DEUXIÈME PARTIE
RÉCITS ÉGYPTIENS
Un certain Jean d'Amathonte
Récit du VIIe siècle
Jean était un vrai Nil, portant dans
toute l'Égypte avec le flot de ses
aumônes la fécondité des
oeuvres chrétiennes
J. Moschus.
I
Les pleureuses venaient à peine de
commencer leurs lamentations. Elles connaissaient
bien la maison ; c'était peut-être la
quatrième ou la cinquième fois
qu'elles y venaient. Les années
précédentes, on les avait
appelées surtout pour des enfants, et la
mère se joignait à elles pour
pleurer. Aujourd'hui, elles étaient
entrées dans une maison étrangement
silencieuse. Un domestique leur avait ouvert la
porte, et dans la chambre gisait sur un lit couvert
de fleurs une jeune femme, dont le visage amaigri
portait encore les traces de la maladie et du
chagrin.
Perdre trois enfants en si peu de temps
! La pauvre mère n'avait pas supporté
une pareille épreuve. on l'avait vue
dépérir mois après mois. Son
mari avait fait tout ce qui était en son
pouvoir pour la distraire. De la bourgade chypriote
d'Amathonte, où ils habitaient, il l'avait
conduite dans les montagnes, sur les pentes du
Troodos, loin du rivage malsain de la mer. Rien
n'avait empêché sa lente
consomption.
Jean se demandait pourquoi il
était si durement éprouvé. Il
n'avait plus sa mère à ses
côtés pour le consoler. Elle aussi
avait quitté ce monde, non sans laisser
à son fils l'exemple stimulant d'un coeur
compatissant. Ne lui avait-elle pas toujours
répété qu'il devait, en toutes
choses, s'en remettre à la
miséricorde divine?
Quand il entendit ces femmes pousser
leurs cris lugubres, comme c'était la
coutume lors d'un deuil, il sortit par une porte
dérobée et, à la faveur de la
nuit tombante, se dirigea furtivement vers un
terrain vague au bord de la mer. Il erra longtemps.
Sa tête brûlait et sa tunique flottait.
Un vent assez violent soufflait. Il n'y prenait pas
garde. Une pensée l'obsédait :
qu'allait-il devenir maintenant qu'il était
veuf, seul, sans personne à aimer ? Il
fuyait la maison de la mort. Cette splendide villa,
dans laquelle il avait passé tant de jours
heureux, au sein de la famille que Dieu lui avait
donnée, était devenue pour lui un
lieu d'épouvante.
Fatigué, il s'assit sur une
pierre, et se tenant la tête toujours en feu,
il repensa soudain à un songe qu'il avait
fait dans sa jeunesse. Une nuit que le sommeil
tardait à venir, il vit en rêve, au
moment de s'assoupir, une jeune fille très
belle, parée de vêtements tout blancs
et le front rehaussé d'une couronne d'or.
Elle s'approcha de son lit et lui posa la main sur
l'épaule comme pour le réveiller. Il
sursauta, étonné de recevoir une
pareille visite à une heure si tardive ; il
demanda à cette intruse son nom et la
questionna sur le but de sa venue. Elle se mit
d'abord à sourire et lui fit cette
réponse inattendue : « Je suis une des
filles du grand Roi. Si tu veux bien me prendre en
amitié, tu obtiendras de lui des bienfaits
inestimables. » Et sur ces paroles, elle se
retira.
Encore bouleversé par cette
apparition, il se dirigea, le matin, vers
l'église et vit, sur son chemin, un pauvre,
nu et à moitié gelé. Il
entendit de nouveau la voix de la jeune fille qui
lui disait, en présence de ce
miséreux : « Donne-lui ton habit !
» Il obéit immédiatement,
mû par une force qui ne venait pas de lui, et
comprit que cette fille du grand Roi s'appelait en
réalité
«Miséricorde».
L'histoire qui lui revenait à
l'esprit, en cette soirée de deuil et de
désespoir, ne s'était pas
terminée là. Tout près de
l'église, un inconnu lui avait glissé
dans la main un rouleau de cent écus d'or,
en lui disant simplement : « Mon ami, c'est
pour toi. » il avait voulu rendre cette somme,
dont il n'avait pas besoin, à ce prodigue
donateur, mais l'homme avait déjà
disparu. Et Jean dut chercher à qui ces
écus feraient du bien. Il s'était
senti désormais au service de la Providence.
Les années s'étaient
écoulées. il avait repris les
affaires de son père, ancien gouverneur de
l'île, et s'était marié croyant
posséder dans la famille un bonheur
définitif.
Pourquoi se souvenait-il de cette vision
d'autrefois ? N'aurait-elle pas un sens nouveau
dans son épreuve ? Dieu ne voulait-il pas
faire de lui l'ami de la Miséricorde ?
Être, parmi les
déshérités, l'instrument de la
bonté divine ! Jean n'hésita pas un
instant. il avait trouvé sa véritable
vocation : prendre à coeur la misère
des autres. Voilà une manière non pas
d'oublier ses chers disparus, mais de les remplacer
dans son affection débordante. il ne peut
plus témoigner de l'amour aux siens
puisqu'ils sont morts, alors il déploiera
toute sa générosité envers
ceux qui auront besoin de lui.
À l'enterrement, Jean avait perdu
l'air abattu du jour précédent. Il
n'était pas plongé dans le
désespoir. Au contraire, tout en marchant
vers le cimetière, il savait qu'une vie
nouvelle s'ouvrait à lui et que les pauvres
seraient sa véritable famille.
Comme il rentrait chez lui, il passa
devant la somptueuse demeure de son voisin, un
douanier très riche mais avare. En face de
la porte, le boulanger avait arrêté
son mulet et sortait d'un panier les pains qu'il
allait livrer à son client. Un mendiant se
présentait en même temps. Le douanier
prit les pains et, pour se débarrasser de
l'importun dont la vue l'irritait, en choisit un
bien dur et le lui jeta à la tête. Le
miséreux, très satisfait, bien qu'il
fût légèrement blessé,
car le pain l'avait atteint en pleine figure,
courut à toutes jambes du côté
de la place. Jean le suivit et le vit arriver,
triomphant, au milieu du groupe des pauvres qui se
chauffaient au soleil. Tous les jours, ils se
tenaient là et échangeaient leurs
impressions sur l'accueil qu'ils recevaient dans
les maisons quand ils allaient demander
l'aumône. Ils se transmettaient les bonnes
adresses.
Le vagabond, tout joyeux, brandit son
pain devant les yeux de ses camarades ahuris.
«J'ai gagné mon pari ! »,
criait-il. «Ce pain, c'est le douanier qui me
l'a donné ; si vous ne voulez pas me croire,
J'ai un témoin», dit-il encore. Et il
montra Jean qui regardait la scène sans bien
comprendre la raison de cet étonnement
collectif. On lui expliqua ce qui s'était
passé. Le jeune homme qui rapportait le pain
avait fait un pari : à l'encontre de
l'opinion des autres, il était certain
d'obtenir quelque chose de celui qui n'avait jamais
rien donné aux pauvres. Il avait donc
gagné son pari !
Le lendemain, Jean apprit que son voisin
le douanier était tombé malade. Il
alla le voir et le trouva plongé dans une
méditation profonde. Pendant la nuit, dans
son délire, l'homme fiévreux avait
cru sa dernière heure arrivée : il
avait vu une balance qui s'avançait
mystérieusement jusqu'à lui. Sur l'un
des plateaux, des démons hideux entassaient
des paquets tout noirs. il y reconnut ses mauvaises
actions, si nombreuses que les colis s'amoncelaient
sans arrêt. Autour de l'autre plateau, il
surprit une conversation entre plusieurs
personnages : « Nous n'avons rien à
opposer à ce poids énorme si ce n'est
le pain qu'il a jeté l'autre jour à
la tête d'un affamé. » Il
tremblait de tout son être et se croyait
condamné à jamais. Mais, ô
merveille, le pain fit descendre le plateau,
malgré le contrepoids.
Le douanier comprit l'avertissement que
Dieu lui donnait et promit à Jean de
l'imiter. Le jour où, guéri, il
sortit dans la rue pour la première fois
depuis le changement intervenu dans sa vie, il
rencontra un matelot naufragé
dépouillé de tout et lui procura un
très beau costume. Quelle ne fut pas sa
surprise, le lendemain, en revoyant le même
homme revêtu de haillons. Celui-ci avait
vendu les habits donnés. Le douanier, on le
comprend, en fut fort dépité et alla
se coucher, découragé de faire le
bien. Dans un songe, il crut voir son pauvre ; en
réalité, c'était Jésus
qui lui disait : «Le vêtement que tu
m'as donné, je le porte toujours ! » Il
saisit le sens de cette nouvelle leçon :
tout ce qu'on fait aux autres, c'est en
vérité au Christ qu'on le
fait.
Jean, qui demeura l'ami de ce douanier
tant qu'il habita l'île de Chypre, avait
trouvé la plénitude du bonheur dans
la générosité. Ouvrir sa
bourse pour les autres était devenu pour lui
le vrai plaisir de la vie. Sa réputation
dépassa de beaucoup les limites de sa ville
natale. Les voyageurs qui faisaient escale dans le
port entendaient parler de cet homme charitable et
racontaient partout ses hauts faits. Jean
était bien connu à Constantinople, la
ville impériale, et même à
Alexandrie, l'un des principaux centres de la
chrétienté.
II
Un jour, on l'entendit crier : « Non, je ne
veux pas quitter Amathonte. C'est ma ville natale.
Ma femme et mes enfants y sont enterrés. J'y
trouve chaque jour le souvenir de ma
vénérée mère. Pourquoi
irais-je à Alexandrie ? Vous avez de
très bons moines dans les couvents. Vous
voulez un chef ? Choisissez un patriarche parmi eux
! Laissez-moi tranquille ici. »
Jean discutait depuis plusieurs heures
avec la délégation venue
spécialement d'Alexandrie le supplier
d'accepter l'appel qui lui était
adressé. L'église de la grande
cité égyptienne avait besoin de lui
comme chef spirituel. Depuis quelque temps
déjà, on cherchait quelqu'un pour
succéder au patriarche défunt, le
célèbre Euloge, un saint homme, dont
le grand mérite avait été de
réunir dans la même église des
chrétiens divisés en train de se
détourner de la vérité. Il y
avait eu des élections, mais personne ne
jouissait de la confiance générale
pour reprendre la difficile direction de
l'église. Enfin un nom fut prononcé
qui mit d'accord tous les intéressés
: Jean d'Amathonte. Le puissant empereur de
Constantinople appuyait de toute son
autorité ce choix judicieux. Encore
fallait-il que Jean consentît à
quitter Chypre pour Alexandrie, dont son ami
Nicétas était le patrice,
c'est-à-dire le chef civil
désigné par l'empereur.
C'était Nice-tas qui avait pris l'initiative
de la délégation. L'empereur lui
avait donné l'ordre de briser toutes les
résistances. Jean avait une tète
dure. il finit cependant par céder, et, un
beau matin de printemps, le petit port fut envahi
par une foule immense qui venait saluer avec regret
le départ de l'homme le plus
généreux que l'île eût
jamais connu.
Qu'allait-il faire dans cette
galère, se demandaient certains, en pensant
aux obstacles qu'il rencontrerait dans l'exercice
de sa nouvelle fonction. N'était-il pas trop
bon pour diriger une église menacée
par de multiples intrigues ? Faire la
charité et gouverner, ce sont deux voies
différentes, et s'il a réussi dans la
première, cela ne signifie pas qu'il est
aussi qualifié pour la seconde.
Aura-t-il la fermeté
nécessaire ? Va-t-il continuer sa politique
de la bourse ouverte ? Ce sera l'âge d'or des
profiteurs ! Sur le pont du bateau qui le
conduisait dans la ville d'Alexandrie, Jean se
posait aussi beaucoup de questions, mais calme et
confiant, il se savait dans la main de Dieu et
attendait les événements.
À vrai dire, il fut
déçu par la situation lamentable dans
laquelle il trouva l'église d'Alexandrie, si
réputée dans le monde entier. Certes,
il pensait avoir de nombreux problèmes
à résoudre, mais il ne croyait pas
devoir commencer par construire des églises.
Or, à peine arrivé, s'apercevant du
manque de lieux de culte dans les différents
quartiers de la ville, il entreprit de bâtir
immédiatement soixante-dix sanctuaires pour
remédier à cette pénurie.
Alexandrie, sur une longue lagune entre la mer et
le lac Mariout, a toujours été une
ville très étendue, et à cette
époque-là il n'était pas
facile de se déplacer dans cette immense
cité. Si les riches se faisaient
véhiculer sur des litières
portées par des esclaves, la plupart des
gens du peuple allaient à pied. Maintenant
ils ne pouvaient plus prétexter un long
chemin à faire pour ne pas se rendre aux
offices : les églises de quartier
étaient à proximité de leur
domicile.
Mais Jean remarqua d'emblée que
la prédication de la Parole de Dieu
n'était pas faite avec tout le soin
désirable. Alors il tourna son zèle
vers les prédicateurs eux-mêmes, qu'il
voulut mieux préparés à leurs
tâches et à qui il assura un
traitement régulier. Comme ils n'avaient
aucun souci de la jeunesse, Jean les obligea
à enseigner le catéchisme. Il devint
un véritable réformateur de
l'Église. Hélas ! les églises
célébraient des rites mais ne
prêchaient plus la Vérité. Les
fidèles s'étaient habitués
à ces cérémonies toujours
très longues, au cours desquelles ils
bavardaient à loisir. Ils avaient même
perdu le respect du culte ; les hommes en
particulier sortaient du sanctuaire dès que
le prédicateur prononçait son sermon.
Un jour de fête, indigné par un tel
sans-gêne, Jean n'y tint plus.
Il venait de chanter l'Évangile
et s'apprêtait à prêcher. Comme
à l'ordinaire, il y eut dans l'assistance un
grand branle-bas : les hommes quittaient leurs
places et se ruaient vers la porte. Jean descendit
rapidement les escaliers de la chaire et suivit ses
paroissiens jusque sur le parvis. Chacun
était frappé de stupeur. Le
patriarche profita de ce moment pour
s'écrier devant tous : « Ne soyez pas
surpris de me voir parmi vous. C'est le devoir du
pasteur de se trouver au milieu de son troupeau.
Comme la prédication vous est
destinée, il va de soi que, si vous quittez
l'église, mon travail est inutile ; c'est
pourquoi j'ai décidé de sortir avec
vous. Si vous rentrez, je rentrerai avec vous, bien
entendu ! » La leçon eut un effet
immédiat : ce dimanche-là, le
prédicateur prêcha devant une
assistance compacte. Dans d'autres occasions, il
dut sévir contre les bavards et finit par
obtenir le silence absolu pendant les
cultes.
Le nouveau patriarche n'avait que faire
d'auditeurs oublieux qui négligeaient de
mettre en pratique les commandements divins. De
toutes parts il entendait parler de la fraude chez
les marchands. Les faux poids et les fausses
mesures suscitaient de nombreuses plaintes qui ne
laissèrent pas Jean indifférent. Il
mena une campagne énergique contre les
falsificateurs. À certaines heures, le
mercredi et le vendredi, il se tenait à la
disposition des plaignants, écoutant leurs
contestations et rendant son jugement, non sans
avoir consulté des experts. Son tribunal se
tenait sous le portique de l'église. Un
jour, personne ne se présenta, et comme Jean
en était affligé, un de ses aides lui
dit : « Vous devriez au contraire vous en
réjouir. On ne fraude plus ! Et vous avez su
apporter dans la ville une telle concorde que
personne n'a de querelles avec son prochain !
»
Malgré les nombreuses charges qui
lui étaient dévolues, il pensait
toujours aux pauvres, et sa bourse, constamment
remplie de dons inattendus, se vidait dès
qu'il s'agissait de fonder un hôpital, une
hôtellerie ou une cuisine populaire. Il fut
l'un des premiers à ouvrir des
maternités.
La guerre sévissait en Syrie. Les
hordes cruelles du roi de Perse faisaient des
ravages énormes sur leur passage. Les
enfants étaient emmenés en esclavage.
La population fuyait devant les massacres et se
réfugiait en Égypte. Jean organisait
les secours. Quand il apprit que Jérusalem
était aux mains de l'ennemi, il
dépêcha un homme de confiance avec de
l'or, des vivres et des vêtements pour venir
en aide aux malheureux fugitifs. Les
réfugiés de tous pays ne recouraient
jamais en vain au patriarche d'Alexandrie.
Jean ne négligeait pas pour
autant les pauvres de la ville. Un jour, il
convoqua tous ses subordonnés et leur dit :
« Celui dont vous avez à vous occuper
en premier lieu, c'est Notre Seigneur
Jésus-Christ. Allez donc par toute la ville
et prenez les noms de nos seigneurs ! » Ils ne
comprirent pas tout de suite. Quels pouvaient bien
être « leurs » seigneurs ?
Après un moment de silence, Jean dut leur
expliquer ceci : « Nos seigneurs, ce sont ceux
en qui nous rencontrons notre Seigneur,
c'est-à-dire Jésus-Christ.
»
« Toutes les fois que vous avez
fait ces choses-là à l'un de ces plus
petits de mes frères, c'est à moi que
vous les avez faites », dira le Seigneur au
jugement dernier.
Les serviteurs de Jean parcoururent
toutes les rues de la ville et découvrirent
sept mille cinq cents indigents. Ils se demandaient
comment leur maître arriverait à
subvenir à leur entretien. Mais Jean avait
confiance ; il répétait volontiers
que, quand bien même le monde entier
viendrait quêter à Alexandrie,
l'argent ne ferait jamais défaut.
Effectivement, il y eut toujours, dans la caisse de
l'église, de quoi pratiquer
l'entraide.
Une telle
générosité devait provoquer,
personne n'en doute, bien des abus ; les escrocs se
parent souvent de la misère pour tromper les
âmes charitables. Jean n'en était pas
dupe. il savait discerner les détresses
réelles et se montrait sévère
à l'égard des faux pauvres, quand il
en avait la preuve certaine. Malgré cela,
que de fois on a abusé de sa bonté,
que de vagabonds sont venus lui demander le prix
d'un voyage qu'ils n'ont jamais effectué !
C'est le lot de tous ceux qui ouvrent facilement
leur bourse aux malheureux ; seuls les avares
échappent à ces tromperies, parce
qu'ils ne donnent à personne. Jean
était souvent mis à l'épreuve.
Le même mendiant se présentait sous
des habits différents et obtenait chaque
fois une aumône... jusqu'au moment ou sa ruse
était découverte.
Il arrivait à Jean de recevoir
des cadeaux qui l'embarrassaient, car il les
trouvait trop beaux pour lui. il cherchait les
vêtements simples, et voilà qu'un
chrétien fortuné lui fit don d'un
habit somptueux. Le patriarche l'avait
accepté et il avait même promis au
généreux donateur de le porter, mais
quand il l'essaya, il se rendit compte qu'il ne
pourrait jamais se promener dans un costume si
luxueux. « Toi, misérable, se disait-il
à lui-même, tu vas porter cette robe
de trente-six écus d'or alors que tes
frères gèlent sous des haillons ! Il
y a des affamés qui vont se coucher sans
avoir mangé. Des réfugiés
n'ont pas d'abri et dorment sur la place publique.
Dieu te reprochera de n'avoir pas partagé
tes biens avec tes frères dans le besoin.
Après tout, j'ai tenu ma promesse, J'ai
porté cet habit une fois, cela suffit,
maintenant je puis m'en détacher. » Et
il alla le vendre pour en distribuer la
contre-valeur aux indigents.
Mais le donateur eut connaissance de ce
fait et se rendit dans la boutique où son
trop charitable ami avait négocié
l'habit. Il le racheta et le lui renvoya. Jean ne
se considéra pas comme battu et retourna
chez le marchand. L'opération
précédente se répéta.
L'habit fit ainsi plusieurs fois la navette entre
le magasin et le palais patriarcal. À la
fin, Jean dut dire à son bienfaiteur :
« Arrêtons ce jeu : nous ne saurons
jamais lequel des deux se fatiguera le premier. Ah
! si tous les gens aisés me donnaient un
habit comme vous, que de misères seraient
soulagées ! »
Les riches ont aussi leurs
déboires. ils peuvent perdre en un jour tout
ce qu'ils ont gagné en une vie. Ils sont
souvent repérés par les voleurs qui
ne les ménagent guère. Un homme
fortuné fut totalement
dépouillé de ses biens. Les
cambrioleurs avaient profité de son absence
pour vider sa maison de fond en comble. Jean.
apprit ce malheur, et pour éviter à
l'homme ainsi éprouvé l'humiliation
d'une requête, il lui fit remettre quinze
livres d'or, pensant que sa commission serait bien
faite. Mais le porteur, un homme malhonnête,
garda les deux tiers de la somme pour lui ; il
espérait que son maître n'en saurait
rien.
Cependant les choses se passèrent
autrement, de la manière la plus inattendue.
Comme Jean sortait de l'église, une veuve
s'approcha de lui et le salua avec
déférence tout en lui remettant un
don de cinq cents livres pour ses pauvres. Le
patriarche vit au même moment le porteur, de
retour, passer auprès d'eux sans
s'arrêter, une main fermée comme s'il
tenait une pièce de monnaie. Il y avait
quelque chose de louche. Jean eut l'intuition
à la fois que la dame n'avait pas
donné la somme qu'elle lui destinait et que
le porteur l'avait trompé. Il interrogea ce
dernier qui prétendit avoir tout
donné, puis il se tourna vers la veuve pour
connaître ses véritables intentions.
Celle-ci lui racontait qu'en effet elle voulait
donner mille cinq cents livres, mais qu'elle en
avait été empêchée par
une volonté supérieure à la
sienne ; c'est la raison pour laquelle son don
n'avait été que de cinq cents. Jean
comprit qu'il y avait un lien, quelque
mystérieux qu'il fiât, entre
l'attitude de la veuve et l'indélicatesse de
son porteur. Les dons sont limités par Dieu
lui-même dès qu'ils sont
détournés de leur destination. Le vol
du commissionnaire avait eu une répercussion
non seulement préjudiciable à l'homme
lésé de dix livres, mais encore au
patriarche lui-même qui ne recevait que dans
la mesure où il donnait tout à bon
escient. Le porteur confondu tomba à genoux
et reconnut sa faute. il rendit la somme
volée et Jean lui pardonna.
L'empereur de Constantinople avait, en
ce temps-là, de grandes difficultés
financières. Il lui fallait beaucoup
d'argent pour son armée. Les églises
elles-mêmes devaient payer de lourdes
redevances. Le patrice Nicétas fut
chargé d'exiger du patriarche d'Alexandrie
la remise de toutes les ressources
ecclésiastiques. Jean s'y opposa, disant
à son ami : « Noble patrice, il n'est
pas juste de remettre au roi de la terre ce qui
revient au Roi du ciel : c'est un sacrilège.
Si tu persistes, eh bien ! prends toi-même
les biens de l'Église, mais sache que tu
agis contre ma volonté.»
Nicétas, pour obéir aux ordres de
l'empereur, fit emmener le trésor du
patriarcat. Mais, alors que les policiers
emportaient le butin comme des guerriers
conquérants , les dons affluaient de toutes
parts. Des gens apportaient à
l'église des amphores munies d'inscriptions
alléchantes : miel de premier choix, miel
sans parfum, etc. Le patrice qui était venu
rejoindre ses sbires aurait désiré
que le patriarche lui en offrît une, mais il
n'y eut rien à faire.
Une fois les agents impériaux
partis, Jean eut la curiosité d'ouvrir les
amphores pour en goûter le contenu. 0
surprise ! la première était remplie
de pièces d'or. Il passa à la
deuxième: ce fut un émerveillement
identique. Toutes les amphores contenaient de l'or.
Il est fort probable que certains chrétiens,
face aux réquisitions de Constantinople,
avaient préféré faire cadeau
de leurs biens à l'Église
plutôt qu'à l'État avide
d'argent pour se préparer à la guerre
; c'était un meilleur placement.
Jean recouvrit soigneusement la
première, celle dont l'étiquette
portait « Miel de premier choix», et
résolut de l'envoyer à
Nicétas, accompagnée d'un billet
ainsi rédigé : « Noble patrice,
le Seigneur qui a dit : je ne te délaisserai
pas, je ne t'abandonnerai pas, m'a envoyé
des ressources pour compenser celles que tu m'as
soulevées. Sache à tout jamais que
l'homme ne saurait mettre Dieu dans l'embarras.
»
Ce vase devait être remis en mains
propres, à Nicétas lui-même, et
les serviteurs du patriarche avaient mission
d'assister à l'ouverture pour voir la
tète du destinataire et lui dire avec malice
que les autres amphores étaient pleines d'un
miel de même qualité.
Il faisait très chaud, le soleil
était au zénith. Les serviteurs
maniaient délicatement le précieux
récipient qui risquait d'éclater sous
la pression de son pesant contenu. ils
n'étaient pas trop à deux pour le
transporter en marchant très Vite. On
eût dit des voleurs, mais quand ils
s'arrêtèrent devant le palais de
Nicétas, les badauds crurent qu'il
s'agissait d'une nouvelle réquisition. Les
domestiques du patriarche eurent de la peine
à se faire introduire, car le patrice,
après beaucoup d'audiences, prenait son
repas sur une terrasse bien abritée du
soleil, face à une mer d'huile. Il
était seul, ce jour-là, et avait
donné l'ordre de ne laisser personne
pénétrer dans la maison pendant son
repos. Quand il entendit qu'un cadeau lui
était envoyé par le patriarche, il
consentit à recevoir les deux serviteurs,
qui n'en pouvaient plus tant le présent
était lourd. Il y avait une lettre qui
l'accompagnait. Mais le destinataire s'en fut
immédiatement ouvrir l'amphore, humant par
avance l'odeur de son contenu indiqué sur le
couvercle. il fut déçu en voyant les
pièces d'or alors que, dans sa gourmandise,
il s'attendait à du miel. De l'or ! Il
devait le verser dans les caisses de l'État,
sans en avoir sa part.
Un envoi supplémentaire, alors
que tout avait été saisi chez le
patriarche ! Comment était-ce possible ?
Nicétas flaira un mauvais tour que voulait
lui jouer Jean. Il ouvrit la missive qu'il avait
négligemment jetée sur la table, et
n'en crut pas ses yeux en lisant et relisant' cette
vérité qui le fit
réfléchir : l'homme ne saurait mettre
Dieu dans l'embarras. Nicétas
congédia les serviteurs d'un air
mécontent. En effet, il était
mécontent de lui-même, il se repentait
des prélèvements qu'il avait faits
chez l'homme de Dieu. Sans retourner à
table, il donna l'ordre à trois de ses
gardiens de rapporter au patriarcat tout ce qui
avait été pris, et il ajouta une
forte somme de sa propre poche. L'amphore aussi
reprit le chemin de l'église. Mais
tourmenté, Nicétas n'attendit pas la
fin de la sieste pour aller lui-même
présenter des excuses au patriarche. Depuis
ce moment-là, il n'y eut plus d'opposition
entre eux, et Jean devint plus tard le parrain des
enfants du patrice.
III
La guerre continuait sur les frontières
septentrionales de l'Empire byzantin. Les Perses,
aidés de tribus slaves, redoublaient leurs
attaques et semaient la désolation dans les
campagnes, tout en se rapprochant de
Constantinople. Les réfugiés
arrivaient en si grand nombre à Alexandrie
que le blé manqua. La récolte avait
été insuffisante, car la crue du Nil,
dont vit l'Égypte, ne s'était pas
faite comme de coutume. Le patriarche Jean
dépensa tout son argent pour secourir les
malheureux. Selon son habitude, il vida la caisse
de l'église : le merveilleux contenu des
amphores y passa jusqu'à la dernière
pièce d'or. Hélas ! la famine
n'était point terminée; au contraire,
chaque jour des gens tombaient d'inanition dans les
rues.
Accablé mais non
découragé, Jean se retirait dans sa
petite chambre, semblable à une cellule de
moine, et priait en secret, comme Jésus
l'avait enseigné à ses disciples. Un
jour que, pendant plusieurs heures, il avait
supplié Dieu de lui accorder quelque
secours, une lettre lui fut remise. Il la
parcourut, espérant y trouver un exaucement
à ses prières. En effet, son
correspondant lui offrait une forte somme mais lui
demandait en compensation un titre honorifique
qu'il ne méritait pas. Ce fut très
pénible pour le patriarche de refuser une
telle proposition dont les affamés auraient
bénéficié, mais à peine
venait-il de prendre cette décision qu'un
employé du port lui transmit une bonne
nouvelle. Les deux vaisseaux qu'il avait
envoyés à la recherche de froment en
Sicile, il y avait fort longtemps, et sur lesquels
il ne comptait plus, se trouvaient en rade
d'Alexandrie, à sa disposition. « Dieu
est bon ! », s'écria-t-il dans un
élan de joie et de reconnaissance, et
sur-le-champ il donna l'ordre de
décharger.
Grâce à des arrivages
réguliers de blé, la population vit
avec soulagement disparaître le spectre de la
famine. Mais un nouveau fléau allait la
frapper : la peste. C'était pendant le
khamsim, vent du désert, d'une violence
inouïe, qui semblait répandre la
terrible maladie. Les gens mouraient par centaines.
Le patriarche visitait les malades et leur
apportait l'espérance chrétienne
telle qu'on la trouve dans l'Évangile. Il se
tenait longuement au chevet des mourants, sans
aucune crainte quant à sa propre vie. Les
morts, selon la pratique nécessitée
par le climat, étaient ensevelis dans la
journée, et Jean les accompagnait pieusement
au cimetière. Ses services funèbres
apportaient une consolation aux survivants qui, le
lendemain, pouvaient eux-mêmes être les
victimes de l'épidémie.
Des jours meilleurs suivirent et le
patriarche put prendre un peu de repos. On le
voyait le soir faire une longue promenade au bord
de la mer. il aimait regarder les vagues se briser
sur la grande jetée, et se demandait quand
viendrait pour lui le moment de reprendre le bateau
vers Amathonte, sa ville natale toujours
présente dans son souvenir. Pour l'instant,
il devait poursuivre sa tâche qui
n'était pas achevée, tant que son
exemple n'était pas suivi.
Comment faire pour que d'autres agissent
dans le même esprit et avec le même
désintéressement ? Un chrétien
contagieux, voilà ce qu'il désirait
devenir. Il connaissait un nommé
Troïle, réputé pour son
incorrigible avarice. Un jour, il l'invita à
visiter un hôpital avec lui, mais avant de
procéder à la distribution
d'aumônes aux malades, comme il le faisait
d'habitude, il voulut savoir quel était le
montant que son compagnon avait dans sa bourse.
À force de questions indiscrètes, il
apprit que Troïle possédait trente
pièces d'or. Dans l'hôpital, il se
tourna vers lui et, le fixant d'un regard
irrésistible, lui dit le plus naturellement
du monde : « Eh bien ! mon cher ami, c'est
à vous que revient aujourd'hui l'honneur
d'offrir des dons à mes seigneurs, nos
frères en Jésus-Christ. »
Troïle ne put que s'incliner devant le voeu
impératif de son conducteur spirituel, et
remit un écu d'or à chaque indigent.
Le patriarche veilla à ce que les trente
pièces fussent distribuées. À
la sortie, il riait sous cape, content d'avoir
joué un bon tour à un chrétien
qui aimait tant l'argent. Ce dernier était
tout penaud d'avoir été
entraîné dans une pareille aventure.
Il rentra chez lui, prêt à en faire
une maladie. Mais déjà un serviteur
de Jean l'avait précédé pour
l'inviter à se rendre le plus vite possible
au palais patriarcal.
Flaira-t-il un nouveau piège pour
lui faire ouvrir sa bourse ? Prétextant une
fièvre, il ne voulut point quitter sa
demeure. Sa rancoeur était trop grande ! Ce
fut Jean lui-même qui vint frapper à
sa porte. Troïle, quoique furieux, dut
cependant le recevoir. Et Jean, de bonne humeur,
lui tint ce langage : « Excusez-moi, mon ami,
d'avoir recouru, ce matin, à votre bourse
pour les malades de l'hôpital. Mon
secrétaire n'avait pas pu me procurer
l'argent nécessaire. Comme je ne veux pas
abuser de votre bonté,
Je viens vous rendre vos pièces
d'or. Merci de me les avoir prêtées!
» L'avare, heureux de revoir son or,
guérit de sa fièvre aussitôt et
accepta volontiers l'invitation que lui fit Jean
d'aller prendre un bon repas. ils passèrent
ensemble une soirée délicieuse, et le
lendemain, après avoir vu en rêve
où son avarice le conduirait, Troïle
était un autre homme ; en même temps
que son coeur s'ouvrit à Dieu, sa bourse
s'ouvrit aux indigents.
Ce jour-là, Jean fut dans la
joie, car il avait un émule, convaincu comme
lui qu'« il y a plus de bonheur à
donner qu'à recevoir». Même la
mauvaise nouvelle qui lui parvint plus tard
n'arriva pas à l'assombrir, et pourtant elle
était de taille. Treize bateaux dont la
cargaison était destinée à son
église avaient fait naufrage. L'attitude de
Jean fut semblable à celle d'un personnage
biblique frappé par l'épreuve, Comme
job, le patriarche d'Alexandrie se borna à
dire : « L'Éternel a donné,
l'Éternel a ôté, que le nom de
l'Éternel soit béni ! »
Jean exerçait la
miséricorde non seulement en faisant le bien
au moyen de l'argent qui lui parvenait, mais encore
en réconciliant des adversaires. Un jour,
avant de célébrer la
sainte-cène, il apprit que l'un des gens de
sa maison nourrissait de la haine contre quelqu'un.
Alors, au moment où cet homme se
présenta à la communion, Jean lui dit
publiquement : « Va d'abord te
réconcilier, ensuite tu reviendras recevoir
le pardon de Dieu. » L'homme ainsi repris ne
se fit pas répéter cet ordre. il
s'approcha, dans l'église, de celui qu'il
haïssait et se réconcilia avec
lui.
La guerre, qui durait depuis plusieurs
années, se rapprochait de l'Égypte.
L'armée des Perses était en marche
vers la vallée du Nil, et l'Église
allait de nouveau subir la persécution. Jean
pressentait ces temps tragiques. Devait-il rester
ou partir ? Il était âgé et
jugeait plus sage de laisser la direction de
l'église à un homme plus jeune et
doué d'une énergie que lui-même
n'avait plus. Avant de prendre sa décision,
il se souvint d'une parole de l'Évangile qui
avait souvent inspiré les chrétiens
dans des circonstances analogues : « Si l'on
vous persécute dans un pays, fuyez dans un
autre. » Il n'est pas toujours
nécessaire de rester sur place pour se faire
tuer. Ce n'était pas la perspective d'une
mort violente qui effrayait Jean. Il avait
été averti en songe qu'il devrait
bientôt quitter ce monde. Mais il savait
aussi qu'il mourrait dans sa ville natale,
après douze ans d'absence.
Il lui fut difficile de se
séparer d'Alexandrie, ville où toutes
les passions se déchaînaient mais
où l'esprit de Dieu soufflait aussi. Jean
avait tant d'amis qu'il redoutait le moment du
départ. Le plus fidèle d'entre eux,
le patrice Nicétas, voulut absolument
l'accompagner et l'emmener à Constantinople
pour y rencontrer l'empereur. Jean n'en voyait pas
la nécessité. L'homme propose et Dieu
dispose. Le vaisseau essuya une tempête comme
on en vit rarement en Méditerranée.
Heureusement, les côtes de Rhodes,
l'île des roses, étaient en vue, et le
bateau put y aborder, échappant ainsi au
naufrage. Mais l'homme de Dieu avait hâte de
rentrer chez lui. Il renonça à se
rendre à Constantinople, et en informa son
ami : « Vous aviez l'intention de me conduire
au roi de la terre, mais c'est le Roi du ciel qui
me convoque, et je dois obéir. Il faut que
je vous quitte pour retourner en ma patrie. »
Nicétas, très ému, embrassa
pour la dernière fois le
vénéré patriarche et reprit sa
route vers Byzance.
Le temps était beau. La
traversée que fit Jean fut très
agréable. Son bateau le laissa dans le petit
port de Famagouste, non loin de Salamis, où
l'apôtre Paul débarqua, au milieu du
premier siècle, pour annoncer
l'Évangile à Chypre. Jean
était le fruit, déjà lointain
mais toujours excellent, de cette première
mission des apôtres envoyés d'Antioche
de Syrie.
Jean fut heureux de revoir Amathonte. il
y retrouva bien des amis et surtout sa maison dans
laquelle avait habité sa chère
famille. Dieu la lui avait reprise pour lui confier
celle des malheureux, des épaves de la vie.
« Il y a toujours des pauvres parmi
vous», avait dit Jésus. Jean, qui fut
riche mais vécut comme un pauvre, dicta son
testament : « Le pauvre Jean, serviteur des
serviteurs de Dieu. Je te rends grâce,
Seigneur, pour l'éminente dignité
dont tu m'as honoré. Il ne me reste plus que
le tiers d'un écu : qu'on le donne encore
aux pauvres, mes frères dans le Seigneur.
Quand, par la volonté de Dieu, je fus
nommé patriarche d'Alexandrie, je trouvai
dans la caisse de l'église huit mille livres
en or. Des dons particuliers ont fait passer entre
mes mains plus de dix mille fois cette somme : j'ai
tout donné aux pauvres du Christ. En ce
moment je lui remets mon âme. »
Les pleureuses revinrent dans la maison.
Une population entière plongée dans
la tristesse. Jean d'Amathonte avait
été rappelé à Dieu.
C'était le 23 janvier 619, à peine un
mois après Noël, la fête qui
suscite chaque année le plus grand
élan de générosité dans
le monde, à cause du don que Dieu nous a
fait.
L'histoire que je viens de vous raconter
n'est pas un conte de Noël, ni une
légende. Ce sont quelques traits de la vie
de saint Jean, l'Aumônier, appelé
ainsi parce qu'il fut, comme vous avez pu vous en
rendre compte, un grand distributeur
d'aumônes, l'aumônier de la Providence.
L'Église d'orient se souvient toujours de
lui. C'est une des belles figures de la
chrétienté des premiers
siècles (1).
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