, on ne se joue pas de Dieu, et que ce que le pécheur a semé, il le moissonnera.

Cela est si évident, si nécessaire, qu'on nous le concédera aisément, et que, dans un sens général, tout le monde en tombera d'accord avec nous; mais vous étonnerai-je, mes frères, en vous disant que cette vérité, on ne la prend pas au sérieux ? Sur quoi reposent la confiance et la paix de la plupart des hommes, je ne dis pas des incrédules grossiers, je dis de beaucoup de ceux qui croient être des chrétiens, je dis de plusieurs de ceux qui m'écoutent? N'est-ce pas sur l'idée que Dieu n'est point exigeant, que sa justice n'est point rigoureuse, que nos faiblesses ne l'atteignent pas ? Voilà le misérable échafaudage sur lequel on ose édifier sa paix. Dieu n'est point exigeant! Et qui nous le dit? Ce sont des pécheurs intéressés à le croire, ce sont des êtres comme vous, comme moi, qui avons tous des raisons décisives de redouter le jugement du Dieu saint. Admettrez-vous le criminel à témoigner dans sa propre cause? Est-ce à lui que vous demanderez de prononcer son verdict, Ah! mes frères, soyons sérieux, et sous prétexte que Dieu est bon, ne le rabaissons pas en nous faisant de lui une indigne idée. Dieu est fidèle à lui-même, c'est-à-dire qu'il ne peut donner un démenti à sa sainteté, c'est-à-dire que, selon ses lois éternelles, immuables, le péché doit entraîner le châtiment et la souffrance, et que la révolte dans le temps présent doit entraîner la condamnation à venir. Est-ce vrai ? Oserez-vous dire que j'exagère, oserez-vous dire que ce que j'affirme ici l'Ecriture ne le déclare pas avec la plus redoutable solennité, oserez-vous dire que si je prêchais autre. ment je serais fidèle à mon ministère, fidèle à l'Evangile qu'il m'est défendu de falsifier ?

Eh bien! si Dieu ne peut changer sa loi, s'il est saint, absolument saint, et si nous devons moissonner ce que nous avons semé, quelle est notre condition devant Dieu, Etes-vous prêts à subir les conséquences de vos actes, de vos paroles et de vos pensées? Votre vie intérieure peut-elle paraître aux yeux du Souverain Juge? Vos actes passés, ensevelis dans le silence, peuvent-ils subir son regard scrutateur ?

Je veux que vous ayez été irréprochables aux yeux des hommes, je veux que vous n'ayez rien à leur cacher, je veux qu'aucun désordre honteux ne se soit abrité sous votre honnêteté apparente, que votre fortune ne doive rien à des spéculations condamnables, que jamais, par votre exemple, par votre légèreté, vous n'ayez entraîné des âmes dans le mal; comptez-vous donc pour rien vos jugements implacables, vos médisances, les joies détestables que le mal d'autrui vous a causées, votre orgueil, votre dureté , votre sécheresse à l'égard de ceux qui souffraient, votre tiédeur pour Dieu et votre ambition pour vous-mêmes, vos infidélités multipliées, vos monstrueuses ingratitudes ? Quoi ! vous êtes tranquilles; quoi ! vous marchez avec insouciance au-devant du jugement à venir!... Eh bien , laissez-moi vous le dire, je ne vous comprends pas; non, je ne sais pas sur quoi repose cette sécurité qui me confond... J'y vois un aveuglement qui a sa source ou dans l'oubli le plus complet des droits de Dieu sur vous, ou dans l'ignorance plus étonnante encore de votre propre misère; car enfin, à qui prétendez-vous en imposer par votre assurance? Nous direz-vous que vous êtes innocents, absolument innocents, nous cacherez-vous vos transgressions?... ou bien, ne pouvant les taire, direz-vous qu'elles sont sans importance ? Opposerez-vous aux déclarations certaines de la parole divine votre propre témoignage intéressé? Anéantirez-vous le principe que Dieu ne peut pas tenir le coupable pour innocent?... Songez-y bien! sur quoi repose votre assurance? Sur vous-mêmes? Mais qui vous dit que vous ne vous trompiez pas ? Etes-vous réellement tranquilles ? N'avez-vous pas vos heures de secret malaise ? N'y a-t-il pas une voix secrète qui vous avertit et qui vous trouble? Sur les autres ? Mais les autres pourront-ils vous sauver ? Leur légèreté excusera-t-elle la vôtre ? Est-ce que les autres ne vous ont jamais trompés ? « Quand tous les hommes, disait Pascal, affirmeraient ensemble que la terre ne tourne pas, cela n'empêcherait pas la terre de tourner et eux de tourner avec elle... » Eh bien, quand tous les pécheurs s'accorderaient à nier le jugement de Dieu, cela ne les empêcherait pas d'être emportés à chaque heure, à chaque minute, vers le jugement de Dieu qui les attend. En effet, je puis tout croire, tout, excepté que Dieu cesse d'être saint; tout, excepté que le mal soit indifférent à ses yeux... C'est ma raison ici, d'accord avec ma conscience, qui vient confirmer le témoignage de l'Ecriture. A l'inexorable lumière du jour éternel, je vois s'évanouir toutes mes justifications, tous mes sophismes, toutes mes fausses excuses. Atteint, poursuivi, convaincu, je dois crier grâce, et la seule prière qui me convienne, c'est celle du péager de la parabole : « 0 Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur! »

C'est aussi là, mes frères, l'aveu que l'Evangile veut nous arracher; c'est à ceux qui se sentent condamnés que Dieu fait grâce. Et quand on accepte avec foi cette grâce, quand, repentant et confus, on se jette dans les bras de sa miséricorde, alors on trouve en Dieu un père réconcilié; alors toutes les promesses, toutes les paroles de l'Evangile s'illuminent d'un jour nouveau, resplendissant; alors on entre avec Dieu dans une relation filiale, et la pensée de sa fidélité devient la source de la plus ferme assurance, de la plus douce consolation.

C'est que cette vérité, mes frères, a deux faces : semblable à la colonne mystérieuse qui précédait les Israélites au désert, elle est à la fois sombre et lumineuse. Au pécheur qui se dresse devant Dieu dans l'orgueil de sa révolte ou de sa propre justice, elle rappelle la justice divine, austère, inflexible, qui ne se peut démentir. Au pécheur repentant, elle rappelle son pardon, sa miséricorde et son inébranlable amour.

Ce n'est pas que Dieu, en pardonnant, sacrifie sa justice; la justice, elle a reçu sa sanction sur la croix. Jésus-Christ, en accomplissant pour nous la loi parfaite, en portant la peine de nos transgressions, a proclamé l'inviolable grandeur de la sainteté divine, et celui qui s'unit à lui par la foi, celui qui accepte son oeuvre rédemptrice proclame avec lui cette sainteté. Dans le pardon que l'Evangile offre au pécheur, la justice divine reste donc intacte; que dis-je? elle ressort avec une incomparable grandeur, car il a fallu qu'elle fût réparée par l'obéissance, par les souffrances, par la mort du Fils de Dieu lui-même. Plus le chrétien médite, plus il contemple, plus il croit cette réparation divine, plus il sent la solennelle importance du mal, plus la loi morale grandit à ses yeux dans ses moindres commandements, plus elle lui apparaît sainte et redoutable. Jusque dans les bras de la miséricorde de Dieu, il se souvient de sa justice. C'est donc au pied de la croix que je me place, c'est là que je voulais arriver avec vous, mes frères; c'est là, et là seulement que je veux vous prêcher la fidélité de Dieu.

Pécheurs repentants, pécheurs pardonnés, auxquels je m'adresse, écoutez cette consolante parole : « Le Seigneur est fidèle; » il est fidèle, cela veut dire que sa grâce, son amour ne vous manqueront jamais, cela veut dire que votre confiance en lui ne sera jamais trompée, cela veut dire enfin qu'en vous donnant son Fils, il vous donnera toutes choses avec lui, avec le pardon la sainteté, avec la sainteté la victoire éternelle.

Mais ici on m'arrête, on me dit: « Ne craignez-vous pas l'effet d'un enseignement semblable, Est-il bon de prêcher à l'homme que la grâce de Dieu lui est assurée, et que son amour le soutiendra jusqu'au bout ? N'allez-vous pas développer en lui l'insouciance, détruire le sentiment de sa responsabilité morale, et paralyser son énergie? Ne va-t-il pas, ce pécheur aveuglé par sa confiance présomptueuse, s'abandonner aux penchants de son coeur, en comptant sur Dieu qui le sauve et dont l'amour ne peut lui manquer?

Oui, mes frères, cela est possible; oui, cela s'est vu; oui, cela se voit encore. Hélas! quelle est la grâce divine qu'on ne puisse tourner en dissolution? Tout est impur aux impurs. Tout se flétrit sous leur souffle ; tout se corrompt à leur contact. Quoi de meilleur, quoi de plus vivifiant que l'air! Mais séparez un des éléments qui le composent, il ne vous reste plus qu'un poison. Eh bien, il y a des êtres qui, des meilleurs dons de Dieu, ne savent extraire, eux aussi, qu'un venin dissolvant. Parlez au sectaire de la miséricorde divine, de cette miséricorde immense qui, couvrant toutes nos fautes, doit nous arracher des élans de repentir et de confusion. Il y croit, mai; c'est pour en nourrir son orgueil, c'est pour se féliciter d'être l'objet privilégié de la faveur divine, c'est pour laisser tomber sur les autres, du haut de sa spiritualité glacée, un regard dont aucune larme de compassion n'a voilé la sécheresse. Cette grâce qui devrait ouvrir son coeur et en faire jaillir des flots de pitié et de miséricorde, elle n'a fait que le rétrécir encore plus. Parlez au coeur faux de l'amour de Dieu : il y croira, mais ce sera pour abriter ses désordres sous le voile de la bonté divine; il acceptera la grâce, mais ce sera pour la déshonorer!

Mais quoi ! la perversité des hommes nous empêchera-t-elle d'annoncer le pardon de Dieu et de prêcher sa miséricorde? Mon Dieu! serait-il vrai que ton amour, ton saint amour ne pût pas être proclamé sur la terre? Serait-il vrai que ta miséricorde fût un danger et ta fidélité un piège et un poison pour nos âmes ? Non, non ! j'ai regardé et j'ai vu, partout où cet amour était cru, grandir le dévouement et l'obéissance au devoir; j'ai vu les vies les plus saintes; j'ai vu naître les oeuvres les plus difficiles, celles qui demandaient le plus de zèle, de persévérance, de sacrifices et d'abnégation; j'ai vu les plus héroïques efforts; j'ai vu, depuis saint Paul jusqu'à nos jours, l'activité conquérante, la charité que rien ne lasse. Ecartez des exceptions que je déplore. Répondez : est-ce parmi ceux qui croient le plus à l'amour du Dieu fidèle que vous rencontrez les vies les plus relâchées ? Est-ce parmi eux que sont les mondains, les moqueurs, les profanes? Est-ce parmi eux que l'on va répétant qu'il ne faut rien exagérer, qu'il faut être de son temps, qu'il faut user du monde, jouir de sa jeunesse, faire comme ont fait tous les autres? Est-ce parmi eux que l'on sacrifie tout à ta vanité, au plaisir, à l'ambition ? Est-ce parmi eux que l'on prodigue ans scrupule à la toilette ou à la table l'argent que l'on refuse durement aux pauvres; que l'on plaisante sur les scandales et qu'on en rit; que l'on se fait du libertinage un objet fréquent de conversation ? Est-ce parmi eux, enfin, que le vice est bien porté, pourvu qu'il soit gracieux et spirituel? Et quand, sous l'abri de cette croyance, apparaît tout à coup quelque honteux désordre, le scandale même, la stupéfaction qu'il excite ne sont-ils pas la meilleure preuve que cette croyance devait porter d'autres fruits?

Il est dangereux, pense-t-on, de trop croire à l'amour du Dieu fidèle. Et moi, je vous réponds que le danger, pour nous, c'est d'y croire trop peu! Ah! laissez-nous nous plonger dans cette source purifiante. Laissez-nous croire et croire encore, comme pour la première fois, que Dieu pardonne, et que son amour est inébranlable. Qu'est-ce qui pourra nous émouvoir, nous saisir, nous transformer, si ce n'est cette croyance? Mon frère, au temps des égarements de votre jeunesse, vous laissait-il indifférent et plus léger le pur et saint baiser que votre mère déposait sur votre front à votre retour au foyer? Ne faisait-il pas pénétrer jusqu'au fond de votre âtre un tressaillement secret, un trouble accusateur, un repentir amer ? Vous a-t-il fait du mal l'amour plein de fraîcheur et de confiance que vous apportait celle qui devant Dieu s'est unie à vous? Quoi ! tous les jours, des coeurs sont ainsi sauvés de leurs désordres et ramenés au bien , et ton amour seul, ô Dieu! ne ferait pas ce que font les amours de la terre, et en le prêchant nous risquerions d'égarer les âmes, comme si cet amour même n'était pas l'aiguillon vengeur qui réveille la conscience assoupie , comme s'il n'était pas dans nos chutes le plus émouvant des appels. Laissez-nous donc y croire, car alors seulement nous apprendrons à aimer nous-mêmes, et où est la force pour la lutte, où est l'inspiration pour le sacrifice, si ce n'est dans l'amour?

Vous voulez stimuler notre énergie, et qu'est-ce qui la stimulera, si ce n'est l'inébranlable certitude que Dieu combat avec nous et qu'il est notre meilleur allié contre le mal? Instruisons-nous par nos défaites passées. Quand le Tentateur nous a surpris à l'improviste, quand il a jeté dans notre coeur un doute, une pensée, une passion qui nous troublent, quelle est sa tactique habituelle? C'est de nous faire voir en Dieu un juge irrité qui déjà nous repousse, c'est de nous fermer l'accès vers celui qui seul pourrait nous arracher à ses étreintes. Ne le croyons pas, et, dans cette lutte qui s'engage, comptons sur Dieu comme sur un auxiliaire qui accourt à notre aide. Pressés par l'ennemi, harcelés, à moitié vaincus, il est temps encore de croire, de prier et de vaincre... Inspirez à une armée jusque-là faible et démoralisée une inébranlable confiance en son général, faites-lui croire qu'il possède assez de génie pour démêler toutes les ruses de l'ennemi, pour déjouer tous ses stratagèmes, qu'il est aussi prévoyant qu'habile, et qu'en quelque lieu qu'il la conduise, elle trouvera en abondance tout ce qui lui est nécessaire; je dis que rien ne pourra arrêter de tels hommes, et que l'ardeur morale qui les anime est déjà la moitié du succès. Tous les grands capitaines l'ont bien compris, et le plus grand de tous, dans ses proclamations fameuses, montrait à ses soldats l'ennemi déjà vaincu avant même de l'avoir abordé. Eh bien, dans la lutte que nous soutenons contre le mal. Dieu veut que nous portions sur lui nos regards, que nous puisions en lui notre force, et qu'à tous les doutes, à toutes les attaques, à toutes les défaillances de notre coeur, nous répondions par ce cri de victoire : « Le Seigneur est fidèle. » Aussi, voyez combien elles sont nombreuses et magnifiques, les déclarations de l'Ecriture qui nous attestent la fermeté, la persévérance, la victoire finale de son amour. Les images les plus vives et les plus fortes qui puissent exprimer l'amour que rien ne lasse sont tour à tour employées : c'est la mère qui ne peut oublier son enfant qu'elle allaite, c'est l'époux qui garde et soutient celle qu'il s'est choisie, c'est le berger qui emporte dans ses bras sa brebis retrouvée, c'est le Dieu qui appelle et qui sauve, qui commence et qui achève; le Dieu qui donne le vouloir et le faire, qui dans la tentation fait trouver l'issue, qui travaille avec nous et qui agit en nous... Sa fidélité dure d'âge en âge, elle atteint jusqu'aux nues, elle est établie dans les cieux. Toutes les expressions, enfin, qu'a inventées la langue des hommes pour peindre l'amour ardent et fidèle, le Dieu de l'Ecriture les emploie, les prodigue, pour éveiller, pour fortifier notre confiance en lui.

Voilà, mes frères, ce que nous enseigne sur ce point la Parole divine. Laissez-moi maintenant faire appel à votre expérience et vous demander quel rôle joue dans votre vie la pensée de la fidélité de Dieu.

Dieu est fidèle. L'avez-vous compris? Faisons comme l'Ecriture, demandons aux affections de la terre de nous révéler quelque chose de l'amour du ciel.

Y a-t-il ici-bas quelque chose de plus beau qu'un attachement fidèle ? Savez-vous ce qu'est un coeur dont on ne doute pas, un coeur loyal auquel on se fie quoi qu'il arrive, sur lequel aucun soupçon n'est possible, et auquel on recourt sans hésiter aussitôt que survient l'épreuve? Savez-vous ce qu'est un coeur avec lequel toutes les joies sont doublées, qui bat avec le nôtre d'une émotion commune, tellement que par instinct les regards se rencontrent, les mains se serrent, et que, sans qu'une parole s'échange, tout un flot de vie a passé de l'un à l'autre? Savez-vous ce qu'est un attachement éprouvé par les joies et par les douleurs communes, victorieux des déceptions de chaque jour, de toutes les tristes révélations de l'expérience, et que les désillusionnements de la vie n'ont fait qu'affermir toujours plus? Savez-vous ce qu'est une confiance absolue, sans réserve. qui ne craint ni surprise, ni déchirement amer? Le savez-vous? Ah! peut-être, ce beau rêve, vous le savouriez hier encore, peut-être ce bonheur ne vous a-t-il été prêté que pour quelques jours ! Il n'y a pas ici-bas d'affection permanente... Tôt ou tard il faut briser les liens les plus forts et les plus tendres; mais si vous avez connu cela ne fût-ce qu'un seul jour, vous avez entrevu l'amour du Dieu fidèle.

Le Seigneur est fidèle. Emparez-vous de cette parole, vous dirai-je tout d'abord, et opposez-la à tous les événements de la vie. Seule elle pourra vous aider à en traverser les ténèbres. La vie, en effet, nous cache bien souvent l'intervention de Dieu ; ce n'est point par des signes extérieurs et visibles que cette intervention se manifeste; à juger sur l'apparence, rien dans leur destinée ne distingue le croyant de l'impie, celui qui prie de celui qui blasphème.; un même événement les frappe, une même fatalité semble les atteindre. Il est dans les plans de Dieu qu'il en soit ainsi; nous devons marcher par la foi et non par la vue, par l'obéissance et non par l'attrait des biens visibles; si quelque chose doit nous distinguer des autres hommes, ce sont peut-être les épreuves et les douleurs que notre foi nous attire ou nous fait partager. L'Ecriture en une foule de passages nous en a avertis; mais, malgré ces avertissements, nous n'en sommes pas moins troublés par l'épreuve; il semble que Dieu nous oublie, parce qu'il ne signale pas d'une manière évidente son intervention à notre égard. L'adversité survient et la pauvreté nous menace. D'où nous viendra notre pain de demain?

Demandons-nous avec angoisse. Notre santé s'ébranle, un deuil va nous atteindre. C'en est assez pour que tout, dans notre vie, semble marcher au hasard. Hommes de petite foi, quand apprendrons-nous à croire à la fidélité de Dieu ?

Elle était là, en effet, mes frères, elle s'exerçait, cette fidélité paternelle, sous l'apparent hasard des événements; dans tout ce qui nous paraissait d'abord pure combinaison de chances extérieures, il n'y avait réellement rien de fortuit. Une sagesse cachée travaillait à notre éducation; quelquefois nous discernions le secret de ses voies, le plus souvent il nous échappait; ce n'est pas en un jour qu'on apprend à reconnaître l'oeuvre de Dieu dans une vie humaine. Quand le statuaire attaque un bloc de marbre et fait voler en éclats les premiers morceaux, qui pourrait discerner déjà la pure et noble image qui doit se dégager un jour sous soli instrument? C'est ainsi, mes frères, que Dieu nous prépare ; mais tandis que le marbre est inerte, notre chair, notre faible chair palpite et frémit sous ses coups, Ah! laissez agir l'Ouvrier divin, laissez tomber sous sa main fidèle tout ce qui doit disparaître. Pas un coup ne frappe au hasard, pas une épreuve n'est inutile. Ces maladies qui ont brisé vos forces, ces douleurs physiques, ces cruelles infirmités qui ne vous font plus sentir de la vie que ses douleurs, ces brusques changements de fortune , cette pauvreté si difficile à supporter quand on l'avait Ignorée, cette, pauvreté avec l'isolement qui l'accompagne, avec les tristes révélations qu'elle vous donne sur le caractère intéressé des affections mondaines, avec l'humiliante dépendance où elle vous place; ce deuil soudain qui a dévasté votre vie, ces morts successives qui sont venues sans relâche, comme les vagues de la mer, emporter pièce à pièce la maison, le foyer où se réfugiait votre coeur; ces douleurs amères et cachées que nul ne peut consoler, parce que nul ne doit les connaître; toutes ces épreuves qui n'ont pour l'incrédule aucune explication et ne lui semblent que le jeu cruel d'une puissance malfaisante, le chrétien les traverse appuyé sur la fidélité du Seigneur. Sans comprendre, il croit, il espère; il oppose à tout ce qui le confond sa confiance en l'amour de Dieu, et, brisé sous sa main, il peut répéter l'héroïque parole du patriarche : « Voici, qu'il me tue ! Je ne laisserai pas d'espérer en lui. »

Le Seigneur est fidèle. Opposez-la cette parole à toutes les défaillances, à toutes les variations de votre coeur. Quoi de plus changeant que le coeur! Aujourd'hui c'est la paix, c'est le recueillement doux et calme; demain, ce sera la tourmente et la confusion; aujourd'hui , c'est le ciel ouvert; demain ce sera le nuage morne et livide; aujourd'hui, c'est la vue, c'est la possession anticipée du monde invisible; demain ce sera je ne sais quelle stupide et morne langueur que rien ne peut émouvoir; aujourd'hui , c'est le printemps de l'âme, c'est la vie de la foi, de la prière qui monte et fermente; demain, ce sera l'âpre souffle de l'hiver qui pénètre et qui glace... Ah! comme ils ignorent l'homme, ceux qui lui disent de chercher en lui-même sa force et son secours, c'est-à-dire de bâtir sur le sable mouvant des impressions qui passent l'édifice de sa vie intérieure, et comme l'Ecriture a mieux connu notre nature, quand détournant toujours nos regards de nous-mêmes, elle nous ordonne de les reporter toujours sur celui qui ne change point et dont l'amour demeure à jamais.

Le Seigneur est fidèle. Opposez-la cette parole à toutes les tentations qui vous assiègent. Il y a des jours où le sentiment de notre misère nous pénètre d'un morne et fatal découragement. Envoyant cette âme qui devait appartenir à Dieu envahie par tant de sentiments petits, orgueilleux et mesquins, par tant de basses convoitises, il nous semble que nos repentirs passés, que nos élans de confiance, que nos saintes joies, n'étaient qu'un jeu trompeur de notre imagination surexcitée; c'est alors qu'il faut nous dire que Dieu, en nous appelant à sa connaissance, savait de quoi nous sommes faits et que nos misères lui étaient connues. Il y a des jours où toutes nos lâchetés, toutes nos passions, toutes nos incrédulités se dressent devant nous, comme pour nous fermer l'accès de la vie supérieure; des jours où le Tentateur fait passer devant nos yeux la sainteté véritable, l'amour désintéressé, tous ces biens auxquels notre âme aspire, comme une terre promise qui nous reste à jamais fermée et où il murmure à notre oreille cette ironique parole : « Tu n'y entreras pas. » Il y a des jours où la victoire finale nous semble impossible, tarit la puissance du mal est liée à notre être, tant notre nature est terrestre et charnelle encore, tant notre incurable faiblesse est incapable d'un héroïque effort; c'est alors qu'il faut nous rappeler que les promesses de Dieu sont certaines, qu'il ne laissera point, comme un ouvrier malhabile, son oeuvre interrompue, qu'avec la tentation il nous fera trouver l'issue, et que si la bataille est longue et sanglante, la victoire finale est à lui.

Le Seigneur est fidèle. Opposez-la cette parole à tous les découragements qui paralysent votre activité. Vous avez travaillé pour la terre et votre labeur a été vain, vous avez semé l'amour et vous avez recueilli l'ingratitude; vous vous êtes sacrifié à une grande cause, et vous avez été méconnu... Cruelles déceptions de l'expérience, n'êtes-vous pas la part des meilleurs, et n'est-il pas vrai que plus le but que l'on poursuit est élevé, plus le désenchantement est amer ? Vanité des vanités! c'est le dernier mot de ceux qui ne regardent qu'à la terre, mais pour celui qui sert Dieu, la vanité n'est plus. Le Maître pour lequel il souffre ne le trompera pas; son amour qui le soutient doit un jour le payer de toutes ses peines. Efforts, sacrifices, dépouillements, larmes cachées, Dieu n'a-t-il pas tout compté, tout recueilli dans son sein?

Ce n'est pas que, comme des mercenaires, nous devions le servir pour mériter notre récompense. Celui qui calcule n'a jamais aimé, celui qui sacrifie sa vie présente au ciel par un mobile intéressé, celui qui souffre aujourd'hui pour sauver son âme de l'enfer, pour ne pas souffrir dans l'éternité, celui-là n'est qu'un égoïste et un calculateur. Or, le ciel n'est pas aux égoïstes... Le ciel, c'est l'amour, et celui-là seul le possède qui sait donner sa vie et servir Dieu, sans se chercher lui-même... Mais est-ce calculer que de compter avec une filiale confiance sur cet amour immense qui répond au nôtre et qui doit un jour être notre partage et notre joie sans fin ? Se sont-ils trompés, ces témoins, ces martyrs, ces héros de la charité silencieuse, qui, par un sublime effort, ont jeté l'ancre de leurs espérances dans le monde invisible, et se sont élancés dans l'inconnu pour suivre le Dieu qu'ils aimaient ? Se sont-ils trompés ceux que la terre a abreuvés de mépris et d'outrages et qui n'en ont pas moins cherché le royaume de Dieu et lui ont tout sacrifié? Ah! qui de nous l'oserait croire, qui ne voudrait, à son heure dernière , avoir partagé leur erreur? Arrière donc les lâches découragements ! En haut nos regards et nos coeurs ! A l'oeuvre pour le service de Dieu! à l'oeuvre pour le dévouement et le sacrifice, et, à toutes les déceptions de la vie, à toutes ses amertumes qui passent, à toutes les défaillances du coeur et de la volonté, à tous les doutes qui nous assiègent, opposons cette ferme parole « Le Seigneur est fidèle ! » Amen.


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 1 Voir à l'appendice la note I.

 

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