Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



DEUXIÈME PARTIE

RÉCITS ÉGYPTIENS


Dans les falaises de la Mer Rouge

- Hé ! Hé ! Arrêtez donc !

C'est un petit homme, vêtu d'un drôle de manteau en peau de brebis, qui pousse ce cri de toutes ses forces. il a vu des caravaniers dont les chameaux chargés marchent à vive allure et il voudrait leur demander quelque chose. Enfin la caravane ralentit et le chef, du haut de sa monture, fait signe au voyageur d'approcher. Celui-ci est essoufflé. Non seulement il a dû courir pour rejoindre la caravane, mais encore il vient de traverser le Nil à la nage. Son manteau colle sur son corps mouillé. Il réussit cependant à dire :
- Où allez-vous ?
- Oh ! très loin, à la Mer Rouge. Nous avons encore bien des journées de voyage devant nous.
- Me prendriez-vous avec vous ? Je suis si maigre que vous me ferez facilement une petite place sur l'un de vos chameaux, ou bien je cheminerai à vos côtés.
- Nous t'avons vu traverser le fleuve. Tu es bien courageux. N'as-tu pas peur des crocodiles ?
- Oh ! non j'ai pourtant passé par Arsinoé, un endroit infesté de crocodiles. Il paraît qu'autrefois c'était pire. Les gens, qui les redoutaient d'abord, s'étaient mis à les apprivoiser, et chacun se promenait avec son crocodile.je me suis dit : si les païens arrivaient à faire cela, pourquoi les chrétiens craindraient-ils ces bêtes ? Forts de cette confiance, mes compagnons et moi, nous avons souvent traversé le Nil et jamais personne n'a été dévoré.
- Mais qui es-tu donc ?
- Je suis un ermite et je m'appelle Antoine. Il y a longtemps que je vis dans la solitude presque totale, plus de vingt ans. J'étais encore jeune quand, à la mort de mes parents j'ai donné tous mes biens. J'avais une soeur : elle a touché sa part d'héritage et le l'ai confiée à de bonnes gens. La vocation, c'est comme ça, il faut tout quitter et s'en remettre à Dieu seul. C'est comme une mort à soi-même. Dans l'église où j'avais déjà entendu l'ordre du Christ : « Si tu veux être parfait, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et suis-moi », une autre parole a retenti à mes oreilles : « Ne soyez point en souci du lendemain. » Eh bien, avec cette assurance, je suis parti sans rien, loin de mon village. Mais je n'ai jamais mendié. J'ai toujours travaillé, car il est écrit que celui qui ne travaille point ne doit pas manger non plus. Mon plus grand bonheur est de prier et de lire les Saintes Écritures. Tu vois ce rouleau de parchemin que j'emporte avec moi, c'est tout mon trésor. J'aime surtout l'histoire d'Elie : Je voudrais tant vivre comme lui dans une caverne sur une montagne. Voilà pourquoi je désire me rendre près de la Mer Rouge. On m'a dit que je pourrais me retirer dans le désert intérieur. il y a des falaises là-bas, et certainement des grottes. je trouverai bien une source et un petit coin de terre pour cultiver quelques céréales.

L'entretien est interrompu ici par le bruit des chameaux qui se mettent à piaffer. Les chameliers ne sont pas contents, ils préféreraient avancer ; certains murmurent déjà. Le chef le sent bien et dit à Antoine : « Entendu, viens avec nous. Monte sur ce chameau, nous te déposerons où tu voudras. Avec des gars comme toi, on a confiance. En avant ! »
La caravane continue son chemin à son rythme habituel. La piste est monotone. On s'arrête pour bivouaquer. On fait du feu. Des bêtes féroces rôdent dans les parages. Mais Antoine est là avec sa foi, son calme et sa sérénité. Les caravaniers sont heureux d'avoir un si charmant compagnon. Ils l'interrogent :

- Dis donc, c'est quand même mieux de vivre seul. On a moins d'ennuis, on est plus tranquille, n'est-ce pas ?
- Vous avez raison dans un sens, mes amis. Pour vivre avec les autres, il faudrait être une boule, et nous sommes tous des cubes, avec des angles tranchants ; c'est ainsi que nous nous faisons du mal les uns aux autres. Mais ne croyez pas que la solitude éloigne les tentations. Au contraire, celles-ci sont plus violentes. Et les démons sont comme les brigands : ils s'acharnent sur un homme seul. J'en ai fait souvent l'expérience, vous le pensez bien. Je ne suis pas autrement que vous autres, et l'homme reste homme où qu'il soit. Nous ne sommes pas des anges ! J'ai eu beau jeûner, passer des nuits en prière, m'imposer toutes sortes de privations, le diable a toujours cherché à me détourner de Dieu. C'est son but, et pour l'atteindre il ne recule devant aucune ruse. Il est souvent venu sous l'aspect d'un bon apôtre qui me proposait de retourner dans le monde pour devenir dans l'Église un modèle de vertu. Il me suggérait que ma vie d'ermite ne servait à rien, et j'étais tout prêt à le croire, mais tout à coup une force m'envahissait et me permettait de résister.
C'était encore plus difficile, continue Antoine, quand, au début, le démon s'adressait à mes instincts de jeune homme, me faisant toutes sortes de propositions malsaines qui flattaient mes sens. D'autres fois, il me terrorisait, quand il voyait que l'inspiration de mauvaises pensées ne suffisait pas à me faire tomber. Il m'envoyait d'affreuses visions : des bêtes farouches, des serpents, des géants, voire même une grande troupe de soldats. J'avais peur, bien sûr, mais il me suffisait d'invoquer du fond de mon coeur le nom de Jésus, et toutes ces créatures du diable s'enfuyaient. Ah ! si le Christ ne m'avait pas continuellement soutenu, j'aurais souvent succombé. je récitais aussi les Psaumes « Le Seigneur est ma force et je mépriserai tous ses ennemis. »
Je ne suis pas toujours resté dans la même retraite, bien que j'aie vécu longtemps dans un vieux tombeau abandonné et assez vaste. Il m'arrivait de faire des tournées parmi mes frères ermites. Je recevais des encouragements, j'en donnais. Nous avions besoin de nous aider les uns les autres dans la pratique de notre foi. Les autres solitaires souffraient des mêmes tentations que moi. Parfois je leur disais : « Vous avez trop peur du diable. il a été terrassé par le Christ, et toutes ses forces ont été détruites. Ce n'est plus qu'un tyran vaincu qui, ayant encore la parole, s'en sert pour nous adresser des menaces. »

Les chameliers auraient bien écouté Antoine toute la nuit, mais, pour repartir tôt le lendemain, il faut dormir au moins quelques heures. Chacun s'entoure d'une couverture - les nuits sont fraîches - et s'assoupit. Seul Antoine se réveille avant l'aube. Il se met à genoux et prie dans le silence.
Le voyage en commun dure trois jours et trois nuits. Quoique solitaire par vocation, Antoine ne dédaigne pas la compagnie. Sa ligne de conduite est simple : « Où que tu ailles, aie Dieu devant les yeux ; quoi que tu fasses, prends appui sur l'Écriture ; où que tu sois, ne te presse pas de t'en aller.»
La caravane s'est arrêtée dans un endroit vraiment extraordinaire, au pied d'une montagne rocheuse, abrupte. On n'aperçoit pas encore la Mer Rouge, mais on s'en approche : il reste sans doute deux jours de marche à faire. Quel endroit merveilleux pour Antoine ! Une source d'eau douce jaillit du rocher, un ruisseau arrose quelques palmiers. Pendant le bivouac, l'ermite s'éloigne. Ses compagnons le croient déjà perdu. Il suffirait d'un faux pas pour faire, dans ces côtes pierreuses, une chute catastrophique. Mais, au bout d'une heure, Antoine revient triomphant : il a trouvé, au-dessus de la source, une grotte qui fera son affaire. Son bonheur est immense, car il pourra enfin vivre comme Elie. Le lieu ressemble tout à fait à celui décrit dans le livre des Rois. La caravane repart, laissant son étrange passager dans la solitude la plus totale, non sans l'avoir ravitaillé pour quelque temps.

Antoine est fou de joie dans cet oasis où rien ne manque pour subsister. Ses compagnons lui ont du reste promis de venir le voir lorsqu'ils repasseraient dans la région. Antoine aspire à être vraiment seul avec Dieu. Il croit avoir atteint son but. Malheureusement, il a compté sans le diable qui le suit partout. Ce soir-là, Satan se présente à lui sous une forme gigantesque et lumineuse - comme un ange - et lui dit : « Je suis la force et la providence de Dieu, et je ferai ce que tu voudras. » Antoine est tenté de croire que, dans ce petit paradis, l'Éternel en personne vient lui rendre visite ! Soudain il flaire un piège et, en proférant le nom de Jésus-Christ, il crache au visage de ce fantôme qui s'en va aussitôt. Les combats recommencent, plus âpres que jamais.
N'être distrait par personne ni par rien au monde : voilà son plus sincère désir. Parfois, quand les premiers rayons solaires viennent le déranger dans sa prière, il s'indigne contre l'astre du jour : « Soleil, qu'ai-je besoin de ta lumière ? Pourquoi venir me distraire ? Pourquoi te lever pour me ravir à la clarté de la véritable Lumière ? » Il regrette la nuit plus favorable au recueillement que le jour.
Il doit cependant travailler pour se nourrir. Bien sûr, les caravaniers ont repassé et lui ont laissé du pain. Ses disciples ont aussi repéré sa cachette et sont venus le voir, lui apportant des olives, des légumes et de l'huile. Comme il ne veut absolument pas dépendre d'eux, il les supplie de lui procurer une bêche. Grâce à cet outil, il peut cultiver son jardin. Chaque année il en récolte les produits et les palmiers lui procurent des dattes. Il a même assez pour offrir l'hospitalité à ceux qui viennent le consulter et qui sont, à son gré, beaucoup trop nombreux ». Qu'on le laisse donc seul ! Sinon il n'aura plus le temps de prier.
Plus tard, les moines qui, dans cet endroit isolé du monde, continueront à vivre comme lui, maintiendront des champs et des vergers à l'intérieur de leur grand monastère fortifié, et la source dans le rocher leur fournira continuellement l'eau nécessaire. ils ne changeront rien d'essentiel au cadre de la vie de notre ermite, et, au cours des siècles, au coeur d'une région montagneuse et désertique, située à quelque deux cents kilomètres de Suez et difficilement accessible, même aujourd'hui, le couvent de Saint-Antoine, le plus ancien de la chrétienté, habité par des moines coptes très hospitaliers, témoignera toujours de la présence de l'homme de Dieu dont la célébrité gâtait l'existence.

Un jour, des messagers de l'empereur Constantin lui apportent une lettre de sa part. Antoine ne met aucun empressement à y répondre, car il ne se sent pas plus flatté par cette démarche que par la visite du plus humble des paysans. Certains de ses disciples le félicitent de sa renommée qui va jusqu'à la cour impériale. « De quoi vous étonnez-vous ? leur dit-il. Si l'empereur m'écrit, ce n'est jamais qu'un homme s'adressant à un autre homme. Ce qu'il faut admirer, c'est Dieu qui a écrit une loi pour les hommes et qui nous a parlé par son propre fils. »

Une autre fois, une délégation vint en hâte le supplier de descendre à Alexandrie. Déjà sous le règne de Maximien, vers l'an 300, il a été poussé à quitter momentanément sa retraite pour se rendre dans cette ville. Les chrétiens y subissaient alors la plus cruelle des persécutions. L'ermite brûlait du désir de souffrir le martyre avec eux. Il y avait en ce temps-là une véritable soif de mourir pour Christ. Même les chrétiens qui n'étaient pas molestés à cause de leur foi se livraient aux autorités qui les repoussaient tant les prisons étaient remplies. Antoine ne fut point arrêté, malgré le soutien qu'il apportait aux prisonniers et à ceux qui travaillaient dans les mines (c'était un des châtiments infligés aux chrétiens). Chaque jour, il assistait aux séances du tribunal et exhortait ses frères en la foi à rester fermes jusqu'à la fin. On l'en chassa, car sa présence importunait les juges.

Maintenant, la situation est plus grave que sous la persécution, et c'est la raison pour laquelle on recourt à lui. Ce sont les chrétiens, au sein de l'église d'Alexandrie, qui se querellent entre eux. ils se jettent à la tête toutes sortes d'opinions folles qui n'ont rien à voir avec l'esprit fraternel dont devrait être animée la recherche de la Vérité. Certains veulent manifestement diviser l'église, et c'est dangereux. Antoine, déjà averti de ce péril par une vision, n'hésite pas à traverser le désert arabique et le delta du Nil pour rétablir la paix dans la communauté chrétienne. Il commence à sentir le poids des ans et cependant il est de plus en plus sollicité par les malades qui viennent chercher du secours auprès de lui. S'il y a guérison, il ne s'en attribue nullement le mérite mais rend grâce à Dieu pour les miracles qu'Il ne cesse de faire. Sa modeste intervention se borne à la prière. Une dernière fois, il descend de la montagne, car sachant qu'il va bientôt mourir, il veut faire ses adieux à tous ses disciples, les invitant avant tout à persévérer dans la foi en Jésus-Christ, « cette foi, dit-il, que vous avez apprise par les Écriture ».

De retour dans sa grotte, il tombe malade. Depuis quelques années, deux solitaires demeurent avec lui pour lui prêter main forte, car il est très âgé. C'est à eux qu'il communique ses dernières volontés. Il n'a rien à léguer, sinon deux tuniques et un manteau qu'il destine à ses meilleurs amis. Mais il émet un voeu formel, c'est que son corps soit enterré dans un lieu absolument secret. Puis il prend congé de ses compagnons : « Adieu, mes chers enfants, Antoine s'en va et n'est plus avec vous.» Son corps se raidit, alors que son visage, même dans la mort, reste toujours resplendissant de joie. Il en émane un rayonnement que ses amis contemplent avec reconnaissance. Antoine avait cent cinq ans, et l'on était en l'an de grâce 356. Son souvenir est toujours vivant au bord de la Mer Rouge et ailleurs.

Sa biographie a été écrite par son contemporain et ami, Athanase, patriarche d'Alexandrie, qui relève, entre autres, ce fait anodin et amusant - qui met en cause l'hygiène - « au cours de toute sa vie, Antoine ne s'est jamais lavé les pieds ».


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