MÉDITATIONS EN MARGE DE L'ÉVANGILE SELON SAINT LUC
LE TEXTE DE
L'ÉVANGILE
ZACHARIE ET
ÉLISABETH
LUC, 1, v. 5 à 25.
Dans le chapitre III de son Évangile, Luc
précisera plus tard la date du commencement du
ministère de Jean-Baptiste, insérant dans la
trame de l'histoire humaine la date de l'apparition du Fils
de Dieu. Autour de l'Évangile de l'enfance, la
chronologie est moins précise.
« Au temps d'Hérode ».
C'était Hérode le Grand, gouverneur de la
Palestine au nom des Romains. Dans la première
scène trois personnages seulement : un vieux couple
fidèle, digne, pieux, à qui n'a pas
été donnée la joie d'avoir des enfants,
un ange du Seigneur : Gabriel. Zacharie est
désigné par sa classe et par le sort pour
aller à Jérusalem dans le lieu saint, à
côté du Saint des saints, offrir l'encens sur
l'autel des parfums, à l'heure bénie de
l'adoration du soir. Au dehors, sur le parvis d'Israël
et le, parvis des femmes, le peuple prie, et dans le temple,
dans sa haute fonction sacerdotale, Zacharie est là,
en la présence de Dieu.
Voici soudain l'apparition de l'ange, le trouble
du sacrificateur, et les promesses qui lui sont faites au
nom de l'Éternel. Tout d'abord : « Ta
prière est exaucée. » La longue attente
de ceux qui avalent tant désiré un fils et mis
en Dieu leur espérance pour cela, va être
terminée, et en même temps c'est l'attente,
c'est l'espérance d'Israël, qui vont recevoir
leur couronnement. Ce fils qui va
naître, sujet de joie et d'allégresse pour ses
parents, sera un serviteur du Très-Haut.
« Il sera grand devant le Seigneur »,
dit Gabriel. Bossuet, commentant ce verset, et le
rapprochant de la promesse faite à la Vierge Marie
quelques mois plus tard, écrit : « Jésus
sera grand comme le Fils, Jean sera grand comme un
serviteur, comme un héraut qui marche devant son
maître et Inspire le respect à tout le monde.
Jésus est grand par son essence et Jean sera grand
par un éclat et un rejaillissement de la grandeur de
Jésus. »
« Il sera rempli du Saint-Esprit, marchera
devant Dieu et préparera au Seigneur un peuple bien
disposé. » Devant la grandeur de cette promesse,
Zacharie tremble et doute. Nos âmes humaines,
même quand elles ont demandé les grâces
de Dieu et se sont préparées à les
recevoir, ont peine à en saisir toute la
beauté et la profondeur. C'est dans un silence
forcé, descendant sur lui comme un châtiment de
son manque de foi, que Zacharie retourne à son foyer.
Ce silence, Élisabeth le partagera à son tour,
et cachera aux yeux de tous la bénédiction qui
lui sera faite, et dont elle ne comprendra que plus tard la
grandeur.
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L'ANN0NCIATI0N
LUC, 1 : 26 à 38.
Nazareth est une petite ville cachée dans un repli
des collines de Galilée. Même après
dix-neuf siècles de christianisme, malgré ses
églises, ses couvents, ses Pèlerinages, elle
reste une humble bourgade sans éclat. Dans un coin de
la basilique, dont, les murailles, dit-on, remontent au
temps de Saint Louis, on vous montre un piller près
duquel aurait eu lieu l'apparition de l'ange Gabriel dans la
chambre de la Vierge Marie. D'autre part J'ai sous les yeux
en écrivant, une reproduction de la délicieuse
Annonciation de Fra Angelico avec le petit
cloître florentin plein de douce
lumière, et l'atmosphère de pureté et
de recueillement, baignant les deux figures exquises,
inclinées l'une en face de l'autre. Cela et les
cloches sonnant l'Angélus dans la paix des campagnes,
et les Ave Maria s'élevant de tant d'églises
et de couvents, c'est la poésie traditionnelle de
cette page de Saint Luc. Mais là n'est pas sa vraie
grandeur. Elle est ailleurs.
Elle est d'abord dans le mystère de
l'Incarnation. Dieu, le Très-Haut, le Tout-Puissant,
envoyant son Fils sur la terre dans une humble chair
mortelle. Celui que de toute éternité les
anges adorent, va naître d'une femme, devenir un de
ces petits sans défense qui vagissent dans les bras
de leur mère, un être soumis à la
maladie, à la souffrance, à la mort.
Mystère adorable de l'amour du Père,
incarné dans le Fils! Nul n'en sondera jamais la
profondeur.
Il y a dans l'Annonciation un autre
mystère, celui de l'acceptation de Marie. Une jeune
fille toute simple, que rien n'a préparée,
semble-t-il, à cette heure extraordinaire, s'incline,
sans comprendre, devant l'ordre transmis par l'ange et dit
tout naturellement : « je suis la servante du Seigneur.
Qu'il me soit fait selon sa volonté. »
D'un seul élan, dans toute la force de sa
soumission et de son humilité, Marie s'est
élevée aussi haut que possible sur
l'échelle de la spiritualité. Cet abandon
complet à la volonté de son Seigneur, cette
foi qui saisit la promesse parce qu'elle vient de Lui, sans
chercher à savoir quand et comment elle s'accomplira,
cette simplicité entière dans
l'obéissance, c'est l'aboutissement du chemin de la
sanctification. Cette enfant l'atteint du premier coup.
Certes, parce que ses bras ont porté le divin enfant
Jésus, que son sein l'a nourri, elle est «
bénie entre toutes les femmes ». Mais elle l'est
aussi, et plus encore peut-être, parce qu'elle a saisi
et accepté sans hésitation la grâce
merveilleuse que Dieu lui a faite, et s'est inclinée
tout de suite et humblement sous la main du
Père.
Marie, petite vierge de Nazareth qui te savais
pécheresse, mais croyais à la puissance de
Dieu, nous t'admirons et nous t'aimons! Puissions-nous comme
toi apprendre à obéir et à servir!
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LA VISITATION
LUC, 1, 39 à 56.
Le chemin est long de Nazareth aux âpres montagnes
de Judée. Marie se hâte pourtant. L'ange lui a
annoncé la grâce faite à sa cousine, et,
avec un besoin tout féminin de confidence et de
sympathie, elle se dirige vers la demeure
d'Élisabeth. Les voilà en présence
l'une de l'autre, chacune avec son mystérieux secret,
son espérance merveilleuse. Préparées
par la longue attente d'Israël, élevées
dans la foi du peuple élu, ces deux femmes si
différentes : la plus âgée avec son
passé de fidélité au devoir et de
soumission dans l'épreuve, la plus jeune acceptant
sans hésiter ces étranges
responsabilités que Dieu lui donne, communient dans
la même reconnaissance et la même joie.
Élisabeth salue d'abord sa cousine avec
respect, comme celle qui est choisie de Dieu, et aux
lèvres de la Vierge monte un chant d'action de
grâces que l'Église répétera
à travers les siècles. Le Saint-Esprit est
là dans cette modeste maison, couvrant de son
ombré ces deux femmes ignorées du monde. Par
elles et en elles il glorifie la maternité. Au seuil
de l'histoire évangélique, il nous montre
Dieu, le Dieu tout-puissant, employant deux humbles
mères pour collaborer à l'oeuvre de son
amour.
Élisabeth et Marie passèrent trois
mois réunies, se recueillant, se préparant
à leur tâche magnifique. Douceur de croire, de
prier ensemble, d'attendre dans la paix et
l'espérance l'heure où la promesse
s'accomplirait. Bénie soit l'affection
chrétienne voulue et sanctifiée par Dieu qui
aide des amies unies en Lui à accomplir sous son
regard sa sainte volonté!
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NAISSANCE DE
JEAN-BAPTISTE
LUC, 1, v. 57 à 80
La promesse faite à Zacharie est accomplie : le
petit enfant est là, et autour de lui voisins et amis
viennent remercier l'Éternel de sa miséricorde
envers le vieux couple. Mais le père et la
mère savent très bien que ce qu'ils ont
reçu de Dieu ne leur appartient pas. Le fils qui leur
a été donné doit, dès sa
naissance, être consacré par l'Esprit. Il sera
prophète du Très-Haut et, avec ce lyrisme
admirable qui fait des premiers chapitres de Saint Luc un
cantique à la gloire de Dieu, Zacharie le proclame.
Le jour qu'Israël attendait approche. Le Sauveur va
venir, et ce petit Jean qui dort dans son berceau et dont on
se demande : « Que sera-t-il ? » marchera devant
Lui pour préparer sa voie.
« Le soleil nous a visités d'en haut
pour éclairer ceux qui sont assis dans les
ténèbres et l'ombre de la mort. » Ce
verset a retenti comme un bienfaisant son de cloche de
génération en génération. Mais
savons-nous savourer toute la douceur qu'il nous apporte ?
Si souvent nous nous sentons encore, comme ceux
d'Israël au temps de Zacharie, « assis dans les
ténèbres et l'ombre de la mort ».
Pourtant si sur eux s'est levée la lumière du
soleil, depuis lors elle ne s'est pas couchée. Elle
demeure sur nos sentiers, si rudes soient-ils, et elle
baigne encore de ses rayons notre pauvre terre
inondée de sang.
Oh! si nous n'étions plus aveugles, si le
Saint-Esprit nous donnait comme à Zacharie le pouvoir
de discerner les merveilles de Dieu, et de saisir par la foi
leur accomplissement, alors, malgré les
épreuves, les tourmentes, les guerres, malgré
notre faiblesse, et par-delà notre
péché pardonné en Jésus-Christ,
nos pas seraient dirigés par Lui dans le chemin de la
paix.
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À BETHLÉEM
LUC, II, 1 à 20.
La plus belle histoire du monde, la plus connue, la plus
aimée aussi. Chaque fois qu'on la relit, à
quelque âge que ce soit, on se sent redevenir l'enfant
qu'elle a émerveillé jadis. Puis, comme les
bergers, on va s'agenouiller devant la crèche de
Bethléem. Grotte ou humble chaumière ? peu
nous importe. Cette étable est pour nous le lieu
très saint où chaque année, à
Noël, nos coeurs reprennent de la force, de la joie, de
l'espérance.
« Le Sauveur est né! » Que
serions-nous sans ce message des anges ? Parce que tu l'as
entendu, que par la grâce de Dieu il a retenti
à ton oreille, tout n'est-il pas changé pour
toi ?
Certes, aux heures où ta conscience est
claire et lucide, tu sens plus que jamais ta
culpabilité devant le Dieu très saint. Tu vois
aussi la grande vague du mai déferler autour de toi
et dans le grand combat qui se livre entre les
ténèbres et la lumière, ta foi
chancelante et craintive se demande parfois qui sera le
vainqueur. Alors tu perdrais courage et tu risquerais de
t'abandonner sans résistance au flot, si la parole :
« Un sauveur vous est né », n'était
pas là comme une bouée de salut.
« Un Sauveur vous est né. » Ce
petit enfant qui dort sur la paille, c'est le signe visible,
palpable, de la miséricorde du Dieu d'amour, c'est
cet amour lui-même enfermé dans une chair
mortelle comme la nôtre, pour être plus
près de nous. Ce Sauveur c'est le tien, tu le sais,
tu le crois, tu adores; mais c'est aussi Celui qui est
envoyé dans le monde afin que quiconque croit en Lui
ait la vie éternelle. « Quiconque » : ceux
des tiens pour lesquels tu es dans l'angoisse et la peine;
ton Église que tu voudrais plus vivante et plus
forte, ta patrie qui chancelle, pour laquelle tu souffres;
cette humanité plongée dans le
péché, de laquelle tu désespères
souvent. Oh! saisis la promesse, saisis-la pour tous avec
cette foi donnée par Dieu qui peut
transporter les montagnes, proclame-la autour de toi, et,
comme les bergers, retourne à ta tâche
quotidienne glorifiant et louant Dieu. Noël! Noël!
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LA PRÉSENTATION
AU TEMPLE
LUC, II, v. 21 à 40.
Fidèles à la tradition israélite,
à la loi de Moïse, au jour indiqué pour
la purification, Joseph, Marie et le petit enfant montent
à Jérusalem, au temple. Pour les lecteurs
grecs et latins l'évangéliste souligne avec
complaisance cette obéissance aux prescriptions
légales.
Ainsi chaque jour de jeunes couples offraient au
Seigneur un don de reconnaissance pour leur
premier-né. Parmi ceux qui allaient et venaient dans
les parvis : sacrificateurs vêtus de l'éphod
sacré, docteurs subtils de la Loi, pharisiens
orgueilleux, nul ne se doutait de ce que
représentaient ce ménage et ce petit enfant
pauvrement vêtus. Aucun de ces hommes, se croyant les
interprètes choisis de la loi divine, ne comprenait
que l'heure du salut et de la suprême
miséricorde avait sonné.
Mais le Saint-Esprit est là. Dans les
versets 25 à 27 Il est nommé trois
fois. Nous apprenons qu'il va chercher le vieillard
Siméon dans sa demeure. Lui ouvrant les yeux par sa
vertu toute-puissante, il lui permet de discerner au milieu
de la foule le petit enfant qui Incarne l'amour de Dieu. Car
Siméon, comme la prophétesse Anne qui le
rejoint près de Jésus, comme Zacharie et
Élisabeth, comme Marie, était de ceux qui dans
la foi et la patience attendaient la venue du Messie, la
délivrance d'Israël. Parce qu'ils avaient cru
longuement, obstinément, Dieu leur permet de toucher
du doigt la réalisation de la promesse : « Mes
yeux ont vu ton salut », dira Siméon. Le
Saint-Esprit, l'hôte divin dont la présence
illumine tous ces premiers chapitres de l'Évangile,
fait de ces humbles croyants des voyants,
discernant les signes des temps et comprenant le
mystère de l'amour de Dieu. Comme Zacharie, comme
Marie, Siméon chante à son tour avec cette
ferveur profonde, et ardente qui est par elle-même une
grâce de l'Esprit et qui se traduit en
prière.
Seigneur, envoie-nous cet Esprit, et permets-nous
de Te reconnaître quand Tu t'approches de nous!
L'ENFANCE DE
JÉSUS
LUC, II, v. 40 à 52.
L'évangéliste Saint Luc a passé sous
silence le voyage de la sainte famille en Égypte et
le massacre de Bethléem qu'a racontés Saint
Matthieu. C'est dans le cadre de Nazareth qu'il aime
à replacer l'enfance du Seigneur. Deux versets 40 et
52 la résument; elle est normale, sans choses
extraordinaires ni récits merveilleux. Dans la paix
d'un foyer d'humbles travailleurs, Jésus grandissait
en sagesse, en stature, devant Dieu et devant les hommes,et
la grâce de Dieu reposait sur lui. Obéissant
envers ses parents, doux envers tous, il se faisait aimer,
et dans son développement harmonieux, le bon plaisir
de Dieu voyait en Lui non seulement le Fils choisi et
destiné au salut du monde, mais encore l'expression
de l'humanité, créée par amour et telle
qu'elle aurait pu être sans les désordres du
péché.
Le récit du voyage à
Jérusalem est le seul incident qui tranche sur ce
simple tableau. Les Israélites de ce temps
circulaient beaucoup, nous le voyons par ces premiers
chapitres de l'Évangile. Ils avaient la coutume de
monter à Jérusalem chaque année pour y
célébrer la fête de la Pâque. On y
allait en bande : parents, voisins, amis, chantant des
psaumes le long de la route, et couchant en chemin dans des
caravansérails destinés à cela.
C'était la première fois que Marie et Joseph y
emmenaient Jésus. Probablement dans le calme de
là vie ordinaire, le souvenir des
merveilles de Bethléem s'était estompé
dans leur esprit, et dans cet enfant qui grandissait
à leur foyer, les parents voyaient surtout le
garçonnet de douze ans qui leur était
soumis.
Quand dans ce voyage, émus, inquiets,
probablement fâchés, ils le retrouvent dans le
temple, Marie et Joseph doivent apprendre que Jésus,
trésor confié à leurs soins, ne leur
appartient pas. Il y a, aux versets 48 et 49, une opposition
entre la phrase de Marie : « Ton père et moi te
cherchions avec angoisse », et la réponse de son
fils : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous
pas qu'il faut que je m'occupe des affaires de mon
père? »
L'enfant a conscience que son Père et la
tâche qu'il pressent lui être confiée
passent avant tout. L'Esprit Saint repose sur lui et, s'il
n'éclaire pas encore tout le chemin devant Lui, il
établit pourtant entre Dieu et Lui une communion
étroite. Sans l'éloigner de ses parents, cela
le met sur un plan différent. Où ils ne
peuvent voir qu'un manque d'attention ou
d'obéissance, il y a déjà une
vocation.
Dans bien des vies chrétiennes sonne ainsi
une heure qui Paraît d'abord séparer ceux qui
s'aimaient. Elle sonne spécialement pour les
mères et leur déchire souvent le coeur. Il
leur faut saisir la grande leçon des affections
humaines et donner à Dieu sans
arrière-pensée ceux qu'elles aiment,
même si leur tendresse doit en souffrir. Marie,
bénie entre toutes les femmes, ne le comprit pas ce
jour-là, et ne devina pas le sens profond et
caché de la réponse de Jésus. Alors,
quittant les docteurs, son fils retourna avec elle à
Nazareth, redevenant l'enfant simple et soumis qu'il
était.
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