Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER - Tome III


LE MALFAITEUR REPENTANT

 

L'un des malfaiteurs qui étaient crucifiés l'outrageait aussi en disant : « Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même, et nous avec toi. » - Mais l'autre, le reprenant, lui dit : « Ne crains-tu point Dieu, puisque tu es condamné au même supplice ? Et pour nous, nous le sommes avec justice, car nous souffrons ce que nos crimes méritent, mais celui-ci n'a fait aucun mal. » Puis il disait à Jésus : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras entré dans ton règne. » Et Jésus lui dit : « Je te dis en vérité que tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis. »

(Luc XXIII, 39-43.)


La voici de nouveau, mes frères, la grande journée où l'Eglise universelle, répandue partout sur la terre, vient adorer le Fils de Dieu crucifié (1). Cette croix qui devait anéantir l'oeuvre de Jésus-Christ, en le couvrant d'une sanglante ignominie; cette croix qui, aujourd'hui comme au temps de saint Paul, est un scandale et une folie; cette croix que les crimes des chrétiens ont plus ébranlée, hélas! que toutes les attaques de leurs ennemis, elle est encore debout, et chaque année la voit plantée sur des terres nouvelles conquises à Jésus-Christ. Elle est debout pour rappeler au monde l'amour et la sainteté de Dieu, pour annoncer aux pécheurs le pardon et la miséricorde; elle est debout et, malgré les apparences, jamais peut-être encore elle ne s'est soumis plus d'âmes repentantes, jamais elle n'a été plus profondément enracinée dans la foi des chrétiens.

Et nous qui sommes venus l'entourer, dans quel sentiment la contemplerons-nous? Nous souvenons-nous que le sacrifice appelle le sacrifice, et que notre nature mauvaise doit être crucifiée avec Jésus-Christ? Ah! combien d'hommes ne chercheront aujourd'hui dans la croix qu'un spectacle qui frappera leur imagination sans saisir leur coeur! Il y a, dans les impressions que produisent les Souffrances de Jésus-Christ, je ne sais quelle secrète douceur qui attire et qui attendrit. On s'émeut donc, mais cette émotion n'est pas de la repentance; ces larmes, ce n'est pas l'humiliation qui les a fait répandre. Les âmes les plus mondaines sont susceptibles de ces émotions-là. Vous les verrez. un moment attendries, demeurer au fond tout aussi légères. Ces yeux qui s'emplissent de larmes fugitives ne s'enflammeront pas moins pour tout ce qui flatte leurs convoitises; sur ces lèvres qui proclament l'amour du Rédempteur viendra se placer le langage le plus frivole; ces coeurs n'en seront pas moins possédés par la vanité. Et qui sait même, ô Dieu, si dans ce lieu, à cette heure où nous allons méditer sur les souffrances de Jésus, la mondanité ne viendra pas usurper la première place? Qui sait si, dans la dissipation des pensées, on se recueillera pour écouter ta voix ? Rappelle-nous qu'on peut se jouer des émotions les plus saintes, mais qu'à ce jeu on peut perdre son âme. Rappelle-nous que ce qui doit s'émouvoir en nous aujourd'hui, c'est notre conscience, et que la meilleure manière de répondre à ton amour qui s'immole, c'est de te consacrer à jamais nos coeurs et nos vies !

Trois hommes sont crucifiés sur le Calvaire: un qui donne le salut, un qui le reçoit, un qui le méprise (2). Au milieu, l'auteur de la grâce; d'un côté un criminel qui en profite, de l'autre côté un criminel qui la rejette. Je me propose aujourd'hui de méditer cette grande scène, et d'étudier surtout l'exemple du premier des pécheurs que la croix du Christ a convertis.

Deux malfaiteurs souffraient avec lui; saint Marc et saint Matthieu nous disent que d'abord tous deux s'unissaient à la foule pour l'outrager. Eh quoi! partout l'outrage! Quand il s'agit de haïr Jésus-Christ, les plus ardents ennemis se réconcilient, Hérode avec Pilate, les sadducéens avec les pharisiens, les grands avec le peuple, les Romains avec les Juifs, et, comme si ce n'était pas assez, les victimes avec leurs bourreaux. Vous êtes-vous jamais demandé d'où vient cette conspiration universelle, et par quel rapide, par quel effrayant instinct tous s'unissent pour blasphémer contre Jésus-Christ? C'est qu'en Jésus-Christ la sainteté est apparue, c'est qu'elle a mis à jour le fond de notre nature, c'est qu'elle a réveillé ces puissances d'iniquité qui sommeillent dans les profondeurs de l'âme humaine. De l'âme humaine, ai-je dit, et non pas de telle ou telle classe d'hommes, car tous ici ne font qu'un... Un Israélite éloquent s'indignait récemment de ce' qu'on faisait peser sur sa race le crime de la mort du Christ. Il avait raison, mes frères; ici nous sommes tous solidaires; les passions qui ont élevé la croix sont de tous les temps et de tous les lieux. Toutes les fois que la sainteté se produit dans le monde, elle soulève contre elle une inévitable colère. Supposez-la aussi douce, aussi aimable que vous le voudrez, elle ne pourra pas échapper à la haine. Cela n'est que trop facile à comprendre. Quoi de plus pur, quoi de plus bienfaisant que la lumière! Quelle joie elle cause à celui qui la voit se lever après les ténèbres pleines de terreur d'une longue nuit d'angoisse! Comme elle ravit le regard du prisonnier longtemps privé de son doux éclat! 'Mais qu'un rayon de cette lumière tombe sur un oeil malade; elle le blesse, elle l'irrite, elle lui apporte la plus cuisante douleur. Il faut qu'il lui échappe, il faut qu'il retourne aux ténèbres. Eh bien, voilà ce qui se passe dans le monde moral. L'oeil de notre âme est malade, la vue de la sainteté nous offusque. Plus elle est lumineuse, plus est grande l'irritation qu'elle produit. Or, supposez que cette sainteté qui n'apparaît dans le monde que par fragments épars se montre en un être qui la manifeste dans tout son éclat; supposez que cet être vienne au milieu d'un monde tel que le nôtre, comment voulez-vous qu'il soit accueilli ? Ah! je n'hésite pas à le dire, une haine secrète , mais ardente et croissante, s'élèvera bientôt dans toutes les âmes que sa lumière aura blessées, et aujourd'hui, comme il y a dix-huit siècles, les aveugles volontaires s'écrieront avec les Juifs dans la cour du prétoire: « Ote-le, ôte-le du milieu de nous. »

Il nous est aisé de jeter aux Juifs la pierre et de faire retomber sur ce que nous appelons leur fanatisme les scènes hideuses de Golgotha; mais ne nous y trompons pas : les passions qui ont ameuté le peuple juif sont au fond de tout coeur d'homme. Vous admirez le Christ à distance et vous demandez comment il a pu être haï! Mais que serait-ce si le Christ vous apparaissait et si sa pure lumière éclairait les replis les plus cachés de votre âme! Vous qui êtes tout épris de gloire humaine, croyez-vous que vous l'eussiez entendu sans frémir vous déclarer que votre passion vous rendait indignes de la gloire qui vient de Dieu? Vous qui n'avez qu'une religion toute extérieure abritant une vie légère et coupable, qu'eussiez-vous éprouvé s'il vous avait appelé un sépulcre blanchi? Vous, hommes d'affaires qui ne songez qu'à grossir votre fortune, auriez-vous accepté froidement qu'il vous reproche votre idolâtrie? Vous qui vous complaisez dans la pensée de votre générosité naturelle, auriez-vous supporté que sa main divine, écartant tous les voiles, vous eût révélé vos misères cachées, vos secrètes convoitises, vos calculs intéressés, toutes ces bassesses qu'abrite une âme d'homme ? Et quand il vous aurait dit de le suivre en renonçant à tout, de charger voire croix après lui, croyez-vous que tout votre orgueil, que toute votre lâcheté naturelle ne se seraient pas révoltés contre ce commandement? Ah! il me semble entendre la protestation de nos coeurs charnels irrités par cette parole importune. Il me semble voir toutes les passions que condamnerait Jésus-Christ se liguant ensemble et prenant une voix pour étouffer la sienne. Oui, sur les hauteurs de notre société comme dans ses rangs les plus bas, les instincts mauvais accourraient en foule pour repousser cet accusateur. Le pharisaïsme moderne, par où j'entends la religion formaliste et l'honnêteté satisfaite d'elle-même, donnerait la main au sadducéisme, c'est-à-dire au scepticisme frivole et au matérialisme moqueur; la richesse égoïste et la pauvreté envieuse et révoltée, la science avec son dédain et l'ignorance avec son fanatisme, l'avarice rigide, la dissipation scandaleuse, les basses voluptés, en un mot toutes les puissances des ténèbres s'uniraient pour crier: « Crucifie! » et la vérité, haïe par les uns, méconnue lâchement par les autres, aurait, comme a Jérusalem, ses insulteurs et ses bourreaux. Elle trouverait aussi ses juges iniques qui se laveraient les mains de sa condamnation. Rien ne manquerait à ce sinistre cortège, Hérode et Pilate s'uniraient pour la perdre, et les Judas eux-mêmes seraient encore la pour la livrer.

Rien de tout cela n'aura lieu, mes frères; le Christ ne doit plus mourir, mais ne nous suffit-il pas de savoir qu'il le pourrait encore? Non, les ennemis de Jésus-Christ ne sont pas seulement au Calvaire. Ils sont partout où il y a des coeurs que la vérité blesse et que la sainteté irrite, des coeurs qui volontairement s'abandonnent au péché, car ces coeurs mis en présence de Jésus-Christ et condamnés par lui l'auraient haï comme ont fait les Juifs... S'il y a dans cette assemblée un homme qui en face de l'Evangile vive dans le mal et préfère ainsi les ténèbres à là lumière, qu'il le sache, il est complice de la crucifixion du Sauveur, car autant qu'il est en lui (c'est l'Apôtre qui parle), il crucifie de nouveau le Fils de Dieu et le livre à l'ignominie. « Quant on m'a lu l'histoire de la mort de Jésus, disait un Africain converti, j'ai maudit les Juifs et Pilate, mais quand je l'ai comprise, je me suis maudit moi-même, car moi aussi j'ai crucifié Jésus-Christ. »

Tous donc l'outrageaient; mais, dans ce concert d'insultes, les voix que je suis le plus surpris d'entendre, ce sont celles de ces malfaiteurs. Quoi! eux aussi, ils s'unissent à la foule! Et qu'ont-ils à attendre d'elle? Pour elle, eux aussi sont des objets de mépris. Ils s'unissent à elle contre Jésus-Christ. Et quel mal leur a-t-il fait? Que signifie cette barbare et hideuse forfanterie et comment l'expliquer?

Elle ne s'explique que trop, mes frères; la souffrance a ses tentations; plu§ elle est méritée, plus elle conduit au murmure, et du murmure au blasphème il n'y a souvent qu'un degré. Ces hommes sentent approcher leur fin... la terre n'a plus rien à leur donner. Rien devant eux que les tortures d'une affreuse agonie, et leur désespoir s'exhale en colères. C'est Jésus qu'ils maudissent, parce que Jésus s'est appelé le Sauveur et qu'il est incapable de se sauver lui-même, en descendant de sa croix. Ils ne savent pas, les insensés, que s'il y reste, c'est pour sauver leur âme!

Comment ne pas songer ici, sans que le coeur se serre, à tous ceux que la douleur endurcit ? La douleur, elle devrait être la messagère qui conduit à Dieu; c'est dans la douleur que nous apprenons à connaître le monde et nous-mêmes; en brisant nos forces, elle nous fait sentir notre absolue dépendance; en troublant nos fausses joies, elle nous fait savourer toute l'amertume du péché. C'est aussi aux affligés que l'Evangile adresse ses meilleures promesses. Et pourtant combien y en a-t-il qui le comprennent? Que de fois au contraire elle ne fait que provoquer la révolte!

Vous aviez cru que ceux-là aimeraient naturellement Jésus-Christ qui avaient le plus besoin d'être consolés; vous aviez cru que ceux-là appelleraient le plus vivement le Libérateur qui gémissaient le plus sous l'oppression de la misère, que ceux-là soupireraient le plus ardemment après la vraie patrie qui n'avaient pu trouver une place au soleil d'ici-bas, que ceux-là auraient le plus besoin d'une éternelle affection dont le coeur avait été le plus ulcéré sur la terre. Dans la défection des âmes qui se tournent contre. Jésus-Christ, il vous semblait que les affligés du moins devraient lui rester fidèles, car qui a eu, pour eux, comme lui des trésors de sympathie, qui a mieux su leur adresser les paroles de la vie éternelle, qui comme lui s'est chargé de leurs douleurs?... Eh bien, vous verrez souvent la douleur révoltée et blasphémant, vous verrez les coeurs aigris se railler de l'Evangile et de ses promesses, opposer à tous nos appels je ne sais quelle sombre et navrante ironie, et tourner en dérision les paroles les plus tendres (le l'amour divin... Malheureux, et où donc iront-ils, s'ils repoussent Jésus-Christ, et qui les consolera, s'ils méprisent les paroles du divin Consolateur ? Oui! malheureux et insensés, car s'il se lève quelque prophète du néant qui leur dise que le ciel est vide, que la prière est un vain cri auquel rien ne répond, que tout marche au hasard, que tout finit pour l'homme dans la pourriture de la fosse, vous les verrez, ô douleur! courir à lui, l'acclamer, l'appeler leur ami, leur libérateur, et trouver je ne sais quelle affreuse joie dans la lugubre perspective d'une nuit sans réveil; fidèle commentaire de cette parole de mon texte : « Ceux qui étaient crucifiés l'outrageaient aussi. »

Mais qui peut mesurer l'action de la grâce? Qui oserait désespérer à jamais d'une âme d'homme ? Pendant que le bruit des blasphèmes retentit sur le Calvaire, l'un des malfaiteurs s'est tu, et il a contemplé Jésus-Christ.

Il voit cette face sur laquelle le sang ruisselle, et il y découvre une grandeur, une majesté qui l'étonne; dans son regard il aperçoit un amour qu'il n'avait jamais entrevu; au milieu des clameurs de la foule, il entend cette parole : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Alors, dans les profondeurs ténébreuses de l'âme de cet homme, commence un drame étrange. C'est comme une lumière divine qui s'y lève et qui rayonne. Pour la première fois, il a vu la sainteté, il a vu l'amour. Pénétré d'une émotion inconnue, il regarde et regarde encore, et à l'oeil de son âme, la grandeur divine du Crucifié apparaît de plus en plus.

Mais cette vérité qui l'éclaire, il ne peut la garder pour lui-même. Jésus n'a fait aucun mal, il faut qu'il le proclame; qu'importe qu'il soit criminel, il veut parler. Et il parle. Y avez-vous réfléchi ? Jésus avait enseigné pendant trois années, et les multitudes l'avaient acclamé; mais au Calvaire, il ne s'est trouvé que ce malfaiteur pour proclamer sa bonté. Souvenez-vous-en, chrétiens timides dont la foi se laisse troubler par la vue de la foule abandonnant Jésus-Christ. Pour croire, il vous faut l'assentiment du nombre. Eh bien, souvenez-vous qu'à l'heure solennelle où la Vérité crucifiée a été donnée en spectacle au monde, elle n'a eu qu'un témoin et que ce témoin était un supplicié. En même temps qu'il contemple Jésus-Christ, sa propre misère se révèle à lui-même. Jusque-là, il avait étouffé la voix de sa conscience, il s'était volontairement endurci, mais maintenant il commence à distinguer les crimes de sa misérable existence, la lumière d'en haut lui rend visibles ses propres ténèbres.

Devant cet amour qui pardonne, son égoïsme, sa révolte, son iniquité apparaissent dans toute noirceur. Ecoutez son aveu: «Pour nous, nous souffrons ce que nos crimes méritent. » Ah! que voilà bien, mes frères, le langage d'une âme touchée! Pas de justification, pas de vaine excuse. Il s'est vu, il se connaît lui-même. C'en est assez pour que sur ces lèvres, qui blasphémaient il y a quelques instants, vienne se placer le cri du repentir. C'en est assez pour qu'il nous serve à jamais de modèle, pour qu'il nous apprenne à confesser sans détour notre misère et à recourir comme lui à la miséricorde du Sauveur.

Quoi ! en si peu de temps ! dira le sceptique, et c'est avec un sourire d'incrédulité qu'il accueillera cette histoire. C'est que le monde, mes frères, ne croit pas à ces brusques changements, et comment y croirait-on aujourd'hui sur tout que l'on prétend tout expliquer par la simple action de la nature, disons mieux, par le fatalisme du tempérament?

On nous concédera tout au plus des transformations lentes, insensibles, dont le germe, nous dit-on, serait dans le caractère antérieur de l'individu; c'est-à-dire qu'on veut écarter toute action divine de l'histoire des individus comme de l'histoire du monde. Mais, de même qu'au fatalisme de la science nous opposons notre foi au Dieu créateur, de même aussi au fatalisme de la morale nous opposons notre foi au Dieu qui convertit. Sans doute, dans ses voies ordinaires, Dieu se sert des lois qu'il a faites, et le plus souvent c'est par des impressions successives, c'est par des expériences multipliées, c'est par des appels répétés que les âmes reviennent à lui. Le Dieu de la grâce est un Dieu d'ordre, et pour n'être pas soudaine, pour suivre un développement que nous appelons naturel, la conversion n'en est pas moins profonde et radicale. Mais s'il lui plaît aussi, Dieu agit avec puissance, et le temps lui obéit. Vous ne croyez pas aux conversions soudaines, à ce que nous appelons les coups de la grâce... quel espace de temps vous plaît-il donc d'assigner à Dieu? Le temps ! et qu'est-il, je vous prie, dans les choses de l'âme ? N'y a-t-il pas des heures qui pèsent autant que des années dans une existence d'homme? N'y a-t-il pas de ces instants décisifs où se concentre une intensité de vie et d'action que nul ne peut mesurer ? Dieu en un mot a-t-il besoin du temps pour accomplir son oeuvre? N'est-il plus le Tout-Puissant qui a dit ; « Que la lumière soit, » et la lumière fut? Ah ! j'en crois l'Evangile qui me montre en tant d'occasions sa grâce victorieuse ; ce sont les apôtres quittant tout et suivant Jésus-Christ, c'est Lévi devenant Matthieu, c'est Saul devenant saint Paul, c'est Simon devenant Céphas, c'est le malfaiteur de mon texte repentant et changé... Ce sera vous, si vous le voulez, vous esclave d'un caractère que vous croyez insurmontable, de tentations et d'habitudes que vous croyez rivées à votre nature, et appelé à devenir libre par un mouvement de foi ; vous lâche et mou et devenant énergique et fort, vous orgueilleux et devenant humble. « Si quelqu'un est en Christ, dit l'Apôtre, il y a nouvelle création; voici toutes choses sont faites nouvelles , et cela vient de Dieu. » Croyez au Dieu qui transforme; à toutes les puissances du mal opposez sa puissance, et lorsqu'il s'agit de l'avenir de votre âme, ne désespérez jamais. Les ressources de Dieu sont infinies. D'un railleur il peut faire un croyant, d'un blasphémateur un modèle du vrai repentir et de la conversion.

Mais, si j'admire le repentir du malfaiteur, combien sa foi me paraît plus étonnante encore! En Jésus crucifié il a reconnu son Roi; il a vu au-dessus de sa tête l'écriteau dérisoire que Pilate y avait fait Placer. cc Celui-ci est le roi des Juifs. » Il sait que Jésus s'est appelé Roi, et cette royauté il la voit, il la salue, au moment où chacun la croit anéantie. Sous sa couronne d'épines, il voit resplendir sa gloire, dans sa faiblesse il voit sa puissance, dans son abaissement son triomphe. Cette croix qui n'était que le dernier des instruments de supplice, elle est à ses yeux ce qu'elle sera quand elle aura conquis le monde. Jésus est seul, maudit du peuple, renié par les prêtres et les sages! N'importe, pour lui, il n'en est pas moins le Roi d'Israël; Jésus ne peut agir, ses mains sont clouées au bois, sa bouche est desséchée par la fièvre de l'agonie; à ses yeux, il n'en est pas moins le dominateur; c'est quand son oeuvre semble à jamais perdue, qu'il la voit commencer. Voilà, mes frères, ce qu'est la foi, la voilà dans toute sa simplicité, et aussi dans toute sa grandeur. La voilà sans une preuve visible, sans un seul appui sur la terre, et s'élançant cependant dans l'infini, embrassant l'avenir dans son regard prophétique et devançant les siècles.

Tout était contre lui : la foule , l'opposition des grands et des sages, l'abandon des disciples, la prochaine et navrante réalité de la mort. Il a cru cependant. S'est-il trompé ? Or, si telle fut la foi d'un brigand qui depuis deux heures à peine contemplait Jésus-Christ, ne faut-il pas dire avec Calvin : « Maudite soit notre lâcheté, à nous qui doutons encore! » Il n'avait vu de Jésus-Christ que ses abaissements, nous, nous avons vu sa gloire; il n'avait vu que l'ignominie dont le couvraient les hommes, nous, nous avons vu son triomphe. Nous avons vu cette croix méprisée devenir la puissance de Dieu pour le salut des hommes, nous l'avons vue se dresser au sein du monde ancien et là, dans les profondeurs d'une corruption sans remède, faire surgir une humanité nouvelle, appeler à la vie de la foi et de l'espérance un peuple de franche volonté. Nous avons vu par elle des milliers de pécheurs arrachés à leurs souillures, et conquis pour toujours à Jésus-Christ; nous l'avons vue apparaître plus brillante et plus ferme après toutes les tempêtes qui semblaient devoir la déraciner à jamais. Nous la voyons aujourd'hui portée aux extrémités du monde, et produisant dans l'âme de pauvres païens, des fruits de conversion, de repentance et de sainteté qui nous humilient. Nous l'avons vue aux prises avec les douleurs les plus cruelles, avec ces douleurs pour lesquelles la terre n'a plus de consolation, et les vaincre. Nous l'avons vue à la dernière heure. rendre la paix à des coeurs dont le désespoir semblait être le partage éternel. Nous-mêmes nous avons senti sa force victorieuse. Un jour nous nous sommes arrêtés devant cette croix, et, ce jour-là, l'amour de Dieu s'est révélé à nous dans toute sa magnificence, ce jour-là à notre tour nous avons été subjugués et vaincus; et cependant, après tout cela, nous regardons à l'avenir avec l'anxiété du doute; tandis que le malfaiteur affirme le règne du Crucifié, c'est avec hésitation, avec trouble, que nous demandons que ce règne vienne; après dix-huit siècles de progrès et de conquêtes, c'est à peine si nous croyons que la victoire est à lui.

« Seigneur, souviens-toi de moi, quand tu seras entré dans ton règne. » C'est la prière de la foi, mais de la foi qui demande grâce; le règne qu'il attend c'est celui de la miséricorde. a Souviens-toi de moi ! » Il voit d'avance le jugement éternel, car dans quelques instants tout va être fini pour lui sur la terre. « Souviens-toi de moi quand je comparaîtrai au tribunal du juste juge, seul et sans appui. A cette heure terrible, souviens-toi de moi. » Quel accent dans cette prière et quelle transformation dans cet homme! Il y a quelques instants, incrédule et rebelle, maintenant plein de confiance et d'abandon. Dans son âme accablée par la crainte et le remords, l'amour est entré, l'amour avec son inébranlable confiance si vivement exprimée par ce simple mot « Souviens-toi. »

Voilà, mes frères, l'oeuvre de la grâce. Voilà les transformations que Dieu seul peut accomplir. En connaissez-vous de plus belles ? Vous avez vu sous le souffle du printemps la création renaître; là où l'hiver avait étendu son linceul de mort, là où régnaient l'immobilité, le silence et la tristesse vous avez vu le mouvement, la vie et la joie; vous avez vu, sous un ciel resplendissant, la campagne se couvrir de flots de verdure au sein desquels les fleurs, ondulant sous la brise, faisaient étinceler l'infinie variété de leurs couleurs, en même temps qu'elles remplissaient l'air de leurs parfums; vous avez vu sortir de cette terre qui semblait morte et glacée toutes les splendeurs de la végétation; vous avez salué cette prodigieuse puissance de la, vie victorieuse de la mort. Mais que sont toutes ces merveilles à côté de la transformation d'une âme qui passe de la mort à la vie, qui, naguère possédée par de basses convoitises, s'ouvre à une existence sainte, qui ne connaissait que les attachements égoïstes et qui se sent pénétrée de l'amour de Dieu? Une lumière nouvelle l'éclaire, des espérances éternelles la réjouissent; le feu de la charité purifie toutes ses affections; les orages des passions se calment, la paix de Dieu l'inonde, elle connaît enfin la vie, la vraie vie, celle que la mort ne peut plus interrompre, parce qu'elle a son principe en Dieu. Et, pour accomplir ce miracle, que faut-il ? Un regard de toi, de repentir, d'humble confiance; le regard du pécheur qui se sent condamné et qui se jette dans les bras de la miséricorde éternelle.

«Seigneur, souviens-toi de moi. »

Et Jésus lui dit : « Je te dis en vérité que tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis. » Ecoutez là-dessus le commentaire de Bossuet « Aujourd'hui! quelle promptitude! Avec moi quelle compagnie! Dans le paradis, quel repos! » Trois mots, ou plutôt trois coups d'aile par lesquels le génie s'élève à la hauteur des miséricordes qu'il veut célébrer. Et c'est à un brigand que cette parole s'adresse; après les souillures d'une criminelle existence, c'est le paradis qui s'ouvre à lui, avec la communion des saints, avec la société de Dieu. Aujourd'hui! quoi, pas de flammes du purgatoire, pas de longues et douloureuses expiations ! Aujourd'hui, avec le pardon, le ciel; aujourd'hui Dieu retrouvé, Dieu possédé pour l'éternité! L'aurions-nous cru, mes frères, si cette parole n'était prononcée par le Saint et le Juste, si elle ne descendait du haut de la croix ou la justice et la paix se sont réconciliées, et où la sainteté de Dieu a été proclamée dans son inviolable grandeur? Mais il a plu à Dieu que la première âme sauvée par la croix de son Fils fût celle d'un malfaiteur, pour nous rappeler que le salut est une grâce, et qu'il faut le recevoir à genoux. Un malfaiteur, ô consolante pensée! Oui, laissez-nous le croire, laissez-nous nous en pénétrer. Devant la justice divine, demande saint Paul, quelle différence y a-t-il entre toi et un autre? Dieu nous a tous renfermés sous la condamnation afin de faire grâce à tous; pécheurs criminels ou pécheurs vertueux, ouvriers de la première ou de la onzième heure, tous nous n'avons qu'un refuge, la miséricorde divine. Que l'orgueil du pharisien s'en révolte! Entre ce malfaiteur et nous, où est la différence? Faites la part des circonstances : vous ignorez sa vie mais du moins vous connaissez la vôtre. Songez à toutes les tentations que vous n'avez pas connues, aux enseignements, aux lumières dont vous avez été entourés, à toutes les délivrances dont vous avez été les objets, aux appels, aux avertissements qui vous furent multipliés. Songez à ce que vous seriez devenus, tel jour, à telle heure, si Dieu vous eût abandonnés à vous-mêmes; songez à ces penchants naturels auxquels il n'a manqué qu'une chance fortuite pour produire de honteuses chutes, à ces mouvements de haine et d'envie que nul n'a soupçonnés et qui n'en ont pas moins souillé votre âme. Pécheur honnête, interroge La vie à la lumière du Dieu saint; pèse tes actes et tes pensées, et dis encore, si tu l'oses, devant le criminel auquel Dieu fait grâce : « Je fus meilleur que cet homme-là. » Pour nous, nous invoquons-le Sauveur du brigand converti; c'est son absolution qu'il nous faut, c'est son pardon complet, absolu, sans réserve; là seulement est notre confiance et notre paix.

« Tu seras aujourd'hui avec moi dans le paradis; » mais, si Jésus lui ouvre le paradis, mes frères, il le laisse pourtant souffrir et mourir sur la croix. Il n'allège point ses douleurs présentes, il n'enlève rien à son agonie.

Retenez ce dernier enseignement, vous que Dieu appelle à souffrir. Souvent vos douleurs ont troublé votre âme, souvent elles vous ont caché la bonté de Dieu. Comment croire qu'il vous aimait quand il semblait vous abandonner à votre destinée, quand aucune délivrance extérieure ne marquait son intervention, quand comme les autres vous deviez boire jusqu'au fond la coupe amère de sa sévérité? Le malfaiteur est sauvé et pourtant il souffre. Le paradis lui est ouvert, mais il reste cloué sur sa croix. L'éternité lui est assurée, mais son supplice continue. Oui, il souffre, car ce n'est pas le bonheur sur la terre que Dieu lui a Promis, ce n'est pas la délivrance de l'angoisse; il souffre comme si Dieu ne l'aimait pas! Mais y avez-vous songé? Il souffre avec son Sauveur. Ah! bienheureuses souffrances, voudrait-il y renoncer? Il souffre, mais sa douleur est transformée, car son regard mourant contemple Celui qui s'immole pour son salut. Il va régner avec lui, est-ce trop de souffrir avec lui ? Est-ce trop de participer à son agonie, est-ce trop de s'unir à lui dans un commun opprobre, dans un même abaissement? Voilà, mes frères, la souffrance du chrétien, voilà ce qui vous explique les élans de joie et les prières d'actions de grâce que vous voyez au sein des vies les plus éprouvées au milieu des plus cruelles douleurs. Aujourd'hui avec moi sur la croix, en attendant que tu sois aujourd'hui avec moi dans la gloire, mais sur la croix, comme dans la gloire, mes frères, avec lui, toujours avec lui!


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 .
1 Prêché le vendredi-saint.
.
2 Augustin, Enar. II in Psal. XXV.

 

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