NOUVELLES GLANURES
11. Aimez vos ennemis.
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Un acte
d'amour.
Dans le Journal de Genève du 9
septembre 1914, sous la signature Paul Seippel -
Tant d'actes de barbarie
soulèvent notre conscience qu'il est bon pourtant de
savoir que même chez les combattants de ces luttes
sans merci, il y a des coeurs assez hauts pour que les
meilleurs sentiments humains n'y soient pas
étouffés.
Dans un hôpital savoyard, non
loin de notre frontière, sont soignés
côte à côte deux blessés un
Français et un Allemand, qui se sont liés de
la plus étroite amitié. Comment en sont-ils
venus là ?
Je veux vous conter leur histoire dans
toute sa simplicité, d'après un témoin
entièrement digne de foi, qui l'a recueillie de leur
bouche.
C'était au cours des combats
acharnés qui se livrèrent dans les Vosges.
Chaque pouce de terrain était disputé avec
acharnement. Tantôt une armée avançait,
tantôt l'autre. De fréquents corps à
corps se produisaient. L'exaspération allait
croissant. On ne faisait plus de quartier. Tant
d'atrocités avaient été commises dans
les villages d'alentour!
Un fantassin allemand, ayant trouve,
dans un lieu écarté, un blesse français
baigne dans son sang, eut pitié de lui, le chargea
sur ses robustes épaules et voulut l'emporter a
l'ambulance. « Quoi! s'écria un de ses
camarades, tu soignes un de ces cochons de Français!
» Dans sa fureur, cette brute arma son fusil,
épaula et fit feu. Ce fut l'ambulancier volontaire
qui fut atteint dans le dos.
Les deux blessés gisaient l'un
près de l'autre se soignant de leur mieux
mutuellement. Les Français ayant avance, ils furent
tous deux recueillis et, après les premiers soins,
sans les séparer, on les achemina vers la
Savoie.
Aujourd'hui ils ne peuvent plus se
passer l'un de l'autre. Et, quoique le règlement
exige que les prisonniers soient mis à part, on
laisse souvent côte à côte les deux amis.
Rien de plus touchant que de voir l'affection qu'ils se
témoignent.
Mais l'Allemand a été,
dit-on, atteint mortellement. S'il meurt sur terre
française, il mériterait que des mains
françaises lui élevassent un modeste
monument.
L'acte de cet humble héros ne
console-t-il pas de bien des tristesses ?
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D'une
lettre du front à M. le professeur Raoul Allier
(1915).
« J'ai vu un jour une
scène qui m'a tire les larmes des yeux. Sur une route
défoncée par la pluie et le passage continuel
des convois, deux blessés se soutenant mutuellement
s'avancent. L'un est fantassin français, à la
tête bandée ; il donne son bras à un
Allemand blessé aux bras et a la poitrine. Le sang a
rougi sa tunique. Il est blême, et en passant à
côte de moi il me demande en assez bon
français: A boire. Alors je me rappelle que je suis
unioniste. je le fais rentrer dans la ferme où je me
trouve et lui offre une chaise. Exténué, il
s'assied... Il boit avidement le bol d'eau... et est tout
surpris quand je lui offre une tablette de chocolat. Alors,
ému, il me dit : « Oh, merci, mon ami! »
C'est un jeune homme de vingt et un ans, originaire de
Brandebourg. Et les deux blessés, unis par la
souffrance, repartent dans la direction de l'hôpital
de Poperinghe. »
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Le pardon
du père.
Quel souvenir m'a laisse mon culte de
Noël au dépôt des prisonniers allemands,
où l'autorité, hélas n'est pas
très disposée à favoriser mon
ministère! Exceptionnellement, sur la demande des
soldats, je fus autorisé à me rendre au milieu
d'eux ce matin-là. Les 252 protestants du
dépôt étaient serres autour de la table
sainte, écoutant avec une émotion
évidente ; 70 environ avaient d'avance manifeste leur
désir de communier ; plus de 200 prirent part
à cette Cène ; avant la fin nous manquions de
vin ; j'étais enfermé à clef avec eux ;
la Cène continua avec le pain seulement. Nous avions
défense de chanter, mais le commandant, un excellent
homme, qui veut être plus que juste avec les
Allemands, parce qu'ils lui ont tué un fils et
probablement deux, nous avait quand même permis de
chanter à mi-voix ; le murmure de ces 250 voix
mâles faisait un choeur saisissant.
JOSPIN, pasteur
à St-Nazaire.
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Plus fort
que la haine.
Pendant la guerre de 1914, sur un
champ de bataille, un blesse allemand était
tombé. Il gémissait, la nuit allait venir...
et personne pour lui porter secours.
Tout à coup il entendit le
bruit d'une contre-offensive et près de lui des
soldats vinrent à passer, dont l'un le blessa
encore.
Puis ce furent des hommes
recrutés aux terres lointaines, des noirs... et le
blessé se disait :
« Si les blancs ont ajouté
à mes blessures, que feront ces sauvages !
»
Il ferma les yeux...
Tout à coup il sentit une main
posée sur lui.
C'était un de ces noirs qui
s'était arrêté et cherchait à
verser quelques gouttes d'eau dans sa gorge brûlante
de fièvre.
Ce noir était un
chrétien. Le fait ci-dessus a été
raconte en Allemagne par le blessé
lui-même.
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Les grands
blessés.
Au cours de la guerre 1914-1918, les
gouvernements des pays belligérants
échangèrent leurs prisonniers grands
blessés. Les mutilés allemands, prisonniers en
France, purent rentrer dans leur pays, et il en fut de
même des grands blessés français
prisonniers en Allemagne.
L'échange se fit par convois de
chemin de fer, à travers le territoire suisse.
Des foules énormes se portaient
dans les gares suisses à toutes les heures de la
nuit, pour acclamer les mutiles, et les combler de
friandises.
Une dame de la Croix-Rouge qui
accompagnait un train de grands blessés, de Constance
à Lyon, à rapporté le trait suivant qui
mérite d'être connu partout.
Le train français était
arrivé vers deux heures du matin à la station
de Matran, dans le canton de Fribourg. Il stoppa à
cause du train allemand qui arrivait pour le croisement.
Français et Allemands se trouvèrent un instant
arrêtés portière à
portière, à un mètre de
distance.
On se demandait avec une certaine
angoisse ce qui allait se passer.
« Voila les Allemands ! »
cria quelqu'un.
Aussitôt les blessés
français saisirent les fleurs qu'on leur avait
offertes dans les gares et les jetèrent dans les
wagons allemands en s'écriant : « Ce sont des
camarades. Qui sait si ce n'est pas nous qui les avons
blessés ! »
Cette scène ne dura qu'une
demi-minute. Avouez qu'elle n'aurait pu être plus
émouvante.
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Jean Huss
et Paletz.
Etienne Paletz, membre influent du
clergé de Prague avait été un intime
ami de jean Huss; il était devenu un de ses plus
ardents adversaires. Cependant Huss fut admirable
d'humilité et de charité ; il porta l'esprit
de pardon si loin qu'il choisit Paletz lui-même pour
recevoir sa confession avant de mourir. Celui-ci recula
devant une pareille tache et refusa catégoriquement.
Pourtant, vaincu par une telle grandeur d'âme, il vint
visiter sa victime.
Huss lui adressa la parole d'un ton
triste et doux :
- Paletz, dit-il, j'ai prononcé
devant le Concile quelques paroles offensantes pour toi.
Pardonne-moi.
Au sujet d'un autre adversaire, Michel
Causis, Huss disait aussi :
- Michel est venu plusieurs fois dans
ma prison. Il a dit à mes gardiens : « Avec la
grâce de Dieu, nous brûlerons bientôt cet
hérétique. » Pour moi, je n'exprime aucun
désir de vengeance. je la laisse à Dieu et je
prie pour cet homme du fond du coeur.
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Oberlin et
le Juif.
Un jour qu'Oberlin travaillait dans
son cabinet, il entendit une grande rumeur au village.
Apercevant un étranger que toute la population
accablait d'injures et de menaces, il perce la foule. De
toutes parts on crie : C'est un juif, c'est un juif ! Et ce
n'est pas sans peine que le pasteur obtient le silence. Il
en profite pour reprocher à ses montagnards de ne pas
se montrer dignes du nom de chrétiens. Puis,
chargeant sur ses épaules le ballot de marchandises
de l'étranger, il le prend par la main, le conduit
dans son presbytère et le soustrait ainsi à
cette fureur aveugle.
(Vie de J.-F. Oberlin
par C. LEENHARDT.)
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Une bonne
réponse.
Un ami informa, un jour, le
poète Le Tasse qu'un méchant homme le
diffamait de tous côtés.
- Sa maladie, répondit Le
Tasse, ne me cause aucun dommage réel. Combien il
vaut mieux qu'il parle mal de moi à tout le monde,
que si tout le monde lui parlait mal de moi.
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Le Tasse -
à propos de la vengeance.
Le Tasse répondit à une
proposition qu'on lui faisait de tirer vengeance d'un homme
qui lui avait rendu de mauvais offices : « je ne veux
lui ôter ni ses biens, ni sa vie, ni son honneur ; je
voudrais seulement lui ôter sa mauvaise
volonté. »
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La croix de
Louis XII.
Louis XII, roi de
France, ne parvint au trône qu'après beaucoup
de contrariétés et de luttes, que lui
suscitèrent de violents ennemis. Lorsqu'il fut devenu
roi, il prit un registre où étaient inscrits
les noms de beaucoup de personnes, et il marqua ceux de ses
persécuteurs d'une croix rouge.
Cette action du roi
fut connue, et ses ennemis l'ayant apprise, se crurent
perdus et s'enfuirent. Mais Louis XII les fit rappeler et
leur dit :
« J'ai fait une
croix rouge à vos noms pour me souvenir de la croix
de Christ, et pour prendre exemple de Celui qui du haut de
cette croix a dit : «Mon père, pardonne-leur,
car ils ne savent ce qu'ils font. »
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Générosité des
Soleurois.
Au XIVe siècle,
les Soleurois ayant embrassé le parti de Louis de
Bavière, leur ville fut assiégée par le
duc Léopold d'Autriche, celui que sa défaite
à Morgarten a rendu célèbre.
Pendant le
siège, l'Aar déborda, et l'inondation vint
détruire les travaux des assiégeants.
Léopold avait
fait construire un pont de bateaux pour le service de son
camp. Craignant que ce pont ne puisse résister
à la violence du courant, il donna l'ordre de placer
dessus autant de soldats qu'il en pourrait contenir. Cet
ordre fut exécuté.
Mais bientôt le
pont trop chargé se rompt, et les malheureux soldats
sont précipités dans les flots. Les Soleurois,
voyant ce désastre du haut de leurs remparts,
oublient que ce sont des ennemis qui vont périr, et
se hâtent de leur porter secours. Après bien
des efforts, ils parviennent à en sauver le plus
grand nombre. Le duc Léopold fut obligé de
lever le siège de la ville, car ses soldats ne
voulaient plus se battre avec ceux qui venaient de leur
rendre un aussi grand service.
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Un
païen modèle.
Raboroko qui vient
d'entrer dans l'Eglise, racontait M. P. Germond, a toujours
été un païen modèle. Il en
remontrait à plusieurs par son assiduité aux
services et par sa fidélité à lire la
Bible. Il ne la lisait pas sans fruits. Un jour, le
missionnaire lui demanda :
- Raboroko comment
cela va-t-il avec ton voisin, le Boer ? T'ennuie-t-il
toujours, toi et tes gens ?
- Non, il ne le fait
plus.
- Comment cela
?
- C'est depuis cet
hiver. Une nuit, tout son bétail avait
été paître dans mes champs. Le matin, il
vint le réclamer et demanda combien il devait
payer.
- Va tout d'abord, lui
dis-je, voir le dégât que tes bêtes ont
fait.
Il revint,
reconnaissant qu'elles avaient beaucoup gâté et
demanda de nouveau ce qu'il devait payer.
- Prends ton
bétail, lui répondis-je. je ne te demande
rien.
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Romains 12
- 17-21.
Un fermier vivait en
mauvais termes avec son voisin. Celui-ci souffrait de cette
inimitié et, à maintes reprises, avait offert
la paix à son adversaire. Tout fut vain. Un jour
qu'il lui ramenait une de ses vaches qui avait
piétiné son jardin, il lui dit :
- Voisin, voila ta
vache, et si je la trouve encore paissant mes
choux...
- Eh bien ! quoi ?
interrompit l'autre excité et croyant a une
menace.
- Eh bien !
répondit paisiblement l'offense je te la
ramènerai encore.
Plus jamais la vache
ne revint et la paix fut conclue entre les deux
hommes.
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Pardon.
Parmi les actes de
générosité et de miséricorde qui
illustrent la vie de Robert Steward, alors qu'il
était gouverneur du Missouri, il n'en est
peut-être Pas de plus touchant que le suivant.
Un jour qu'on lui
avait amené un prisonnier dont on lui demandait la
grâce, le gouverneur parut étrangement
impressionné en le regardant. Il le fixa longtemps en
silence d'un air indécis, puis, finalement, signa
l'acte de grâce qu'on lui avait
présenté.
Mais avant de le
tendre au condamné, il lui dit :
- Je crains fort que
vous ne commettiez quelque nouveau méfait qui vous
ramène en prison.
Celui-ci protesta
énergiquement.
- Je suppose que vous
retournerez sur le fleuve, continua le gouverneur.
- Oui, j'en ai
l'intention.
- Dans ce cas, j'exige
que vous me promettiez une chose ; je vous demande que vous
me donniez votre parole de ne plus jamais vous servir de
gourdin, lorsque vous serez devenu contremaître, pour
forcer n'importe quel mousse malade à sortir de son
hamac pour vous aider à charger votre bateau pendant
une nuit orageuse.
Le prisonnier le
promit, mais, surpris d'une telle requête, il
s'enhardit à demander au gouverneur pourquoi il lui
faisait faire cette promesse.
- Parce que, lui
répondit-il, il se pourrait que, quelque jour, ce
garçon devînt gouverneur et qu'il vous
refusât le pardon d'un crime si vous vous adressiez
à lui pour l'obtenir.
Puis continuant
:
- Par une nuit de
tempête, il y a plusieurs années, vous
fîtes escale sur le Mississipi pour charger du bois.
Il y avait à bord un jeune garçon, qui
s'était engagé à y travailler pour
gagner son passage de New-York à Saint-Louis, mais
étant malade de la fièvre, il était
resté couché dans la cale. Vous aviez assez
d'hommes pour faire la besogne sans lui ; néanmoins
vous allâtes chercher un gourdin pour le forcer
à sortir de son hamac, le poussant devant vous, sous
la pluie, dans la nuit noire. Terrorisé par vos coups
et vos jurons, il fut obligé de travailler comme un
esclave jusqu'à ce que le chargement fût
complet!... je suis ce garçon, et... voici votre
grâce !
Le prisonnier,
tremblant de confusion, cacha son visage dans ses mains
pendant un long moment, puis sortit sans oser prononcer une
autre parole.
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