MÉDITATIONS EN MARGE DE L'ÉVANGILE SELON SAINT LUC
LA FAMILLE DE
JÉSUS
LUC, VIII, v. 1 à 3 et
19
à 21.
Sa famille spirituelle, nous aimons à la suivre
par la pensée sur les chemins de la Galilée :
les douze, ceux que parmi ses disciples Jésus a
choisis comme ses amis plus proches, ses
élèves; puis quelques femmes. Saint Luc nous
donne leurs noms : Marie, originaire du bourg de Magdala, au
bord du lac, pauvre démoniaque tourmentée qui
avait trouvé, grâce au Seigneur, la
délivrance, le calme, l'équilibre. Une ferveur
reconnaissante l'attachait à Jésus; c'est elle
qui dans le jardin de Joseph d'Arimathée sera la
première à le voir, au jour de sa
résurrection. Ensuite deux grandes dames : Jeanne, la
femme et probablement la veuve d'un intendant
d'Hérode; Suzanne; nous ne savons que les noms et le
fait qu'elles assistaient le Seigneur de leurs biens. Elles
lui épargnaient les soucis matériels,
employant leur activité, leur
ingéniosité féminine à rendre
moins dures pour Lui les allées et venues incessantes
de cette vie nomade.
Petit cortège uni, joyeux, sortant au
matin d'un village pour retrouver sur les routes la foule
des éclopés, des infirmes, des malheureux, qui
attendent le divin Guérisseur. Ce sont ces amis
proches du Sauveur qui recueillent ses enseignements et, par
les récits des évangélistes, nous les
transmettront. Dans quelques mois, malgré les dangers
et l'opposition des chefs de la nation, ils suivront le
Maître à Jérusalem, reconnaissables au
milieu des Judéens par l'accent rude de leur parler
galiléen. Les femmes, plus courageuses, iront
jusqu'au bout, même quand Jean
s'enfuira et que Pierre reniera son Maître. Au pied de
la croix elles seront encore là, et Luc, toujours
sensible à leur présence, la notera.
Heureuses êtes-vous, vous qui avez pu
alléger la fatigue du Sauveur au soir d'une de ses
laborieuses journées, préparer son gîte,
son frugal repas, raccommoder ses vêtements. Toute
l'humble tâche féminine, faite de soins
obscurs, d'inlassable dévouement, en est
illuminée et sanctifiée.
Il y avait une autre famille, celle de Nazareth.
Probablement Joseph était mort; il n'est plus
question de lui dans aucun des évangiles après
le voyage de Jésus à Jérusalem à
douze ans Mais il restait Marie, les frères du
Sauveur dont l'un, Jacques. sera un des premiers
témoins après la pentecôte, et ses
soeurs. « Ses frères ne croyaient pas en lui
», dit Saint Jean. Leur démarche racontée
par Saint Luc avait certainement pour but d'empêcher
Jésus de se compromettre davantage dans son
ministère. Ils savaient l'opposition des Pharisiens
et des prêtres et craignaient pour lui. Chez Marie
probablement la tendresse maternelle et craintive mettait
dans l'ombre sa foi et le souvenir des merveilles de
jadis.
Famille spirituelle, famille naturelle,
Jésus les aimait toutes deux du plus tendre amour.
Mais Il voulait éveiller chez ses auditeurs le sens
de ces liens invisibles formés par une communion
d'âme, dans l'obéissance à la
volonté de Dieu. Matthieu et Marc, précisant
la pensée du Sauveur plus encore que Luc, disent :
« Quiconque fait la volonté de mon Père,
celui-là est mon frère et ma soeur et ma
mère. » Marc ajoute même que Jésus,
regardant ses disciples et les montrant à la foule,
dit encore : « Voici ma mère et mes
frères. »
De simples hommes et femmes encore ignorants, si
mal dégrossis au point de vue spirituel, des
pécheurs comme nous, admis dans l'intimité du
Seigneur par sa grâce, parce qu'ils sont venus
à son appel et veulent le suivre. Si nous faisons
comme eux, nous sommes aussi de sa famille, nous avons la
joie, la douceur d'être pour lui un frère, une
soeur. Quelle lumière merveilleuse sur nos obscurs
sentiers!
.
LA PARABOLE DU
SEMEUR
LUC, VIII, v. 4 à 18.
Autour de la famille spirituelle de Jésus, du
petit groupe des disciples, la foule va et vient sans cesse,
Le Sauveur la regarde avec compassion, mais aussi avec
mélancolie. Parmi ses auditeurs d'un jour, combien il
y en a-t-il qui comprendront son message et se
l'approprieront ?
Alors Il se met à leur parler en
paraboles. « Le mot grec parabole désigne
l'action de mettre côte à côte deux
objets dans le but de les comparer. L'un de ces objets est
le récit fictif d'un événement
emprunté à la vie ordinaire ou à la
nature, et qui n'a d'autre but que de présenter
à l'esprit une vérité religieuse ou
morale qui est comparée, assimilée à
l'événement. » (Bonnet.)
Le langage oriental et celui des primitifs
emploient souvent ces similitudes, ces comparaisons, mais
les paraboles de Jésus, cadrant si bien avec la vie
de ses auditeurs, si profondes et si simples en même
temps, sont une des merveilles de l'Évangile.
« Un semeur sortit pour semer. »
Peut-être sous les yeux de la foule un cultivateur
jetait-il ce jour-là dans un champ voisin le
blé qui devait lever au temps de la moisson. Tous
connaissaient le geste, tous devaient le comprendre; ils
avaient vu la semence foulée aux pieds le long du
chemin, picorée par les oiseaux, poussant trop vite
sur les terrains pierreux, séchant au soleil ou
encore étouffée par les épines. Le
divin Semeur regardant ses auditeurs attentifs en apparence,
cherchait le bon terrain, celui où le grain
lève, grandit, mûrit, produit du fruit.
Il continue à semer, par sa parole, et
tant d'autres ouvriers après Lui, par Lui, en Lui,
sont entrés dans le champ pour faire de même.
Des moissons merveilleuses auraient dû pousser et
couvrir la terre, au lieu de maigres épis que le
Père récolte et met dans son grenier. Nos
âmes ont été créées pour
recevoir cette semence divine comme la
terre pour recevoir le grain de blé. Mais que
d'obstacles, que de déceptions! Jésus dans
l'intimité les décrit à ses disciples,
et nous nous reconnaissons bien dans le tableau qu'il fait
des différents terrains. Nous sommes plus pauvres des
grâces que nous avons laissé perdre que de
celles que nous n'avons pas reçues. Que de fois la
voix de Dieu s'est fait entendre à nous par sa
Parole, par la bouche d'un de ses serviteurs, ou dans le
silence de la communion avec Lui! Notre coeur a accueilli en
tremblant d'émotion le grain merveilleux tombé
de la main du Semeur et puis,... où en est à
cette heure le fruit ?
« Prenez garde à la manière
dont vous écoutez. On donnera à celui qui a,
mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce
qu'il a », dit le Seigneur.
LA TEMPÊTE SUR LE
LAC
LUC, VIII, 22 à 25.
Le beau lac paisible et calme connaît de soudaines
tempêtes comme notre vie. Plusieurs barques
(d'après S. Marc), glissant sur l'eau, se rendaient
sur la rive opposée à la Galilée, dans
le pays des Gadaréniens. Jésus est dans l'une
avec ses disciples. Il est fatigué, Il fait chaud, Il
s'est endormi pendant que les autres ramaient. Tout à
coup un tourbillon saisit le bateau, le vent souffle avec
rage, les vagues s'élèvent, l'eau entre dans
la barque qui menace de sombrer. Jésus dort toujours,
ses compagnons pleins de frayeur le réveillent :
« Maître, Maître, nous périssons!
» Marc ajoute : « Sauve-nous! »
Pauvres créatures humaines, que si souvent
la tempête secoue, nous connaissons aussi ces heures
douloureuses et terrifiantes. La présence du Sauveur
dans nos vies, dans nos familles, dans nos Églises,
n'est pas une assurance contre le danger; et notre barque,
secouée sur les vagues, paraît à notre
foi chancelante près de s'engloutir dans les flots.
Est-ce qu'Il s'est endormi, le
Maître tout-puissant qui nous a dit : « Ne crains
point, car je suis avec toi! » Non, son regard nous
suit, mais Il demande à notre foi de faire l'effort
de dominer la tempête par sa puissance à Lui,
qui vient électriser notre faiblesse et chasser la
peur.
La peur! la peur du danger, de la contradiction,
de la souffrance, de la persécution; combien de fois
n'a-t-elle pas arrêté l'élan des
chrétiens et retardé la venue du Royaume!
« Où est votre foi ? » nous dit
Jésus. Pardonne-nous, Mettre, cette et
misérable foi chancelante.
« Jésus menaça », («
tança », dit Calvin) les vents et la mer, le
calme revint. Et non seulement, ajoute le
Réformateur, « les vents et la mer, qui sont
choses sans sentiment, obéissent au commandement de
Dieu, mais aussi les Iniques en leur rébellion
obstinée. Car quand Dieu veut apaiser et
réprimer les tumultes de guerre Il n'amollit pas
toujours les coeurs hautains des hommes en les
réduisant à son obéissance; mais
quelquefois Il fait, bien qu'ils soient fort
envenimés et comme enragés, que toutefois les
armes leur tombent d'entre les mains. Et ainsi est accompli
ce passage du
Psaume XLVI, v. 10 : C'est lui qui a fait
cesser les combats jusqu'au bout de la terre. Il a
brisé l'arc et Il a rompu la lance. Il a
consumé par le feu les chars de guerre.
»
Gens de petite foi, avons-nous fait nôtre
cette promesse et attendons-nous de Dieu seul le grand calme
désiré?
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AU PAYS DES
GADARÉNIENS
LUC, VIII, v. 26 à 39.
On a de la peine à identifier exactement l'endroit
où se passe cet étrange récit. La ville
de Gadara était située loin du lac, à
l'est du Jourdain; plusieurs manuscrits portent le mot
Géraséniens au lieu de Gadaréniens. Peu
importe. C'est en tous cas en face de la Galilée, sur
ces falaises abruptes qu'on voit se
dresser de l'autre côté de la mer de
Tibériade. Ce pays était en partie
occupé par des païens, comme toute la
Décapole (pays des dix villes) qui l'entourait. La
preuve en est ce troupeau de pourceaux, animaux que les
Juifs avaient en horreur.
Jésus rencontre constamment des
démoniaques sur son chemin. Les Israélites
attribuaient à l'influence de Satan beaucoup de
maladies comme l'épilepsie, l'hystérie, les
dépressions nerveuses, la démence. Mais outre
les manifestations de ces maladies il y a eu, au temps du
Sauveur, des cas de possession auxquels Jésus
croyait, et sur lesquels Il exerçait sa puissance. Il
y en a encore. Lequel d'entre nous, regardant
sincèrement au fond de lui-même, n'est pas
amené à confesser qu'à certaines heures
de son existence, il a été sous l'influence du
Tentateur jusqu'à être possédé
par lui et à ne pas savoir résister à
la colère, aux mauvais sentiments, à la
convoitise, à l'impureté peut-être.
Possédés aussi le violent, le
débauché, l'alcoolique, le pécheur
impénitent. Ce qui a changé depuis le temps de
Jésus, ce n'est pas la force du mal, plus grande que
jamais aujourd'hui; c'est le manque de puissance de ceux qui
se réclament du Sauveur et qu'Il envoie dans le monde
comme ses témoins.
Le récit de Saint Luc, raconté avec
quelques variantes par Saint Matthieu et Saint Marc est un
de ceux qui montrent le mieux la bataille engagée
entre le Seigneur et Satan. Le pauvre possédé
répandait la terreur autour de lui. Comme la
population avoisinante essayait de le dompter, sa fureur en
était décuplée. Sa rencontre avec le
Sauveur n'en est que plus dramatique, ainsi que le dialogue
engagé entre le Fils de Dieu et lui.
L'histoire extraordinaire des pourceaux
précipités à la mer a été
interprétée de manières diverses. je me
souviens de la réflexion d'un enfant, trouvant qu'il
y avait là un gaspillage étrange. C'est
peut-être ce qui paraît humainement un
gaspillage qui est pour nous la leçon à
retenir de cet Incident. Indirectement la présence de
Jésus et son ordre aux démons amènent
l'affolement et la mort des pourceaux. Cela nous rappelle sa
parole : « Si ta main est pour toi une occasion de
chute, coupe-la et jette-la loin de toi. Si on veut le
suivre et lui obéir, il faut
parfois délibérément tailler dans le
vif, sacrifier telle source de gain ou de plaisir, telle
occupation, telle relation, telle affection peut-être
qui se met entre Lui et nous. Ce qui nous empêche de
faire sa volonté, si légitime que cela puisse
paraître aux yeux du monde, est pour nous comme le
troupeau des Gadaréniens. Ceux-ci, effrayés
des conséquences de la venue de Jésus,
craignant d'avoir à changer leur manière de
vivre s'ils l'écoutaient, se hâtèrent de
lui dire de partir.
Seul le démoniaque délivré,
reconnaissant, louant Dieu, restera en arrière quand
la barque repartira, emmenant Jésus. Exemple vivant
de la puissance et de l'amour du Maître, guéri,
apaisé, il sera dans la Décapole un disciple,
un évangéliste, un messager. Tant d'autres
libérés de la puissance de Satan ont
été à travers les siècles les
plus fidèles témoins du Maître.
.
LA FEMME MALADE ET LA
FILLE DE JAÏRUS
LUC, VIII, v. 40 à 56.
C'est encore autour de la foi que se groupent ces deux
récits, racontés par les trois
évangélistes : Matthieu, Marc et Luc.
Jésus a retraversé le lac et
retrouvé les foules de Galiléens
enthousiastes. « Tous l'attendaient. » Un homme
vient se jeter à ses pieds et renouveler une
supplication rappelant celle du centenier. C'est un
Israélite cette fois-ci, un personnage
considérable dans la cité, un chef de la
synagogue, surtout un père dans l'angoisse, dont la
fille unique est près de mourir. Mais sa foi est
moins sûre que celle du centenier, et probablement son
humilité moins grande. Il ne se contente pas d'une
parole, il va demander au Maître de venir chez lui.
Aussi le Sauveur va-t-il utiliser les circonstances pour le
mettre à l'épreuve.
Dans la foule qui le presse, Jésus a
discerné la pauvre femme malade qui se cache
honteuse, craignant de déranger le
Seigneur et d'attirer les regards sur
elle. Voici longtemps qu'elle souffre, qu'elle espère
la guérison, Elle l'a attendue en vain des
remèdes humains. Mais Jésus est là...
Si elle parvient à toucher le bord de son
vêtement, sans rien dire, le mal sera enlevé,
Sa foi est simple : elle paraîtrait probablement
obscure à Jaïrus. Nous sommes tentés de
la juger mêlée de superstition; mals
Jésus l'accepte; mystérieusement sa force
pénétrant la malade la guérit. Il
l'oblige alors à confesser cette foi et à
proclamer devant la foule sa délivrance.
Un mot de Lui : « J'ai connu qu'une force
était sortie de moi », nous donne le secret de
ses miracles, Quand le Sauveur a guéri, quand Il a
ressuscité, Il a fait passer quelque chose de
Lui-même dans ceux qu'il approchait. Sa puissance
n'était pas extérieure à Lui, un fluide
dont Il s'emparât pour s'en servir. C'était son
être même, la force divine de son amour qui se
répandait ainsi au dehors; le Prince de la vie
communiquait sa vie et se donnait à chaque pas comme
Il devait se donner tout entier sur la croix. « Par tes
blessures nous avons la guérison », avait dit
Esaïe.
Jaïrus attendait et certainement trouvait le
temps long. Jésus avait-il oublié l'enfant
mourante, la fillette aimée qu'on essayait de
disputer à la mort ? Tous les efforts avaient
été vains. C'était trop tard. Inutile
de déranger le Maître. Puisqu'Il n'a pas pu
venir tout de suite, c'est fini.
Oh! l'impatience de notre foi chancelante qui ne
sait pas attendre en paix l'exaucement et croire
malgré les retards, malgré les avertissements
contraires! « Ne crains point, crois seulement »,
pauvre âme lassée, découragée. Tu
marches dans le tunnel, mais la lumière est au bout.
Ton espérance est morte ?... Non elle dort seulement.
Regarde à Jésus. Par Lui elle va revivre.
« C'est en Dieu que mon âme se confie. C'est Lui
qui est mon rocher et mon salut, ma haute retraite.
»
Un jour tu connaîtras la joie de
Jaïrus voyant aller et venir dans sa maison l'enfant
qu'il avait crue perdue. Ne crains point crois seulement.
Crois toujours.
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MISSION DES DOUZE
APÔTRES
LUC, IX, v. 1 à 10.
Jésus les avait appelés à Lui, Il
les avait choisis au milieu des autres disciples, Il avait
essayé les mois passés de les former, Il
allait maintenant mettre à l'épreuve leur
obéissance, leur foi, leur zèle, en leur
confiant une mission. Ils étaient autour de Lui,
prêts au départ, sans bâton, sans sac,
sans argent, sans provisions, voyageurs pacifiques entrant
partout, hommes simples, rustiques. Chargés d'un
pressant message, ils ne devaient pas s'attarder aux longues
salutations orientales, mais pénétrant dans
les maisons où ils étaient accueillis, y
annoncer la bonne nouvelle du Royaume. Le Maître les
bénissant leur donnait le pouvoir de guérir
les maladies et de chasser les démons.
Nous les voyons ainsi en tournée
d'évangélisation deux par deux. Simon Pierre
le passionné, le bouillant, marche avec son
frère André plus calme. Les deux fils de
Zébédée, pêcheurs aussi, mais
d'un rang plus élevé, vont ensemble. Philippe,
un des premiers appelés, s'associe avec
Barthélemy; Thomas le positif est avec
Lévi-Matthieu, l'ancien péager; Jacques, fils
d'Alphée, avec Thaddée. Enfin deux disciples
venus de loin : Simon le zélote et Judas, originaire
de Kérioth, une bourgade de Judée. Ils
apprendront ainsi ce qu'est le travail en
collaboration.
Les voici sur les routes et dans les villages de
Galilée, s'asseyant dans les plus humbles demeures.
Leur renommée va jusqu'à la cour
d'Hérode Antipas, qui, effrayé, croit à
la résurrection de Jean-Baptiste. Ces timides, ces
ignorants qui hier encore manquaient de foi, sont
revêtus de la puissance d'en haut, parce que le
message du salut leur a été temporairement
confié par leur Maître. Certes, nous le savons
par la suite de leur histoire, ils n'ont pas encore
reçu le Saint-Esprit qui après la
Pentecôte régnera dans leurs âmes. Demain
ils se retrouveront autour de leur Maître, le
comprenant souvent très mal,
faibles, mêlant leurs ambitions
humaines et leurs jalousies à leur affection pour Lui
et à leur ferveur. Mais pendant cette mission ils
sont ses envoyés, ses ambassadeurs, ses
représentants, et ils réussissent dans leur
entreprise. Quand ils reviennent autour de Lui, fiers et
heureux, Jésus les prend à l'écart. Il
leur a fait entrevoir leur mission future, Il va continuer
à les y préparer.
Dans toute la Galilée la renommée
de Jésus et de ses disciples s'étend toujours
davantage. Auprès des fontaines où se
rassemblent les femmes, ou près des synagogues
où les hommes se groupent, on parle d'eux. On discute
si c'est Élie qui est revenu, ou si un des
prophètes est ressuscité. La multitude
toujours plus dense suit Jésus dans les campagnes
où il se retire.
Et dire qu'aujourd'hui la prédication de
l'Évangile fait si peu de bruit autour de nous! Le
message est resté le même... Est-ce la faute de
ceux qui le portent, s'il paraît avoir perdu de sa
puissance? « Vous êtes le sel de la terre »,
a dit Jésus. «Si le sel perd sa saveur, avec
quoi la lui rendra-t-on? Il n'est plus bon qu'à
être jeté et foulé aux pieds par les
hommes. » Parole terrible! Aie pitié, ô
Dieu de tes serviteurs médiocres qui ne peuvent rien
que par Toi!
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MULTIPLICATION DES
PAINS
LUC, IX, 10 à 17.
Deux multiplications des pains successives sont
racontées dans les évangiles de Matthieu et de
Marc; et Jean en rapporte une aussi avec détails. Luc
le médecin que. les guérisons
intéressent tant et qui aime les conter longuement
passe assez vite sur ce nouveau miracle étrange. Il
ne nous parle pas de la compassion profonde qui animait
l'âme de Jésus quand Il voyait autour de Lui
les multitudes affamées qu'Il aurait voulu nourrir du
pain de vie.
Ce jour-là c'était près de
Bethsaïda que la foule avait suivi Jésus. Le
soir descendait sur la campagne et les disciples inquiets se
posaient la question : « Comment nourrir tant de gens;
cinq mille personnes, hommes, femmes, enfants ? »
Eux-mêmes n'ont que de maigres provisions, cinq pains,
deux poissons...; qu'est-ce que cela?
Pas plus que sur le bateau, dans son sommeil,
pendant la tempête, Jésus n'oubliait ici le
monde matériel au sein duquel Il vivait. Si à
Satan dans le désert Il avait répondu : «
L'homme ne vivra pas de pain seulement », Il avait mis
au centre de sa prière cette requête : «
Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » Elle
nous montre avec quelle sympathie, quelle
compréhension, le Fils de Dieu partageait nos soucis
et nos angoisses humaines.
Il va donc par un miracle d'amour nourrir la
foule et, en même temps, par une leçon de
choses, une parabole vivante, montrer à ses
apôtres et à ceux qui leur succéderont
quels doivent être le rôle et l'action de
l'Église dans le monde.
Le Sauveur a rarement prononcé ce mot :
l'Église. Matthieu nous rapporte seul sa parole
à Pierre - «Je bâtirai mon Église
», mais bien des enseignements de l'Évangile au
sujet du Royaume de Dieu se rapportent à
l'Église telle que le Sauveur désirait la voir
dressée.
Jésus aurait pu sans le secours des Douze
nourrir la foule directement. Il renonce à le faire,
emploie le peu qu'ils lui apportent, et entre ses mains
bénies, ce pain et ces poissons se multiplient.
Passant dans les rangs, les apôtres les distribuent :
« Donnez-leur vous-mêmes à manger »,
dit le Sauveur.
À travers les siècles il en sera de
même pour l'Église. Si jalousement elle garde
pour elle le pain de vie, elle le verra s'épuiser.
Mais si, plaçant son trésor entre les mains du
grand Multiplicateur, fidèlement elle donne aux
multitudes ce pain reçu de Lui, elle verra la
nourriture devenir toujours plus abondante et
répondre toujours davantage à la faim des
âmes. Parole vivante, Jésus veut s'incarner
constamment dans le message de son Église et c'est
par elle qu'Il veut nourrir les multitudes. «
Donnez-leur vous-mêmes à manger », dit-Il
sans cesse à ses serviteurs troublés de voir
la foule affamée, sans direction,
sans espérance. « Allez, enseignez toutes les
nations », dira-t-Il aux derniers jours de sa
présence terrestre.
Heureuse l'Église si elle a conscience
à la fois des besoins du monde qui l'entoure et de sa
pauvreté à elle, et si elle attend du Sauveur,
humblement et fidèlement, la nourriture bénie
qu'elle apportera à la foule! Missionnaire,
évangéliste, elle vivra.
Et c'est dans l'ordre et la discipline qu'elle
travaillera. Jésus a ordonné aux disciples de
faire asseoir les gens par cinquantaines et d'aller ainsi de
groupe en groupe pour la distribution. L'anarchie dans
l'Église n'est pas dans le plan de Dieu. Tout doit y
être ordre, harmonie. Travailler ensemble, chacun
à sa place, collaborant avec amour à l'oeuvre
d'amour, être les messagers, les « porteurs du
Christ », comme disait Tertullien, quel plus beau
labeur à entreprendre!
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ÊTRE UN
DISCIPLE
LUC IX, v. 18 à 27.
L'Église sera formée des disciples du
Sauveur. Mais qu'est-ce donc qu'être un disciple ?
Jésus va l'enseigner aux siens dans
l'intimité, un jour où la foule ne sera pas
là. En allant à Césarée de
Philippes, dira Marc tandis que Luc explique seulement que
le, Seigneur s'est retiré à l'écart
avec son entourage ami.
Tout d'abord Jésus questionne ses
disciples afin de savoir ce qu'Il est pour eux. Ils lui
rapportent les bruits qui circulent : Il est Jean-Baptiste,
ou Élie, ou l'un des prophètes, Alors la
question directe : « Et vous, qui dites-vous que je
suis ? » Pierre l'impétueux répond :
« Tu es le Christ de Dieu! » Matthieu lui fait
ajouter : « Le Fils du Dieu vivant. » Il y a une
allégresse dans cette réponse de
l'apôtre; comme Zacharie auprès du berceau de
Jean-Baptiste, comme Siméon tenant l'enfant divin
dans ses bras, Pierre, dans un mouvement de l'Esprit, salue
en Jésus le libérateur de son peuple, le
Messie attendu depuis tant de siècles. Fiers
d'être ses disciples, de prendre
part au salut d'Israël, le petit groupe des
fidèles s'incline devant son Seigneur. Demain ils
iront proclamer la vérité qu'Il leur a fait
connaître.
Non, Jésus qui les envoyait
évangéliser il y a quelques semaines, leur
recommande maintenant de se taire. Chose étrange et
qui nous déconcerte d'abord comme eux. Mais le
Maître sait qu'ils n'ont pas encore compris pleinement
sa mission divine. Ils croient l'accompagner dans son
triomphe, le Christ, l'Oint de Dieu! « Portes,
élevez vos linteaux! Élevez-les, portes
éternelles, laissez passer le Roi de gloire », a
chanté le Psalmiste... Et c'est vers la souffrance,
vers les persécutions qu'ils vont. Jésus
commence à les avertir de ce qui l'attend; au bout du
sentier, Il leur montre la croix qui se dessine sur le ciel.
Pour être disciple il faut accepter cela. Le Seigneur
prend le chemin douloureux et c'est là qu'il faut le
suivre. « Si quelqu'un veut venir après moi,
qu'il se charge chaque jour de sa croix et qu'il me suive.
»
Comme elle dut paraître austère et
mystérieuse à ces pêcheurs
galiléens et à ces simples femmes, cette
leçon suprême de l'Évangile! Renoncer
à soi-même, abdiquer, ne plus vivre pour soi,
« être prêt à être
anéanti, pour que Dieu vive et règne en nous
»; porter vaillamment sa croix : les grands
déchirements et les petites difficultés
quotidiennes, les douleurs, les contradictions, les
outrages. « Quoique Dieu charge la croix tant sur les
mauvais que sur les bons, toutefois il n'y a que ceux qui
baissent volontiers les épaules de qui on puisse dire
qu'ils portent la croix. Voilà donc la patience des
fidèles de s'assujettir d'un franc courage à
porter la croix que Dieu leur met sur les épaules
(Calvin). »
Il fallut toutes les souffrances et les angoisses
du Vendredi saint, la lumière de Pâques et
l'illumination du Saint-Esprit au jour de la
Pentecôte, pour que le petit groupe intime, Jean,
Pierre, Marie de Magdala, saisît dans sa
plénitude la vraie signification du mot disciple et
toutes les exigences de l'Évangile à cet
égard. Et nous, autant qu'eux obtus, lents à
croire, pénétrés de nous-mêmes,
il nous faut suivre la même route et passer aussi de
la mort à la vie : « Quiconque ne porte pas sa
croix et ne me suit pas ne peut être mon disciple.
»
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