8. JE NE PUIS AUTREMENT
BUT DU RÉCIT
Rien ni personne ne peut barrer la toute
à quiconque écoute Dieu dans sa conscience.
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1. UNE DÉCOUVERTE
COMPROMETTANTE.
-Où êtes-vous, garçons
?
A l'ouïe de cette grosse voix de
paysan, a l'accent rude, ce fut un sauve-qui-peut
général. En un instant, la petite troupe
d'écoliers se trouva dispersée dans toutes les
directions.
C'est qu'ils étaient craintifs, les
pauvres écoliers d'Eisenach. Ils avaient à peine
quatorze ans ; et pourtant ils connaissaient déjà la
misère. Ils ne mangeaient pas toujours à leur faim.
Aussi les voyait-on fréquemment s'en aller, de porte en
porte, chantant leurs plus belles complaintes et quêtant un
morceau de pain. Ils n'étaient pas toujours bien
accueillis, tant s'en faut. Ils étaient habitués aux
coups et aux injures. Et voilà pourquoi, en ce jour de
Noël, la grosse voix d'un paysan, animé des meilleures
intentions, avait suffi à les épouvanter.
Pourtant tous les coeurs n'étaient
pas de fer, à Eisenach. Depuis quelque temps, par exemple,
la « bonne Ursule », la femme de Conrad Cotta le riche
commerçant, avait accueilli chez elle un de ces pauvres
écoliers. Elle l'apercevait chaque dimanche à
l'église. Il était pale, chétif, nerveux. Il
priait avec une ferveur extraordinaire...
Elle l'avait questionné. Il
s'appelait Martin Luther. Il était fils et petit-fils de
paysans. Ses parents, Jean et Marguerite Luther, habitaient
Mansfeld. Ils étaient très pauvres. Son père
avait quitté la campagne pour entreprendre un travail de
mineur.
Quatre ans plus tard, nous retrouvons
'Luther à Erfurt. L'écolier d'Eisenach est
maintenant étudiant à la fameuse académie de
la ville. Ses parents veulent faire de lui un juriste.
Un jour, en « bouquinant » dans la
bibliothèque de l'Université, l'étudiant
découvre une Bible latine. C'était la
première Bible qui lui tombait sous les yeux. Il la
feuillette. A son grand étonnement, il s'aperçoit
qu'elle renferme beaucoup plus de textes que les livres de messe
dont on se sert à l'Eglise. Curieux, avide de savoir, il en
dévore les pages. Que de choses nouvelles 1 Que de
récits insoupçonnés ! Le cantique d'Anne, par
exemple (I Sam. 2 : 1 .10), le plonge dans un ravissement
- L'Eternel appauvrit et il
enrichit,
- Il abaisse et il
élève,
- De la poussière, il retire le
pauvre,
- Du fumier, il relève
l'indigent.....
«Ah ! s'écrie Luther, c'est pour
de pauvres écoliers comme moi que ces consolations sont
écrites! » Sans bien s'en rendre compte, il a
reçu de cette première lecture une impression
profonde. Le Livre l'a saisi. Il existe donc une autre source de
vie que l'enseignement des écoles 1 Dès lors, son
rêve, ce sera de posséder une Bible comme
celle-là.
.
2. LES VOIES DE DIEU NE SONT PAS NOS
VOIES.
Pour l'heure, notre jeune juriste pensait
fort peu à ses études de droit. Malgré lui,
une idée l'obsédait : Comment arriver à la
paix de l'âme ? Comment ne pas trembler devant la
sainteté de Dieu ?
Un événement imprévu
devait changer le cours de sa vie. On était en
été. Il faisait une chaleur accablante. Luther se
promenait tout seul dans la campagne. Non loin d'Erfurt, il est
surpris par un orage. Soudain, un éclair fulgurant : la
foudre éclate là, tout près de lui.
Affolé, le jeune homme tombe à genoux : «
Sainte Anne, sauve-moi, et je me fais moine 1 »
s'écrie-t-il.
Rentré en ville, il ne dit rien a
personne de sa résolution. Quinze jours plus tard, il
réunit ses amis pour la dernière fois. La
soirée est animée, joyeuse. On la prolonge bien au
delà de minuit. Quand les premières clartés
du jour blanchissent les crêtes des collines, Luther, tout
d'un coup, devient grave. Etonnés de ce changement soudain,
ses amis se rassemblent autour de lui. Et là, au milieu du
silence le plus complet, il leur raconte l'histoire de l'orage et
le voeu qui le lie.
- Tu perds la tête, ami ! Un voeu fait
dans de pareilles circonstances ne saurait t'engager !
- Mon cher, j'ai pris Dieu a témoin.
je ne puis me rétracter.
- Tu serais bien fou, Luther, de briser une
carrière qui, pour toi, peut être très belle.
Cesse donc de te tourmenter de tous ces scrupules de conscience.
Tu es assez bon comme cela. Tu te gâtes la vie. A vingt-deux
ans !
- Mes chers amis, vous ne me comprenez pas.
Une promesse est une promesse. Adieu !
Ce même jour, Luther entrait au
couvent des Augustins.
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3. PAIX DES HOMMES ET PAIX DE
DIEU.
Bonheur inexprimable, son rêve
était réalisé. Luther avait maintenant entre
les mains une Bible latine, reliée en cuir rouge, toute
pour lui, rien qu'a lui. Les Premiers jours, il ne la quitta pas.
Enfermé dans sa cellule, il allait de découverte en
découverte. Bientôt il connut par coeur de grands
fragments de sa chère Bible. Il pouvait dire, sans
hésiter, à quelle page et a quelle place se trouvait
chaque passage...
En entrant au couvent, Luther avait
pensé, de bonne foi, trouver la paix intérieure.
Embrasser la vie régulière, c'était à
ses yeux la seule façon de fuir la colère et la
vengeance de son Dieu. Les jeunes moines ne parlaient-ils pas
constamment des beautés et des mérites de
l'existence monastique ? Ne se racontaient-ils pas sans cesse
leurs songes et leurs visions ?
Chose étrange, Luther était
seul à éprouver une angoisse intérieure. La
sécurité, la tranquillité d'âme de ses
compagnons l'étonnaient. N'avaient-ils donc, de leur vie,
connu la moindre tentation spirituelle ?
Un jour, un beau jour, il crut avoir
trouvé la paix si longtemps désirée. Il avait
terminé son noviciat, et il fut admis à faire
profession! L'accomplissement des voeux donna lieu, comme de
coutume, a une cérémonie fort belle.
Toutes les cloches du couvent ont
sonné. Un à un, les moines s'assemblent dans
l'église. Le prieur est debout, sur les marches de l'autel.
Luther est à genoux devant lui. Au milieu du plus profond
silence, ces paroles solennelles retentissent : « Tu as
appris à connaître la vie sévère de
l'ordre des Augustins. A toi de décider, ,maintenant:
Veux-tu retourner au monde; veux-tu te consacrer à Dieu?
»
Comme son coeur brûlait au dedans de
lui en entendant ces paroles. Se consacrer entièrement
à son Dieu, mais c'est le voeu de toute sa vie...
Luther dépouille sa robe de novice.
On lui remet l'habit de l'ordre. « Aujourd'hui,
déclare le prieur, tu as revêtu le nouvel homme
». Et tandis que Luther, tout à la joie
intérieure, tremble d'émotion et de reconnaissance,
dans l'église, de toutes les poitrines,
s'élève, majestueux, l'hymne à la gloire de
saint Augustin.
Luther reçoit l'imposition des mains.
« Je fais profession et voeu d'obéissance au Dieu
tout-puissant, a la Vierge céleste et éternelle, et
à toi, mon Frère ; je promets de vivre
jusqu'à la mort selon la règle de mon ordre.
»
Le nouveau moine est conduit dans le choeur
de l'église. Là chacun lui donne le baiser de
paix.
Quel renouveau intérieur! Quelle paix
de l'âme ! Quel grand et beau jour !
Hélas, il devait être suivi, ce
jour si beau, de journées tristes et sombres. Cette paix
intérieure ne dura qu'un instant. Tôt après,
le désespoir reprit Luther, son angoisse, le sentiment
brûlant de son péché Il observait ses voeux
nuit et jour, avec le plus grand zèle, et pourtant nulle
trêve ne venait l'apaiser. Non, pas même le jour
solennel où il fut consacré prêtre. Même
en disant sa première messe, il était
profondément troublé par le sentiment de son
indignité. Comment subsister, lui pécheur, en
présence du Dieu trois fois saint?
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4. DIEU EST ESPRIT, ET IL FAUT QUE CEUX
QUI L'ADORENT L'ADORENT EN ESPRIT.
Où donc trouver cette insaisissable
paix, sinon à Rome, la Ville Eternelle? Rome,
n'était-ce pas la mère de la
chrétienté? N'était-ce pas la source de toute
bénédiction ?
On se représente la joie de Luther
quand il fut charge par Staupitz, le vicaire général
des Augustins, d'une mission dans la ville de ses rêves. Que
de fois, déjà, il avait désiré faire
le saint pèlerinage ! Il voyait Rome par les yeux
naïfs de sa foi d'enfant. Pour lui, Rome, c'était une
terre sanctifiée, le coeur même du monde.
C'était le siège du Vicaire de Dieu, à qui
l'Univers entier obéissait. A Rome se trouvait la cour la
plus splendide, les savants les plus doctes, les prélats
les plus saints. Bref, pour le pauvre moine, Rome était
synonyme de Perfection et de sainteté.
Aussi, quand la ville apparut à ses
yeux, il tomba, la face contre terre .« Salut, Rome la sainte
», s'écrie-t-il en levant ses mains vers le
ciel.
« Fou de sainteté », il
parcourt toutes les églises, toutes les cryptes, disant des
messes en foule. Plus d'une fois il se prend à regretter
que son père et sa mère soient encore de ce monde.
Sans quoi, avec quelle joie il les aurait tirés du
Purgatoire, en disant des messes à leur intention !
Hélas ! Luther dut bien vite se
rendre à l'évidence : la Rome de ses rêves, la
Rome des martyrs, la « lumière du monde », la
« fontaine de justice », n'existait plus. Au lieu de la
sainteté, la corruption ; au lieu de la
piété, le plus complet paganisme. Rome la grande
était devenue le grand marché des choses
saintes.
Le brave Luther allait de scandale en
scandale. A table, on riait sous cape quand certains courtisans
racontaient comment plus d'un prêtre disait la messe : pain
tu es, pain tu resteras ; vin tu es, vin tu resteras,
prononçaient-ils solennellement, en bénissant les
espèces. Ou bien encore, c'était l'encombrement des
autels, et les messes expédiées le plus rapidement
possible. En effet, chaque prêtre qui venait à Rome y
célébrait une messe. Si bien qu'on se trouvait
parfois deux par autel. Luther mettait toute sa conscience
à célébrer son office. Mais il avait à
peine commencé que son voisin était
déjà au bout
« Finis donc, finis donc ! » lui
criait-il.
Et Luther, tourmenté, l'angoisse au
coeur, s'en allait d'église en église et de tombeau
en tombeau, se demandant si toutes ces messes dites à Rome
étaient simple « jonglerie », ou bien des actes
sérieux...
Chose admirable, ce voyage à Rome n'a
pas dégoûté Luther de l'Eglise. Si grande
était sa foi que, malgré sa déception
cruelle, il conserve pour le pape une entière
vénération. Mais les impressions reçues dans
la Ville Eternelle se gravent dans son coeur et dans sa
mémoire. Plus tard, seulement, elles ressortiront, et
contribueront à ouvrir les yeux du «
Réformateur ».
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5. NOUS N'AVONS PAS DE PUISSANCE CONTRE
LA VÉRITÉ.
Le soir du 25 juillet 1517, jour de la
Saint-Jacques, la chapelle de l'antique château de Dresde
est remplie d'une foule considérable. Toutes les places
sont occupées, sans aucune exception. Il y a 'longtemps que
la vieille église n'a connu pareil auditoire. Tous les
grands du duché sont là : gentilshommes, nobles, et
darnes de qualité, dans leurs vêtements somptueux. Le
duc Georges lui-même vient de faire son entrée, aux
côtés de la princesse de Saxe. Mais ce
soir-là, sa cour n'a pour lui que des regards distraits.
Tous les yeux sont tournés vers la chaire. Que va dire le
prédicateur nouveau? jamais encore Dresde ne l'a entendu.
Ce prédicateur, c'est Luther. Depuis cinq ans
déjà, il est docteur en théologie. A
l'Université de Wittenberg, il donne des cours dont on
parle dans toute l'Allemagne. Aussi le prince de Saxe a-t-il
désiré le voir, et l'entendre. Un homme curieux, ce
prince ! Sincèrement pieux, ami des choses religieuses, il
souffre des abus dont l'Eglise est victime. Seulement, s'il
comprend la nécessité d'une réforme des
Moeurs. il n'admet en aucune façon une réforme des
doctrines.
Mais Luther s'est levé. Il parle
d'une voix forte. Ce ne serait pas nécessaire : chacun boit
ses paroles. jamais le silence n'a été si complet
dans le petit sanctuaire. Luther parle d'une histoire bien 'connue
: la mère des fils de Zébédée
demandant au Christ, pour ses deux enfants, la place d'honneur
dans le Royaume de Dieu (Matthieu 20 : 20). Et Luther critique les
Prières insensées, les désirs
égoïstes, montrant ce que doit être la
prière chrétienne. Il parle de ce qu'il a appris au
milieu de ses luttes intimes et profondes. Il montre en
Jésus-Christ un Sauveur, et non point un juge. Il dit le
moyen, le seul moyen, d'arriver à la paix de l'âme :
renoncer à faire son salut soi-même, et demander
à Dieu, dans sa grâce, de le faire en nous...
Il vaudrait la peine, ce soir-là,
d'accompagner chacun des auditeurs au sortir de la chapelle. Elles
sont bien différentes des conversations coutumières,
les conversations d'aujourd'hui ! Toutes, sans exception aucune,
roulent sur le sermon.
Mais le temps nous manque. Contentons-nous
d'assister, invisibles, au dîner du duc Georges. A
l'extérieur, rien ne parait changé. C'est la
même salle à manger somptueuse. Ce sont les
mêmes convives, nobles dames et gentilshommes de la cour.
Avant le repas, le chapelain a dit les mêmes prières.
Mais l'atmosphère est lourde. La conversation languit. Le
duc est sombre.
Soudain, il se tourne vers Barbe de Sale,
une dame de la cour, à l'opinion de laquelle il attache
beaucoup d'importance.
- Que pensez-vous, Madame, de ce que nous
venons d'entendre?
- Ah ! Altesse, répond Barbe de Sale
avec ferveur, je bénis Dieu d'avoir entendu un pareil
discours. Mon ambition, désormais, ce sera de vivre et de
mourir dans cette doctrine sublime. Mon seul désir, c'est
d'ouïr une fois encore le docteur Luther avant de quitter ce
monde...
Sans nul souci des convenances, le Duc lui
coupe la parole. « Pour moi, dit-il (et il
répéta cela à plus d'une reprise au cours de
la soirée), pour moi je donnerais beaucoup d'argent pour
n'avoir pas entendu ce sermon. Pareille doctrine ne peut que
donner aux gens une fausse sécurité et leur enlever
toute crainte. S'ils se savent sauvés par le Christ seul,
ils ne voudront plus faire aucune bonne oeuvre.»
La vérité est parfois
dangereuse. La vérité, il faut quelquefois la
cacher. Voilà ce que les hommes, timorés, avides de
conserver leurs privilèges, ont répété
d'âge en âge. Heureusement que la vérité
possède une puissance en elle-même. Heureusement que,
quand un homme est saisi par la vérité au fond de sa
conscience, il lui est impossible de taire la
vérité.
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6. UNE CONSCIENCE.
Un mardi. Les cloches de la ville sonnent
à toute volée. Ce n'est pas l'heure de la messe. Que
se passe-t-il donc?
Les rues sont vides. Les maisons sont vides.
Déserte elle aussi la grande place qui entoure la
cathédrale. Sous les arcades, les boutiques des marchands
sont fermées. On dirait un jour de deuil. Que se passe-t-il
donc?
Tiens! Voici deux hommes qui traversent la
place. Deux retardataires sans doute. Ils se hâtent vers la
porte de la ville. Suivons-les.
Nous voici hors des murs. La population tout
entière de la cité est la. Personne n'y manque. On a
peine à circuler au milieu de cette foule. Vieillards,
hommes, femmes, enfants, tous sont accourus. Voici les
élèves des écoles, que leurs maîtres
maintiennent avec peine en bon ordre. Voici les prêtres et
les curés de toute la ville. Voici les moines des couvents.
Voici la Municipalité. Que se passe-t-il donc?
Ce qui se passe? On attend la venue d'un
personnage important, extraordinaire même : Tetzel, le grand
vendeur d'indulgences ; Tetzel, l'envoyé du Saint
Père le Pape.
Le voici qui arrive à cheval,
accompagné d'une suite imposante. On forme le
cortège : que de cierges, que de bannières! En
tête, marchant à pas comptés, solennel, un
homme portant un coussin de velours, recouvert d'un drap d'or. Sur
le coussin repose le message du pape. Lentement, on
pénètre dans la cathédrale, pompeusement
parée pour la circonstance. Les cloches sonnent toujours.
De toute part, l'encens monte vers les voûtes du sanctuaire.
Près de l'autel, on dresse une grande croix toute rouge,
à laquelle est suspendue la bannière du pape.
Les cloches se taisent. Le silence
s'établit dans le vaste édifice. Tetzel monte en
chaire. Sa figure allongée et pâle ressort
étrangement dans la pénombre. D'une voix forte, qui
va jusque dans le plus petit recoin, il commence sa
prédication :
«Je possède, mes chers
frères, un pouvoir supérieur à celui de
Saint-Pierre, avec lequel je ne voudrais pas partager mon butin,
car j'ai sauvé plus d'âmes par mes indulgences. Le
Seigneur Jésus-Christ a abandonné toute sa puissance
au pape ; jusqu 1 au dernier jour, c'est le pape qui gouverne par
ses commissaires, et le pape, mes amis, a plus de pouvoir que les
apôtres, les anges, les saints, que la Sainte Vierge
elle-même, car tous ceux-là sont au-dessous du
Seigneur Jésus-Christ, tandis que le pape est son
égal...
» Ne savez-vous pas que l'église
de Saint-Pierre, que le pape veut relever, contient les corps des
saints apôtres Pierre et Paul, et ceux d'une multitude de
martyrs? Ces corps saints, à cause de l'état
délabré de l'édifice, sont - ah ! quelle
horreur! - continuellement battus, inondés,
souillés, déshonorés, réduits en
pourriture par la pluie et par la grêle. Chrétiens,
mes chers frères, ces cendres sacrées
'resteront-elles plus longtemps dans la boue et l'opprobre? Non,
non, vous ne le souffrirez pas! »
L'assemblée écoute,
compatissante, émue, conquise. Tetzel frappe un dernier
coup : lentement, solennellement, il déploie de grands
feuillets. C'est l'Instruction du pape. Tetzel l'a arrangée
à sa façon. Mais ses auditeurs ne s'en doutent
pas.
« Que le peuple sache que Rome est ici.
Pour le salut de vos âmes et de ceux que vous pleurez,
disposez-vous à recevoir une grâce si grande. Ceux
qui méprisent cette indulgence sont, par ce fait,
excommuniés par Notre Saint Père le Pape Léon
X, et voués a l'indignation du Dieu tout-puissant.
»
Tetzel s'arrête. Du regard, il
enveloppe l'assemblée. Ses auditeurs sont
frémissants.
« Sachez que dans ces lettres sont
imprimés et gravés tous les instruments de la
passion du Christ. Sachez que pour chaque péché
mortel, il faut, à la suite de la contrition et de la
confession, faire pénitence pendant sept ans, soit dans
cette vie, soit au Purgatoire. Combien de péchés
mortels ne commettez-vous pas en un jour? Vos péchés
sont presque infinis, et ils vous préparent une peine
infinie dans les tourments du Purgatoire. Eh bien ! par ces
lettres confessionnelles, vous pouvez, en une seule fois, recevoir
la pleine rémission de toutes vos peines encourues
(à l'exception toutefois des quatre cas
réservés au siège apostolique). Puis,
à l'article de la mort, rémission entière de
toutes les peines et de tous les péchés. Et vous ne
voulez pas donner le quart d'un florin pour cette lettre dont la
vertu conduira votre âme immortelle sans danger dans la
patrie céleste?
» Ne pensez pas à vous,
seulement. Ouvrez vos oreilles !N'entendez-vous pas la voix des
morts, la voix de vos parents qui vous crient : Ayez pitié
de nous, car la main de Dieu nous a touchés. Nous souffrons
les peines et les tourments les plus durs. Une
légère aumône nous en délivrerait, et
vous ne le voulez pas ! Coeurs durs et cruels, vous nous laissez
dans ces flammes, vous nous empêchez d'arriver à la
gloire promise! »
Gravement, Tetzel descend de chaire. Le
peuple est électrisé. Tous voudraient voler à
la fois vers la caisse. Pensez donc ! c'est si facile, et le
résultat est si beau ! En un instant, le
défilé s'organise. Un à un, les
fidèles s'avancent. Ils confessent leurs
péchés. Ils laissent tomber, sans regret, leur
argent dans la caisse, et s'en retournent chez eux, serrant sur
leur coeur leur précieuse lettre d'indulgence.
C'est le matin. Un gai soleil brille sur la
ville de Wittenberg. De toute part, les cloches sonnent, appelant
les fidèles à la confession. Dans l'église
paroissiale, agenouillé dans le confessionnal, le docteur
Luther attend les pénitents.
Trois hommes ont passé,
déjà. Luther profite de l'interruption
momentanée pour faire le silence en lui-même et pour
demander à Dieu de l'aider à guider toujours mieux
ces pauvres âmes... Un pas rapide résonne soudain
dans l'église. Le rideau du confessionnal est vivement
tiré. Derrière le grillage, quelqu'un s'agenouille.
Tout d'une haleine, il avoue sa faute. Puis, sans que
Luther ait eu le temps de prononcer la
moindre parole, il réclame l'absolution.
- Comment cela? demande le
confesseur.
- C'est ma première chute.
- Et alors ?
- J'ai ici un billet, signe de Notre Saint
Père le Pape.
Je l'ai acquis, la semaine dernière,
contre bel et bon argent, non loin d'ici, à Jutterbock. Je
me suis confessé. Vous devez m'absoudre.
Et, à travers le grillage, l'homme
tend à Luther un billet de confession, vendu par
Tetzel.
Le prêtre est consterné.
- Impossible, répond-il après
un long silence. On ne peut pas acheter le pardon de notre
Seigneur Dieu. D'abord la repentance, ensuite l'absolution. Notre
Sauveur Jésus-Christ n'a-t-il pas dit : « Si vous ne
vous repentez, vous périrez tous également
»?
Mécontent, malheureux, le
pénitent s'éloigne.
C'en est trop, pour Luther. Quel abaissement
de la morale chrétienne ! Quel abaissement de la conscience
! Quelle justice d'esclaves! Quel danger, pour la religion, si le
peuple en vient à redouter non pas le péché
lui-même, mais seulement le châtiment du
péché! Le petit moine ne peut plus se taire. Il doit
parler.
A Wittenberg, on se prépare à
la Toussaint. Cette fête est pour la ville une grande
solennité. Quatre jours durant, on expose les saintes
reliques, acquises à grands frais par le Duc
Frédéric. Chaque année, à cette date,
on voit affluer les pèlerins.
Luther estime l'occasion on ne peut plus
favorable. La veille de la fête, il monte en chaire.
L'église est comble. Contrairement à l'attente
générale, il parle avec beaucoup de
modération.
« On pense que je parlerai de
l'indulgence. il en veux parler, en effet, puisque ses pompes sont
à notre porte. Mais je proteste, avant toutes choses, que
je reconnais combien les intentions du Pape sont droites. Je veux
parler pour vous avertir des périls qui vous menacent. La
vraie pénitence, la seule qui puisse plaire à Dieu,
c'est un coeur humilié et contrit. La confession, les
satisfactions exigées par l'Eglise n'en sont que les signes
extérieurs. Loin de fuir ou de redouter la peine que ses
fautes lui ont value, cette peine, le pénitent doit
l'aimer. »
Dans l'église, le silence est
complet. Personne ne perd la moindre parole. Chacun est saisi
d'une intense émotion.
Ce même jour, 31 octobre 1517, Luther
affiche à la porte de l'église (c'était la
coutume alors) ses fameuses thèses sur les indulgences. Il
est prêt à les soutenir dans une discussion publique,
ou par écrit.
En quinze jours, toute l'Allemagne a
connaissance des quatre-vingt-quinze propositions du moine. Avant
un mois, on en parle dans la chrétienté tout
entière. Pensez donc : un homme, enfin, a osé faire
ce que tout le monde dès longtemps désire en
secret.
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7. IL FAUT OBEIR A DIEU PLUTÔT
QU'AUX HOMMES.
- Impossible! Il ne la brûlera
pas.
- Il l'a dit. Mieux encore : il l'a
affiché.
- C'est égal. Il n'osera pas. Ce
faisant, il se mettrait hors de la
chrétienté.
- Que lui importe! Cela ne le
séparera pas de son Dieu ! On a bien brûlé ses
livres à Mayence ! Le Docteur Luther n'a pas l'habitude de
revenir en arrière, quand il a pris une
décision.
- Nous verrons ça demain
Cette conversation avait lieu, le dimanche
10 décembre de l'an 1520, entre deux étudiants de
l'Université de Wittenberg. Depuis le matin, en effet,
toute la jeunesse académique était en effervescence.
Un grand placard, apposé à la porte principale,
annonçait une chose extraordinaire : le lendemain, a neuf
heures du matin, le Docteur Martin Luther brûlerait
solennellement les « décrétales
anti-chrétiennes », c'est-à-dire la bulle, le
décret du pape qui condamnait le moine récalcitrant,
convaincu d'hérésie.
Cet acte avait quelque chose d'inouï
pour l'époque. Agir de la sorte, c'était non
seulement renier pour jamais l'autorité du pape. Mais
surtout c'était se séparer du droit canonique, qui
régissait la chrétienté entière.
Luther savait que ses amis tremblaient à cette seule
pensée. Plusieurs l'engageaient à la
modération. Mais il sentait en lui une audace et une
assurance étonnantes. Il avait fait l'impossible pour ne
pas rompre avec Rome. Il en avait appelé au pape, puis
à un Concile. Toujours en vain. Maintenant, par ordre
supérieur, on brûlait ses livres. On trompait le
peuple en portant atteinte à la vérité
évangélique. On voulait étouffer la
lumière, replacer la lampe sous le boisseau. La bulle de
Léon X accablait Luther d'injures. Ne disait-elle pas :
« Lève-toi, Seigneur, et sois juge dans ta cause. Des
renards sont entrés dans la vigne que tu avais
plantée... Des hommes dont le père du mensonge a
aveuglé l'esprit tordent et falsifient les Ecritures ...
» C'en était trop. A ces actes, il fallait
répondre par des actes.
Le lendemain matin, lundi de la
Saint-Nicolas, bien avant que du haut de la tour de
l'église le crieur eût annoncé les neuf
heures, une foule immense, composée de docteurs,
d'étudiants, de bourgeois se rassemble sur la place de
l'Hôpital, devant la porte de l'Elster. C'est l'endroit
désigné par Luther. En attendant l'arrivée du
Docteur, les conversations vont leur train. Chez les
écoliers, surtout, l'excitation est à son
comble.
Soudain Luther paraît. Une immense
acclamation le salue. Tout de suite, il fait élever un
bûcher. Un maître de l'Université y met le feu.
La flamme hésite, baisse, puis au bout d'un instant, monte
tout droit, brillante, dans l'air glacé de décembre.
Tous les regards sont fixés sur Luther. Osera-t-il? Sans
hésiter, il saisit la bulle papale, et, au milieu d'un
grand silence, la jette dans la flamme ardente. « Puisque tu
as contristé le Saint du Seigneur, que le feu
éternel te consume », dit-il à haute
voix.
En un instant, de la bulle papale, de ses
menaces redoutables, il ne reste rien.
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8. JE NE PUIS AUTREMENT.
Il est dix heures du matin. Le soleil du
printemps inonde la ville de Worms. Partout il sème la
joie, la douceur de vivre...
Soudain, de la tour du Dôme, une
cloche retentit. C'est la cloche du veilleur. Alors, de toutes les
maisons, de toutes les places, de toutes les rues, le peuple se
précipite vers la porte. Tout le monde veut « le
» voir.
Qui donc? L'Empereur en personne? Non pas.
Le pape lui-même, alors? Pas davantage. Moins et mieux que
tout cela : un accusé qui se rend devant ses juges. Mais un
coup d'oeil suffit pour nous faire comprendre qu'il ne s'agit pas
d'un accusé ordinaire. Le voici qui arrive. Il est assis
dans une voiture découverte. Trois amis l'accompagnent.
Devant eux, à cheval, revêtu de son costume
étincelant, l'aigle noir sur la poitrine, s'avance le
héraut impérial. Et derrière la voiture, une
foule de nobles, des chevaliers, des princes, des gentilshommes.
Bref, une suite de plus de cent chevaux. Quel accueil pour un
accusé!
Le prévenu descend de voiture. Il
regarde autour de lui. Dans ce regard, il n'y a point d'effroi.
Seulement une grande confiance. « Dieu sera avec moi »,
murmure-t-il.
Le lendemain soir, à six heures,
l'accusé est introduit devant ses juges. Quelle
extraordinaire salle de tribunal! L'oeil est ébloui.
Où qu'il se pose, ce sont des vêtements
étincelants, brodés d'argent et d'or. Au centre, sur
son trône, l'empereur Charles-Quint. A sa droite, son
frère Ferdinand. Derrière eux, Places selon leur
rang, six électeurs de l'Empire ; vingt-quatre ducs, huit
margraves, trente archevêques et évêques, sept
ambassadeurs, les députés de dix villes libres ; le
représentant du pape, le nonce et puis, plus loin, des
fauteuils et des fauteuils encore des princes, des comtes, des
barons. En tout, deux cents personnages, tous brillants, tous
chamarrés... deux cents juges pour juger... un seul petit
moine. Il est là devant eux, vêtu de son froc.
L'empereur a fait un signe. Son
porte-parole, Jean de Eck, se lève, et dit d'une voix forte
:
« Martin Luther, Sa haute et invincible
Majesté Impériale vous fait mander et citer devant
son trône pour vous interroger sur ces deux points :
premièrement, si ces livres ont été
composés par vous (ce disant, Eck désigne du doigt
une pile de volumes placés sur un banc). Secondement,
voulez-vous rétracter ces livres et leur contenu? En effet,
ce sont là doctrines dangereuses pour le peuple, et qui
peuvent l'entraîner bien loin. »
D'un ton très doux, d'une voix
presque éteinte, paraissant effrayé (on le serait
à moins) l'accusé Martin Luther répond
:
«Touchant la première question
qui m'est faite, je reconnais que les livres qui viennent
d'être désignés sont de moi. Quant à la
seconde question, qui concerne la foi et le salut des âmes,
la plus grande chose qui soit sur la terre et dans le ciel,
j'agirais avec imprudence si je répondais sans
réflexion. C'est pourquoi je supplie très humblement
Votre Majesté Impériale de me donner le temps de
réfléchir. »
L'empereur et ses conseillers
délibèrent pendant quelques instants. Jean de Eck
reprend la parole :
« Martin Luther, bien que par le mandat
de Sa Majesté Impériale vous ayez pu savoir pour
quelle cause vous avez été appelé ici, et
que, par conséquent, vous ne méritiez nullement
d'avoir un sursis, Sa Majesté Impériale, par sa
bonté innée, vous accorde néanmoins un jour
pour réfléchir. Demain, à cette même
heure, vous comparaîtrez encore, et vous donnerez votre
réponse définitive, non par écrit, mais
oralement.
C'est la nuit. Le calme s'est fait dans la
ville. Partout, les feux sont éteints. Dans une chambre,
pourtant, la lumière brille. encore. A genoux, Un homme est
là, qui prie.
« 0 Eternel, Dieu tout-puissant, quelle
chose c'est donc que le monde ! Comme il force les lèvres
des hommes ! Que la chair est faible ! Que le Diable est puissant
! Ah, Dieu, ah Dieu ! ô mon Dieu ! mon Dieu ! Tiens-toi
près de moi contre la raison et la sagesse de ce monde.
Fais-le, fais-le seul ! Tu dois le faire ! Ce n'est point ma
cause, c'est la tienne. Qu ' ai-je à faire, moi, avec ces
grands seigneurs du monde? C'est ta cause, Seigneur. Soutiens-moi,
ô Dieu fidèle. 0 Dieu, ô Dieu, n'entends-tu pas
? Mon Dieu, es-tu mort? Non tu ne peux pas mourir; tu te caches
seulement. Seigneur, où te tiens-tu? Viens, viens, je suis
prêt à y laisser ma vie, comme l'agneau. Car cette
cause est juste ; c'est la tienne, et je ne veux pas me
séparer de toi pour l'Eternité. Que cela soit
décidé en ton nom ; le monde ne pourra pourtant pas
forcer ma conscience, quand même il serait plein de diables.
Et si mon corps doit tomber en ruines, mon âme est à
toi ; elle t'appartient ; elle demeurera à toi
éternellement. Amen. 0 Dieu, soutiens-moi. Amen.
»
Le lendemain soir, à six heures,
l'accusé est introduit à nouveau devant le tribunal.
Les juges sont plus fiévreux que la veille. On donne la
parole au prévenu.
Le moine fait une légère
génuflexion devant l'empereur et devant l'assemblée,
puis il parle. Il ne tremble plus. Il est calme, confiant,
assuré.
« Sérénissime empereur,
illustres princes, gracieux seigneurs ! Si, par ignorance, je ne
donne pas à chacun le titre qui lui appartient, ou si je
manque aux bienséances et aux usages reçus,
pardonnez-le moi, car j'ai vécu dans une cellule de moine,
et non à la cour des princes. J'ai écrit des livres
contre la papauté et les doctrines des papistes, qui, par
leurs enseignements et par leur vie, désolent le monde
chrétien et ruinent les corps et les âmes Si je
rétractais ces livres, je ne ferais qu'affermir la tyrannie
et ouvrir à l'iniquité les portes et les
fenêtres. C'est pourquoi je vous conjure d'apporter une
preuve contre moi, de me convaincre de mon erreur par les
écrits des prophètes et des apôtres.
Dès que j'aurai été con. vaincu, je
rétracterai aussitôt toutes mes erreurs, et je serai
le premier à jeter mes livres au feu. J'ai parlé.
»
La réponse du moine n'est pas du tout
celle que l'on attendait. L'empereur fronce les sourcils. Il a
l'air courroucé. Il délibère avec les
princes.
« Martin, reprend Jean de Eck d'un ton
glacial et sévère, vous avez parlé avec moins
de discrétion qu'il ne seyait à votre personne. A
quoi bon une discussion nouvelle touchant des doctrines que,
depuis plusieurs siècles, les Conciles et l'Eglise ont
condamnées? Sa Majesté Impériale exige de
vous une réponse simple et droite : oui ou non, voulez-vous
défendre tout ce qui est de vous comme étant
conforme à la doctrine catholique et chrétienne, ou
êtes-vous prêt à vous rétracter?
»
Luther répond alors sans
hésiter :
« Puisque Votre Majesté
Impériale et Vos Seigneuries me demandent une
réponse nette, je vais vous la donner, sans cornes et sans
dents : Non. Je suis dominé par les Saintes Ecritures que
j'ai citées, et ma conscience est liée par la Parole
de Dieu. Je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il
est dangereux d'agir contre sa propre conscience. »
L'empereur est hors de lui.
Décidément les choses ne vont pas comme il l'avait
pensé. Ce moine stupide et osé s'entête. On
verra bien qui aura le dernier mot. Assez discuté avec
lui.
« La séance est levée !
» proclame le héraut impérial.
L'agitation est à son comble. Le
tumulte est indescriptible. Au milieu du brouhaha, une voix
s'élève, dominant tous les cris : « Me voici,
je ne puis autrement. Que Dieu me soit en aide! »
C'est la voix de l'accusé Martin
Luther.
Huit jours après, Luther quittait la
ville. On avait essayé de nouvelles et inutiles
négociations. Que servait-il de demeurer à Worms
plus longtemps? Fidèle à la parole donnée,
l'Empereur fit remettre à l'hérétique un
sauf-conduit: il pouvait ainsi rentrer chez lui, sans être
inquiété. dans les vingt et un jours.
L'après-midi du 4 mai, Luther et ses
amis, se rendant à Gotha, ont dépassé
Altenstein. On devise paisiblement. Soudain, dans un endroit
solitaire, des cavaliers armés surgissent des ruines d'une
vieille église. En un instant, la voiture est cernée
de toutes parts. On entraîne Luther dans la forêt
voisine. On le promène en tous sens ; on lui fait perdre
l'orientation. Vers minuit, alors qu'il est rompu de fatigue, une
maison inconnue l'accueille. Les portes se referment sur
lui.
L'ami de Luther, l'Electeur de Saxe, avait
imaginé ce guet-apens. Redoutant le sort
réservé à l'hérétique
obstiné, désormais au ban de l'Empire, il avait
décidé de payer de hardiesse, et de le cacher, pour
un temps, au château de la Wartbourg.