NOTES
PÉDAGOGIQUES
BUT DU RÉCIT
Montrer que celui qui étudie avec
science et conscience, demandant à Dieu le secours de son
Esprit, parvient à la connaissance de la
vérité.
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PRÈS DU CIEL.
Des rochers abrupts, quelques verts
pâturages, sur un versant de la montagne quelques maisons,
comme semées au hasard par une invisible main. Un horizon
resserré ; des montagnes de toutes parts : le Säntis
couvert de neige, la chaîne dentelée des Churfirsten,
les fines pointes des Alpes du Vorarlberg. C'est la
dernière contrée habitée ; un peu plus haut
c'est la région des neiges, et plus haut c'est le ciel. Ces
maisons égrenées sur le flanc du mont, c'est la
petite commune de Wildhaus. Elle porte bien son nom, maison
sauvage, loin du monde et de la civilisation. Avez-vous
déjà séjourné ou passé dans une
de ces contrées où l'on est comme
écrasé par les montagnes, ou l'on se sent infiniment
petit en face des forces de la nature, où l'on dit, comme
le psalmiste : « je lève mes yeux vers les montagnes.
D'où me viendra le secours? »
Venez et suivons le sentier qui monte ; une
maison du village nous intéresse. La voici : petite
construction de bois à un étage, solide pourtant et
coquette avec ses géraniums rouges aux fenêtres et le
petit jardin qui l'entoure. Elle a l'air d'abriter une famille
heureuse. Et voici les enfants qui sortent de la grande chambre du
rez-de-chaussée et s'ébattent dans les prés.
Ils peuvent organiser des jeux à leur aise, car ils sont
dix. Ce sont les enfants de maître Zwingli, le premier
magistrat du village. Voici les garçons, les grands et les
tout petits : Heini, Klaus, Ulrich, Hans, Wolfgang,
Bartholomé, Jacques et André qui font cercle autour
des deux soeurs. Dans la maison la mère, la bonne
ménagère, besogne. Elle fait reluire les
étains et les cuivres et bientôt raccommodera les
habits des enfants ; l'ouvrage ne lui manque pas. Le père
est occupé par ses fonctions d'« amman ». Il a
été nommé à ce poste honorable
à cause de sa piété et de sa probité
éprouvées, et ses concitoyens l'ont en haute estime.
Il fait bon vivre dans la petite maison de Wildhaus, dans la
famille Zwingli, famille pieuse, car plusieurs oncles sont
entrés dans l'état ecclésiastique, et on
destine aussi trois des garçons à la prêtrise.
On enseigne aux enfants à supporter, dès leurs
premières années, leur pauvreté et leurs
chagrins « comme Christ et sa sainte mère les ont
supportés. »
Quelquefois le soir, au coin de la
cheminée, les aînés sont restés et ont
écouté les légendes que leur contait la
grand'mère. Il en est une qui a frappé le jeune
Ulrich ; c'est une histoire bizarre de Dieu et de saint Pierre qui
ont ensemble voyagé sur la terre. Ils ont logé tous
deux chez des hôtes et chaque matin le maître de la
maison est venu les réveiller en tirant saint Pierre par
les cheveux.
Parfois aussi le père de famille a
raconté les glorieux exploits des Suisses qui ont
contribué à l'affranchissement du Toggenbourg que
voulait soumettre l'abbé de Saint-Gall. D'autres fois
encore, et c'était impressionnant, des voisins sont venus,
qui avaient participé aux guerres de Bourgogne. Ils ont
conté comment, à l'arrivée des troupes d'Uri,
les Confédérés avaient pris courage et
comment, au son des trompettes, on s'était jeté sur
l'armée de Charles le Téméraire, qui
s'était enfui, abandonnant tout ce qui lui appartenait. Et
le jeune Ulrich qui était tout oreilles, croyait voir dans
la cheminée danser des Bourguignons rouges, et il avait
frappé sur les tisons. Et le père Zwingli avait dit:
« Voila les exploits d'autrefois. Aujourd'hui cela est.
changé; nos hommes s'engagent chez des princes
étrangers et livrent leur sang contre de l'argent. Et quand
ils rentrent au pays, ils sont corrompus, ils vivent de pensions,
argent souillé et méprisable, ils introduisent le
luxe et une vie déshonnête dans nos paisibles
contrées. Maudit soit ce service mercenaire qui ruine notre
patrie ! » A entendre la grosse voix du père et
à voir la colère de ses yeux, Ulrich avait compris
que les guerres mercenaires étaient quelque chose d'odieux.
et il s'était promis de bien aimer son pays.
Souvent on faisait en famille des promenades
dans les bois, et le père enseignait aux enfants à
observer la nature et à en retenir les leçons. Aussi
plus tard ils se souviendront de la prudence de la marmotte
à l'approche du danger ou de l'ingéniosité de
l'écureuil qui traverse le ruisseau sur une branche
d'arbre.
Ainsi la vie s'écoule, paisible,
à Wildhaus. On est épris d'un grand amour de la
liberté, de la patrie si belle, de Dieu, l'auteur de tous
les biens. Le petit Ulrich fait preuve d'une intelligence
précoce ; il ne faut pas négliger ce don. On en fait
part à son oncle, le curé de Wesen, qui veut bien
prendre sous sa garde le jeune garçon ; il l'emmène
dans son presbytère et lui donne l'enseignement
élémentaire, puis, lorsque les connaissances du
curé ne suffisent plus, le neveu est envoyé dans une
école supérieure, à Bâle. Il n'a que
dix ans, mais un coeur vaillant et une intelligence avide de
connaître toute chose.
Le premier biographe de Zwingli, son ami
Myconius, a dit de lui, en songeant à son village natal :
« Dans ma simplicité d'esprit j'ai toujours
pensé en moi-même que la proximité du ciel l'a
rapproché de Dieu, car durant bien des années il n'y
a guère eu parmi les hommes d'apparition aussi
apparentée à Dieu que lui. »
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LA LUMIERE.
«Ce que le soleil est pour la terre, la
vérité l'est pour moi. Comme nous l'accueillons avec
joie et comme nous sommes encouragés à travailler
à son lever, de même notre esprit a soif de
lumière et de vérité, et se réjouit
quand elles rayonnent.» Ce sont là des paroles de
Zwingli. L'homme qui a cette aspiration-là est
appelé à de grandes choses ; celui qui sacrifie tout
pour la vérité est un homme supérieur.
Le curé de Glaris est bien
étrange, assurément. Il ne ressemble guère
à ses collègues. Beaucoup se complaisent dans
l'ignorance et accomplissent leurs fonctions avec une routine
étonnante ; pour plusieurs le manger et le boire importent,
et la pureté des moeurs est de la théorie.
L'étude n'est pas nécessaire, car on peut sans
préparation disserter sur des sujets bien divers :
description de l'enfer, formation de l'univers,
résurrection des morts, miracles des saints, pouvoirs de la
vierge, etc. Triste clergé qui a oublié sa mission
divine ! « Quand on compare, - dit Erasme, témoin de
l'époque, - un saint Chrysostome, un saint
Jérôme, un saint Basile à nos docteurs
modernes on voit là un fleuve majestueux qui roule de l'or
dans ses flots, ici quelques filets d'eau bourbeuse qui n'a rien
de commun avec. la source d'où elle sort. Là on
entend les oracles de l'éternelle vérité, ici
des inventions humaines qui s'évanouissent comme un songe
dès qu'on les examine de près. Là on voit un
bel édifice qui s'élève sur la base solide
des écritures divines, ici un échafaudage monstrueux
qui ne repose que sur de vaines subtilités.» Le peuple
pouvait se laisser tromper, mais l'homme qui était à
la recherche de la vérité devait suivre un autre
chemin.
Zwingli sent qu'une forte préparation
lui est nécessaire. Il a conscience de sa
responsabilité. « je sais, dit-il, que le sang des
brebis, qui par ma négligence pourraient périr, me
sera redemandé. Sa prédication doit avoir une base
solide ; pour cela il étudie avec ardeur. Souvent au
presbytère de Glaris on peut voir, tard dans la nuit, la
chandelle allumée projeter sur la paroi de la chambre la
silhouette géante de l'humble pasteur des âmes. Il
dévore les livres, parchemins poussiéreux et jaunis
des auteurs antiques et des docteurs du moyen âge,
écrits modernes des humanistes. Cependant toute cette
étude n'est rien a côté de celle de l'Ecriture
Sainte. Pour faire un travail utile il se perfectionne dans la
connaissance des langues antiques et arrive à les
posséder à fond, latin et grec. Il fait une copie
complète des écrits de saint Paul. Il se met
à confronter tous les auteurs religieux avec la Bible et ne
peut plus attribuer aux Pères de l'Eglise et aux
décrets ecclésiastiques la même
autorité qu'à la Parole de Dieu.
Il lui parait que certains dogmes sont
erronés, que le culte a été
considérablement modifié depuis le temps de l'Eglise
primitive, que les cérémonies sont entachées
de superstitions, que la puissance des prêtres est contraire
à l'Evangile. Mais il n'en reste pas moins attaché
à l'Eglise romaine.
Cependant tout cela se remarque dans les
prédications de l'étonnant curé de Glaris qui
insiste sur la pratique des vertus évangéliques,
alors qu'ailleurs on recommande avant tout les exercices
extérieurs de dévotion. Parlant de cette
époque Zwingli dira plus tard : « Je fus amené
à cette ferme conviction qu'il y a un seul médiateur
entre Dieu et nous, à savoir Jésus-Christ. Je lus
alors une belle et touchante poésie du savant Erasme, de
Rotterdam, dans laquelle Jésus se plaint qu'on ne cherche
pas tout secours en lui seul, bien qu'il soit la source de tout
bien, l'unique Sauveur, la consolation et le trésor des
âmes. Alors je pensai : Eh bien, s'il en est ainsi, pourquoi
chercherais-je mon appui auprès de la créature? Et
malgré les autres hymnes du même Erasme
adressés à sainte Anne, à saint Michel et
à d'autres, je ne pouvais détacher mon esprit de
cette idée que Jésus-Christ est l'unique
trésor de notre pauvre âme. Dès lors
j'examinai soigneusement la Sainte Ecriture et les Pères
pour 'y trouver un enseignement précis sur l'intercession
des saints, mais je ne découvris absolument rien sur ce
sujet. je me consacrai donc à notre unique Sauveur
Jésus-Christ.» C'est là la grande
lumière qui éclaire celui qui cherche la
vérité; bientôt elle resplendira dans tout le
pays.
Voici maintenant Zwingli à
Einsiedeln. Il y fut appelé par l'administrateur du
couvent, homme instruit qui recherchait la compagnie des gens
éclairés. On a fait voir au nouveau venu les lieux
saints et on lui a recommandé de prendre à coeur son
devoir et de dire fidèlement la messe. Il a répondu
: « S'il est vrai,, comme on le pense, que Notre Seigneur
Jésus-Christ est véritablement dans l'hostie, je ne
sais combien dignes vous vous estimez ; mais ce que je sais bien,
c'est que, quant à moi, pauvre moine, je ne suis pas digne
de le toucher, à plus forte raison de sacrifier le Dieu
éternel. Mais s'il n'y est pas, malheur à moi si: je
fais passer le pain pour Dieu et le présente au peuple pour
l'adorer. »
Les pèlerins affluent en ce lieu
célèbre, car au-dessus de la porte d'entrée
de l'abbaye sont gravés ces mots : « Ici l'on obtient
rémission plénière de tous les
péchés », même pour ceux dont
l'absolution est réservée au Saint-Père
l'indulgence est accordé tous les sept ans lors de la
fête de « la consécration des anges ». De
nombreuses images de la Vierge procurent des grâces
particulières ; telle statue n'est jamais invoquée
inutilement. «L'action de Dieu est ici plus bienfaisante que
partout ailleurs, dit-on, et la présence de la Vierge plus
agissante sur ses autels.-» Zwingli réussit à
réformer plusieurs abus et trouve en quelques-uns de ses
compagnons des amis qui partagent ses idées. Le jour arrive
où il s'exprimera publiquement, c'est lors de la grande
fête de la consécration des anges.
Ils sont arrivés en foule, les
pèlerins, de Suisse et du Sud de l'Allemagne. De longs
convois se sont mis en route, et Einsiedeln regorge de monde. Les
offrandes affluent et il y a dans l'église de vraies
forêts de cierges allumés. Zwingli monte en chaire,
et dans les oreilles des auditeurs étonnés,
retentissent des paroles comme celles-ci : «Cessez de croire
que Dieu réside dans ce temple plus que partout ailleurs.
Dans quelque région de la terre que vous habitiez il est
près de vous, il vous exauce si vos prières sont
dignes d'être exaucées, mais ce n'est point par des
voeux stériles, par de longs pèlerinages, par des
offrandes destinées à orner des images sans vie que
vous obtiendrez la faveur divine... Au jour de la détresse
ne mettez votre confiance qu'en Dieu ; à 1 1 approche de la
mort n'invoquez que Jésus-Christ, lui le seul
médiateur entre Dieu et les hommes. » Paroles
inattendues, stupéfaction des fidèles, joie de
Zwingli d'avoir pu dire ce que sa conscience lui crie depuis
longtemps, lumière qui se lève dans la nuit de
l'erreur et de la superstition_,
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NOTES PÉDAGOGIQUES
1. « Dès ma tendre enfance je
n'ai pu souffrir qu'on parlât mal de ma patrie ou qu'on lui
voulût du mal. » Le patriotisme de Zwingli le pousse
à s'opposer aux fléaux nationaux: service
mercenaire, pensions, immoralité. Aujourd'hui, l'imiter. Ne
pas se contenter d'un vague sentiment patriotique, mais lutter
aussi contre les fléaux ; alcoolisme, immoralité,
tuberculose, paupérisme, militarisme, etc.
2. Commentez cette parole chère
à Zwingli « Res non verba » (Non des paroles,
mais des actes).
3. Nécessité de l'étude
sérieuse pour la préparation au saint
ministère. Comparez, l'étude fantaisiste de la
Bible, telle que la pratiquent aujourd'hui certains
chrétiens, et l'étude véritable,
scientifique, historique, qui, loin de détruire la foi,
l'affermit.
4. L'amour de la vérité, chez
Zwingli. Il étudie jusqu'à ce qu'il trouve, et,
ayant trouvé, il n'a pas peur de se mettre en contradiction
avec l'opinion régnante. Cherchez d'autres exemples.