Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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C'EST UN REMPART 

ESQUISSES HISTORIQUES DU TEMPS DE LA RÉFORMATION


III

EN FAMILLE
Martin Luther (III)

 

  • INTRODUCTION
  • COMMENT ON SORT D'UN COUVENT DE FEMMES
  • UN MARIAGE D'UN TYPE INÉDIT
  • A LA DÉCOUVERTE DE LA VRAIE VIE
  • SIX ENFANTS, GRANDES JOIES ET GRANDS SOUCIS
  • DANS LE MARIAGE, IL N'Y A QUE DES CHOSES DIVINES
  • LE BUDGET DU COUVENT NOIR
  • AUX HEURES DOULOUREUSES
  • LE MARIAGE SELON LUTHER
  • LA FIN DU BONHEUR TERRESTRE; BONHEUR ÉTERNEL

     


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    INTRODUCTION (1)

    Un premier mot sur Luther lui-même. Il n'a pas été élevé pour devenir moine ou même simple prêtre, en vue du célibat. Son père voulait qu'il se mariât et lui donnât des petits-enfants. Quand Martin entra au couvent, Hans Luther le père en fut peiné; ce fut avec une satisfaction d'autant plus grande qu'il vint plus tard aux noces de son fils. Au point de vue civil, le père de Luther voulait faire de son dîné un juriste, carrière importante alors ; il s'imposa de lourds sacrifices financiers pour y suffire.

    Nous savons par Luther lui-même que les sévérités paternelles lui firent entrevoir le couvent comme un refuge ; ce n'est donc pas le côté ascétique de la vie monacale qui l'a détourné de la vie civile, c'est une aspiration religieuse. Luther moine n'a pas voulu renier son père ; il a voulu l'avoir pour sa « première messe », choisissant un jour qui convint au vieillard. Celui-ci vint en grommelant, mais enfin il vint, tant il aimait son fils. Pour nous expliquer la peur de mourir sans « préparation » en plein orage et le voeu fait à Sainte Anne, rappelons-nous que Luther, jeune homme pieux. a cru, comme tous les gens pieux de son entourage, faire son salut plus sûrement en entrant au couvent qu'en restant dans le monde. Aussi bien, dès que la lecture de l'Evangile lui a montré que le salut est donné de Dieu complètement et gratuitement en Jésus-Christ Luther a perdu la seule raison religieuse qu'il avait de rester moine. Il dit expressément, d'autre part, qu'il n'était pas sensuel de tempérament et que ce n'est pas pour des motifs vils qu'il a rompu ses voeux. « Ce n'est pas une passion violente que j'ai pour ma femme, mais un coeur loyal. »

    Une fois devenu moine, il n'a pas tardé à voir les souffrances de ses collègues qui avaient un tempérament Plus ardent que lui, et qui ne voulaient pas se laisser aller à la débauche. La pratique du confessionnal, pour les fidèles dont il avait la cure d'âme, lui a révélé peu à peu les misères d'un mauvais mariage, et l'immoralité qui en découle ; il a vu que la doctrine romaine du célibat méritoire est une dépréciation, une condamnation du mariage. Puis il a eu pitié des curés, qui ne font pas de voeux de célibat et y sont condamnés ; il en a connu qui vivaient maritalement, fidèlement, avec une seule femme, au lieu de changer de maîtresses, ou d'en avoir plusieurs à la fois, comme la majorité du clergé le faisait. Puis il a réfléchi à la condition misérable des cadets (ou cadettes) de famille que les parents ou les aînés mettaient au couvent, en leur faisant prononcer des voeux, pour diminuer le nombre des héritiers. Ces claustrations se faisaient très tôt, avant que les malheureux jeunes gens comprissent toute la portée de tels voeux ; et après, c'était trop tard... Luther, d'ailleurs, voyait que, par le système des « dispenses » (très chères, inaccessibles au pauvre monde), les riches pouvaient se libérer, ce qui ruinait la valeur des voeux... et des lois sur les « empêchements ». Alors, à quoi bon?

    Sans parler de toutes sortes d'allusions, en toutes sortes de lettres et d'ouvrages, Luther, dès 1522, écrit un livre sur les Voeux, qu'il déclare inutiles à un salut gratuit, Jésus ayant fait le nécessaire : Il a tout accompli ! Et des voeux, prononcés dans l'ignorance, sont nuls aux yeux de Dieu et des hommes. En 1520 delà, dans son Appel aux nobles, il supplie qu'on ne mette plus les cadets de famille au couvent et (ce qui est encore plus hardi) qu'on aide à « sortir de prison » tous moines et nonnes dont les yeux s'ouvrent. Il favorise donc le mariage régulier de ses amis, moines et prêtres. Il va jusqu'à écrire à l'archevêque de Mayence, qu'il ait à donner le bon exemple, à se marier et à séculariser ses terres, pour devenir un prince laïc, utile à l'Etat. « Si, dit-il, cela vous facilite les choses que je donne l'exemple, je le ferai. » Mais il refuse de se laisser marier par ses amis : «On ne m'imposera personne ! » Toutefois, l'idée fait du chemin dans son esprit. Se sentant peu bien et voulant, en sa personne, honorer l'idée du mariage comme base de la famille, il se demande s'il ne va pas épouser quelque brave fille honnête et pieuse, avant de mourir, pour avoir fait ce qu'il pouvait pour proclamer, par la pratique aussi, le bon droit du mariage des prêtres... « Cela ferait enrager le diable, dit-il, et les anges se réjouiraient. je veux faire ce que j'ai dit aux autres. Il y en a trop qui manquent de courage. je veux faire à mon père cette dernière preuve de soumission. Même si quelqu'un a le don de vivre dans le célibat, qu'il se marie ! pour s'opposer au pape ! Le célibat, ce sont les ruses du diable ... »

    Tel est Luther, le vrai Luther, au moment où nous allons faire la connaissance de Käthe, - Catherine de Bora, la « Lutherin ».

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    COMMENT ON SORT D'UN COUVENT DE FEMMES.

    Le 29 janvier 1499, donc seize ans après Luther, naissait, près de Leipzig, en Saxe grand-ducale, une jeune fille noble, Catherine, fille de Jean de Bora. Elle n'avait que cinq ans lorsque sa mère mourut, et Jean de Bora mit sa fille dans un couvent, comme pensionnaire, elle devait y recevoir la meilleure éducation qu'on eût coutume de donner aux filles. Mais son père, très tôt, se remaria et trouva commode de vouer à la vie monacale cette enfant qui le gênait... Catherine passa ainsi du couvent de Brehna dans celui des Cisterciennes de Nimbschen, près de Grimma, où l'on ne recevait que des filles nobles, gratuitement ; il était dirigé par une parente, et une tante de l'enfant y était nonne. On y recevait une bonne éducation ; plus tard, des nonnes évadées purent devenir institutrices et gagner honorablement leur pain.

    Or, le prieur du couvent des Augustins de Grimma devint luthérien, et quitta les ordres pour diriger l'hôpital de la ville, ce qui le mit en relations avec le couvent des femmes, où il comptait deux parentes. En outre, ce couvent de femmes avait des relations d'affaires avec la ville de Torgau, devenue évangélique. Rien d'étonnant a ce que, par toutes ces voies, les idées de Luther aient pénétré chez les nonnes. Plusieurs, réalisant qu'elles sont entrées là sans en savoir les conséquences, supplient leurs familles de les laisser sortir. C'est en vain . Mais Luther l'apprend, et fait un nouvel appel aux nobles. Le vaillant conseiller Koppe, de Torgau, décide alors de délivrer les recluses. Dans la nuit du 3 au 4 avril 1523, il les fait évader, au nombre de douze, en expédie trois chez des parents en Saxe et, le 7 avril, amène les neuf autres à Wittenberg, chez Luther, tout pauvre que fût celui-ci. Luther les case tant bien que mal chez des amis, écrit aux parents et cherche à placer ou à marier au mieux les rescapées. Son ami Amsdorf, par exemple, destine la soeur du prieur Staupitz au chancelier Spalatin... Luther, voyant l'indignation des gens, écrit une brochure : « Pourquoi les filles ont le droit divin de quitter le cloître » ; « C'est une oeuvre nouvelle à faire ! » Et il déclare publiquement qu'il a aidé Koppe à faire évader les nonnes de Grimma...

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    UN MARIAGE D'UN TYPE INÉDIT.

    Luther place Catherine de Bora chez le secrétaire de la ville, pour qu'elle y apprenne à tenir un ménage. Elle s'y met, la fille noble, a la satisfaction de tous.. Elle apprend à connaître toutes sortes de gens du monde des réformateurs, et devient l'amie du peintre, pharmacien, imprimeur et aubergiste Cranach, qui fera son portrait ; elle est présentée au roi de Danemark qui lui donne une bague, et elle portera cette bague... Mais Luther lui cherche un mari. Il en trouve un, qui se défile; il écrit à ce fils de patriciens, pour qu'il revienne à Catherine... Longtemps après, il le saluera : « ... de la part de votre ancienne flamme, qui vous renouvelle toute son estime.» Après cet effort, il propose un autre fiancé, qui refuse tout de suite... Catherine elle-même, consultée, dit qu'elle prendra le pasteur Amsdorf ou même Luther, s'il le désire. Mais Luther, qui se connaît et s'intitule un « Saxon dur et rustique », hésite, car on dit que cette nonne une noble aux goûts distingués, est hautaine. Il songe à une autre évadée, Eve Schoenfeld, mais c'est Basile Axt, un médecin de Prusse, qui la prend. Toutefois, dès 1525, ,il se décide pour Catherine. Il dit : J'ai eu pitié d'elle. Et il a beaucoup prié avant de faire cette démarche capitale. A quarante-deux ans, on réfléchit! La jeune fille n'en avait que vingt-six. « Prendre femme est vite fait ; mais l'aimer toujours, c'est dur ; c'est un don de Dieu. Qui veut prendre femme doit le faire avec sérieux, en priant le Seigneur ainsi : Seigneur Dieu, si c'est ta volonté que je vive seul, aide-moi ; sinon, trouve-moi une jeune fille pieuse et bonne, avec qui je puisse vivre en l'aimant, et qui m'aime. Ce n'est pas de partager un lit qui le fera ; il faut que tout concorde : les sens, le coeur, les habitudes de toute la vie, à l'unisson ; que l'un trouve bon ce que l'autre fait et soit patient, car tout ne va pas toujours droit devant soi ... »

    En quelques jours, tout est fait. Luther a peur que, s'il publie son intention, ses amis ne lui disent : « Pas celle-ci ! Une autre! » C'est Catherine qu'il doit prendre. Le 13 juin 1525 a lieu le mariage, en présence de quelques collègues et du peintre Cranach. Le 27, il donne un grand dîner, où il a la joie d'avoir ses père et mère, venus de Mansfeld. En les invitant, avec sa parenté et des amis, il avait dit : « je me suis enfin rendu aux voeux de mon cher père. » Il lui avait déjà dédié son livre sur les Voeux, en lui demandant pardon de s'être fait moine... Cette union est encore si extraordinaire que Mélanchthon, marié lui-même depuis cinq ans, mais choqué de voir un moine et une nonne rompre leurs voeux, ne peut se résoudre à venir à la fête. Luther a invité Koppe qui, lui, vient avec conviction au mariage de celle qu'il a délivrée. Luther reçoit des cadeaux de toutes les autorités de Wittenberg et l'on montre encore son bel anneau de mariage, où sont gravés ces mots : « Que l'homme ne sépare point ce que Dieu unit ! »

    Peu de jours après, Luther écrit : « Le fait que le monde se scandalise me prouve que c'est une oeuvre de Dieu. Si l'on m'avait approuvé, je douterais de la légitimité de mon mariage. »

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    A LA DÉCOUVERTE DE LA VRAIE VIE.

    Un an ne s'est pas écoulé qu'il dit : « Grâces à Dieu, Elle m'est obéissante, elle cherche a me faire plaisir plus que je n'osais l'espérer. je ne voudrais pas changer ma pauvreté contre tous les biens de Crésus. » Il dit aussi : « C'est bien étrange de n'être plus seul a table, comme avant et, lorsqu'on se réveille, la nuit, de trouver deux tresses sur l'oreiller où il n'y avait rien... » A elle seule, cette remarque naïve montrerait que Luther, avant son mariage, n'a pas été le débauché et le roué de la légende, qui aurait eu moins d'étonnements ! Il continue : « Ainsi fut-il pour moi avec ma Catherine ; pendant que j'étudiais et qu'elle m'interrompait par des questions étrangères à mon sujet... C'est la grâce la plus grande et le don de Dieu que d'avoir une épouse pieuse, aimable, de maison, avec laquelle tu vis en paix, à qui tu peux confier tout ce qui est à toi, ton corps même et ta vie, et dont tu auras des enfants. Käthe, tu as un mari qui craint Dieu et qui t'aime ; tu es une impératrice ! Je rends grâce à Dieu. Mais, pour cela, il faut une femme pieuse et craignant Dieu ... » Lorsque Cranach eût fait le portrait de Catherine, et qu'on l'eût mis à sa Place, Luther déclara : « je veux faire peindre le mari, et envoyer les deux portraits au concile de Mantoue, avec cette question aux Pères qui y sont rassemblés : « Préférez-vous le mariage ou le célibat des prêtres? » Une autre fois, parlant de Käthe, il dit : « je l'apprécie plus que le royaume de France et la république de Venise. Dieu m'a donné une femme fidèle et, à elle, un tel mari. Je trouve plus de défauts à toutes les autres épouses qu'à la mienne. Dans la fidélité, il y a de quoi triompher de toutes les difficultés entre époux. »

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    SIX ENFANTS, GRANDES JOIES ET GRANDS SOUCIS.

    Luther et Catherine, en leurs vingt et un ans de mariage, ont eu six enfants. Le 7 juin 1526, il écrit : « Par la grande grâce de Dieu, ma Käthe bien-aimée m'a donné un Hans Luther (le nom de son père). Par la grâce miraculeuse de Dieu, je suis devenu père ; qu'il me garde mon bonheur d'époux heureux! » Luther, qui n'a pas voulu inviter au baptême le comte de Mansfeld « pour qu'on ne dise pas que c'est bien du tralala pour ce fils d'un moine et d'une nonne», ne cesse d'en écrire à ses amis, qui doivent savoir ce que l'enfant mange et boit, ses dents, ses premiers pas, ses mots ; il le montre fouillant dans le cabinet de travail, et contribuant de très loin à l'ordre dans le ménage. L'enfant est là, qui chantonne ; s'il fait trop de bruit, Luther gronde un peu ; Hänschen chante plus doucement, avec un regard un peu anxieux : « C'est ainsi que Dieu veut qu'on fasse avec lui, c'est la crainte de Dieu. » Luther espère que ce fils sera théologien (en réalité, il fut un juriste sans éclat).

    Un jour, l'enfant dit « qu'au ciel il y aura de quoi manger et danser, il y aura des ruisseaux de lait et les brioches y croissent sur les arbres. «Et le père de s'extasier sur la foi naïve des enfants. Il ne lui a pas été difficile de prendre le même ton, preuve en soit sa lettre au même petit Hans, dictée du Château de Cobourg en 1530, alors qu'il était dévoré d'inquiétude pendant la diète d'Augsbourg : « Grâce et paix en Christ, mon cher petit enfant. je vois avec plaisir que tu apprends bien et que tu pries avec zèle. Continue ainsi, mon cher fils, et quand je reviendrai 4 la maison, je te rapporterai un joli cadeau de la foire. Je sais un beau et riant jardin, tout plein d'enfants en robes d'or, qui vont jouant sous les arbres avec de belles pommes, des poires, des cerises et des prunes ; ils ont aussi de jolis petits chevaux avec des brides d'or et des Selles d'argent. En passant devant ce jardin, je demandais à l'homme à qui il appartient quels étaient ces enfants. Il me répondit : «Ce sont ceux qui aiment à prier et à apprendre et qui sont pieux. » je lui dis alors : « Cher Monsieur, j'ai aussi un enfant, c'est le petit Hans Luther; ne pourrait-il pas venir aussi dans ce jardin manger de ces belles pommes et de ces belles poires, monter sur ces jolis chevaux, et jouer avec les autres enfants? » L'homme me répondit : « S'il est bien sage, s'il prie et apprend volontiers, il pourra venir, le petit Philippe et le petit Jost (2) avec lui ; ils trouveront ici des fifres, des timbales et autres beaux instruments pour faire de la musique, ils danseront et tireront avec de petites arbalètes. »

    «En parlant ainsi, l'homme me montra, au milieu du jardin, une belle prairie pour danser, où l'on voyait suspendus les fifres, les timbales et les petites arbalètes ; mais il était encore matin et les enfants n'avaient pas dîné, et je ne pouvais attendre que la danse commençât. je dis alors à l'homme : « Cher monsieur, je vais vite écrire à mon cher petit Jean afin qu'il soit bien sage, qu'il prie et qu'il apprenne pour venir aussi dans ce jardin ; mais il a sa tante Lene, pourra-t-il l'emmener avec lui? » L'homme me répondit: « oui, ils pourront venir ensemble, faites-le lui savoir. » Apprends donc bien et prie, cher' petit Hans ; dis à Jost de faire de même et vous viendrez tous ensemble jouer dans ce beau jardin. Je te recommande à notre Dieu tout-puissant ; salue tante Lene et donne-lui un baiser pour moi. Année 1530. Ton cher père ; Martin Luther. »

    Mais un jour que le dit Hans avait été fautif, Luther ne lui adressa pas la parole pendant trois jours, disant : « J'aime mieux un fils mort qu'un fils désobéissant... »

    Le 10 décembre 1527, tôt après une peste très fatigante et dans des craintes bien justifiées, naquit une petite Elisabeth, qui mourut déjà l'année suivante (août 1528). Ce deuil laissa Luther « avec un coeur de femme ». Le 4 mai 1529 vint une seconde fille, Madeleine. « Soyez parrains de la petite païenne qui est issue de nos deux corps, écrit Luther à des amis. Aidez-lui par le baptême à devenir une bonne chrétienne. Elle est le portrait de son frère, la bouche, les yeux, le nez, tout le visage. » Très vite, elle devint sa favorite. Il la questionne sur ce qu'elle croit que le petit Jésus de Noël lui apportera. Et lui, « un vieux Docteur en saintes lettres », il lit avec elle et Hans le catéchisme et la Bible. Il lui demande si elle a envie d'aller au ciel. « Oui, dit l'enfant, car là-haut il y aura assez de pommes, de sucre, de poires et de prunes 1 » Nous verrons plus loin que c'était rare chez Luther, qui a été pauvre... Il ne se doutait pas, alors, que ce départ pour le ciel serait si proche et si douloureux...

    Mais, en attendant, voici le petit Martin, - Martinichen, - du 9 novembre 1531. Très tôt, l'heureux père décide d'en faire un juriste ; et Martin No 2 fit de la théologie... sans, d'ailleurs, arriver au pastorat, car il mourut en cours d'études. Pour l'heure, il accapare tous les soins : «Hans et Madeleine n'ont déjà plus besoin de nous ; le dernier est mon plus cher trésor à cause de cela. C'est ainsi que l'amour des parents grandit. » Luther, à qui l'on donne à tenir l'enfant (qui profite pour se salir sur les genoux paternels), au lieu de se fâcher et dégoûter, ne trouve à dire que ceci : « Voilà, c'est ainsi que le bon Dieu nous supporte, quoique nous grognions et sentions mauvais, parce qu'il nous aime... » Un jour, en tenant Martin, Catherine dit qu'elle ne peut admettre le sacrifice d'Isaac. Luther la prie de considérer que c'est pourtant ce que Dieu a fait pour son Fils Jésus. Mais il ajoute : « Dieu doit être encore plus amical avec moi et me parler avec plus de bienveillance encore que ne le fait ma Catherine avec son petit Martin. Elle et moi, nous serions incapables de crever un oeil ou d'arracher la tête à mon enfant. Combien moins Dieu le ferait-il ! Car Il a un coeur bien meilleur et aimable qu'un père et une mère pour leur enfant, comme Il le dit lui-même en Esaïe (49 : 15) : a Une femme oublierait-elle l'enfant qu'elle allaite? » Et il s'amuse à regarder comment le petit Martin fait une noce de poupées.

    Quand vint Paul, le 29 janvier 1533, Luther jubila

    « C'est plus que ne savent faire les papistes ! J'ai trois royaumes, plus héréditaires que la Hongrie, la Bohême et l'empire romain de Ferdinand ! On fera de ce fils un homme de guerre, un nouvel ennemi du pape et du Turc. Je le nomme d'après saint Paul: que Dieu lui en donne les vertus ! Je laisserai sortir mes fils, selon leur bon plaisir, avec le maréchal von Löser s'ils veulent devenir soldats, avec Justus Jonas et Mélanchthon, s'ils veulent faire des études, ou avec un paysan pour maître ». Et ce Paul est devenu médecin de plusieurs cours princières.

    C'est avec Martin et Paul, déjà grands, qu'à Noël et à Pâques, Luther chantait des hymnes à trois voix. Un jour, il remercie le musicien Weller de l'envoi d'un chant, et dit : « Nous chantons tant bien que mal, après table ; s'il nous arrive de faire quelques couacs, ce n'est pas vous qui en êtes responsable ; c'est notre art, qui est très petit, même après deux ou trois répétitions. » D'autres fois, c'étaient les hôtes du jour qui chantaient avec Luther ; il s'accompagnait de son luth.

    Une dernière enfant, Marguerite (17 décembre 1534), fut mariée plus tard au conseiller de Kunheim, et mourut en 1570, dix-huit ans après sa mère. Son portrait a la même expression sereine et noble d'une fille du noble Luther. On a conservé un mot du père de famille, lors d'une maladie de cette Marguerite, qui avait alors dix ans : « Elle souffre tant, que si Dieu me la reprend, je ne saurais lui en vouloir ; et s'il me reprend aussi, et tous les miens, tant mieux... »

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    DANS LE MARIAGE, IL N'Y A QUE DES CHOSES DIVINES.

    Dans un tel mariage, Luther et Catherine ont appris la vie. Après la naissance de son premier-né, l'heureuse femme fait dire à leur ami commun, le chancelier, « qu'elle lui souhaite bien vite un petit Spalatin, pour qu'il apprenne comme elle ce qu'est le fruit et la joie du mariage, dont le pape et le monde ne sont pas dignes». Spalatin s'était marié peu après Luther, au grand scandale des gens de l'ancien régime, et à la joie du Couvent noir. « Il est impossible, dit Luther, de régler d'avance tous les cas. Un chacun chrétien apprend par expérience qu'il n'est qu'un sot, et que Dieu seul est sage... » Et cette expérience, loin de l'humilier, l'a rempli de bonheur ! Il sait maintenant ce que coûte chaque naissance : « Il n'y a pas de plus grandes souffrances, sinon celles de Dieu, pour nos péchés. » «Quand je rentre en moi-même, je rends grâces à Dieu de l'expérience du mariage, si je le compare à la vie solitaire et aux vices du papisme. » Il découvre que sa paternité honore le grand-père et la grand'mère de ses enfants. « Ah! quelle grande, riche, magnifique bénédiction de Dieu dans le mariage !

    Quelle joie pour un homme d'avoir des descendants, qui porteront son nom et seront comptés après lui ! Mes enfants m'honorent comme j'ai honoré mes parents. Je loue la vie conjugale fidèle de mes parents : pourquoi ne pas louer la mienne? Peut-on honorer en eux ce que nous devrions mépriser en nous? En considérant nos frères, nos soeurs, nos amis, nous voyons que, dans le mariage, il n'y a que des choses divines. Mon père a été pieux, et tous les patriarches et les prophètes. » A la mort de son père, il dit : « Il est juste que je le pleure, car c'est par lui que le Père des miséricordes m'a créé, par ses sueurs que j'ai eu de quoi manger et que je suis devenu ce que je suis. je me réjouis qu'il ait connu les temps nouveaux et vu la lumière de la vérité. Loué soit Dieu dans toutes ses oeuvres, éternellement! » La vie journalière avec ses enfants lui ouvre la compréhension de la vie de Jésus enfant, chez Joseph et Marie. Elle lui fait dire des mots profonds. Un jour qu'on a serré l'enfant trop fort dans son lange et qu'il crie, Luther fait : « Crie seulement et te débats! Le pape aussi m'a voulu ligoter, mais je me suis libéré de ses entraves ! Pourquoi je t'aime tant? Est-ce que tu l'as mérité par tes services, que tu sois cohéritier de tous mes biens? Et, avec cela, tu veux avoir raison, et tu remplis la maison de tes cris. »

    Un jour, il croise la bonne qui porte un des petits ; il l'arrête, bénit l'enfant et dit : « Va, deviens un homme pieux. je ne te laisserai point d'argent, mais un Dieu riche en moyens. Il ne t'abandonnera pas ; sois pieux. » Et il fait souvent cette prière: « Père céleste, tu m'as mis en charge en tes emplois ; tu veux aussi que je sois père de famille. Donne-moi ta grâce, bénis-moi, que je gouverne et entretienne divinement et chrétiennement ma bien-aimée épouse, mes enfants et mes domestiques. Donne-moi sagesse et force pour les bien gouverner et élever. Donne-leur un coeur bon, une volonté bonne, pour qu'ils suivent ta doctrine et t'obéissent. Amen. » C'est ainsi qu'il a toujours tâché d'avoir, comme il dit, « la pomme près du bâton », et qu'il a évité pour ses enfants les rigueurs de sa propre éducation. Quand il est en voyage, il aime à recevoir des lettres des petits, et il profite pour en réclamer de leur mère. « Après la quatrième de moi, daignera-t-elle répondre? » Et il a signé : « Ton bon ami. » Quand c'est elle qui s'absente, il dit : « Mais écris donc!»

    Quelques difficultés lui sont venues de la différence de caractères des époux. Il avait seize ans de plus que sa femme... Aussi bien, recommandera-t-il qu'on se marie, si Possible, entre contemporains, sinon « il faut des gens exceptionnels pour que ça tienne »! Catherine a eu de la peine à lui parler à table et même dans l'intimité autrement que par un : « Herr Doktor», tandis que lui, plus tendre, disait d'elle : «Meine Käthe. » Mais, comme elle avait l'esprit vif et la répartie aisée, il lui est arrivé, à table, d'interrompre le Docteur, de dire son mot, et parfois le dernier mot... Luther ne se faisait pas faute de dire que « tel mari, dans ce cas, donnerait un soufflet sonore ». Mais il n'a pas donné le soufflet... De la part d'un mari du 16e siècle, c'était méritoire, et ce trait, qui est rude, doit, au lieu de nous rebuter, rendre la scène sympathique. Il nous suffit d'ailleurs qu'il soit vrai ; nous ne faisons pas l'esquisse d'un saint a auréole. Un jour, il lui est échappé ce mot : «Si je devais me remarier, je me ferais tailler en pierre une femme obéissante ; j'en viens à douter de leur capacité d'obéir! » Et, à un pensionnaire anglais, il recommande la conversation avec Catherine, car « elle a la langue mieux pendue que moi ».

    Or cela était dit à table, en présence de la maîtresse de maison. Il est probable que Catherine a senti la pointe avec moins d'acuité qu'une dame d'aujourd'hui, sans compter que les maris d'aujourd'hui ne parlent plus ainsi... Un jour que Catherine avait fait un long discours,

    Luther lui crie : « As-tu dit un Pater avant de parler? Les femmes prêchent toujours avant d'avoir dit un Pater ! - (Et les hommes?) - Si Dieu devait exaucer toutes leurs demandes, Il leur défendrait de parler. » Un jour, spécialement agacé, Luther a fait un détestable jeu de mots sur son « Kettenhund » - Käthe, qui le surveille de trop près... Quand il était de meilleure humeur, il lui écrivait : « Mon cher Docteur Käthe» ou, en latin, Dominus meus Kaetha, ou encore « à sa très sainte Frau Doktorin « ... à sa prudente Doctoresse. » Tout cela n'a pas empêche Catherine, la fine mouche, de déjouer mainte embûche dans laquelle Luther, naïf et sans malice, serait tombé sans elle ; on disait qu'elle lui « faisait ses sermons » et on la surnommait : « la lampe privée» de Luther, trop clairvoyante au gré de quelques-uns...

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    LE BUDGET DU COUVENT NOIR.

    D'ailleurs, il fallait une maîtresse de maison hors ligne pour mener à bien un train comme celui du « Couvent noir », la vaste demeure délabrée des Moines Augustins, que l'Electeur de Saxe avait donnée à Luther. Qu'on en juge. Sans doute, Catherine a eu l'aide de cette tante Lene, l'ancienne nonne du couvent de Nimbschen; mais enfin, c'est Catherine qui doit pourvoir à tout. Sans doute encore, Luther a des servantes et des domestiques hommes, de fidèles serviteurs : on ferait un chapitre sur ce point ; il y a une lettre de Luther, au nom des oiseaux du jardin, auxquels le brave Wolf tend des pièges... Mais il faut compter de qui se composait cette maison. Il y a les époux, la tante Lene, les enfants ; deux nièces, une petite-nièce, avec des caractères difficiles ; il vient des neveux ; il y a les précepteurs des enfants ; il y a des hôtes de passage, qui veulent voir Luther ; il y a les moines et les nonnes fuyant leurs prisons et venant chercher asile chez celui qui leur a donne l'exemple ; un jour, arrivent sept personnes à la fois à l'heure du dîner.

    Lors de la peste, Luther recueille toute la famille de Bugenhagen, celle de Rörer ; Stiffel, chasse d'Autriche, trouve un refuge au Couvent noir. Un collègue, Münster, étant malade, Luther prend chez lui ses enfants. Le duc d'Anhalt manifestant le désir d'aller loger chez Luther, on lui dit qu'il n'y a plus de place. Luther promet asile à tel quémandeur « dès que possible ».

    Veut-on savoir avec quoi Luther et Catherine ont nourri tant de monde si longtemps? Ils ont pour logis gratuit le Couvent noir ; mais les tuiles, les vitres, les réparations coûtent gros. Ils ont un jardin, un vivier, puis une maison de campagne ; on leur donne des vivres en nature : le roi de Danemark a, longtemps, pourvu Luther de harengs et de beurre... (Luther, d'une sobriété rare à l'ordinaire, s'est, des jours de suite, contenté d'un hareng par jour et d'une carotte crue prise au jardin ... ) Mais ces arrivages subissaient des éclipses, et Luther demande un jour si, maintenant, la Mer du Nord est à sec, qu 'on ne voie plus de poisson... Cela ne l'empêche pas, en temps de famine, d'acheter du grain fort cher, pour en distribuer aux pauvres. Lors d'un impôt de guerre (contre les Turcs), il veut donner sa pite, «pour aider aux riches à payer »! Catherine est d'accord. Là où elle renite, c'est quand Luther croit le boniment des mendiants... et qu'elle lui montre les comptes du ménage. Luther alors réalise ce que vaut sa femme et, toujours naïf, il prend une part de cette gloire en disant : « Un mari et une femme pauvres sont des héros. Käthe n'a pas sa pareille. » Et il fait ce quatrain :

    Beaucoup d'objets entrent à mon foyer.
    Si tu te mets, hélas, à tout compter,
    Il s'en échappe encore plus d'écus
    Que ma maison n'en aura jamais vus...

    Se doute-t-on que ses cours à l'Université étaient gratuits? Au moment de se marier, il songea à demander une finance d'inscription, mais ne le fit pas. De ses livres, il n'a pas tiré un sou, pour qu'ils fussent vendus à bas prix au peuple. Aussi, des amis lui donnent-ils du drap pour un habit et, lors de « tombées » spéciales, de noces à faire dans sa famille, demande-t-il sans rougir un quartier de venaison et un tonnelet de quelque crû. Si le vivier rapporte, tous en rendent grâce, et Luther dit : « C'est bien pour qu'on les mange que Dieu a fait truites et brochets ! Käthe, te voila contente ; tu en as plus de joie que maint noble qui en est riche à foison ! » Et Catherine retourne à sa houblonnière, a ses ruches et a ses poules. En attendant, Luther dit : « Je ne compte plus, il en aurais du noir. » Mais les papistes italiens enrageaient de savoir « incorruptible... cette bête allemande ». Pour clore ce sujet par un trait pittoresque, j'aime à penser aux joies que des hôtes faisaient aux enfants en apportant, qui, cent oranges, qui des pêches, qui une branche de cerises... Catherine a si bien manoeuvré qu'elle a pu acquérir à Züllsdorf une petite ferme, et même, ô luxe! elle a fait orner de belles sculptures un portail du Couvent noir. De cette maison de campagne vient le nom de « Gracieuse Dame » ou « Seigneur de Züllsdorf », qu'on trouve dans mainte lettre de Luther à Catherine. Il l'appelle ailleurs : Madame la marchande du Saumarkt - du nom de la place de Wittemberg où elle allait, comme une fermière, vendre quelques légumes pour se faire un petit argent...

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    AUX HEURES DOULOUREUSES.

    Mais il y eut des jours sévères pour le père de famille ; les papistes ne se servent-ils pas de cet argument pour justifier le célibat des prêtres? Et pourtant, Luther a tiré profit des épreuves partagées. Catherine a été malade à la mort ; mais il a vu qu'elle avait une paix complète, ignorant les angoisses, à cause de la mort salutaire du Christ. Une fois, chez lui, des maux d'oreilles terribles le mirent en agonie. Il dit à Catherine : « Toi que j'aime plus que tout, si Dieu me rappelle, accepte. Tu es mon épouse ; c'est une chose certaine. Laisse le monde impie dire ce qu'il veut... OÙ est mon petit Hans? » On le lui apporte, souriant a son père : « 0 mon pauvre enfançon ! je remets ma très chère Käthe et l'orphelin à un Dieu bon que j'aime. » A Smalkalde, il eut une telle crise de gravelle qu'il pensa mourir. « Ah ! dit-il plus tard, quel désir j'avais alors d'être près des miens ! je croyais ne plus revoir ma femme et mes enfants. Qu'une telle séparation faisait mal 1 Maintenant que me voilà guéri, par, la grâce de Dieu, je les aime encore plus qu'avant, femme et enfants. »

    Il a perdu lui-même père et mère (1530-1531) sans pouvoir les entourer de ses soins. Catherine les a pressés de venir de Mansfeld a Wittemberg pour se faire dorloter au Couvent noir. Ils étaient trop vieux, ils ne purent se résoudre au voyage, et Luther ne les a pas revus. Il leur avait écrit : « Käthe et les petits prient pour vous : ils pleurent et disent : Grand'maman est bien malade! »

    Vint la maladie d'un des enfants, qui pleurait si fort qu'on ne pouvait l'apaiser. Luther et Catherine restèrent une heure ensemble, impuissants et tristes. Enfin, il dit : «Voilà les afflictions du mariage, dont tant de gens s'effraient ; ils ne veulent pas se lier. On a peur du caractère bizarre des femmes, des cris des enfants, des dépenses, des mauvais voisins. On veut vivre comme des messieurs, libres, et faire ce qu'on veut, dans la paresse et la débauche. Mais les Pères de l'Eglise, qui ont voulu éviter une goutte d'amertume, se sont jetés dans un océan de désirs brûlants... »

    Le comble de la douleur fut, pour Luther, la mort de sa petite Madeleine, quatre ans avant la sienne. Elle avait treize ans. L'enfant, bien malade, qui aimait son aîné alors en vacances, était sûre que, s'il revenait, elle guérirait : Luther écrit pour qu'il revienne : « Mais ne dites pas qu'elle est condamnée. Je le fais venir pour ne pas avoir de remords. Dites qu'un mystère l'attend, et qu'il se hâte. » Hans arrive, mais le déclin s'accentue. Luther prie près du lit : « Tu sais que je l'aime, ô Dieu, mais, si c'est ta volonté, je veux qu'elle soit auprès de Toi. » A l'enfant, il dit : « Petite Madeleine, tu resterais près de ton papa, et tu vas volontiers au Père céleste? - Oui, papa, comme Dieu voudra. » Et le mari cherche à consoler sa femme qui pleure: « Regarde, je t'en prie, ou elle va! » Elle rêve que deux beaux jeunes hommes viennent chercher l'enfant pour des noces, et Mélanchthon devine que la fillette va mourir. Elle s'endormit dans les bras de Luther. On la mit au cercueil (qu'on avait fait d'abord trop court et trop étroit) et il dit : « Petite Madeleine, tu ressusciteras et brilleras comme les étoiles. Elle est bien, pourquoi suis-je si triste?... J'ai envoyé au ciel une sainte, une sainte qui vit... Dans les mille dernières années, pas un évêque n'a eu des dons comme ceux que Dieu m'a faits ; je lui en rends grâces trop peu, et ne chante que rarement une hymne de reconnaissance... »

    Au convoi, Luther dit : « Oh ! que j'aie une telle mort ! C'est la seconde enfant qu'il me faut donner... » A la pelletée de terre, il dit : « C'est la résurrection des corps » ; et au retour : « Nous savons qu'il doit en être ainsi ; je ne la ramènerais pas pour tout l'empire des Turcs. Elle est bien. Heureux les morts qui meurent au Seigneur. Les enfants ne discutent pas ; chez eux, tout est simple. Ils meurent sans angoisse, sans agonie, comme lorsqu'on s'endort... »

    Et c'est lui qui fit l'épitaphe pour son enfant. La beauté du visage de cette Madeleine Luther, peint par Cranach, serait à elle seule la réfutation des calomnies sur les instincts bestiaux que les ultramontains imputent au Réformateur. Une âme aussi pure ne peut être née que d'un homme chaste dans toutes ses pensées.

    Pendant ces tristes jours, le fils aîné était en pension à Torgau. Catherine lui décrivit cette mort en termes si lourds d'affliction que le jeune homme en fut très affecté et tomba malade. Luther alors le supplia de porter virilement ce deuil « et de ne pas demander a revenir a la maison pour ça ... ». Il se raidissait contre sa propre douleur.

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    LE MARIAGE SELON LUTHER.

    Il est temps d'en venir à la doctrine de Luther sur le mariage. Avant déjà de le connaître, Luther l'a loué comme une oeuvre divine. Combien plus, une fois qu'il y est entre! « Quelle grande chose, dit-il, que d'aimer une épouse et des enfants! Mais seuls un homme pieux et une femme pieuse peuvent aimer conjoint et enfants. Une épouse et des enfants sont le signe d'un homme pieux. » Un jour qu'on parlait de cas d'adultère, Catherine, âme noble et pure, s'écria : « Cher Maître, comment les gens peuvent-ils être si mauvais et se souiller ainsi? » « Ah! dit Luther, c'est qu'ils ne prient plus; alors le diable travaille. Nous voulons prier contre le désordre et la luxure : 0 Dieu, ne nous fais pas venir en tentation, mais délivre-nous du mal 1 »

    Une de ses maximes favorites est que l'état de mariage est chaste. «C'est la vie la plus douce et la plus aimable; elle est bien plus chaste que le célibat et la solitude. Fidélité, enfantement, voilà ce qui est divin, et ce qui dure ; c'est un état de bonheur. Jésus, qui est le plus chaste, a bien parlé du mariage, quand il a dit : « Que l'homme ne sépare point ce que Dieu unit. » En quoi le mariage serait-il vil? Dieu a-t-il créé quelque chose de vil? Dans sa grâce, avant qu'arrive le jugement dernier, Dieu a réinstitué le mariage. Nous sommes dans un temps où le mariage est remis en honneur. Ce n'est plus comme sous les papes, où l'on n'avait que le code, où l'on mariait les gens et les séparait de force. Il faut s'en tenir aux consciences et à l'avis des gens pieux. Il faut pouvoir mener une vie de citoyen, au vu de tous. Ils ont vécu dans des coins, et ils y ont mal vécu. Il faut mener une vie honorable devant Dieu et devant les hommes. Le célibat n'est bon qu'en attendant le mariage. La chasteté englobe jeunes filles, veuves, épouses, selon le mot de l'épître aux Hébreux : Le lit conjugal est sans souillure.

    Trois états sont de Dieu: Mariage, Cité, Eglise; on y peut vivre avec Dieu et en bonne conscience. »

    Il a eu d'autres idées encore ; il s'est élevé contre les mariages d'argent faits pour augmenter les fortunes : « Si c'est une belle, une riche que tu veux, fais-t'en peindre une, avec la peau blanche et les joues rouges ; seulement, elles cuisinent mal et prient peu. » Il déconseille d'épouser une veuve ayant des enfants : «Si les nouveaux conjoints sont pieux, passe encore, mais où sont-ils?» Il fait un devoir aux parents de chercher femme ou mari pour leurs fils et leurs filles. Il s'élève contre les trop longues fiançailles. Avant qu'on se prononce sur la question, on se rappellera que lui-même n'a pas eu du tout de période de fiançailles. Mais il en devinait le caractère à part. Un jour, au Couvent noir, il arrive dans une salle où sa nièce et Maître Ambroise Berndt, déjà « promis », échangeaient des propos mystérieux. Il les laisse et dit, avec un bon sourire : « C'est curieux que des fiancés aient tant a se dire et ne s'en fatiguent point ; mais il ne faut pas les houspiller ; ils ont des privilèges qui les libèrent de tous les usages ! » Il écrit contre les fiançailles conclues à l'insu des parents ou contre leur gré. « Si cela arrivait a une de mes filles, disait-il, Dieu dissoudrait ses promesses ! » « Le pouvoir paternel est divin, tout comme celui des magistrats. » C'est dans l'intérêt de l'amour au sens chrétien : « pour le monde, c'est le bonheur qui est Dieu ; quand ils disent que c'est Dieu qui les unit, c'est de la passion et de la folie de l'amour qu'il s'agit.» En revanche, il exhorte un jeune homme honorable qui, en tout bien, tout honneur, a gagné l'affection d'une jeune fille pieuse, à venir vers ses parents et à leur dire : Avec votre permission, je voudrais l'épouser, mais pas sans cela. » je ne dis pas cela pour encourager les parents à empêcher le mariage honorable de leurs enfants ! » Et il a menacé du bâton sa nièce qui courait les aventures. Il veut « écrire rudement » aux parents d'une jeune fille qui s'est mariée secrètement. «Attendez d'être majeurs, mariez-vous avec le conseil de Dieu et d'accord avec vos parents ! » Et Luther veut qu'on épouse, quand on a mis une fille à mal : « Tu n'es pas allé vers elle pour prier, tu lui as pris sa réputation. Si tu n'épouses pas, gare à ta conscience, c'est un ver rongeur. »

    Luther parfois a dû exhorter Catherine, harassée de devoirs, à lire plus assidûment sa Bible. Il écrit par exemple, a Justus Jonas : « Mon Seigneur Käthe mène les voitures, gouverne les champs, garde les vaches (à Züllsdorf !) et vend des légumes. Entre deux, elle a entrepris la lecture de la Bible, vu que je lui ai promis cinquante écus en octobre si elle l'achève avant Pâques. Il faut voir ce zèle ; elle en est au Deutéronome. » Mais elle savait assez la substance et la vertu de la Bible pour la citer à son mari. Lui, l'ancien clerc, a trouvé dans le mariage avec une femme pieuse le réconfort religieux le plus certain : « Souvent, dit-il, je fus en épreuves et en angoisse alors Maître Philippe (Mélanchthon) ou le Dr Bommer, ou ma femme m'ont console par la parole de Dieu, et j'ai senti que Dieu me parlait, et que mes amis et ma femme lui obéissaient en me parlant. » Telle était leur intimité et le fond de leur bonheur.

    Luther a blâmé son penchant aux soucis, mais il savait que l'amour les faisait naître. Il a dit : « je prie Dieu qu'il ne laisse pas ma femme et mes enfants me sur. vivre longtemps; ce seront des temps mauvais ; je ne croyais pas le monde si méchant»

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    LA FIN DU BONHEUR TERRESTRE; BONHEUR ÉTERNEL

    Catherine, lors du dernier voyage de son mari, n'a pas cessé d'avoir des pressentiments de mort. Il lui écrivait tous les jours, ses succès et ses revers... Elle avait avec lui voulu qu'il fût accompagné par ses fils Paul et Martin. Mais on n'a recueilli de lui aucune parole spécialement consacrée à Catherine et à ses enfants ; ses dernières pensées ont été pour l'Evangile et pour le salut gratuit, certain, de son âme. Mais voici ce que la veuve a écrit de Wittemberg peu de jours après l'arrivée de la dépouille mortelle de son mari : « je vous crois, quand vous me dites avoir pitié de moi et de mes enfants. Qui ne porterait le deuil d'un homme aussi cher, que le fût mon maître bien-aimé ! Il a servi non seulement une ville ou un pays, mais le monde entier. Mais je suis si triste que je ne puis confier ma peine à personne ; je ne sais où j'en suis ; je ne peux ni manger, ni boire, ni dormir. Ce ne serait rien d'avoir eu quelque principauté ou empire et les perdre, en comparaison de ce que notre Seigneur a pris à moi et au monde, en ce cher et précieux époux. Quand je me laisse aller à y songer, les larmes m'empêchent de parler et d'écrire. » Il lui fallut porter ce deuil pendant six ans encore, et dans une grande pauvreté, jusqu'à sa mort à Torgau. Elle avait partagé et facilité la vie d'un héros, et le bonheur qu'elle lui donna par sa tendresse fidèle et par ses six enfants se retrouve pour les initiés dans chaque livre et lettre que Luther écrivit depuis son mariage. Dans son dernier testament, daté de quelques semaines avant sa mort, il dit : « je témoigne que ma femme a été toujours une épouse pieuse, fidèle, honorable, et qu'elle m'a aimé, soigné en beauté ; qu'elle m'a donné et qu'elle a élevé six enfants. Puissent ceux d'entre eux qui vivent l'honorer et lui obéir, comme Dieu veut. Celle qui les porta sous son coeur sera leur meilleure tutrice. je ne veux pas prescrire à Dieu ce qu'il doit faire et décider ici qu'elle ne doit pas se remarier. Si elle est dans cette nécessité, je sais qu'elle sera bonne pour nos enfants.»

    On doit à Catherine l'honneur sans mélange, et à eux deux celui d'avoir fondé le foyer évangélique, que des siècles ignorants et coupables avaient détruit dans l'Eglise et dans le peuple du monde entier. Luther à eu conscience en restaurant le mariage de créer un état de choses nouveau, et ses dernières volontés à cet égard sont formelles :

    « Je prie, qu'après ma mort on tienne le plus rigoureusement à la liberté du mariage pour laïcs et prêtres, pour quiconque en a envie, en sorte que la mômerie ne revienne plus jamais. » Dans le mariage, il a vu l'enfant. C'est pourquoi il a pu dire que le mariage est chaste. Deux ans avant sa mort, on l'a entendu qui disait : « je peux mourir, car j'ai vu ce qu'il y a de plus beau sur la terre », par quoi il entendait la création, le maintien et la durée éternelle du foyer chrétien.

    La restauration de la famille, par le mariage d'amour, d'un seul homme avec, une seule femme, leur vie durant, dans la foi et au service de la foi ; et, par la famille, la restauration de la société, ne se fera jamais autrement que ne le firent, dans leur inexpérience initiale, mais avec droiture, Luther, l'ancien moine loyal, et Catherine, la nonne pure et digne qu'il aima, et qui lui donna six enfants, devant Dieu, dans la joie et la vérité de la vie chrétienne. M.-S.



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1 Voir la préface du volume qui renseigne sur l'origine de ce travail.

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2 Les fils de Mélanchthon et de Justus Jonas.

 

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