Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER 

Tome VI


LA QUESTION D'AUTORITÉ

 

Comme Jésus était dans le temple, les principaux prêtres, les scribes et les sénateurs s'approchèrent de lui et lui dirent : « Par quelle autorité fais-tu ces choses et qui t'a donné cette autorité? »

(MARC XI, 27 et 28.)

L'heure de la crise suprême était venue. L'orage qui, depuis les premiers jours du ministère de Jésus-Christ, grondait sourdement et montait peu à peu en couvrant le ciel d'un voile livide, allait fondre sur la tête du Saint et du Juste; les préjugés et les passions populaires s'unissaient aux haines perfides, aux savantes machinations des prêtres et des scribes, et cet effroyable assemblage d'iniquité allait éclater dans le cri de mort qui, du prétoire jusqu'au sommet du Calvaire, devait couvrir la voix du grand témoin de la vérité. Jésus-Christ allait mourir, mais pour triompher dans sa défaite même et pour consacrer dans le sang de la croix son éternelle royauté sur les âmes et sur le monde.

C'est dans le temple, siège de la théocratie, qu'eurent lieu ses derniers conflits avec les prêtres d'Israël; c'est là que, le lendemain de son entrée à Jérusalem, ils lui posèrent cette question d'autorité dont je désire vous parler aujourd'hui.

En entrant dans la cité sainte, Jésus-Christ s'était d'abord rendu dans la maison de Dieu. Un triste spectacle l'y attendait. Trois ans auparavant, quand pour la première fois, depuis son baptême, il y était entré, il l'avait purifiée en en chassant les vendeurs (Jean 11, 14), mais les vieilles habitudes avaient vite repris le dessus, de nouveau les marchands avaient envahi le parvis des Gentils; les troupeaux de boeufs et de brebis souillaient de leur présence les cours extérieures et les portiques du sanctuaire, grâce à la multitude des pèlerins que l'on comptait par centaines de mille, le trafic était énorme et l'on entendait partout les voix aigres des marchands de bestiaux et des changeurs; ces derniers, avec l'avidité traditionnelle des Juifs, saisissaient cette occasion pour prélever leur escompte sur la monnaie courante qui, avec ses symboles païens, ne pouvait servir au tribut du temple et devait être changée contre ce qu'on appelait le demi-sicle du sanctuaire (Exode XXX, 15). Indigné de l'aspect de ce marché et sachant bien que le sacerdoce connivait à ce honteux commerce, Jésus avait pris un fouet de cordes, il avait chassé les troupeaux et les vendeurs, en leur lançant la parole du prophète : « Ma maison sera appelée par toutes les nations une maison de prières, mais vous en avez fait Une caverne de voleurs » (Esaïe LVI, 7). Telles avaient été la majesté de son attitude et la sainteté de son accent que nul n'avait osé lui résister; la foule s'était retirée, les prêtres étaient restés interdits et muets, et tandis que tout ce peuple de marchands allait, la rage au coeur, continuer à quelques pas de là son trafic, Jésus, dans le temple silencieux, avait exercé son ministère de miséricorde en guérissant les malheureux qui, de toutes parts, étaient venus l'y rejoindre.

Ai-je besoin de rappeler, mes frères, que cette grande scène de la purification du temple a une valeur éternelle ? Chaque siècle a vu les marchands envahir le lieu saint. Or, de même que l'Église est supérieure au temple d'Israël, de même il fallait s'attendre à ce que la profanation quand elle y éclaterait aurait un caractère plus repoussant et plus odieux. Jamais en Israël on n'avait trafiqué des grâces spirituelles; jamais on n'y avait vendu les pardons dé Dieu. Il était réservé aux prévaricateurs de la nouvelle alliance de consommer ce scandale, et vous savez ce que le honteux commerce des indulgences est devenu à certains jours de l'histoire. Ah! l'on se plaint de ce que l'unité de la chrétienté a été rompue, de ce qu'on a déchiré la robe sans couture de Jésus-Christ. Mais qui faut-il en accuser, si ce n'est ceux qui, au seizième siècle, transformèrent l'Europe en un vaste marché religieux et dressèrent le tarif de tous les crimes et de tous les pardons ? Ah! l'on crie au scandale de la prétendue Réforme et à l'immoralité de la doctrine du salut gratuit. Mais% Jérusalem aussi ce fut un scandale immense que de voir le Christ, un fouet de cordes à la main, chasser devant lui les trafiquants et les prêtres, leurs complices, et infliger cette humiliation sans exemple à ces personnages que la vénération publique entourait. Il fallait ce grand exemple pour avertir la conscience chrétienne., pour lui rappeler que le salut est une grâce et que le trafic des choses saintes est une abomination devant Dieu.

Les spectateurs de cette scène étaient restés muets, mais pendant la nuit ils se rassemblent, ils délibèrent, et le lendemain ils envoient au Christ une députation. Des prêtres, des scribes, des membres du Sanhédrin la composent; ils abordent le Christ avec une obséquiosité hypocrite. Ils se gardent bien de lui reprocher sa conduite de la veille, car l'impression produite par son attitude avait été trop grande pour qu'on la discutât. Pour eux, hommes de la tradition et de la casuistique légale, il y a une question préjudicielle qui doit être posée. Il s'agit de savoir non pas si le Christ a bien fait, mais en vertu de quel pouvoir il agit : « Par quelle autorité fais-tu ces choses et qui t'a donné cette autorité ? »

La réponse de Jésus est admirable. On n'aurait pu en trouver une plus habile et qui éclairât d'un jour plus pénétrant la pensée de ses adversaires. Trois ans auparavant, le grand prophète de la repentance avait ému toute la Judée; le peuple était accouru aux bords du Jourdain pour recevoir le baptême; nul n'avait osé émettre publiquement un doute sur la mission divine de Jean-Baptiste ; la sainteté de son accent, la fermeté de son témoignage, et depuis lors l'héroïque grandeur de sa mort l'avaient consacre pour jamais aux yeux d'Israël; les pharisiens et les prêtres avaient, eux aussi, suivi la foule et paru partager son enthousiasme, cependant ce n'était un mystère pour personne qu'ils ne croyaient pas que Jean-Baptiste fût envoyé de Dieu. Son imprécation terrible: « Race de vipères ! » retentissait encore à leurs oreilles; c'était là une de ces injures qui ne s'efface plus.

On comprend dans quel inextricable dilemme les enfermait Jésus en leur disant : cc Je vous poserai à mon tour une question : « Jean-Baptiste était-il envoyé de Dieu ou n'avait-il qu'une simple autorité humaine? » Ils réfléchissent et ils raisonnent ainsi entre eux : « Si nous disons qu'il a été envoyé de Dieu, Jésus nous dira : « Pourquoi « n'avez-vous pas cru à son baptême? » Si nous disons que sa mission n'avait rien de divin, le peuple nous lapidera. » Aussi, déterminés à ne pas se compromettre, ils répondent au Christ : « Nous ne le savons pas. »

Mes frères, il y avait dans le Talmud des Juifs un proverbe admirable : « Habitue tes lèvres à dire : « Je ne sais pas ! » C'est une grande chose que d'oser confesser son ignorance, et c'est souvent la condition première pour arriver à la vérité. Mais savoir et ne pas parler, c'est tenir la vérité captive, c'est l'immoler volontairement par lâcheté ou par hypocrisie. La mauvaise foi ainsi pratiquée a l'aveuglement pour salaire. A des coeurs faux, Jésus-Christ n'a plus rien à dire.

Examinons maintenant de près la demande que les pharisiens posent à Jésus-Christ, et voyons ce que nous devons penser de cette grande question d'autorité.

Il y a quelque chose de juste et de légitime dans la parole des ennemis du Christ. L'idée d'une révélation divine est inséparable de l'idée d'autorité. A moins de supposer que la vérité religieuse naît naturellement dans l'âme humaine, et que, contrairement à la parole de saint Paul, elle monte spontanément au coeur de l'homme, il faut admettre qu'elle vient d'en haut, qu'elle descend de Dieu vers l'humanité. Si Dieu parle, il parlera avec autorité. Cette autorité n'aura rien de violent ni d'arbitraire, elle ne brisera pas la liberté humaine, elle ne méprisera pas notre intelligence, elle ne méconnaîtra pas notre coeur. Elle sera sainte et persuasive, elle affranchira au lieu d'asservir. Tout cela nous le savons, puisque nous croyons à l'Évangile, et que l'Évangile est le plus sublime hommage qui ait jamais été rendu à la liberté de l'âme humaine. Mais tout cela n'empêchera pas l'autorité d'être l'autorité, et de se faire reconnaître à son inimitable accent. L'Évangile, ce n'est pas le produit de l'effort de l'homme épelant et balbutiant les choses divines, ce n'est pas l'expression de la science humaine sondant les mystères qui la dépassent, c'est la réponse de Dieu aux besoins de nos âmes, disant à l'homme ce qu'il doit connaître pour être sauvé et pour vivre saintement, et ne lui disant que cela; c'est une révélation aussi admirable parce qu'elle ne dit pas que par ce qu'elle affirme; c'est une clarté qui, comme on l'a dit avec une raison profonde, se montre et ne se démontre pas.

Voilà pourquoi l'Écriture insiste avec tant de force sur ce point que nul n'a le droit de s'appeler aux fonctions de prêtre ou de prophète et d'assumer un rôle qui ne lui est pas dévolu d'en haut. Pour le sacerdoce ancien, cela ne soulève aucun doute. Dans la nouvelle alliance, le sacerdoce est universel, mais le fait que tous les vrais fidèles ont reçu l'onction d'en haut (1 Jean Il, 20), et que cette onction doit leur enseigner toutes choses (id., 27) ne détruit pas cet autre fait que la vérité est extérieurement révélée : « Jésus-Christ, dit saint Paul, a donné les uns pour être apôtres, les autres pour être pasteurs et docteurs » (Ephés. IV, 11). Il y a donc dans l'Église une parole divine révélée qui fait autorité, et cette parole, qui a eu dans l'apostolat son expression authentique, doit avoir dans le ministère son organe naturel. L'illumination individuelle devient une rêverie si elle prétend s'élever au-dessus de la révélation de Dieu.

Entrons plus avant dans cette pensée.

Dieu qui a donné aux hommes la vérité révélée, leur a donné en même temps les institutions qui la conservent. Il a plu à Dieu que la vérité parvînt aux hommes par le moyen des hommes. Ceux-là mêmes qui ne voient dans la religion que l'individu mis en contact avec l'Écriture sainte oublient que cette Écriture sainte n'est pas tombée du ciel, que les livres qui la composent ont été écrits par des hommes, conservés par des hommes, reconnus par des hommes, traduits et commentés par des hommes. Dieu a soumis la vérité à toutes les conditions ordinaires des destinées humaines. De même qu'au fruit il a donné l'enveloppe souvent dure et résistante, il a placé à côté de la vérité une société destinée à la commenter et à la répandre. Dans l'Ancien Testament, cette société, c'était la théocratie avec le sacerdoce pour couronnement et pour lien; dans le Nouveau Testament, c'est !'Église.

Mais ici, mes frères, il faut faire une distinction fondamentale entre la vérité divine et les institutions destinées à la conserver. L'autorité de la première est directe; l'autorité des secondes n'est que dérivée. Celle-ci dépend de celle-là; celle-là ne dépendra jamais de celle-ci.

Quel est le but des institutions religieuses? C'est, nous venons de le dire, de conserver la vie religieuse. Jésus-Christ a prononcé là-dessus un mot profond et définitif : « Le sabbat a été fait pour l'homme et non pas l'homme pour le sabbat. » Vous pouvez l'appliquer à toutes les ordonnances divines. L'institution est nécessaire, mais à la condition expresse de ne pas étouffer la vie qu'elle doit conserver. Si l'autorité de l'institution est mise au-dessus de celle de la vérité elle-même, si la forme est mise au-dessus du fond, c'est le pervertissement de l'ordre divin.

Deux exemples tirés de la Bible montreront la vérité de cette assertion.

L'Ancienne Alliance est une époque de minorité spirituelle, saint Paul l'enseigne expressément; avant lui Jésus-Christ avait déclaré que le plus petit des chrétiens serait plus grand que le plus grand des prophètes de l'Ancien Testament (Luc VII, 28); saint Paul parle de la tutelle sous laquelle Israël était placé. Cette tutelle était représentée par le sacerdoce par lequel seul Israël avait accès auprès de Dieu. Le sacerdoce existait comme une institution divine; nul ne pouvait en usurper les fonctions; Hosias est frappé de la lèpre pour avoir voulu exercer la prêtrise (2 Chr. XXVI). Le prêtre était l'organe accrédité de la loi divine : « Tu iras vers les prêtres, les lévites et vers celui qui remplira les fonctions de juge, avait dit Moïse; tu te conformeras à ce qu'ils te diront. L'homme qui, par orgueil, n'écoutera pas le prêtre placé là pour servir l'Éternel, cet homme sera puni de mort » (Deutér. XVII, 9-12). Voilà l'ordre normal. Et cependant, même alors, Dieu n'a jamais asservi à l'institution sacerdotale la vérité révélée; bien des paroles rappellent à Israël que tous ses fils sont prêtres; le père, le chef de famille, reste, lui aussi, le conservateur et l'interprète de la parole divine, il doit l'expliquer à ses enfants. Enfin, et ceci est plus significatif encore, il peut arriver des temps « où les prêtres ne connaîtront plus la loi » (Ézéch. VII, 26), où le sacerdoce sera incrédule, impie et perverti. Que fait alors l'Éternel? Il se choisit un prophète. Ce prophète n'est presque jamais un prêtre, c'est souvent un homme du peuple, il n'a point reçu l'investiture du sacerdoce, il n'est envoyé par aucun homme; il a son autorité cependant, attestée quelquefois par des prodiges, plus souvent par son accent même et par la nature de son enseignement. Il doit être écouté, car il peut dire : « La parole de l'Éternel est sur moi. »

Mon second exemple est tiré du Nouveau Testament. Ici nous sommes en face d'une autre institution: celle de l'apostolat. J'ai expliqué ailleurs (1) le caractère distinctif et le rôle spécial de l'apostolat. Les apôtres sont avant tout les témoins authentiques de la vie, du caractère et de l'enseignement de Jésus-Christ. Ils ont été choisis parmi ceux qui l'ont suivi de près dans son ministère. Ils l'ont vu et entendu chaque jour. C'est à ce titre que leur mission est unique et qu'ils sont vraiment le fondement de l'Église dont le Christ est la pierre angulaire. L'apostolat est une institution divine.

Et pourtant voici dans l'Église primitive un homme qui n'a point été l'un des douze et qui revendique de la manière la plus expresse le titre et la qualité d'apôtre. Il estime qu'il n'a été inférieur en rien à ceux qui portent ce nom; il peut dire qu'il a travaillé plus qu'eux tous (2 Cor. XI, 5 et suiv.),. Cet homme, c'est Paul. Paul s'est trouvé un jour en lutte avec Pierre. Pierre ne marchait pas de droit pied. Après avoir reconnu le premier que les Gentils pouvaient être reçus dans l'Église, il avait refusé de s'asseoir à la table de ces nouveaux convertis; sa conduite, qui avait la valeur d'un enseignement public, avait profondément ébranlé les âmes. Paul l'a repris en public et a ce jour-là sauvé la vérité (Galat. II, 11). Au-dessus donc de l'institution apostolique, il y a la parole divine dont Paul a été ce jour-là le fidèle interprète. Dieu n'est donc pas absolument lie par ses institutions.

Au reste, Paul lui-même s'est exprimé là-dessus avec une force et une clarté invincibles; il a placé le témoignage apostolique au-dessus de la personne des apôtres : « Si quelqu'un, écrit-il aux Galates (1, 8), vous annonce un autre Évangile que celui que nous vous avons annoncé, quand ce serait nous-mêmes ou un ange du ciel, qu'il soit anathème. » L'avez-vous entendu? quand ce serait lui-même, lui apôtre, lui choisi, appelé, établi directement par Dieu dans l'apostolat, il faudrait lui jeter l'anathème s'il annonçait un autre Évangile que celui de la grâce de Dieu.

Ces textes sont décisifs. Tous les sophismes du monde (2) n'en affaibliront pas la portée. Ils prouvent que, quelle que soit la valeur de l'apostolat lui-même, cette valeur gît tout entière dans la parole dont l'apostolat est l'instrument,

De tout ce que nous avons dit, une conclusion se dégage avec évidence : il y a des institutions divines nécessaires à la conservation de la vérité; c'était dans l'Ancienne Alliance le sacerdoce, ce sont dans la Nouvelle Alliance, l'apostolat, l'Église, le ministère; ces institutions ont leur autorité, la nier au nom d'une spiritualité prétendue, ce serait vouloir être plus sage que Dieu lui-même, ce serait mépriser les moyens par lesquels la vie chrétienne s'est toujours conservée (3); mais l'autorité de ces institutions est secondaire et dérivée, elle doit être subordonnée elle-même à la parole de Dieu (4).

Si ces réflexions sont justes, elles nous permettront de mieux comprendre la question qui nous occupe.

« Par quelle autorité fais-tu ces choses demandent les scribes à Jésus. Jésus est pour eux un personnage sans autorité. Pour eux, l'autorité est tout entière dans l'institution du sacerdoce. Or, Jésus n'appartenait point à la tribu de Lévi et à la descendance d'Aaron. On voit, par l'épître aux Hébreux, à quel point cette question troublait les Juifs qui devenaient chrétiens, puisque l'auteur de cette épître met toute son énergie à prouver que le Christ est prêtre, mais d'un sacerdoce bien antérieur et bien supérieur à celui de Lévi, qu'il est prêtre dans le sens primitif où le fut Melchisédec. Jésus n'appartenait pas à la race sacerdotale historique; il n'avait pas reçu la consécration officielle, il n'avait pas réclamé l'investiture de la synagogue.

Il était sans autorité.

Sans autorité. Cela nous paraît étrange. Tout ce qui semblait vénérable aux scribes nous laisse aujourd'hui absolument indifférents et froids, et nous avons peine à comprendre que la grandeur du Christ ne les ait pas frappés. Nous ne sommes pas seuls à penser ainsi. Le peuple au temps du Christ sentait ce que nous sentons; avec son droit instinct, il vit clair et juste. Sa première impression fut que le Christ parlait avec autorité, et (remarquez ceci) « non pas comme les scribes, » qui étaient les hommes de l'autorité. Mais ce sens droit n'existait pas chez les conducteurs de la nation. A ceux-là, il fallait les signes extérieurs et visibles d'une délégation sacerdotale, ils ne les reconnaissent pas en Jésus-Christ.

Sa parole a retenti vainement à leurs oreilles. Ces mots profonds qui mettent en évidence la vie cachée du coeur, ces préceptes qui donnent à la loi morale une expression si juste, si précise et si ferme, ces paraboles qui révèlent avec une inexprimable puissance et une adorable simplicité les relations vraies de l'homme avec Dieu et avec ses frères, ces dénonciations terribles qui ruinent à jamais les dévotions fausses et le culte hypocrite, tout cela ne leur dit rien. Ils ne songent pas que cela est vrai en soi-même, que les preuves extérieures n'y ajouteront rien, que toutes les investitures humaines ne rendront pas cet enseignement plus digne de confiance; il ne s'agit pas pour eux de savoir si le Christ a dit vrai, il s'agit de savoir en vertu de quelle autorité il a parlé.

Le Christ a vécu devant eux ; ils ont pu, jour après jour, assister à sa conduite et scruter ses actes. Toute sa vie n'a été que sainteté et que miséricorde. Il a pu poser à tous cette question qui est restée sans réponse : « Qui de vous me convaincra de péché? » Il s'est donné à ceux que le monde oubliait; il a aimé avec une passion ardente les multitudes qui erraient comme un troupeau sans pasteur; il s'est tourné de préférence vers les pauvres, vers les lépreux, vers les derniers des misérables; chaque heure de sa vie a été consacrée aux autres ; à cette sainte passion du sacrifice, ils auraient pu reconnaître le vrai prêtre d'Israël. Sa miséricorde sans pareille n'a affaibli en rien chez lui le sentiment de la sainteté divine. Il en a été possédé. Il a pu dire avec David : « Le zèle de ta maison m'a dévoré. » Il a vu les marchands envahir le temple, et une sainte indignation l'a saisi. A ce signe seul, on aurait pu discerner sa mission divine. Les scribes voient tout cela, et cela ne les émeut pas, Il ne s'agit pas pour eux de savoir si le Christ a accompli des oeuvres de sainteté, mais en vertu de quelle autorité il les a faites. « Par quelle autorité fais-tu ces choses? »

Le Christ avait fait plus que des oeuvres humaines. A certains jours il avait déployé une puissance mystérieuse dont tout le peuple avait vu les effets. Des malades avaient été subitement guéris, des lépreux avaient été purifiés, des aveugles-nés avaient recouvré la vue, des morts étaient ressuscités. Quelques jours auparavant la foule avait pu voir, à Béthanie, Lazare sortir du tombeau. Aucun texte des Évangiles ne nous dit que les pharisiens eussent nié ces faits; ils n'en contestent pas l'authenticité. Tout s'est passé en pleine lumière; les témoins de ces prodiges se comptent par centaines. Mais ces faits ne touchent pas les scribes ; il s'agit pour eux, non de savoir s'ils sont réels (ils en conviennent), mais de savoir au nom de quelle autorité ils ont été accomplis. Or, cette autorité n'étant pas-légale, ils les attribueront plutôt à Satan. C'est Satan qui accomplit ces oeuvres de miséricorde et de sainteté, c'est Satan qui nourrit les multitudes affamées, qui a pitié des lépreux, qui ressuscite les morts, c'est, pour emprunter la parole du Christ lui-même, Satan qui détruit Satan.

Voilà la logique de ces hommes d'autorité.

Ainsi la sainteté, la justice et la miséricorde pourront resplendir d'un éclat surhumain, inspirer un enseignement sublime, enfanter des oeuvres magnifiques, tout cela ne sera rien ; à tout cela il faudra préférer un parchemin de la synagogue conférant à son possesseur tous les droits de l'autorité. Ces hommes auraient dit au soleil : « De quel droit brilles-tu à l'heure que nous n'avons Point choisie? Prouve-nous que tu as la permission de nous éclairer. » Et c'est ainsi qu'ils ont fermé les yeux à là lumière; c'est ainsi qu'ils ont maudit le Saint et le Juste; c'est ainsi qu'ils sont morts debout dans leur orgueil de caste, enveloppés dans leur tradition comme dans un sinistre linceul.

Un grand enseignement ressort de cette scène. Mes frères, ne mettons jamais dés questions de hiérarchie et d'église au-dessus de la vérité.

Je ne vous Prêche point ici l'indifférence à l'égard des questions dont je viens de parler. Elles ont leur place et leur rôle. Il n'est point indifférent d'appartenir à telle ou telle église, et de donner au règne de Dieu telle organisation visible. La forme ici touche de très près au fond. Le scepticisme en pareille matière est un mauvais symptôme. Je me défie d'un soldat qui ferait fi de son drapeau. Il faut aimer l'Église à laquelle on appartient, il faut servir sa cause dans un esprit d'abnégation, il faut savoir défendre ses droits.

Mais il faut savoir reconnaître tout ce que Dieu fait de grand, de saint, de beau en dehors d'elle, et par des moyens qui ne sont pas ceux dont elle dispose. Il faut avoir le coeur assez large pour saluer le bien partout où nous le rencontrons, et jusque dans le camp de ceux qui nous combattent. Il ne faut jamais laisser une institution, si grande, si vénérable soit-elle, se placer entre nous et la vérité. Ecoutez Moïse. On lui annonce que deux hommes qu'il n'a point appelés prophétisent. Josué s'en indigne et lui dit : « Moïse, mon seigneur, empêche-les ! Moïse répond : Es-tu jaloux pour moi? Plût à Dieu que tout Israël fût prophète » (Nombr. XII, 28)! Ecoutez saint Paul. « Il en est qui annoncent le Christ dans un esprit de contention, et non pas purement, croyant ajouter un surcroît d'affliction à mes liens. Mais, de quelque manière que ce soit, Jésus-Christ est annoncé, c'est de quoi je me réjouis et je m'en réjouirai toujours » (Philipp. I, 16-18). Ecoutez le Maître. Les apôtres lui disent : « Nous avons vu un homme qui chassait les démons en ton nom, et nous l'en avons empêché, parce qu'il ne te suit pas avec nous. » Et Jésus répond : « Ne l'en empêchez point, car Celui qui n'est pas contre nous est pour nous » (Luc IX, 49) 50)

L'intolérance ecclésiastique est un scandale. Dieu lui donne parfois d'humiliantes leçons. Il y a eu de nos jours un homme qui a fait une couvre sans pareille. Il a été le conquérant pacifique do. l'Afrique. Il s'est avancé dans les profondeurs de cette terre maudite sans porter avec lui d'autre arme que l'Évangile. Il a devancé tous les autres.

Ce que l'avarice et la soif de la domination n'avaient pu entreprendre, il l'a entrepris et il l'a accompli. Des milliers de noirs ont salué en lui le premier représentant de la race blanche, et (ce qu'on n'avait jamais vu jusque-là) ils l'ont béni en. le saluant.

Rien n'a pu lasser cet apôtre dont le coeur était dévoré par la sainte flamme de l'amour de Dieu et dé l'humanité. Il est mort à genoux, et ses dernières paroles ont été une protestation contre l'esclavage et un hommage au Dieu pour lequel il succombait. Un jour, dans l'Afrique civilisée et chrétienne, le nom de Livingstone retentira d'une mer à l'autre, et l'on comprendra, en honorant sa mémoire, combien le Christ a dit vrai quand il a prononcé cette béatitude immortelle : « Heureux les hommes doux, car ils hériteront la terre. »

Eh bien, il y a des théologiens et des scribes modernes qui, devant une telle vie, et devant de telles conquêtes, s'arrêteront inquiets, et ne voyant là ni consécration épiscopale, ni délégation du Saint-Siège, ils seront prêts à poser à ce martyr la question de mon texte : « Par quelle autorité as-tu fait ces choses, et qui t'a confié cette autorité? »

Ces hommes verront les oeuvres les plus manifestes que peut produire la foi chrétienne; ils verront des nations s'affermir dans la justice et dans la liberté, ils verront l'esclavage détruit, la misère combattues sans relâche, l'Évangile porté aux extrémités de la terre ou dans les bas-fonds hideux de notre société soi-disant chrétienne, ils verront tout cela et n'en seront pas émus, si tout cela a été fait par des mains hérétiques et s'ils n'y reconnaissent pas la sanction de leur Église.

Ah! si c'était leur Église qui pût revendiquer ces oeuvres, avec quel empressement et quel, enthousiasme ils en parleraient! Comme l'éloge sur leurs lèvres deviendrait vite un panégyrique! Comme ils reconnaîtraient là l'action évidente de l'Esprit de Dieu !

Voilà l'étroitesse misérable dont il faut avoir horreur. L'esprit sectaire n'est pas propre aux petites sectes, comme on ne le croit que trop. Nulle part peut-être il ne grandit et ne se développe avec plus d'intensité et d'une manière plus inconsciente qu'à l'abri des grandes institutions et des traditions anciennes. Il y a un moment où il devient un crime, c'est lorsqu'il ferme les yeux à la lumière, c'est lorsqu'il juge avec le dédain de l'orgueil tout ce qui se fait en dehors de ses cadres, c'est lorsqu'il attribue à Béelzébuth les oeuvres les plus manifestes de l'Esprit de Dieu.

Mes frères, il faut choisir entre l'esprit pharisaïque qui dit au Christ : « Par quelle autorité fais-tu ces choses? » et l'esprit de vérité qui, lorsqu'il voit la lumière, vient à la lumière, et dit Dieu est ici. »


Table des matières

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 (1) Voir le discours sur le Témoignage des Apôtres.
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(2) J'appelle ici sophisme l'explication désespérée de certains commentateurs catholiques qui prétendent que Pierre auquel Paul résista à Antioche n'était pas l'apôtre de ce nom, mais un certain personnage inconnu.
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(3) Un fait me frappe en ce moment, où tous les yeux sont tournés vers l'Orient. On a mille fois décrit, avec raison, l'état d'abaissement où se trouve le clergé des populations chrétiennes dispersées au sein de l'empire ottoman. On s'est plaint, avec raison, de son ignorance, de sa démoralisation. Mais s'est-on demandé ce qui serait reste de christianisme et de chrétiens dans l'Orient tout entier sans ces institutions caduques et cependant profondément conservatrices~ Ces vieilles formes cri sauvant les traditions chrétiennes Ont sauvé l'avenir, car là' où le christianisme existe, fût-il à l'état apparent de momie, le relèvement est possible et certain, tandis que l'islamisme c'est la mort même du progrès, c'est l'avenir inexorablement fermé.
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(4) La critique antichrétienne prétend nous enfermer ici dans un cercle : « C'est par le témoignage des apôtres et de l'Eglise primitive que vous prétendez, nous dit-elle, arriver au christianisme authentique. Comment donc pouvez-vous affirmer que ce christianisme authentique, que vous appelez la parole de Dieu, est au-dessus de l'Eglise et de l'apostolat !» Il n'y a point ici du cercle. L'Eglise et l'apostolat sont les témoins des grands faits qui constituent le christianisme : de la vie, des oeuvres, du caractère de Jésus-Christ. Ni l'Eglise, ni l'apostolat n'ont créé le christianisme. J'ai donc le droit d'arriver par leur témoignage à reconnaître ce qui constitue le christianisme, ce qui est la pensée et la parole de Dieu. C'est cette pensée, c'est cette parole contenue dans les saintes Ecritures qui resteront la norme suprême à laquelle l'Eglise et l'apostolat seront soumis.

 

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