Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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C'EST UN REMPART 

ESQUISSES HISTORIQUES DU TEMPS DE LA RÉFORMATION


VI

UNE VIE BOURGEOISE
Jean-Sébastien Bach. (1)

 

  • NOTES HISTORIQUES

     


    On entend un pas dans l'escalier : « Dépêche-toi, dit la mère, c'est le père qui rentre. » Et Jean-Gottfried-Bernard s'efforce d'achever sa page.

    Dehors, dans la cour, les élèves de l'école Saint-Thomas courent et hurlent ; d'une fenêtre de l'aile droite, le recteur Ernesti les semonce. On reconnaît la voix du grand Müller qui répond : «Hé! le vieux! »

    Le père est entré ; il ôte sa houppelande de cérémonie. Il se plaint de la dureté des temps. Il n'a pas à Leipzig les avantages qu'il croyait y trouver, et pour lesquels il a quitté Cöthen cinq ans auparavant. La vie est chère dans la ville. En Thuringe, on va plus loin avec quatre cents thalers, qu'ici avec le double. Et puis si l'année continue comme elle a commencé, le casuel (2) ne rapportera pas lourd ; voilà le premier enterrement de l'hiver, et l'on est en février.

    -Oui, l'air est sain, cette année, répond Anne-Madeleine.

    Le père accroche sa houppelande au mur. Il remarque que l'humidité continue à endommager la paroi. Il se plaint que sept cents thalers et un logement comme celui-là, qu'il faut réparer à ses frais, ne permettent guère d'élever une famille honorablement. Il mentionne les six enfants vivants et les trois que le Seigneur a repris tout petits. Il observe que Catherine-Dorothée ne se marie pas ; il note que Friedmann va entrer à l'université ; que Philippe-Emmanuel et Gottfried-Bernard ont bien des années d'études devant eux.

    - Catherine m'aide au ménage, dit Anne-Madeleine.

    Le père enlève ses bottes, et déplore de n'être pas soutenu par le conseil municipal. Preuve en soit l'affaire Garner ; témoin l'affaire Gaudliz. Et preuve en soit que ce maladroit de Garner dirige encore la musique à l'église Saint-Paul et touche l'indemnité allouée par l'université. Un organiste qui eût mieux fait de se faire cordonnier.

    Et le père se demande avec quel argent il fera réparer sa perruque, et ce qu'on fera de Gottfried-Heinrich, qui n'apprendra seulement jamais à lire.

    - A la garde de Dieu, dit Anne-Madeleine, le Seigneur n'abandonne pas les simples.

    Et le père ajoute que son titre de chantre n'impose guère à ces messieurs. A Cöthen il était maître de la chapelle du prince ; il l'est encore, en fait, ainsi que de la cour de Weissenfels. Mais ces titres semblent ne lui valoir aucune considération de la part du Conseil, ni du Consistoire, ni du recteur, ni de ses collègues. Il faudrait pouvoir y ajouter celui de compositeur du roi de Pologne. La protection d'Auguste III saurait peut-être compenser la diminution des revenus accidentels. Les mariages, les baptêmes, les enterrements et les fêtes ne rapportent plus. On a retiré les fonds destinés à assurer le concours des étudiants dans les concerts.

    Anne-Madeleine ne répond rien ; elle se dit que le Seigneur y a pourvu jusqu'ici; et que son mari le sait bien.

    Mais Jean-Sébastien exprime l'ennui que lui donnent les leçons de latin, l'indiscipline des élèves et leur nullité. Il a lancé sa perruque dans la figure de Krause ; et Krause menace de se plaindre au recteur. Mais surtout les élèves ne sont pas musiciens ; plusieurs chantent comme les chiens aboient. Ceux qui ont une bonne voix l'abîment en chantant dans les rues, l'hiver, pour mendier. Puis ils boivent et hurlent dans les auberges. Les conséquences en sont déjà visibles pour tout le monde, et le Conseil en a fait la remarque ; l'exécution des Cantates et des Motets, baisse de dimanche en dimanche. A Saint-Pierre, on envoie le rebut des élèves, ceux qui n'entendent rien à la musique et savent à peine chanter le choral. Au Temple Neuf on n'en envoie que huit. A Saint-Thomas et à 'Saint-Nicolas, il ne s'en trouve pas même quatre pour chaque partie. Les instrumentistes sont à l'avenant ; il en faudrait vingt, on en a huit. Cependant la musique devient toujours plus difficile, le public toujours plus exigeant. Il faut que nos musiciens sachent déchiffrer tout ce qui vient d'Italie, de France, d'Angleterre ou de Pologne.

    Anne-Madeleine demande combien on aura de chanteurs pour exécuter la Passion de Vendredi Saint.

    Bach répond qu'il y en a douze pour chacun des deux choeurs ; peut-être en trouvera-t-on quatre de plus par choeur, dix-huit en comptant les solistes, puisque ce sont les meilleurs choristes qui chantent les soli.

    Le père s'est approché de la grande table de famille. Des feuilles de papier de musique y sont soigneusement entassées à côté des bouteilles d'encre rouge et noire et des plumes taillées. Des cahiers sont ouverts et des pages commencées. Et Gottfried-Bernard, qui a fini sa copie, attend sans bouger la surprise du père.

    Gottfried-Bernard a treize ans. Et comme l'a fait Friedmann, comme plus tard Emmanuel, Gottfried-Bernard veut pouvoir offrir à treize ans sa première belle copie au père. Anne-Madeleine a dessiné les clefs et les en-têtes, elle a guidé l'enfant, et Bernard a écrit les notes et les paroles. C'est la partie de ténor de la cantate : Jésus prit les douze avec lui. Les notes sont un peu raides, et quelquefois les mots montent et descendent. C'est cette cantate que le père a composée il y a six ans, et qu'on va chanter dimanche encore une fois.

    Le front soucieux de Jean-Sébastien s'est éclairé de contentement ; les sourcils se sont relevés, les grosses narines se dilatent. Le père a embrassé l'enfant ; il a embrassé la mère. Il a oublié les ennuis, les injustices, les absurdités irritantes. Il dit les avoir oubliées. Une âme sereine, confiante et libre se fait jour au travers de son caractère obstiné et de son esprit têtu. Et ses petits yeux reflètent une vie où les thalers, les livres et les sous sont choses de rien.

    Telle la vie d'un honnête bourgeois, toujours. Des tracas, des disputes, des peines ; les joies de la famille, du travail ; et beaucoup de bruit de sous.

    Puis il s'est assis à la même table, à côte d'Anne-Madeleine qui a tant copié la musique de son mari qu'on ne distingue plus leurs écritures. Il va reprendre au point où il l'a laissée, la partition définitive de cette Passion selon saint Matthieu qu'on exécutera le Vendredi Saint.

    Il a écrit le texte de l'Evangile à l'encre rouge, pour le distinguer des paroles de chorals et d'airs lyriques. Les lignes sont tracées à la règle. Tout est propre et soigné. Et les paroles des airs disent parfois des choses naïves et rêveuses comme l'Allemand seul ose les exprimer : Que des fleuves de larmes coulent de mes yeux sur sa tête. Que les gouttes de mes larmes te soient une nourriture agréable. Saigne seulement, cher coeur.

    Pour ces paroles, il a écrit une musique savante, comme celle de Schütz, de Buxtehude et de Jean-Christophe Bach, dont il a copié les cantates et les Passions. Il a écrit une musique pour laquelle il a mis à profit les expériences de ses devanciers. Il a abandonné l'ancienne forme de Passion qui n'avait que des chorals et des Paroles de l'Evangile ; il a accordé au goût moderne des morceaux lyriques et des airs à l'italienne. Il a arrêté lui-même les formes de son oeuvre. Il a donné le récit des chapitres vingt-six et vingt-sept de Matthieu à un ténor. A la basse, les paroles de Jésus. Il a choisi lui-même les versets de choral et les a admirablement adaptés au texte sacré. Il a commandé au maladroit Picander des paroles pour les airs lyriques. Il a fait une oeuvre qui a ses défaillances, comme sa volonté a ses faiblesses. Une partition ou se sont glissées des erreurs comme des péchés se sont glissés dans sa vie.

    Qui jugera des uns et des autres.

    Il trempe sa plume et va se mettre au travail. Il feuillette les pages achevées, où, dans le grand choeur du début, les foules gémissent, les voix des hommes et les voix des choses se lamentent ; les. filles de Sion, les fils de l'Eglise et les éléments ne savent plus que pleurer et déplorer ; dans l'ombre funèbre, des êtres navrés s'appellent. Seule, la crudité d'une vision sanglante perce pour un instant la nuit. On monte au Calvaire, brisé, sur ses genoux.

    Où, dans des récitatifs simples comme l'Evangile, les paroles du Sauveur s'auréolent des accords aériens des violons.

    Où, dans des choeurs rapides et bruyants, les hommes méchants et les disciples sans intelligence étalent leur obtusité.

    Où, dans des cris pénétrants, les instruments se marient aux voix pour commenter plus intensément les sentiments du fidèle.

    Et maintenant il reprend sa copie. C'est le récit de la sainte Cène. Un simple récitatif de basse, soutenu par les instruments de l'orchestre. La parole sereine de l'âme la plus forte et la plus tendre. Une musique qui monte toujours, qui s'élance sans effort, qui plane sur des ailes immobiles. Un rythme large; les pas d'un Dieu qui s'avance. Des flots de lumière qui tombent. La force communicative de l'amour. On entend la germination puissante de milliers de grains tombés en terre ; on voit jaillir les fleuves d'eau vive. Toute l'énergie calme et rayonnante du sacrifice. Cette page qui tient tête a toute l'oeuvre immense et qui exprime les sentiments du Fils de, Dieu sur sa propre mort ; la Passion d'après Jésus-Christ.

    Cette page, il la copie maintenant ; il en écrit les paroles, à l'encre rouge. Il l'a composée sous la lampe, tandis qu'Anne-Madeleine raccommodait un jabot et que les petits dormaient à côté. Elle lui est venue un jour où il s'était opposé à la réception de deux élèves qui n'avaient pas la voix juste, et où le recteur n'avait pas tenu compte de son dire. Et ce jour-là, il a lu dans le « Musicien critique » un article de Mattheson écrit contre lui. Un mois auparavant, il avait enterré un de ses petits, le 21 septembre.

    Et quand il l'écrivait, il ne pensait pas qu'elle fût une de ces quelques oeuvres qui dominent les siècles, et qui réveillent les âmes assoupies.

     

    Et peut-être n'avons-nous pas pensé, nous, que nos vies monotones, aux taches stupides et aux devoirs fastidieux, pleines d'événements mesquins et de nécessités encombrantes, sont le milieu le plus propre pour faire naître une oeuvre magnifique, qui ait ses racines dans le roc, et son faite au-dessus des cieux.

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    NOTES HISTORIQUES

    Au 17e siècle allemand, et dans l'Eglise luthérienne, la musique joue un grand rôle. Princes et municipalités s'intéressent à la musique et aux musiciens. Chaque ville a son psautier, chaque église ses orgues, son choeur et son chantre, son maître de chapelle, le « cantor » il gouverne tout, compose la musique du dimanche, amène ses choristes aux noces, aux enterrements, aux installations de magistrats, aux cérémonies et aux anniversaires. Le Cantor est un personnage.

    Il y a des familles de Cantors. Celle de Bach en est une. Les lieux où l'on trouve des « Bach » sont la Thuringe, en Saxe, dès le 15e siècle. Gagnés par la Réforme, ils y ont chanté pendant plus de deux siècles. Les Bach ont eu un bel esprit de famille, selon 1 Tim. 5: 8. Ils ont organisé des assemblées générales, où les jeunes de la tribu apprennent à connaître les oeuvres des aînés les plus méritants. Ils ont un titre de noblesse ; alors qu'autour d'eux les registres de consistoires sont remplis d'histoires de moeurs, mariages forcés, etc., aucun d'eux ne renferme un « cas Bach », et pourtant c'est une race vigoureuse ; on s'y marie jeune, et l'on a beaucoup d'enfants. Et tous font de la musique.

    Jean-Sébastien Bach, fils d'Ambroise, est ne le 31 mars 1685, à Eisenach, au pied de la Wartbourg, où Luther traduisit la Bible. Orphelin de bonne heure, instruit en musique par son père, par un frère aîné et dans divers collèges (Arnstadt, Ohrdruf) , il devient « sopraniste » à Lunebourg, en Hanovre (1700), violoniste à Weimar (1703), revient comme organiste à Arnstadt (1703), puis occupe un poste d'organiste et de chef d'orchestre à Muhlhausen (1707), s'y marie, retourne à Weimar (1708), pour y faire de la musique de chambre au duc et des cantates pour le culte ; passe quelques années à Cöthen (1717) chez un autre duc, jusqu'à son veuvage et son second mariage (1721) avec cette Anne-Madeleine dont parle Pierre Jeannet. Puis il part pour sa dernière étape, à Leipzig (1723), où il travaille jusqu'à sa mort, le 13 juillet 1750. Il a eu vingt enfants, dont six seulement lui ont survécu.

    Ses oeuvres complètes, pour autant qu'on en a retrouvé les manuscrits, forment quarante volumes in-folio: musique de chambre, de concert et d'église ; chorals, Passions, oratorios, cantates par centaines, motets, messes. En sa personne, il a réuni le savoir musical de tous ses prédécesseurs et a créé des oeuvres personnelles que nul n'a pu dépasser. Toutes, elles procèdent de son attachement profond à la foi évangélique du rite luthérien. Il est à la fois un modèle et un modèle inimitable. De toutes parts, on est venu le voir à Leipzig : aujourd'hui, le monde entier s'inspire de sa musique. Il est mort comme un homme déjà méconnu, mais sa gloire durera tant qu'il y aura une Eglise pour célébrer avec lui Noël, la Passion et l'Evangile. M.-S.


    Il est peut-être utile d'indiquer le sens de quelques termes du langage musical employés à propos de Bach:

    Choral. le cantique, fait sur des strophes versifiées, destiné à être chanté par le peuple. La musique du choral est spécialement allemande, chaque pays a trouvé sa forme de cantique.

    Passion : oeuvre musicale dans laquelle le récit évangélique (dans saint Matthieu 26-27, par exemple) est chanté et commenté par des solistes, - l'Evangéliste, le Christ, Pierre, Pilate, etc. -

    Choeurs - les disciples, les juifs, l'Eglise universelle - et chorals - une autre voix de l'Eglise, celle du peuple.

    Oratorio : cantate d'origine italienne ; chez Bach, elle a un sujet biblique, du Nouveau Testament, pour les fêtes : Noël, Pâques, Pentecôte.

    Cantate : composition musicale pour les dimanches ordinaires, le texte allant avec celui d'un sermon du jour; en général avec choeurs, soli, choral.

    Motet. Choeur sans soli, sur texte biblique en prose.

    Messe: Texte latin du « Symbole des apôtres » qu'on lit encore en français dans quelques pays protestants. Alternance de choeurs et soli, sans choral.



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D'OU VIENT LA LUMIÈRE Ulrich Zwingli (I)

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1 Voir ce que dit la préface du volume sur l'origine de cette étude.

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2 Revenus en supplément de traitement que tire l'organiste à l'occasion de mariages, enterrements, etc.

 

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