Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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SERMONS - EUG. BERSIER 

Tome VI


LES VÉRITÉS MORALES
ET
LES VÉRITÉS RÉVÉLÉES

 

Si vous ne m'avez pas cru quand je vous, ai parlé des choses terrestres, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des célestes ?

(JEAN III, 12.)

Un pharisien, un des principaux d'entre les Juifs, était venu, de nuit, trouver Jésus-Christ. Nicodème était évidemment sincère; l'impression que la personne du Christ avait produite sur lui devait être bien forte pour qu'il triomphât des préjugés de sa caste et vînt consulter un Maître que la synagogue regardait déjà d'un oeil de haine.

Toutefois, la question que Nicodème pose à Jésus-Christ et la réponse de ce dernier montrent qu'aux yeux de Nicodème la religion était avant tout une science dans laquelle il voulait s'instruire. Dès ses premiers mots, Jésus dissipe cette erreur. Il parle au pharisien de la nécessité d'une transformation intérieure, d'une régénération morale, d'une véritable naissance nouvelle pour entrer dans le royaume de Dieu. Nicodème ne comprend pas cela, et Jésus laisse échapper cette parole qui s'adresse aux savants de toutes les époques et de toutes les écoles : « Tu es un docteur en Israël, et tu ne connais pas ces choses ! » C'est pourtant par ces choses-là qu'il faut commencer. Sans cela toute révélation ultérieure de la vérité divine sera inutile et ne pourra pas être comprise. Et poussant plus avant cette pensée, Jésus prononce cette parole profonde: « Si vous ne m'avez pas cru quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes? » C'est sur cette parole que je désire aujourd'hui attirer votre attention.

Il y a donc, d'après la déclaration formelle de Jésus-Christ lui-même, deux parties dans son enseignement. L'une se rapportant aux choses de la terre, l'autre aux choses du ciel. Que faut-il entendre par cette expression : les choses de la terre? Il ne s'agit manifestement pas ici de ces recherches curieuses sur la nature dont tous les philosophes de l'antiquité se sont épris. Jésus-Christ ne s'est jamais donné pour un révélateur de science; c'est dans une autre sphère qu'il s'est constamment placé. Il ne s'agit pas davantage de questions politiques ou sociales, ni de ces problèmes de droit ou de jurisprudence que la: casuistique des docteurs d'Israël recherchait avec prédilection. Jésus-Christ a nettement refusé de se placer sur ce terrain-là. Les « choses terrestres » dont il s'agit ici, c'est ce que nous appelons la morale, ou les devoirs de l'homme envisagés au point de vue de la conscience naturelle. On peut en effet séparer par la pensée dans l'enseignement de Jésus la morale de la religion proprement dite, bien qu'au fond, comme nous le montrerons tout à l'heure, il les ait unies plus étroitement que personne. On peut, en d'autres termes, envisager avant tout la religion qu'il prêche, dans ses applications pratiques, dans l'idée qu'elle nous donne de nos devoirs, dans la direction qu'elle assigne à toute notre activité. C'est là ce qu'on peut appeler son côté terrestre en opposition à son côté céleste, c'est-à-dire à tout ce que le Christ nous révèle de Dieu, de sa nature, de sa volonté. Ces deux aspects sous lesquels l'enseignement du Christ se présente à nous ont plus ou moins frappé les diverses générations chrétiennes. Il y a eu des époques où ce qui a surtout saisi l'homme, ça été la révélation de l'amour divin, l'oeuvre de la rédemption telle qu'elle nous est présentée dans l'enseignement apostolique, en particulier dans les épîtres de saint Paul. Il y en a eu d'autres, le dix-huitième siècle, par exemple, où, par lassitude des doctrines religieuses, on s'est attaché avec prédilection au côté pratique de l'Évangile, où on l'a abordé par ce qu'il a surtout de terrestre et d'humain. Cette diversité peut également s'observer dans la manière dont l'Évangile est compris par des hommes de caractère différent, les uns étant attirés par ce qui émeut moins les autres. Or l'Évangile, pour être vraiment compris, doit être saisi dans son ensemble. Je voudrais, avec l'aide de Dieu, vous montrer, aujourd'hui, tout d'abord que Jésus-Christ, comme prédicateur de la loi morale, a droit à l'autorité souveraine qu'il veut exercer sur nos consciences, en second lieu que celui qui lui donne son adhésion sur ce point est conduit logiquement à reconnaître en lui le révélateur de la vérité religieuse, le Fils du Dieu vivant.

Je dis d'abord que l'enseignement moral de Jésus-Christ s'impose à toute conscience droite; ne pouvant l'examiner tout entier, je n'en ferai ressortir ici que quelques traits. Dans cet enseignement, il n'y a pas l'ombre d'une hésitation, d'un doute ou d'un trouble. On n'y sent pas l'effort d'un esprit sincère qui cherche, ni l'exagération d'une âme que l'enthousiasme emporte aux extrêmes. C'est une parole qui descend d'en haut, avec une autorité sans égale, avec la conviction sereine qu'elle va s'imposer au Monde et dominer les siècles.

Ou trouvez-vous ailleurs exprimée d'une manière plus claire et plus ferme l'idée de la valeur éternelle et souveraine du droit? Jésus-Christ a parlé à l'une des époques du monde où la justice subissait les plus outrageants affronts. C'était l'époque de Tibère, et ce nom-là dit tout. Or, Jésus-Christ affirme que pas un iota de la loi morale ne se perd et ne peut être anéanti, qu'il n'y a rien de secret qui ne doive être manifesté, que chaque homme rendra compte de ses paroles et de ses actes, que tous les dehors trompeurs n'empêcheront pas le mal et le bien de produire leurs fruits naturels. Il y a dans la simplicité même avec laquelle cette loi universelle est affirmée je ne sais quelle puissance qui pénètre l'âme. D'ordinaire, l'idée du jugement suprême est présentée de manière à saisir surtout l'imagination, à créer le, trouble et l'épouvante. Ici elle est affirmée avec une autorité sans faste qui est l'expression même d'une conscience juste. L'idée ne viendrait à personne d'enfler la voix pour exprimer les lois mathématiques qui gouvernent le monde physique; on les énonce, et c'est tout. C'est de la même sorte que Jésus affirme la justice éternelle dans ses discours, dans ses paraboles, dans ses moindres sentences.

Ce que je dis de la justice, je peux le dire de la sainteté. Ici encore Jésus exprime ce qui doit être. Vous savez avec quelle énergie il combat les systèmes qui placent la sainteté dans des rites, dans des cérémonies> dans des actes extérieurs. On se tromperait sans doute si on prétendait que ce que Jésus dit sur ce point fût absolument nouveau. De tout temps, les consciences droites ont compris que la sainteté doit être intérieure. Mais on ne se tromperait pas moins si l'on ne reconnaissait pas que nulle part, comme dans l'enseignement de Jésus, l'accent n'a été mis sur le mobile qui donne aux actes leur valeur véritable, sur ce qui constitue le bien et le mal. Les prescriptions arbitraires, conventionnelles et légales, ne signifient rien à ses yeux; c'est à l'intention qu'il regarde. Chez un peuple, et à une époque où la casuistique avait tout envahi, où les docteurs disputaient gravement pour savoir à quelle heure, en quel lieu la prière devait être faite pour être efficace, de quelle manière tel aliment devait être préparé, quel attouchement pouvait souiller un homme, combien de jours étaient nécessaires pour le purifier, quel espace on pouvait parcourir un jour de sabbat, Jésus-Christ revient sans cesse sur l'idée que c'est « du coeur que procèdent les actions bonnes ou mauvaises, » que c'est le coeur qui doit être pur devant Dieu. Il place le mal dans la pensée aussi bien que dans l'acte, il voit l'adultère dans un regard et le meurtre dans un mouvement de haine: il montre que l'aumône légale, la prière et le jeûne extérieurs ne sont rien s'ils ne sont pas l'expression de la vie intérieure, et il sape ainsi à sa racine même le pharisaïsme qui est au fond de toutes les religions, parce qu'il est au fond de toute âme d'homme.

Mais si c'est l'intention surtout qui constitue la valeur morale d'un acte, on peut tirer de ce principe un étrange abus. On peut dire que l'intention est l'essentiel, et qu'un acte accompli dans une intention sainte devient saint par cela même. On peut dire, en d'autres termes, que la fin sanctifie les moyens, dangereux sophisme dans lequel sont tombés les casuistes de tous les temps depuis les sophistes que persiflait Socrate, jusqu'aux pharisiens de Jérusalem, jusqu'aux moralistes qu'à combattus Pascal. Or, vous savez quelle lumière Jésus répand sur ces ténébreuses maximes. Les pharisiens de son temps enseignaient, par exemple, que tout don fait au temple (et qu'on appelait en hébreu corban) dispensait ceux qui l'offraient de leurs devoirs envers leurs familles, le service de Dieu étant au-dessus de tous les sentiments naturels ; vous vous rappelez avec quelle énergie Jésus combat cette déviation de la loi première. Il en est de même dans tout son enseignement sur le sabbat, où sans cesse il oppose les vrais intérêts de l'humanité à la sainteté qui prétend honorer Dieu aux dépens de l'homme.

La sainteté, telle qu'il l'a prescrite, n'a rien de contraire à la nature, et c'est encore par là que son enseignement est profondément original et vrai. Il veut l'harmonie intérieure et la soumission de la chair à l'esprit. Cela avait été dit cent fois avant lui, par les esséniens juifs, comme par les ascètes indous ou par les bouddhistes. Mais tous ceux qui l'avaient dit étaient tombés dans le rigorisme ascétique. En prêchant le renoncement, ils portaient atteinte à la nature même, et leur idéal avait toujours été celui de la sainteté monacale qui s'isole du monde, qui l'abandonne à ses destinées et devient ainsi un principe de mort pour les sociétés. Chez Jésus-Christ rien de semblable . il sanctifie la nature sans jamais la mutiler, il veut que ses disciples soient le sel et la lumière du monde, ce qui suppose qu'ils ne s'en isolent point et ne le maudissent point; il bénit le mariage, il étend sa main sur les petits enfants qu'on lui présente, il affecte si peu le rigorisme qu'on l'appelle un mangeur et un buveur.

Remarquez un autre contraste qui tient de près à celui-là. Personne n'a prêché plus que le Christ la nécessité de souffrir pour la justice et de s'immoler pour la vérité. Il faut perdre sa vie pour la sauver. C'est là l'une des paroles qui lui sont familières, et l'on peut dire sans l'ombre d'exagération que l'Evangile a été la plus grande école de martyre que le monde ait jamais vue; je ne parle pas seulement ici du martyre extérieur, je parle de cette immolation de l'égoïsme, de l'orgueil, de la vanité, qui est bien autrement héroïque que la mort elle-même. A ne voir que l'enthousiasme avec lequel l'immolation y est ordonnée, on serait tenté de croire que l'Evangile tient pour rien la valeur de l'individu; et pourtant, où l'humanité a-telle été plus respectée que dans ce livre qu'on pourrait appeler l'épopée des petits de la terre ? Pour la première fois, l'homme y est honoré 'en tant qu'homme. L'Évangile n'a nulle considération pour les grandeurs artificielles et factices qui, alors comme dans tous les temps, aveuglaient et séduisaient l'humanité; de tout ce qui alors occupait le monde, il ne dit pas un mot, mais quelle sollicitude et quel ardent intérêt pour ces gens de rien, pour ces humbles, pour ces chétifs auxquels nul ne songeait! Comme la valeur de l'homme y paraît grande, comme sa vie y revêt une solennité jusque-là ignorée! Ce n'est pas seulement dans les paraboles de Jésus-Christ et dans leurs humbles héros que j'observe ce trait, c'est dans les rapports du Maître avec les derniers des hommes et les plus misérables parias de l'humanité. Il y a là des traits d'une délicatesse exquise, d'une tendresse qui à travers dix-huit siècles nous émeut et nous pénètre. On sent que jamais l'humanité n'avait été aimée et respectée à ce point.

Si nous étudions maintenant l'enseignement de Jésus sur les relations des hommes entre eux, sur les liens de justice et de miséricorde qui doivent les unir., nous arriverons aux mêmes conclusions. Jésus-Christ a fait de l'amour la loi souveraine de l'humanité. D'un précepte qui reposait dans le Deutéronome comme une momie desséchée, il a fait le sommaire de la loi; il a placé le monde moral sur son axe véritable, il a inauguré dans l'histoire un ordre nouveau.

Et s'il ne l'avait fait que par des paroles! Mais ce qui est extraordinaire et vraiment unique, c'est qu'il a fait tout ce qu'il a enseigné. Il n'y a pas un de ses préceptes qui n'ait été réalisé dans sa vie. Chez tous les autres hommes et chez les meilleurs, il y a entre la théorie et la pratique un désaccord d'autant plus douloureux que pour eux l'idéal est plus grand; aussi de sont les plus saints qui ont fait entendre les aveux les plus humiliants de leur imperfection et de leur misère. Chez Jésus-Christ il n'y a pas la moindre trace de ce contraste. Ce qu'il enseigne, il l'est. Sa vie a été soumise à l'examen le plus pénétrant qu'aient pu inventer l'amour et la haine des hommes; en n'y a pas découvert, je ne dis pas un crime, une faute, une souillure, je dis une défaillance, une faiblesse, une simple vulgarité. Qu'on ne nous dise pas qu'une telle figure a pu être inventée. Pour l'inventer, il aurait fallu la concevoir, et où est le sublime inconnu qui l'aurait conçue? D'ailleurs, comment cette figure est-elle venue jusqu'à nous ? Dans les fragments épars de quatre petites biographies rédigées sans art et sans aucun dessein apparent, et dont on serait tenté de dire qu'elles sont manifestement incomplètes. C'est cependant là que nous trouvons un type parfaitement vivant et populaire, dont les paroles et les actes ont un cachet de réalité qui défie toutes les critiques, et ce type réalise une perfection qui domine tous les temps et toutes les races; il subsiste après toutes les attaques les plus habiles, les plus passionnées; il se dresse devant nous comme l'idéal de là justice, de la pureté, de la miséricorde; voilà des faits que nul ne peut faire disparaître. Ils suffisent à prouver ce que nous affirmions, c'est à savoir que le Christ prédicateur et modèle de la loi morale a droit à l'autorité qu'il prétend exercer sur nos consciences, qu'en d'autre termes, et pour employer les expressions de mon texte, lorsqu'il nous parle des choses terrestres, il a le droit d'être cru.

J'ai dit que cette conclusion s'impose à tous. Je ne dis pas que tous l'acceptent. Il faudrait être bien naïf pour le soutenir. On a souvent prétendu que la morale de l'Évangile unirait facilement tous les hommes, quelles que fussent leurs divergences sur ses doctrines. Je voudrais le croire, mais rien n'est moins vrai. La prédication de la morale soulève de bien autres répugnances que celle de la doctrine; celle-ci heurte surtout l'intelligence, celle-là rencontre les oppositions secrètes, profondes, inavouées du coeur. Comptez donc, si vous le pouvez, tout ce qui se ligue spontanément contre elle dans les âmes humaines; d'abord la légèreté qui porte la majorité des hommes à ne jamais se poser la question de leur destinée véritable, à ne jamais prendre trop au sérieux le devoir; ensuite les résistances que chacun des commandements auxquels nous souscrivons en théorie rencontre dans nos habitudes, dans notre volonté paresseuse, dans notre chair amollie; puis les sophismes par lesquels nous nous rassurons nous-mêmes, trouvant en ce qui nous concerne des circonstances atténuantes, alléguant des excuses que nous ne prendrions jamais au sérieux chez les autres ; il faudrait être aveugle pour croire qu'une loi qui enjoint la vérité la plus absolue, la pureté, l'humilité, l'esprit de sacrifice, va être spontanément reçue par des êtres enclins à la corruption, au Mensonge, à l'orgueil, à l'égoïsme. On doit donc s'attendre à ce qu'il y aura une séparation entre les auditeurs de l'enseignement moral de Jésus-Christ. Il y aura les âmes frivoles qui ne le prendront pas un moment au sérieux, il y aura les enthousiastes d'une heure qui, après l'avoir admis en théorie, l'abandonneront à l'heure du sacrifice; il y aura les pervers qui fermeront les yeux à la lumière et maudiront une vérité qui condamne toute leur vie. Mais, d'autre part, en tous temps vous verrez des hommes que cet enseignement atteindra, remuera, convaincra, qui l'accepteront malgré ce qu'il a pour eux de sévère et de terrible, qui trouveront une correspondance profonde entre cette loi extérieure et la loi intérieure de leur conscience. Ces hommes suivront Jésus-Christ comme prédicateur de la loi morale, et croiront en Jésus-Christ révélateur de la vérité religieuse; car si l'incrédulité à l'égard du premier conduit à l'incrédulité à l'égard du second, on peut conclure de même quand il s'agit de la foi.

Nous arrivons ainsi à la seconde partie de mon texte. Jésus-Christ, qui a, c'est notre conclusion première, le droit d'être cru comme prédicateur de la loi morale, réclame la même foi comme révélateur religieux. C'est ce point que nous allons maintenant examiner.

Jésus n'est pas seulement un maître de morale, il ne parle pas seulement des choses terrestres; il se donne comme étant venu d'en haut. a Personne, dit-il, n'est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, savoir le Fils de l'homme. » Il parle avec autorité de choses qui dépassent absolument nos horizons humains. Il nous révèle Dieu et parle de lui comme un Fils parle de son Père, il nous enseigne quel est le gouvernement de Dieu, quelle est sa providence envers ses créatures, quels sont les desseins de sa miséricorde pour le salut de l'humanité, il annonce d'avance sa mort et enseigne explicitement qu'il s'offrira pour le salut du monde. Dans l'entretien même d'où j'ai tiré les paroles que nous méditons, il expose en quelques mots admirables tout le plan de la rédemption. … Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. » Il sait que cette mort doit attirer tous les hommes à lui - il annonce également sa résurrection et son triomphe. Il parle de sa personne comme étant la manifestation vivante de Dieu; il se propose aux âmes comme Celui en qui il faut croire, qu'il faut aimer par-dessus toutes choses, en qui le monde devra trouver sa vie ; il annonce le jugement à venir et dit comment ce jugement se fera.

En face de ces affirmations, notre situation est tout autre qu'en face de son enseignement moral. Tant qu'il s'agissait de celui-ci, nous pouvions le juger, car nous trouvions dans notre propre conscience un sûr critère pour en apprécier la vérité.

Chaque précepte du sermon sur la montagne, chaque parabole éveillait en nous un écho. Ce témoignage intérieur suffisait pour nous convaincre de la vérité des paroles du Christ, et il est à remarquer que plus notre conscience était droite, et notre coeur ouvert aux affections pures, plus cette conviction s'affermissait en nous.

Ici, au contraire, tout change. Nous entendons des déclarations souveraines qu'il nous est impossible de contrôler. Rien en nous à première vue n'y peut rendre témoignage. Rien ne nous prouve absolument qu'elles soient vraies. Nous sommes réduits à croire le Christ sur parole. Jusque-là nous avions marché en le suivant sur le terrain ferme de l'expérience, ici nous nous lançons après lui sur une mer profonde aux horizons sans fin. Nous faisons acte de foi. Deux questions se posent ici devant nous : avons-nous le droit de faire cet acte de foi ? Jésus-Christ doit-il être cru ?

A la première de ces questions la réponse est aisée. Supposons que nous écartions d'avance et systématiquement la foi comme moyen d'accès à la vérité religieuse, aucune autre voie ne nous restera pour y parvenir. Sur toutes les questions relatives à notre origine et à notre destinée, sur la douleur, sur le mal, sur le pardon, sur nos relations avec Dieu, sur la vie future, la science n'a rien à nous apprendre. Jamais peut-être elle ne l'a confessé plus franchement qu'aujourd'hui. Il me serait facile de citer ici ses aveux si nombreux et si péremptoires. Je ne discute pas l'attitude qu'elle prend vis-à-vis de tous ces problèmes; pour tout dire, je crois sa réserve exagérée, il me semble qu'elle pourrait, à l'aide de ses simples ressources naturelles, pénétrer dans ces questions plus avant qu'elle ne le fait. Je constate simplement ce fait que la science pure est radicalement incapable de calmer les remords de la conscience, de donner au coeur un amour digne de lui, de consoler nos douleurs, de nous apporter quelque certitude sur notre destinée éternelle. Une telle impuissance, aussi clairement constatée dans le siècle même où la science a d'ailleurs remporté ses plus éclatants triomphes, est un phénomène qui doit frapper tout esprit droit.

Cela étant reconnu, que faire ? Renoncer à soulever le voile de notre destinée, nous enfermer dans la vie présente, comme les épicuriens pour jouir, comme les stoïciens pour obéir à la loi du devoir, sans rien savoir d'au delà, sans oser rien affirmer, ni rien espérer sur Dieu, sur le grand inconnu qui nous attend peut-être ? On l'essaie, on l'a tenté mille fois, on n'y parvient jamais. L'humanité est religieuse par essence. Le positivisme pourra plaire à une ou deux générations qui passent ; il ne sera jamais la doctrine de l'humanité.

C'est ici que Jésus-Christ nous apparaît avec l'autorité qui n'appartient qu'à lui. Il se donne comme un révélateur venu de la part de Dieu, et sur tous les points obscurs de notre destinée, il répand la lumière; il ne cherche pas, il ne raisonne pas, il ne discute pas, il affirme, et quand les Juifs lui reprochent de se rendre témoignage à soi-même, c'est-à-dire, en langage moderne, d'affirmer sans preuves, il répond par cette parole : « Mon témoignage est véritable, car je sais d'où je suis venu, et je sais où je vais » (Jean VIII) 14).

Et voici le fait qui s'est produit : quelques hommes ont cru à cette affirmation de Jésus, puis d'autres y ont cru sur leur témoignage, et cette croyance est devenue aujourd'hui celle de la partie la plus éclairée et la meilleure de l'humanité. Nous-mêmes nous sommes chrétiens; cela veut dire que ce que nous savons de certain sur Dieu, sur la providence, sur le pardon, sur la vie éternelle, nous le tenons de Jésus-Christ. Nous avons cru en Jésus-Christ « parlant des choses célestes, » en Jésus-Christ révélateur de la vérité religieuse. Avons-nous eu raison de le faire ? Jésus-Christ de foi ?

Je remarque, en premier lieu, que l'accent même avec lequel ses affirmations se produisent à quelque chose qui est de nature à nous faire réfléchir. Personne n'a jamais parlé avec une autorité égale à la sienne. Personne n'a jamais dit comme lui: « Je suis d'en haut, et vous êtes d'en bas; je sais d'où je suis venu et où je vais; je suis le chemin, la vérité, la vie; je suis la lumière du monde; celui qui m'a vu a vu le Père. » On ne se défait pas de telles affirmations, on n'a pas le droit d'en atténuer la Portée. Elles trahissent ou un prodigieux égarement ou une inspiration véritable. Entre ces deux explications il faut choisir. Il n'y en a pas une troisième, et il semble que la critique antichrétienne le reconnaisse clairement aujourd'hui. Elle ne craint pas de dire que Jésus-Christ est le plus sublime des hallucinés.

Ce n'est pas nous qui nous plaindrons de la netteté de ces déclarations, si douloureuses qu'elles soient à notre coeur. Nous avons tout à gagner à voir disparaître ici toute équivoque.

Nous croyons, nous, aux affirmations de Jésus-Christ. Pour me servir des paroles de mon texte, nous croyons en lui quand il nous parle des choses célestes, parce qu'il nous a toujours dit vrai quand il nous a parlé des choses terrestres. Ceci est une présomption, rien de plus, je le sais, mais cette présomption nous suffit. Voici un Être dont on nous dit qu'il a entraîné l'humanité dans la plus fantastique des illusions, et cet Être, dans toutes ses déclarations portant sur des sujets que nous pouvons contrôler, a dit vrai, absolument vrai; il n'a partagé aucun des préjugés, aucune des erreurs morales de son temps ni de son peuple; il a dépeint l'humanité telle qu'elle est, il a donné à la justice, au devoir, à la miséricorde, leur formule éternelle; sur tous ces points son enseignement n'a pu être ni réfuté, ni dépassé. En l'écoutant, non seulement nous sentons qu'il dit vrai, mais nous sentons que la vérité qu'il a formulée nous domine, qu'elle se dresse devant nous comme un idéal qui nous oblige, nous attire et nous condamne à la fois. A travers les siècles la puissance de cette parole est telle qu'elle exerce sur des millions d'hommes, et sur les meilleurs, un irrésistible ascendant.

Cette seule considération suffirait à prouver que nous ne croyons pas à la légère lorsque nous acceptons ce que Jésus-Christ nous dit du monde invisible qui nous dépasse. Songez-y bien. Toute société humaine repose sur la confiance mutuelle. Le nombre de vérités que nous acceptons sur le témoignage d'autrui est immense; si nous devions tout contrôler, nous ferions à peine un pas en avant et le travail de l'humanité devrait recommencer avec chaque individu. Or, quand notre confiance a-t-elle été mieux placée que lorsque nous avons cru à Celui dont la parole a été l'incarnation même de la vérité morale? Si nous ne le croyons pas, qui croirons-nous?

Mais il y a plus, et nous touchons ici au vrai noeud de la question. Si nous croyons aux vérités religieuses révélées par Jésus-Christ, ce n'est pas seulement parce que, nous ayant dit vrai dans toutes les choses morales, il mérite notre confiance, ce n'est pas seulement parce qu'il est à nos yeux le Saint et le Juste, c'est encore et surtout parce que ces vérités religieuses sont le complément et le couronnement nécessaire des vérités morales auxquelles notre conscience nous oblige de croire, tellement qu'acceptant les unes, nous sommes conduits par une logique invincible à accepter les autres. Il n'est pas une vérité morale de l'Evangile qui ne se prolonge et ne s'épanouisse en une vérité religieuse. Voilà (pour le dire en passant) la raison qui ne nous permettra jamais d'accepter un moment la théorie de la morale indépendante, car aux yeux de tout chrétien la morale et la doctrine sont étroitement et indissolublement unies, Qu'est-ce que la doctrine en effet, si ce n'est l'affirmation des relations qui doivent exister entre Dieu et nous, et qu'est-ce que la morale, si ce n'est la conséquence pratique de ces relations ? Si tout à l'heure j'ai dû distinguer entre Jésus-Christ révélateur de la loi morale et Jésus-Christ révélateur de la vérité religieuse, vous avez tous senti d'instinct que ce n'était là qu'une distinction temporaire, qui ne correspondait à rien de réel, et que la personnalité de Jésus-Christ est absolument une et indivisible.

Prenez, en effet, les traits principaux de l'enseignement moral de Jésus-Christ. Il recommande à ses disciples la paix intérieure, le calme et cette douceur victorieuse qui n'ont rien de commun, ni avec la résignation fataliste du bouddhiste, ni avec la fermeté guindée du stoïcien. Mais comment cette disposition intérieure est-elle possible sans la foi au Dieu juste, au Dieu qui sait tout, qui voit tout et sans la permission duquel rien n'arrive? Il affirme que, sous le désordre apparent des choses, il y a un ordre profond, que pas un iota de la loi morale ne peut être anéanti, que l'homme moissonnera ce qu'il a semé. Mais ces affirmations reçoivent chaque jour dans la réalité de l'histoire le démenti le plus insolent, elles sont misérablement dérisoires si nous ne croyons pas au Dieu qui sanctionne la loi qu'il a faite et qui jugera le monde avec justice. Il annonce aux âmes les plus souillées un relèvement possible, une restauration complète, un avenir de joie et de pureté. Mais comment ce fait pourra-t-il se réaliser sans que les droits de la justice divine aient été pleinement reconnus, sans qu'une expiation ait été acceptée et subie, sans que la rédemption ait été accomplie? Il annonce le triomphe du royaume de Dieu dans la justice et la vérité, non pas seulement comme un idéal auquel l'humanité arrivera peut-être dans vingt ou cinquante siècles, mais comme une réalité dont chaque conscience sera le témoin. Mais cela ne suppose-t-il pas la vie future et la réparation de toutes les iniquités d'ici-bas ? Il enseigne à voir dans la douleur une épreuve sanctifiante, à tressaillir de joie au milieu des larmes. Mais cela aura-t-il un sens si l'amour de Dieu n'est pas le refuge de nos coeurs déçus et brisés par le monde? J'ai donc le droit de dire que le Christ révélateur de la loi morale conduit au Christ rédempteur et sauveur, que le sermon sur la montagne appelle et fait pressentir la croix du Calvaire, que tout se tient dans l'Evangile et que l'homme ne peut pas séparer ce que Dieu a uni.

Mes frères, vous avez souvent répété avec sincérité, mais avec angoisse, la prière des disciples: « Seigneur, augmente notre foi ! » Vous nous avez souvent demandé comment cette foi peut être fortifiée. Un génie égaré qui fut jusqu'à la fin un déiste sincère a écrit cette parole profonde : « Si tu veux croire en Dieu, vis de telle manière que tu aies toujours besoin que Dieu existe. » Cette parole de Rousseau n'était que le commentaire de cette déclaration du Maître des maîtres: «Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra que ma doctrine est de Dieu. » Croyez-vous au Christ révélateur de la loi morale? Croyez-vous à la nécessité inflexible du devoir, croyez-vous à la sainteté intérieure, croyez-vous au droit éternel pour tous, croyez-vous à la réparation nécessaire de toutes les injustices, à la consolation de toutes les douleurs, croyez-vous enfin au règne de Dieu? Il faut choisir entre cela et les doctrines fatalistes qui, de tous les côtés, étendent sur le monde leurs ombres épaisses. Si Jésus-Christ est votre Maître, si vous savez qu'il vous dit vrai quand il vous parle des « choses terrestres, » vous l'écouterez et vous croirez en lui quand il vous annoncera « les célestes. » Après l'avoir suivi sur la montagne des béatitudes où il a donné au monde la charte du royaume des cieux, vous le suivrez sur le Calvaire où il a fondé ce royaume par la vertu de son sacrifice rédempteur; après lui avoir dit comme Pierre: « Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle », vous ajouterez comme lui : « Nous avons cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Amen!


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