NOTES
PÉDAGOGIQUES
BUT DU RÉCIT
Illustrer cette parole de Carlyle: « Il
n'est pas besoin d'une grande âme pour faire un
héros: il n'est besoin que d'une âme
créée par Dieu, qui accepte de ne pas renier son
origine. »
.
A SAINT-ANDRÉ
Sur un promontoire escarpé de la
côte inhospitalière d'Ecosse se dresse le
château de Saint-André énorme, farouche. De la
tour du donjon, ont voit s'étendre à perte de vue la
sombre mer du Nord et l'on entend le bruit sourd des vagues qui
déferlent contre les rochers noirs. En face de
l'océan, dominant de ses proportions gigantesques cette
sauvage région, s'élève la majestueuse
cathédrale. Plus à l'intérieur, la petite
ville aux maisons basses - comme des cabanes de pêcheurs -
se presse autour de son université.
En ce matin de Pâques de l'an de
grâce 1547, la nature s'éveille lentement de son
sommeil d'hiver. Un pâle soleil luit à travers la
brume. A l'heure où le tintement monotone des cloches de la
cathédrale et de l'église de l'Université
appellent les fidèles, trois voyageurs font leur
entrée dans la petite cité. L'aine des trois, un
homme dans la quarantaine, court de taille et large
d'épaules, aux traits énergiques et expressifs, le
teint basané et les cheveux noirs, ayant plus l'apparence
d'un homme du Sud que d'un Ecossais, parle avec animation :
- Georges Wishart était pour moi
comme un père. C'est lui qui a guidé mes premiers
pas sur le chemin de la vérité. je me souviendrai
toute ma vie de la nuit terrible dans laquelle il fut
arrêté. Les émissaires du cardinal Beaton
firent irruption dans sa maison, se jetèrent sur lui, le
frappant avec une brutalité inouïe. Je voulus me jeter
à son secours, mais il m'en empêcha d'un geste : il
priait pour ses bourreaux. Quand les soldats l'emmenèrent,
je voulus le suivre mais se tournant vers moi il me dit : «
Knox, retourne à tes élèves, et que Dieu te
bénisse
Le sacrifice d'un seul est suffisant.
»
- Que fit-on de lui? demande un des jeunes
gens.
- On le jeta dans une des prisons
d'Edimbourg, et, quelques mois plus tard, dans cette ville
même, il fut condamné et brûlé
vif.
Les voyageurs étaient arrivés
sur la place du château. John Knox, ému, se
découvre:
-Tenez, c'est ici que mon maître
mourut sur le bûcher et vous voyez le balcon sur lequel se
trouvait le cardinal entouré de ses courtisans. Il y a
juste une année.
- Sur l'échafaud, Wishart n'a-t-il
pas prédit la mort de son bourreau Beaton?
- Oui, et trois mois plus tard, cinq hommes
exaspérés par l'attitude de ce cardinal ambitieux et
dépravé, le tuèrent dans son propre palais.
Ils prirent possession du château et, soutenus par un grand
nombre d'amis, ils tinrent bon contre ceux qui cherchèrent
à les en expulser. Ils refusèrent même
l'absolution qu'on avait obtenue pour eux de Rome,
préférant assurer par leur vaillante obstination un
refuge aux âmes libres de notre pauvre Ecosse.
Et Knox, le regard animé par les
visions qu'il vient d'évoquer, se dirige vers la porte de
fer du château. C'est là qu'il se réfugie avec
ses deux élèves pour adorer librement son
Dieu.
.
L'APPEL DE DIEU.
John Knox est déjà depuis
quelques mois dans le château de Saint-André. Il
partage son temps entre ses heures d'étude et les
leçons qu'il donne à ses élèves.
Chaque jour, dans l'église, il leur enseigne le
catéchisme et lit avec eux l'Evangile de Jean. Aussi la
petite communauté réformée,
soupçonnant en Knox un véritable talent,
aimerait-elle faire de lui un prédicateur de
l'évangile. A plusieurs reprises, on lui propose cette
fonction ; mais toujours il résiste : il allègue son
incompétence ; « de plus, dit-il, je n'ai reçu
aucun appel de Dieu ».
Un dimanche matin, le pasteur de
Saint-André, John Rough, prêche avec intention sur le
sujet de l'élection des ministres. Dans son sermon, il
déclare qu'une Eglise a le droit, quand elle distingue dans
son sein un homme doué pour le ministère, de
l'appeler à cette charge, et que, d'autre part, celui qui a
reçu vocation ne peut en conscience repousser un tel appel.
A la fin du sermon, Rough se tourne vers Knox qui, mêle
à la foule, s'était senti personnellement
visé au cours de cette prédication incisive, et il
s'écrie : « Au nom de Dieu et de son Fils
Jésus-Christ, et au nom de tous ceux qui sont ici
rassemblés et qui t'appellent par ma bouche, je t'adjure de
ne pas refuser la sainte vocation qui t'est adressée. Tu es
appelé à glorifier Dieu, à travailler
à l'extension de son royaume et à
l'édification des fidèles. Crois-moi, il te serait
dur de regimber contre les aiguillons. Il ne t'est pas permis de
priver l'Eglise des dons que tu as reçus pour son
édification. »
Mais John Knox demeure attéré
et ne peut, tant il est ému, articuler un seul mot. Le
Prédicateur se tourne alors vers les fidèles
:
- Ne suis-je pas votre interprète
à tous, mes chers frères ?
Un long murmure d'assentiment parcourt les
rangs des fidèles et plusieurs voix s'élèvent
pour proclamer l'accord général.
John Knox fait effort pour se lever ; il
essaie de parler, mais les mots s'étranglent dans sa gorge,
et c'est un sanglot qui répond pour lui. Trop ému,
il quitte la chapelle et s'enfuit dans sa chambre solitaire. Il se
jette à genoux.
Quelques jours plus tard il parlait aux
foules en la cathédrale de la ville.
.
SUR LES GALERES DE FRANCE.
La galère Notre-Dame descend la
Loire, emportée par le courant et le mouvement
régulier des rames. Les galériens, coiffés
d'un bonnet rouge et rangés par cinq ou six sur leurs dures
banquettes, marquent le rythme monotone au balancement de leurs
torses nus. L'effort a fournir est relativement minime ce
jour-là et les hommes ont le loisir de causer.
- Knox, vous souvenez-vous qu'il y a
aujourd'hui exactement huit mois que la garnison de
Saint-André était obligée de se rendre et que
nous étions emmenés en captivité dans ce
pays? Huit mois de chaîne, de fatigues, d'outrages, de
mauvais traitements !
- Les rames sont lourdes, et nos bras n'en
peuvent plus ; mais n'oublie pas, mon frère, que Dieu nous
a puissamment soutenus.
- Je ne vois pas en quoi cela a
changé notre régime tous les jours du pain, de
l'eau, des fèves dures comme des cailloux.
- Moi, j'ai le sentiment que l'heure de la
délivrance sonnera bientôt. As-tu remarqué que
depuis six semaines on nous traite avec moins de rigueur? A
Nantes, on a eu pour nous plus d'égards qu'à
Rouen.
- Oui, certes, les comités
(1) se sont montrés moins
grossiers, mais les journées ne m'en paraissent pas moins
harassantes. Etre rivé à son banc, sous le soleil
ardent et par les nuits froides, ne pouvoir le quitter ni pour
manger ni pour dormir, quelle vie!
- je supporterais d'un coeur léger
tous ces tourments si les prêtres ne s'acharnaient pas
contre nous. Chaque jour ils sont là, essayant de nous
faire revenir à l'idolâtrie dont nous sommes sortis
grâce à Dieu. On offre la liberté à
ceux de nos compagnons qui acceptent de renoncer à leur
foi. Leur messe m'est en horreur, et leurs chants
m'exaspèrent. Hier, je me suis bouché les oreilles
pour ne pas entendre le Salve Regina.
- Prends garde que ton attitude ne nous
attire de nouveaux coups de fouet.
- C'est plus fort que moi. Ce matin, quand
ils ont passé dans les bancs avec leur madone de bois et
qu'ils ont exigé que tous les galériens
l'embrassent, je n'ai pu me retenir de leur arracher ce morceau de
bois des mains et de le jeter à l'eau. Les prêtres
croyaient que j'allais être foudroyé sur place. Tu as
vu leur frayeur. Ils se demandaient si leur madone n'allait pas se
noyer dans les flots. je leur ai, dit alors : « Votre Vierge
se sauvera bien elle-même. Elle est trop
légère pour se noyer. » Ils ont
repêché leur idole et, après l'avoir
séchée au soleil, ils l'ont emportée dans
leur chapelle. En ce moment ils doivent dire une messe en guise
d'expiation. »
Quelques mois plus tard la flotte
française à laquelle se rattache la galère de
Knox et de ses compagnons poursuit la flotte anglaise. Les
galériens ne quittent plus leurs lourdes rames et pendant
des heures, des journées, sous les coups de fouet, les
menaces et les cris, ils continuent leur harassant travail.
Quelques-uns se sont effondrés sur leurs bancs, brises,
anéantis. Knox, si robuste pourtant, est malade aussi,
épuisé par l'effort gigantesque qu'il fournit depuis
de longues semaines. Son courage a faibli ; la libération
lui parait problématique et lointaine.
Tout a coup, l'un des compagnons du
réformateur scrute l'horizon avec un fol espoir :
« Knox, Knox, ne te semble-t-il pas que
la rive qui se profile là-bas est notre terre d'Ecosse
»
C'est comme un coup de fouet pour Knox. Son
corps fatigué se redresse, son regard s'illumine.
- Bien sûr que c'est notre Ecosse ! je
vois le clocher de l'église où pour la
première fois j'ai ouvert la bouche pour glorifier Dieu en
public. J'ai la conviction que, malgré mes chaînes,
je ne mourrai pas avant d'avoir glorifié Dieu dans cette
même église.
Le 25 février 1549, Knox, grâce
à l'intervention du roi d'Angleterre, recouvrait sa
liberté. Mais de longues années d'exil devaient
s'écouler avant que la prophétie du galérien
malade ne se réalisât.
.
EN EXIL.
A Genève, dans une modeste chambre de
la ville haute, le réformateur écossais, assis
à sa table de travail, médite assidûment. De
sa fenêtre, on voit se profiler sur le ciel bleu les tours
majestueuses de Saint-Pierre. Le lac scintille au loin.
Dans son élan de ferveur, Knox joint
les mains, car il se sent pressé de crier à Dieu son
immense reconnaissance pour les mois de repos bénis et
féconds qu'Il a mis enfin dans sa vie agitée, pour
cette vie de famille si paisible qu'Il lui permet de goûter
pour la première fois depuis trois ans de mariage et qui a
été enrichie encore par la venue de deux
bébés. Il remercie Dieu des études qu'il peut
faire, de l'ami fidèle et du conseiller précieux
qu'Il lui donne en Calvin.
Tout rayonnant encore des moments de
communion qu'il vient d'avoir avec son Père et
débordant de joie intérieure, il éprouve le
besoin de communiquer à ses chers amis d'Ecosse sa
merveilleuse expérience de la prière : « La
prière est tellement nécessaire qu'il ne convient
à aucun chrétien de la méconnaître, vu
qu'elle est le fruit même de la vraie foi : si un homme en
est dépourvu' quoiqu'il soit doué de n'importe
quelle autre vertu, Dieu ne le tiendra pas du tout pour
chrétien.
Quiconque veut prier doit savoir et
comprendre que la prière est une conversation
sérieuse et familière avec Dieu, auquel nous
déclarons nos misères, dont nous implorons le
soutien et le secours dans nos malheurs, et que nous louons et
célébrons à cause des bienfaits reçus,
de sorte que la prière contient l'exposition de nos
douleurs, le désir de la protection de Dieu et la louange
de son nom magnifique, comme les psaumes de David l'enseignent
clairement. »
Soudain il pose la plume, songeur. Il
relève la tête et son visage tout à l'heure si
illuminé s'assombrit subitement. Pourquoi ce nuage de
tristesse dans ses yeux? Il a reçu, la veille, une lettre
de ses amis d'Ecosse qui luttent péniblement pour
sauvegarder leur foi. On lui raconte qu'en son absence il a
été condamné et que son effigie a
été brûlée à Edimbourg par la
main du bourreau. Mais une phrase en fin de lettre, surtout,
l'attriste: on a l'air de lui reprocher sa vie sans danger
à Genève, tandis que ses amis s'épuisent
à la lutte.
A ce moment Marjory, sa femme, paraît
sur le seuil. C'est une douce compagne, qui partage avec bonheur
la vie de tourments de son mari et qui s'est épanouie dans
l'atmosphère calme de Genève.
- Si tu savais, mon John, ce que la vie me
paraît belle ici, avec nos deux bambins, et avec ma
mère qui me dit n'avoir jamais été si
heureuse. Mes journées sont une continuelle action de
grâces et ce dont je remercie Dieu par-dessus tout c'est de
pouvoir te procurer enfin cette vie recueillie et quelque peu
confortable après laquelle tu as tant
soupiré.
- Ma pauvre chère femme...
- Qu'y a-t-il? Tu as l'air tourmenté.
A quoi songes-tu?
- J'ai peur de te causer une bien grande
peine. Dans cette riante contrée où nous jouissons
d'un si grand bonheur, je ne puis oublier ceux qui dans notre
lointaine patrie luttent et souffrent pour leur foi. Je me
reproche ma vie facile et je me sens appelé à
partager leur martyre, mais je ne puis me résoudre à
t'exposer à de nouvelles souffrances.
La jeune femme a pâli. Pourtant, se
dominant
- Mon ami, là où Dieu
t'appelle, je te suivrai.
Alors Knox, ému aux larmes, mais
infiniment heureux, reprend sa plume et, d'un trait, ajoute au bas
de sa lettre :« Chaque jour je demande à Dieu, non
seulement de vous revoir mais surtout de pouvoir retourner
combattre à vos côtés. »
.
DIEU SEUL EST ROI.
Nous sommes à Holyrood, l'antique
palais des rois d'Ecosse a Edimbourg. Il y a quelques mois
déjà que la jeune reine Marie Stuart s'y est
installée confortablement ; mais ses pensées s'en
vont constamment à la cour de France où elle vient
de passer de si belles années. A Edimbourg, plus de
fastueuses réjouissances, de fêtes joyeuses, de bals
brillants. La prédication de la Réforme a
établi des moeurs austères que la reine ne peut
supporter. Bien résolue à ne pas adopter les
idées nouvelles, odieuses à ses yeux, elle a,
dès le premier dimanche de son arrivée, fait
célébrer la messe dans la chapelle de Holyrood. Elle
est exaspérée par les succès de John Knox,
par les grands auditoires qu'il attire en la cathédrale de
Saint-Giles. Jalouse de ce. pouvoir qui s'exerce à
côté du sien, confiante en sa puissance de
séduction, elle résolut en son coeur d'user de ses
artifices pour gagner le réformateur a sa cause : «
J'en ai gagne bien d'autres, se disait-elle, et j'espère
que celui-ci ne résistera pas longtemps aux promesses de
fortune et de gloire que je ferai briller a ses yeux.
»
Elle envoya une députation au pasteur
de la ville pour le prier de venir la voir. Knox fut quelque peu
surpris de cette invitation, mais il ne refusa pas à la
reine l'entretien qu'elle désirait avoir. Quelques jours
plus tard, il franchissait le seuil du palais. D'un pas
résolu il s'avance à travers les somptueux salons
jusqu'à la reine qui l'attend,
- J'ai appris, dit la reine, que vous avez
déclare en chaire qu'une messe vous inspirait plus
d'horreur qu'une troupe de 10,000 hommes débarquant dans le
pays. Or, vous savez que je suis catholique et que je veux le
rester. Ne sentez-vous pas que votre langage hardi est une insulte
a votre reine et qu'il excite le peuple contre le pouvoir
établi par Dieu ?
- Madame, si détourner les hommes de
l'idolâtrie pour les conduire à la
vérité, c'est les exciter contre leur reine, je suis
en effet coupable envers votre Majesté, car Dieu m'a
confié la mission d'éclairer ceux qui
gémissent sous le joug des papistes. Mais je crois
plutôt avoir enseigné à mon troupeau que la
vraie connaissance de Dieu engage les hommes à obéir
à leurs princes. Je puis vous assurer, Madame, que les
protestants d'Ecosse vous seront soumis comme ils l'ont
été à votre père et à vos
ancêtres, tant que vous n'abuserez pas de vos droits.
- Je suis, de droit divin, reine d'Ecosse,
maîtresse absolue de mes sujets. Ne puis-je pas disposer de
leur vie et de leurs biens?
- On vous a égarée, Madame,
sur ce que vous appelez le droit divin. Imaginez qu'un père
de famille ait un accès de folie, dans lequel il menace de
tuer ses enfants. Si ses enfants s'emparent de leur père,
arrachent son épée et le conduisent en prison,
jusqu'à ce que sa folie soit passée, pensez-vous,
Madame, qu'ils aient tort? Il en serait ainsi d'un prince qui
s'aviserait de massacrer les enfants de Dieu qui sont ses
sujets.
La reine ne s'attendait pas à une
telle franchise. L'audace de cet homme qui lui résiste la
met dans une terreur folle, mais elle sent qu'il faut user de
prudence. Après un moment de silence, elle reprend d'une
voix mal assurée:
- Je vois où vous voulez en venir.
Mes sujets doivent obéir à vous plutôt
qu'à moi ! C'est le peuple qui gouvernera et moi qui
obéirai.
- Dieu me garde d'avoir jamais demande
à quelqu'un de m'obéir. Dieu seul est roi. Princes
et sujets lui doivent obéissance. Soumettez-vous à
Dieu, Madame. C'est Lui qui règle les destinées des
peuples et des rois.
- Qui êtes-vous, qui prétendez
donner des leçons aux nobles et à la souveraine de
ce royaume?
- Madame, un libre citoyen de ce royaume.
Quelque petit que je sois à vos yeux, j'ai ma place ici que
je remplirai fidèlement avec l'aide de Dieu.
La reine ne pouvant contenir davantage sa
colère se lève en faisant signe à ses
serviteurs de reconduire le 'Réformateur.
.
LA MORT DU LUTTEUR.
Lorsque parvint en Ecosse, dans les premiers
jours de septembre 1572, la nouvelle de la nuit tragique de la
Saint-Barthélemy, John 'Knox, âgé et malade
depuis plusieurs semaines s'écria :
« Qu'on me porte en chaire !
- Mais, lui dirent ses amis, où
trouverez-vous des forces pour parler?
- Dieu me soutiendra. »
Devant un auditoire immense, pouvant
à peine se tenir debout dans sa chaire, le visage amaigri
et le corps brisé, Knox prêcha avec une puissance
extraordinaire. « Dès qu'il ouvrit la bouche, raconte
un témoin, ses yeux s'illuminèrent et un rayon de
gloire tomba sur son front. Ses auditeurs étaient suspendus
à ses lèvres et leur émotion allait jusqu'aux
larmes. Son discours allumait dans les coeurs une flamme
véhémente qui les dévorait. Jamais ils
n'avaient entendu ni éprouvé rien de semblable.
» Il prédit la juste punition de Dieu pour le roi de
France et ses complices. Avec un accent prophétique que
n'oublièrent jamais ses auditeurs, il
s'écria:
« Dites a l'ambassadeur français
que le peuple écossais exècre l'acte criminel de son
maître. Et qu'il sache que la vengeance divine
éclatera sur lui et sur son peuple. La main de l'Eternel
sera sur sa maison et, quel que soit son repentir, son nom ne sera
prononcé qu'avec horreur et dégoût par les
générations futures. »
L'ambassadeur de France, quelques jours plus
tard, quittait l'Ecosse en jurant que le roi son maître ne
laisserait pas impunie pareille injure.
Le 9 novembre de cette même
année, Knox occupa la chaire de Saint-Giles pour la
dernière fois. Il était d'une faiblesse telle que
deux hommes durent se tenir à ses côtés pour
le soutenir. La foule était saisie d'une émotion
profonde, comprenant que c'était la dernière fois
que cette voix puissante se faisait entendre.
- Frères, dit-il, d'une voix faible
et entrecoupée, je vais bientôt comparaître
devant Dieu. L'heure des illusions est passée et je vais me
trouver en face de la réalité. Je déclare
devant l'Eglise et devant Celui qui sait tout, que je me suis
toujours conduit en toute bonne conscience. J'ai
prêché l'Evangile avec toute l'énergie de mon
âme. Le seul but que j'ai poursuivi, c'est la gloire de mon
Sauveur et le salut des âmes. Je puis dire avec saint Paul :
« J'ai achevé ma course : j'ai garde la foi. » La
couronne de justice m'est réservée...
J'ai pu, par mes paroles ou mes actes,
plusieurs fois déshonorer mon Maître. Si j'ai
offensé quelqu'un d'entre vous, je lui en demande
humblement Pardon. Oh ! que Dieu oublie les imperfections de mon
ministère et qu'il nous accorde, à vous et à
moi, la grâce de le glorifier et de lui rester
fidèles jusqu'à la fin. »
Une grande émotion s'était
emparée de tous les auditeurs. Aussi quand on reconduisit
Knox chez lui une escorte immense le suivit pour voir une
dernière fois son visage.
Le mardi suivant il se mit
définitivement au lit. Se sentant plus mal il demanda
à sa femme de lui lire le chapitre XV de la seconde
épître aux Corinthiens, puis le chapitre XIV de Jean.
D'une voix presque éteinte, il ajouta : « Que c'est
beau et réconfortant. Dieu est avec moi. je ne crains rien.
»
Le lundi 24 novembre, il perdit
connaissance. De temps en temps ceux qui entouraient son lit
percevaient sur ses lèvres mourantes quelques paroles
confuses : ... « Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?... Par
la grâce de Dieu, je suis ce que je suis... Pas moi, mais la
grâce de Dieu qui est en moi. »
Bientôt cette voix qui avait fait
trembler les grands et qui avait consolé les humbles, se
tut pour toujours. A 11 heures du soir, John Knox s'endormit
paisiblement dans le Seigneur.
Sur sa tombe, le Régent Morton put
dire :
« Ici repose celui qui n'a
jamais tremblé devant les hommes. »
.
NOTES HISTORIQUES
Précisions biographiques. - John Knox
est né en 1505, à Haddington, au nord de l'Ecosse,
« un pauvre pays stérile, plein de brouilles, de
dissensions et de massacres continuels; un peuple dans le dernier
état de rudesse et de dénuement, guère
meilleur peut-être que celui de l'Irlande aujourd'hui. De
faméliques et féroces barons, pas même
capables de former quelque arrangement entre eux pour se partager
ce qu'ils tondaient de ces pauvres esclaves » (Carlyle). Le
jeune homme, de bonne heure, fut voué à la
prêtrise par ses parents. A dix-sept ans, il entre à
l'Université de Glasgow, puis est attiré à
l'Université de Saint-André, sur la côte
nord-est d'Ecosse par le célèbre humaniste John
Major.
De bonne heure les idées de Luther
pénétrèrent dans cette contrée
reculée. En outre le jeune étudiant, ardent et
droit, est frappé par la décadence de l'Eglise en
Ecosse. Toute la vie des prêtres était remplie
d'intrigues d'Etat pour lesquels ils ne rougissaient pas
d'employer, soit la ruse, soit la violence. « Ambition,
orgueil, passion pour l'éclat terrestre, voilà le
caractère du clergé de cette époque:
évêques et curés essayaient de l'emporter sur
la noblesse, par la pompe ; ils occupaient les sièges du
Parlement, ils étaient devenus conseillers d'Etat, et
lorsqu'une place d'évêque devenait vacante, on se
battait littéralement comme s'il s'agissait d'un royaume
» (Mc Crie).
Nous ne savons pas grand'chose de la
jeunesse du réformateur. Il sort de l'ombre le jour
où il se réfugie avec ses élèves au
château de Saint-André. Dès ce moment et
pendant vingt-cinq ans il est à l'oeuvre et l'on peut
diviser cette période de sa vie en deux parties
égales : la première, de 1547-1559, Knox est loin de
son pays, sauf une courte apparition en 1555-56 ; la seconde, de
1559-1572, où il est à l'oeuvre en Ecosse.
Ses années d'exil commencèrent
par une année et demie de captivité sur les
galères. Plus tard dans sa prédication il dira, et
l'on devine combien il a dû souffrir sur les galères
françaises, quelle école de patience elles ont
dû être pour cet esprit si fougueux: « je sais
combien la lutte est dure entre l'esprit et la chair pendant les
lourdes épreuves de l'affliction où il ne parait
aucune consolation terrestre, si ce n'est la mort : je connais les
plaintes et les murmures de la chair : je connais la
colère, le courroux et l'indignation que ces
épreuves soulèvent contre Dieu, mettant en doute
toutes ses promesses et nous poussant à chaque heure
à abandonner Dieu. La foi seule peut nous arrêter sur
cette pente, nous poussant à prier, à appeler
sérieusement le secours de Dieu : si nous faisons cela,
alors nos malheurs les plus désespérants se
changeront en joie et en une En bénie ».
Lorsque Knox fut libéré, comme
il ne pouvait retourner dans son pays, l'archevêque Cranmer
l'invita à travailler dans l'Eglise anglicane, alors en
train de s'organiser. Il fut successivement pasteur à
Berwick et à Newcastle. Nommé chapelain du roi
Edouard VI, il collabora au « Common Prayer Book », le
livre de prières de l'Eglise anglicane. Après la
mort du jeune roi la réaction catholique dirigée par
Marie Tudor l'obligea à se réfugier sur le
continent. Il passe quelque temps à Dieppe. C'est alors
qu'il est nommé pasteur de l'église anglaise de
Francfort-sur-le-Main, puis plus tard pasteur d'une même
communauté à Genève. Son séjour dans
cette ville est la période la plus calme de sa vie. Il
jouit des heures d'intimité passées avec Calvin
qu'il admire beaucoup ainsi que l'oeuvre accomplie par le grand
réformateur. a je ne crains pas de dire, écrit-il,
que Genève est l'école du Christ la plus
perfectionnée qui ait jamais existé sur la terre
depuis l'époque apostolique. Certes, dans d'autres endroits
Christ est fidèlement prêché, mais je n'ai vu
aucune ville où les moeurs et la piété sont
si complètement transformées. »
En 1559, Knox peut rentrer en Ecosse.
Pendant treize ans, il se dépense sans compter pour la
cause réformée dans son pays. Dans cette
époque troublée par des luttes politiques, des
intrigues de cour, les desseins ambitieux des nobles, il lutte
avec ardeur pour proclamer les droits de l'Evangile. « Il
ressemble plus qu'aucun des modernes à un prophète
hébreu. La même inflexibilité, la même
intolérance, la même adhésion rigide et
étroite à la vérité de Dieu »
(Carlyle).
Le 19 août 1561, arrivait en Ecosse
Marie Stuart, la jeune veuve de François 11, roi de France.
Catholique, élevée à la cour la plus
brillante d'Europe, d'une rare beauté, la reine s'attendait
à être acclamée par les Ecossais. On la
reçut au contraire très froidement et Knox, sachant
qu'elle était une adversaire irréductible de la
Réforme, s'éleva avec force contre ses
prétentions. On peut s'étonner de la rudesse du
réformateur en face de la gracieuse reine. Certains
historiens lui en ont fait un grief, mais nous dirons avec Morton
qu' « il vaut mieux que les femmes pleurent que de voir des
hommes barbus forcés de pleurer » et Carlyle a
écrit: «Reine malheureuse, mais pays plus malheureux
encore au cas où elle serait devenue heureuse.»
A propos de la réponse de Knox
à Marie Stuart: « Il faut que princes et sujets
obéissent à Dieu ! », M. Ch. Martin
écrit: «Il est impossible d'affirmer plus haut cette
souveraineté de Dieu qui fut pour Knox la colonne
vertébrale de toute son oeuvre, aussi bien pour organiser
l'Eglise et la patrie écossaises que pour les
libérer du joug du papisme et de l'étranger. Elle a
pu s'exprimer chez lui sous une forme parfois rude et violente,
elle n'en a pas moins contribué, par l'action de la
puissante personnalité de celui qui s'en constituait le
prophète, à la formation du peuple écossais
avec toutes ses énergies, et à la préparation
des libertés modernes dans les pays anglo-saxons.
»
L'infortunée reine, après une
vie mouvementée, mourut sur l'échafaud en
1587.
D'Edimbourg, Knox continue à diriger
le mouvement réformé d'Ecosse. Quelque temps avant
sa mort, il séjourna plusieurs mois à
Saint-André où il prêcha souvent,
réalisant ainsi la prédiction faite sur la
galère. Il mourut paisiblement le 24 novembre 1572.
Ecoutons le témoignage qu'a rendu
Carlyle au réformateur écossais : « Il est
prophète dans le sens le plus complet du mot: tout son
langage, toute sa manière d'agir nous le montrent comme un
véritable prophète. Il est vrai que, seul, un tel
prophète pouvait donner la force nécessaire pour
faire éclater la Réforme en Ecosse: Knox appela tous
aux armes; il fit entendre à tous, grands et petits, le
signal d'alarme. A tous il fit comprendre leur devoir.
»
Les efforts de Knox aboutirent pour son pays
à une véritable résurrection. Avec la
Réforme, le peuple écossais commença à
vivre. « La littérature et la pensée
écossaises, l'industrie écossaise ; James Watt,
David Hume, Walter Scott, Robert Burns ; je trouve Knox et la
Réformation agissant au coeur du coeur de chacun de ces
personnages et de ces phénomènes ; je trouve que
sans la Réformation ils n'auraient pas été.
Mais que dis-je de l'Ecosse? Le puritanisme de l'Ecosse devint
celui de l'Angleterre et de la Nouvelle Angleterre »
(Carlyle).
.
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
- Thomas McCrie. Life of John Knox.
(Edimburg).
- J. Stalker. John Knox. (Londres
1904).
- Carlyle. Héros. Trad. Izoulet.
(Paris).
.
SUGGESTIONS POUR LES
AINÉS
1. Peut-on dire que l'Eglise catholique est
également favorable à tous les régimes
politiques. Le catholicisme dans la logique ne contribue-t-il pas
à imposer aux peuples une autorité
extérieure, royauté ou dictature? Le protestantisme
n'est-il pas le père de la démocratie et
n'aboutit-il pas logiquement à ce système?
2. A propos de la discussion entre John Knox
et Marie Stuart, étudier cette pensée: «
L'autorité, c'est l'irrésistible action de la
vérité sur la conscience. Elle est de l'ordre moral.
On ne la restaure qu'en obéissant à la
vérité, dans l'humilité et le
désintéressement, Ce ne sont pas les régimes
de liberté qui tuent l'autorité : ce sont les
régimes de relâchement, de complaisance, de
complicité, d'usurpation ou d'égoïsme.
»
L'introducteur lira avec profit
l'étude de M. DuPasquier: « Le pouvoir et
l'autorité » dans les Cahiers de Jeunesse d'avril
1926, et à propos de la première question E.
Doumergue : « Les vraies origines de la démocratie
moderne. Ed. Foi et Vie 1919.
.
NOTES PÉDAGOGIQUES
Si ces récits plaisent
spontanément aux enfants, ils ne devront pas être
seulement des histoires. Au travers des épisodes essentiels
de cette vie, l'aîné s'efforcera de conduire ses
cadets au sens actuel et personnel qu'ils contiennent. Sur les
galères de France: opposition entre la souffrance physique
et morale des galériens et l'attachement à leur foi,
alors que la tentation rôde chaque jour autour d'eux. A
Genève : savourer les douceurs de la vie de famille ou
lutter avec les frères persécutés? Devant
Marie Stuart: accepter honneurs et richesses ou conserver sa
foi?
Images: Vue de l'Ecosse. Edimbourg. Portrait
de Knox (groupe central du Mur de la Réformation). Marie
Stuart. Les galères.
Dessin d'illustration : 1. A la
cathédrale de Saint-André. - 2. Sur les
galères. - 3. A Genève. - 4. Knox. Marie
Stuart.
Modelage: Une galère.
Saynètes: Knox et ses compagnons de
galères. Knox et Marie Stuart.