Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER 

Tome III


LE FATALISME

 

Jésus ayant jeté les yeux sur Simon. lui dit : « TU es Simon, fils de Jona ; tu seras appelé Céphas, c'est-à-dire Pierre. »

(JEAN I, 4.)


Mes frères,

Cette parole que le Sauveur adresse à Simon peut sembler d'abord étrange, et j'ai entendu plus d'une fois l'incrédule s'en emparer pour mettre en doute la pénétration morale de Jésus-Christ. Fallait-il, nous dit-on, fallait-il donner le nom de Pierre au fils de Jona Ce nom qui exprime la fermeté lui convenait-il Suivez-le dans sa vie: chez lui le premier élan est toujours admirable, mais quelles défaillances, et souvent quelles chutes! C'est Simon qui voyant venir son Maître sur la mer, s'élance à sa rencontre; mais c'est aussi lui qui manque de foi et va disparaître sous les eaux; c'est lui qui le premier confesse la divinité du Sauveur, mais c'est aussi lui qui, après cette grande scène, mérite le reproche accablant de son Maître : « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es en scandale! » - C'est lui qui, dans la chambre haute, s'écrie : « Lors même que tous t'abandonneraient, je te serai fidèle, et je donnerai ma vie pour toi; » mais c'est aussi lui qui, par trois fois, dans la cour de Caïphe, déclare ne plus connaître Jésus. -C'est lui qui le premier reçoit un païen dans l'Eglise, bravant l'opposition des Juifs scandalisés de ce qu'il met de côté la loi de Moïse; mais c'est aussi lui qui, plus tard, par crainte des Juifs, faiblit, use d'équivoque, refuse de s'asseoir à la table des païens convertis, et doit être repris publiquement par saint Paul. Est-ce donc cet homme-là qui doit s'appeler Pierre ? Est-ce à un tel caractère que convient un tel nom ?

Cependant, mes frères, cette parole était juste. Simon est devenu Pierre; il a réalisé le sens de son nouveau nom, et cela non-seulement par la foi qu'il a si fermement professée, non-seulement par le rôle qu'il a joué, mais encore par la transformation de son caractère. Je n'en citerai qu'une preuve. Nous avons les épîtres de cet apôtre écrites par lui dans un âge avancé. Lisez-les, la première surtout. Quel est le trait dominant que vous y observez? Est-ce l'ardeur exagérée d'un esprit enthousiaste? Y retrouvez-vous le caractère impressionnable et mobile du fils de Jona ? Non, ce qui nous y frappe, au contraire, et ce qui a toujours frappé les interprètes, c'est l'admirable équilibre de la pensée, c'est l'harmonie avec laquelle la doctrine évangélique y est exposée, c'est je ne sais quoi de paisible et de fort, qui annonce la sérénité d'une âme ferme et maîtresse d'elle-même, c'est le majestueux accent d'une autorité sans emphase. Cela est si frappant, que la critique incrédule, embarrassée de la première épître de saint Pierre, a imaginé d'y voir une oeuvre tardivement fabriquée, et dans laquelle les partis qui divisaient l'Eglise apostolique seraient convenus d'exprimer, en les conciliant, leurs vues opposées et de les couvrir de l'autorité de l'apôtre... Bizarre hypothèse, qui jure avec l'accent de candeur et l'unité de pensée de cette épître, mais qui atteste, de la manière la plus significative, l'esprit d'harmonie et de ferme conciliation que l'Eglise y a toujours admiré.

Ainsi, mes frères, cette parole de Jésus qui vous a surpris, troublés peut-être, ne faisait qu'exprimer un fait réel. Or, laissez-moi vous rappeler, à cette occasion, une observation plus générale. Si vous y regardez de près, vous remorquerez que c'est là la manière habituelle dont agit Jésus-Christ. Toujours il place devant ses disciples une tâche qui les dépasse; toujours il leur propose un but extraordinaire, et souvent impossible; toujours il fait briller à leurs yeux un idéal que la nature seule n'atteindra jamais, Rappelez-vous tant d'autres paroles aussi étonnantes, et, tranchons le mot, aussi paradoxales. Vous vous souvenez d'une scène qui se passe au désert; devant Jésus est une multitude immense qui l'a suivi, entraînée par sa parole... Le jour baisse; aucune demeure, aucun abri dans le voisinage. Comment nourrir cette foule ? Jésus se tourne vers les apôtres et leur dit : « Vous-mêmes, donnez-leur à manger. » Eh bien, cet ordre est moins extraordinaire encore que celui qu'il leur adressa lorsqu'au moment de les quitter il leur dit: « Allez, et conquérez le monde. » Que dis-je? Tout son enseignement est marqué du même sceau. Ce qu'il demande aux siens, c'est la sainteté, c'est la charité, c'est le sacrifice absolu, sans réserve. L'idéal qu'il leur propose, c'est la perfection : « Soyez parfaits, car votre Père céleste est parfait; » et c'est dans le même esprit que saint Paul, écrivant aux premiers chrétiens dont il connaît pourtant les misères et les défaillances, les appelle des saints, des parfaits, des héritiers de Dieu, des cohéritiers de Christ; c'est dans le même esprit que saint Jean définit le chrétien par cette parole extraordinaire : « Quiconque est né de Dieu ne pèche plus. »

Tout cet enseignement est si étrange que l'in - crédule est tentée d'y voir ou l'expression outrée d'une sainteté dérisoire pour notre faiblesse, ou l'immense illusion d'un orgueil insensé; mais ce n'est pas avec de telles explications qu'on se défera de l'Evangile. Où est l'accent de la dérision dans ce livre tout pénétré d'une si profonde, d'une si ardente sympathie pour l'humanité tombée? Où est l'illusion dans ce livre qui connaît à fond l'homme, qui parle de notre misère, de notre faiblesse, de notre servitude morale avec une pénétrante, une inexorable sincérité ?

L'explication la voici : selon l'Evangile, nous avons été créés à l'image de Dieu, et cette image, effacée par le péché, nous devons, sous l'action de la grâce divine, la reproduire un jour. Un jour, nous devons être saints, victorieux du mal; un jour, nous devons être consommés dans l'amour. Or, Dieu qui nous appelle à ce but nous voit déjà tels que nous devons être. De même qu'au regard pénétrant de Jésus, l'ardent, mais faible et mobile fils de Jona était déjà l'apôtre Pierre, cette ferme colonne de son Eglise, de même aux yeux de Dieu et dans son intention, nous sommes, dès à présent, ce que nous devons être un jour. - La nature transformée par la grâce, - tel est le sujet que je viens aujourd'hui proposer à votre attention.

On ne dira pas que ce sujet n'est point actuel. Je n'en sais pas qu'il soit plus nécessaire de rappeler à des chrétiens. On croit à peine à l'action de la grâce. J'ai peu de goût pour les grands mots et pour les accusations générales que l'on fait volontiers peser sur son époque, mais je ne puis fermer mes yeux à l'évidence, je ne puis nier l'influence énorme que le fatalisme exerce aujourd'hui sur l'esprit et sur les moeurs. La philosophie la plus répandue, en écartant la notion du Dieu vivant et son intervention dans l'histoire, tend de plus en plus à expliquer toutes choses par la nature, c'est-à-dire par la nécessité ; comme elle nie la liberté en Dieu, elle la nie également en l'homme, et, dans toutes les manifestations de l'âme humaine, elle voit un effet de la race et du tempérament. C'est ainsi qu'elle explique les religions. Un petit peuple, un seul, a cru à Dieu dans l'ancien monde; seul il a maintenu son unité, sa souveraineté morale. Affaire de race! nous dit-on; ce peuple était juif, de la famille de Sem, et le désert où il errait d'abord lui a enseigné le monothéisme. - Un jour, une poignée d'hommes est partie de Jérusalem pour porter au monde la bonne nouvelle de l'amour et du pardon de Dieu. Cela devait être, nous dit-on; il n'y avait là que l'effet naturel de la fusion des croyances juives et grecques qui, dans le creuset où fermentaient les religions de l'ancien monde, ont produit la religion du monde nouveau. - Un pharisien, Saul de Tarse, est renversé sur le chemin de Damas, et de persécuteur du Christ devient son apôtre. Réaction naturelle, nous dit-on; c'est là l'effet des tempéraments extrêmes comme le sien. Au seizième siècle, un moine gémit et pleure dans son couvent d'Allemagne, puis un jour, il se lève et prononce devant le monde étonné cette grande parole qui inaugure la Réforme : « Le juste vivra par la foi. » Luther, nous dit-on, obéissait à l'instinct des races germaniques qui cherchait une religion spiritualiste. - Aujourd'hui enfin une âme renonce au monde, et s'arrachant à une vie de dissipation et de vanité se consacre au service de Dieu dans l'amour. Ici encore, on ne sait voir que l'effet excentrique d'une de ces lois cachées dont la physiologie nous donnera un jour la savante nomenclature. Voilà, assure-t-on, la seule philosophie possible de l'histoire. En dehors de ces explications-là, il n'y a plus que l'imprévu, l'arbitraire; or, la science ne connaît pas l'arbitraire...

Je n'exagère rien; c'est là l'enseignement qui domine aujourd'hui dans les livres et dans les écoles, c'est là la clef avec laquelle on prétend nous ouvrir cette science nouvelle que le dix-neuvième siècle a fondée : l'histoire critique des religions. Et, comme, par un instinct secret, la religion ne peut se séparer de la morale, on applique à celle-ci une méthode identique. La morale, elle aussi, devient une affaire de race et de tempérament; sa seule règle, c'est la nature, et c'est sur une science plus exacte de la nature que l'on prétend fonder cette morale vraiment indépendante qui sera la morale de l'avenir. Vous aviez cru jusqu'ici que la base de la morale était la responsabilité, tellement qu'en ébranlant la responsabilité, on portait atteinte à la morale. Erreur! nous dit-on; le sentiment de la responsabilité n'est et ne peut être qu'une illusion qui doit disparaître avec celui de la liberté morale, cette autre illusion d'un être soumis à des lois inflexibles. Et, partant de ce principe, on voit dans le mal une erreur, une maladie bien plus qu'une transgression ; les criminels sont des victimes bien plus que des coupables; ici encore , le tempérament explique tout, et, comme on l'a dit, qui pourrait tout comprendre devrait tout pardonner. La maison de santé doit remplacer la prison; la compassion doit remplacer la justice. Pour l'esprit supérieur qui voit de haut les choses, les monstruosités morales offrent un vif attrait; laissant aux magistrats et aux prédicateurs les dénonciations sonores, il étudie avec curiosité ces singulières aberrations de la nature, il en cherche la loi fatale; il nous la donnera peut-être un jour. Voilà ce qu'on nous dit aujourd'hui, sur ce ton tranquille de la sérénité scientifique qui dédaigne les déclamations !

Pourtant voyez-les, ces nouveaux maîtres de moeurs qui prétendent fonder sur le fatalisme la morale de l'avenir, voyez-les quand ils sont victimes d'une injustice, blessés dans leur intérêt, dans leur amour-propre, que font-ils? ils s'indignent, ils s'irritent. Oh! l'étrange naïveté! S'indigne-t-on contre un être qui n'est point responsable? Accuse-t-on la machine stupide qui broie dans ses rouages une existence humaine ? Dénonce-t-on l'instinct de la bête fauve qui dévore parce qu'elle est carnassière? On s'en débarrasse, voilà tout. Oui, voilà tout; mais c'est là précisément ce qui m'épouvante dans ce monstrueux système, car, en tuant la responsabilité morale, il assimile l'homme à un être conduit par un instinct fatal. Sous prétexte de le plaindre, il le ravale. C'est un sanglant mépris qui se cache sous cette charité prétendue.

O fatalistes! quand, inconséquents avec vous-mêmes, vous vous laissez emporter par l'indignation que vous cause l'injustice, vous donnez a votre système le plus éclatant démenti, mais du moins vous respectez la nature humaine , car s'indigner contre le crime, c'est encore honorer l'homme; mais si vous pouviez être logiques, si l'indignation s'éteignait dans vos coeurs, votre mansuétude me ferait trembler... oui, j'ai peur de cette charité qui ne voit dans le mal qu'une excroissance fatale de la nature, j'en ai peur, car elle peut avoir deux conséquences également légitimes : elle peut accepter calmement le mal, mais ne voyez-vous pas aussi que, si elle venait à le redouter, avec le même calme, elle le ferait disparaître sans plus de remords que le chirurgien qui taille un membre atteint de la gangrène ?... Singulier rêve de charité après lequel, comme après tant d'autres, nous nous réveillerions dans le sang!

Qu'on ne me dise pas que j'évoque de vains fantômes. Les idées que je combats se font rapidement populaires, propagées avec un zèle qui devrait secouer notre torpeur... Parce que vous ne les rencontrez pas, cela n'empêchera point votre fils de les entendre demain exposer dans la langue de l'école, et l'ouvrier qui travaille pour vous de les lire avidement dans les recueils où elles lui sont exposées sous la forme qui peut le mieux l'atteindre. D'ailleurs, sans admettre le système, quoi de plus fréquent que d'en accepter les conséquences ! Il est si doux de se décharger du lourd fardeau de sa responsabilité! Il est si doux, devant la tentation que l'on ne veut point fuir, ou sous l'esclavage d'une passion coupable, de pouvoir accuser la conjuration des circonstances ou de la nature!... Il est si commode d'échapper ainsi au témoignage importun de sa conscience, et de se dire qu'après tout on ne se fait pas soi-même, et qu'on subit d'irrésistibles influences!... Par ce côté-là, le fatalisme restera toujours populaire.

Hélas! il est né le jour où le premier des pécheurs rejetait sur Dieu lui-même la responsabilité de sa chute; il sera toujours la philosophie du péché, parce que seul il pourrait le légitimer.

Eh bien! cette influence aujourd'hui si répandue, vous étonnerai-je en disant que l'Eglise aussi la subit ? N'est-elle pas au fond de nos coeurs, ne trouble-t-elle pas parfois nos intelligences ? Croyons-nous fermement au Dieu victorieux du mal et de la nature? Le fatalisme, il est dans ce lâche découragement qui nous envahit, dans ce doute avec lequel nous regardons à l'avenir, et aux destinées du règne de Dieu sur la terre; dans cette stupide résignation avec laquelle nous acceptons les insuccès ou les défaites de l'Eglise ; il est dans notre sanctification personnelle sans espérance et sans joie, dans nos prières sans ardeur, dans nos molles résistances au péché ou plutôt dans les trêves honteuses que nous concluons avec lui; dans la complaisance avec laquelle nous cherchons des excuses; il est dans notre piété qui gémit, dans cette irrésolution et ce défaut d'énergie que nous apportons à nos oeuvres, dans cette inertie avec laquelle nous attendons des hommes ou des choses ce réveil religieux qui seul pourrait nous rendre la vie... Voilà le mal, voilà le danger; maintenant cherchons le remède.

Le remède, je le connais. Il est dans la foi au Dieu créateur et au Dieu de la grâce. C'est par là, mes frères, et par là seulement que le fatalisme peut être vaincu.

Dieu a créé! Savez-vous ce qu'il y a dans ce seul mot? Savez-vous quel jet de lumière il fait rayonner dans la nuit de nos destinées? Dieu a créé ! Donc Dieu est l'auteur souverain, et je vois disparaître le fatalisme de l'ancien monde qui croyait à l'éternité de la matière et y cherchait la source éternelle et irrésistible du mal. Dieu a créé! Donc Dieu est le maître, et je vois disparaître le fatalisme moderne qui prétend nous courber à jamais sous des lois inflexibles en dehors desquelles il ne connaît rien. Dieu a créé! Donc, au-dessus de ces lois, il y a l'Etre tout-puissant, tout bon, l'Etre libre qui commande à la nature, et auquel la nature obéit.

Mais je ne crois pas seulement au Dieu de la création. Et où serait ma consolation, je vous prie, si, après avoir achevé son oeuvre, Dieu l'abandonnait à ses destinées, et s'il me fallait, à la pâle et vacillante lueur de ma pauvre raison, chercher dans la confusion de cette oeuvre la trace de sa puissance, de sa justice et de son amour ? Sa puissance ? et comment y croirais-je en face de cette autre puissance du mal qui se dresse devant elle et la défie? Sa justice, et comment m'apparaîtrait. elle dans le jeu sanglant de l'histoire? Son amour? et comment le saisir devant cette cruelle loi de destruction qui frappe, frappe encore et toujours et semble se railler de nos gémissements et de nos prières? Je crois au Dieu de la grâce, au Dieu qui intervient dans nos destinées pour éclairer ses créatures, pour les relever; au Dieu qui a marqué l'empreinte de ses pas dans l'histoire, au Dieu dont j'ai senti battre le coeur de Père dans l'Evangile, au Dieu qui a écrit son nom sur la croix, au Dieu qui parle par son esprit dans nos coeurs, au Dieu qui pardonne, qui convertit, qui sanctifie; appuyé sur ma foi, j'échappe au fatalisme, car je sais que par la puissance de la grâce, le mal sera vaincu. Ce Dieu-là, ce n'est pas le Dieu du déisme, c'est le Dieu de l'Ecriture, c'est le Dieu d'Israël révélé dans toute sa splendeur par Jésus-Christ.

Aujourd'hui, je l'ai montré, on voudrait nous ravir cette foi à l'intervention de Dieu dans l'histoire. On nous dit qu'Israël n'a pas eu d'autre révélation que la nature, on nous dit que c'est dans le sang de sa race et dans le désert où il a longtemps erré qu'il a découvert son Jéhovah; on nous le dit, et on sait bien que si on pouvait le faire croire au monde, que si on pouvait confondre le Dieu de la Bible avec tous les dieux qu'enfante la nature, ce serait la nature qui resterait notre seule inspiratrice, notre seul guide; la nature, c'est-à-dire au fond la fatalité.

Mais c'est en vain qu'on l'essaye, c'est en vain qu'on veut faire sortir de la nature le seul Dieu qui l'ait créée et qui la domine. Quoi! c'est Israël qui a trouvé Dieu dans la nature ? Et d'où vient que cette nature ne l'a point révélé aux peuples de même race qui erraient dans le même désert et sous les mêmes cieux ? D'où vient qu'ils n'ont jamais su lire dans le firmament étoilé le nom de ce Dieu adorable dont les cieux racontaient la gloire* à David? D'où vient que tous ils se courbent sous les plus monstrueuses idoles ? Quoi ! c'est le même instinct de la nature qui proclame par la bouche de tous les prophètes que Dieu est la sainteté même, que les cieux mêmes des cieux ne sont pas purs devant lui, et qui inspire les abominables infamies du culte d'Astarté ! Quoi ! la même nature qui disait à David que Dieu est au père ému envers ses enfants d'une tendresse infinie, qu'il est bon, compatissant et lent à la colère, poussait la mère cananéenne à brûler ses premiers-nés aux pieds de la statue de Moloch! La nature seule enseignait Dieu à Israël ! Et d'où vient que sans cesse Israël retourne par instinct à Moloch, à Bahal et à toutes les cruelles turpitudes qui ensanglantaient leurs autels? D'où vient qu'il lui faut la sévère discipline de l'épreuve pour revenir au vrai Dieu ? D'où vient qu'il ne comprend jamais la grandeur de son Jéhovah, que sans cesse il lui prête ses passions étroites, basses et jalouses, et qu'après l'avoir abaissé, il lui préfère encore des dieux façonnés de sa main ? Israël a connu Dieu par sa nature ! Et d'où vient que les plus grands témoins de ce Dieu sont des martyrs, d'où vient qu'eux-mêmes voudraient sans cesse échapper à leur mission sublime, d'où vient que malgré eux souvent ils expriment une vérité qui les domine et les dépasse ? Non, le Dieu d'Israël n'est pas sorti du désert, la pensée de ce Dieu n'est pas montée au coeur de l'homme. C'est lui-même qui s'est choisi Israël et lui a dit : « Je serai ton Dieu, et tu seras mon peuple. » Et voilà pourquoi Israël, malgré l'instinct de sa race, malgré la voix de la nature, demeure le témoin de Dieu sur la terre, porteur, comme on l'a dit, d'un flambeau qui ne l'éclaire pas, et annonçant au monde courbé sous le fatalisme, le Dieu maître de la nature, le Dieu qui doit vaincre un jour le monde et qui nous a déjà vaincus nous-mêmes.

Mais quand ce triomphe de Dieu sur la nature a-t-il éclaté avec plus de magnificence que dans l'apparition de Jésus-Christ? Aujourd'hui, je l'ai dit, tout l'effort de la science incrédule tend à réduire l'Evangile aux proportions d'un fait naturel, à montrer que Jésus est venu de la terre et que sa doctrine n'est que l'expression la plus élevée et la plus touchante des aspirations d'une âme pieuse de son temps. L'Evangile, selon nos critiques, n'est que le produit de la nature; voilà ce qu'on veut nous faire admettre, et l'on s'étonne de notre résistance. - Quoi ! c'est à cette époque d'universelle incrédulité, d'effroyable corruption et d'épuisement du monde, dans le peuple juif dégénéré, au sein d'une religion pétrifiée, d'un pharisaïsme hypocrite, d'un sadducéisme charnel, d'un fanatisme sombre et farouche que la nature a fait jaillir cette vie incomparable, ce spiritualisme sublime, cette sainteté sans égale, cet amour que jamais l'imagination n'avait su rêver! - Quoi ! c'est dans l'esprit de quelques Galiléens grossiers que la nature a fait germer et éclore ce merveilleux récit de l'histoire évangélique qu'après dix-huit siècles nous lisons à genoux et dont nous ne faisons qu'épeler les enseignements magnifiques ! Quoi ! c'est la nature qui a fait d'une croix ignominieuse dressée un jour par une foule fanatique, le symbole de la foi , du pardon , de l'espérance d'une humanité nouvelle, le signe glorieux du salut des âmes ! Quoi ! c'est dans ce scepticisme universel qui couvrait alors la terre, dans ce vaste ossuaire des religions d'Europe et d'Asie que serait née, formée de tous ces débris de la mort, la doctrine de vie qui allait régénérer le monde ! Quoi! c'est de l'erreur de quelques fanatiques prosternés devant une croix sanglante et devant un tombeau vide que serait sortie cette force nouvelle, qui devait scinder l'histoire en deux parts et donner à l'humanité chrétienne l'impulsion à laquelle elle doit ses progrès, sa liberté, ses lumières et sa prodigieuse activité conquérante? Quoi ! c'est du milieu le plus sectaire qui fut jamais que serait sorti cet amour nouveau, qui ne connaît plus de barrières nationales, qui nous force à voir nos frères dans les plus méprisés des hommes, qui, à. travers dix-huit siècles, nous émeut nous-mêmes, nous inspire ce que nous avons de meilleur; qui trouble nos joies égoïstes, qui poursuit partout son oeuvre, qui enfante les missions, fonde nos hôpitaux, veille au chevet du malade, produit les dévouements les plus héroïques et inspire souvent, à leur insu, ceux-là mêmes qui repoussent la foi chrétienne... Eh bien , je l'affirme, ce n'est pas l'exaltation du zèle religieux, c'est ma raison, ma froide raison qui me force à reconnaître ici une action qui dépasse la nature et que j'appelle, moi, chrétien, la grâce du Dieu de l'Evangile.

Mais cette victoire de la grâce sur la nature, qu'il serait beau de la suivre de siècle en siècle, non plus dans ses effets généraux sur le monde, mais dans son action sur les âmes individuelles! J'ai montré Simon, fils de Jona, transformé par elle et devenant Pierre, je montrerais Saul de Tarse devenant saint Paul. Je pourrais montrer cet ancien pharisien, cet ancien persécuteur écrivant à d'anciens païens la description la plus belle que jamais on ait faite de la charité et pouvant dire à ses disciples : « J'ai été au milieu de vous comme une mère au milieu de ses enfants.» Je pourrais vous montrer, à toutes les époques, dans tous les pays, chez toutes les races de la terre, des hommes de tout rang, de toute culture, vaincus par la même puissance. Où est ici le fatalisme de la nature ? Ah ! je le le vois dans ces religions enfermées à jamais dans le pays ou dans la race qui les ont produites, incapables de faire en dehors un seul prosélyte, incapables même de le tenter. Mais dans l'action que Jésus-Christ exerce à toutes les époques, qu'on m'explique cet étrange attrait par lequel il se soumet les hommes les plus divers qui, tous subjugués par lui, cédant à sa puissance, le suivent sans hésiter. a Qu'y a-t-il entre toi et nous? » s'écriaient les malheureux que Jésus-Christ arrachait aux puissances des ténèbres. « Qu'y a-t-il entre toi et nous ? » lui ont répété à toutes les époques ceux qu'il est ainsi venu saisir pour se les attacher à jamais. Qui es-tu donc, toi qui troubles les âmes, et qui, à travers les siècles viens nous arracher à nous-mêmes ? Qui es-tu, toi qui triomphes de tous les caractères, de toutes les habitudes, de tous les liens de la chair et du sang? Qui es-tu, toi qu'invoquent les derniers de la terre et qu'adorent les plus beaux génies? Qui es-tu, toi qui comptes parmi les âmes que tu t'es conquises les plus misérables criminels et les plus saints des hommes? Qui es-tu, toi qui nous soumets à toi par une telle force, que désormais ta volonté devient notre seule foi et ton amour notre seule récompense. Ah! quand les voix des prophètes t'appelaient le Libérateur, elles annonçaient ce que proclame partout aujourd'hui l'histoire.

Devant toi sont tombées toutes les servitudes, tous les fatalismes de race ou de caractère. A ta parole se forme une humanité vraiment affranchie; en toi nous avons trouvé la liberté.

J'ai montré, mes frères., la grâce divine victorieuse de la nature; j'ai opposé au fatalisme sous lequel on veut nous asservir l'action libératrice du Dieu de l'Evangile. N'êtes-vous pas ici frappés d'un fait, J'oppose la grâce au fatalisme. Eh bien ! autrefois, que dis-je ? il y a quelques années à peine, quand on repoussait la grâce, de quoi l'accusait-on ? De fatalisme, et, cela dit, on croyait avoir tout dit, et il semblait que la cause fût entendue, que le christianisme eût dépouillé l'homme de sa dignité naturelle, qu'il lui eût ravi sa liberté morale, qu'il l'eût dégradé. En vain nous protestions, en vain nous montrions cette doctrine de la grâce enfantant les plus énergiques caractères produisant peut-être la plus grande somme d'héroïsme et de liberté morale qu'il y ait eu ici-bas, en vain nous citions les hommes et les pays formés à son école... Peine perdue ! nous étions condamnés d'avarice. Aujourd'hui que la liberté morale est insolemment niée et en Dieu et en l'homme; aujourd'hui, qui donc vient la défendre, qui donc maintient et notre dignité d'origine contre ceux qui nous rabaissent au rang de l'animalité, et notre énergie morale contre ceux qui veulent nous asservir sous la nécessité,... Les chrétiens, tous unanimes ici, et parmi les chrétiens, nuls peut être plus que ceux qui ont appris de saint Paul que toute force est en Dieu... Ainsi, à l'heure du péril, on voit accourir les premiers pour défendre la patrie ou la société menacées, ces citoyens auxquels le souverain demandait vainement, au jour de son orgueil, de lâches et serviles adulations.

Maintenant, il faut conclure, et notre conclusion première sera pour nous tous un avertissement.

Chrétiens, qui croyez au Dieu victorieux de la nature, au Dieu qui relève, qui convertit , qui sanctifie, au Dieu qui commence et qui achève, affirmez par votre conduite cette force toute divine qui seule peur triompher du fatalisme pratique sous lequel vous gémissez. Vous avez jusqu'ici vainement lutté contre tel doute, telle infirmité, telle habitude invétérée que le tempérament et les années ont si fortement rivée à votre personnalité, que vous avez perdu l'espoir d'en triompher jamais. Eh bien , regardez en face ces puissances du mal et voyez-les déjà vaincues par la volonté du Dieu tout puissant s'accomplissant par la vôtre. Vous pouvez les vaincre, car vous le devez. Dieu qui vous impose le devoir, vous donnera la force de l'accomplir. Le Dieu de l'Evangile ne se joue pas de l'homme; quand il place devant lui un idéal, ce n'est pas pour l'irriter par un décevant mirage. En nous ordonnant d'être saints, il nous donne l'esprit de sainteté; en nous ordonnant l'amour, il nous l'inspire. Croyez, luttez, priez, persévérez, jusqu'à ce que vous ayez remporté la victoire. Laissez les lâches découragements à ceux qui sont sans Dieu, sans espérance. Laissez le fatalisme à ceux qui n'ont ni Dieu, ni Sauveur. En marche! compagnons de voyage; en marche vers la terre promise! et si, ni aujourd'hui, ni demain nous ne pouvions l'atteindre, si la mort venait nous surprendre en route, qu'elle nous trouve du moins debout, les yeux tournés vers le but que Dieu nous assigne, et ne doutant pas de sa fidélité.

Tu es Simon, fils de Jona; tu t'appelleras Pierre... L'apôtre emporte au fond de son coeur cette grande, cette étonnante parole; elle lui révèle une mystérieuse, une immense destinée; elle est là devant lui comme un avertissement et souvent comme un reproche. Toujours, quoi qu'il fasse, il la retrouve qui luit devant ses regards... Ah ! que lui disait-elle à l'heure de sa chute et de son triple reniement, De quels remords ne transperçait-elle pas son âme, et si parfois l'orgueil l'avait saisi à la pensée de la grande vocation que son nom présageait, comme il dut apprendre alors, par son Incurable faiblesse, que Dieu seul, qui l'appelait à cette destinée, lui donnerait la force de la réaliser.

Frères, appelés tous par Jésus-Christ comme Pierre à le servir et à le suivre, quel est le nom que votre Sauveur vous donnerait s'il était présent au milieu de nous' Ah! sans doute, comme à Simon, un nom qui exprimerait le but que vous devez poursuivre et le caractère nouveau que vous devez revêtir... : à vous, timides et lâches encore dans votre foi nouvelle, un nom qui exprimerait la fermeté; à vous qu'assiègent des tentations qui vous humilient, un nom qui exprimerait la liberté d'une âme purifiée; à vous dominés par un orgueil et une ambition opiniâtres, un nom qui vous rappellerait l'humilité, le dépouillement qui vous manquent... Eh bien , cette glorieuse destinée, il faut l'accepter et la comprendre; ce but, il faut l'atteindre; cette volonté divine, il faut y répondre, de peur que, suivant la sévère parole de l'Ecriture, vous anéantissiez le dessein de Dieu à votre égard... Simon , souviens-toi que tu t'appelles Pierre... 0 vous qui m'écoutez, souvenez-vous que vous êtes les rachetés du Sauveur! Non, vous n'étiez pas faits pour cette vie toute absorbée par les préoccupations de la terre., pour ces rêves de fortune, de gloire et de bonheur égoïste. Non, vous n'étiez pas faits pour cette servitude intérieure, pour ce honteux esclavage d'une passion cachée qui vous affaiblit, vous paralyse et ronge la substance même de votre vie et de votre énergie morale. Non , ma soeur, vous n'étiez pas faite pour cette dissipation insensée où vont se consumant vos journées, pour ces vains rêves de vanité flattée, pour ces hommages menteurs, pour cette idolâtrie où vous vous complaisez.. C'est dans une autre voie, c'est vers un autre but que vous appelaient ces prières qui vous ont entourée, ces purs et doux souvenirs d'une enfance chrétienne, ces émotions profondes, ces larmes autrefois répandues au pied du Sauveur, ces avertissements, multipliés par l'amour d'un Dieu fidèle... Ame chrétienne, âme rachetée par le sang de Jésus-Christ, âme appelée à la vie éternelle, réveille-toi, secoue ton esclavage et reviens au Dieu qui veut te sauver.

Et toi, Seigneur, dont l'amour est fidèle; toi, duquel les dons, suivant ta touchante parole, sont sans repentir; toi qui appelles et qui sauves, qui convertis et qui sanctifies, qui commences et qui achèves; toi qui places devant nous de si grandes destinées; toi qui veux que nous soyons vainqueurs du monde et de nous-mêmes, héritiers de l'éternité, citoyens des cieux, rois et sacrificateurs, accomplis en nous ta volonté, soumets-nous à ta loi sainte, et, de ces coeurs charnels, asservis à la vanité, fais des coeurs nouveaux, affranchis du mal, et qui se donnent à toi pour jamais.


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