HUDSON TAYLOR
SEPTIÈME PARTIE
LA PRÉPARATION
DE L'OUVRIER ET DE L'OEUVRE
1860-1866
CHAPITRE 47
Par Sa vertu souveraine
1866
Pour se rendre compte de la
fécondité de la période dont
nous nous occupons, il faut se souvenir qu'Hudson
Taylor, avec beaucoup d'autres, recueillait les
fruits du grand Réveil de 1859. Ce
Réveil avait fait entrer des milliers
d'âmes dans l'Église de Christ et
ravivé le zèle des chrétiens,
spécialement des laïques. À
certains égards la promesse de Joël
s'était accomplie : « Je
répandrai mon Esprit sur les serviteurs et
sur les servantes. » C'est de cette
époque que datent des oeuvres telles que
celle des lectrices de la Bible, les
réunions des mères, le sauvetage des
enfants abandonnés des grandes villes, les
Unions chrétiennes de jeunes gens et de
jeunes filles, l'oeuvre parmi les soldats, la
formation de diaconesses, etc. Ces diverses
activités permettaient d'utiliser le
zèle des jeunes convertis en qui
brûlait la flamme du premier amour. Mais
personne n'avait encore songé à les
employer pour la mission en terre
étrangère.
Le terrain était donc
providentiellement préparé pour les
débuts de la Mission à
l'Intérieur de la Chine, qui n'aurait pas pu
naître à un moment plus propice. Les
coeurs étaient enflammés d'un nouveau
zèle, pleins du besoin de réaliser
l'unité des enfants de Dieu et fortement
conscients du fait que, par son Esprit, Il voulait
employer une classe de travailleurs en grande
partie. exclus jusqu'alors des ministères de
l'Église. La Mission répondait donc
à un besoin urgent et manifeste. Des champs
d'action devaient être ouverts, et, voici,
une organisation s'établissait qui mettait
en pratique ces principes avec une foi calme et une
simplicité qui la recommandaient aux
personnes réellement spirituelles.
« C'est bien là ce qu'il
nous faut, allons à l'aide », telle fut
la réponse qui jaillit d'une foule de
coeurs. Des jeunes gens, dans leur bureau ou leur
atelier, entendirent cette voix et en furent
encouragés. Peut-être dans une telle
Mission y aurait-il place pour la
foi et l'amour, même s'il manquait une grande
culture ? Ainsi pensait le jeune Rudland qui, dans
sa forge de village dans le comté de
Cambridge, reçut un compte rendu du discours
d'Hudson Taylor à Perth comme un appel de
Dieu. Il avait comme voisin M. Merry qui, avec sa
femme et sa belle-soeur, Mlle Annie Macpherson,
avaient été en
bénédiction à beaucoup.
Étant allés à Londres pour
voir quelque chose du Réveil, ils en
étaient revenus pleins d'une vie nouvelle
qu'ils cherchaient à répandre autour
d'eux. Rudland et plusieurs de ses camarades
avaient été convertis par leur moyen
lors d'une, réunion tenue dans la cuisine
d'une ferme. Étudier leur Bible, sous la
direction de M. Merry, au coin d'un bon feu,
était leur grande joie. Le jeune Rudland,
désirant avoir des détails au sujet
d'Hudson Taylor et de son oeuvre, s'adressa d'abord
à ses amis Merry, puis à un pasteur
de Cambridge, qui ne purent lui donner aucun
renseignement. Mlle Macpherson, au retour d'un
voyage à Londres, lui remit une carte
d'invitation à la Convention de Mildmay. Il
pensa aussitôt que là, sans aucun
doute, il aurait l'occasion de voir le
missionnaire.
Mais le patron de Rudland
désirait aussi y assister, et ils ne
pouvaient s'absenter tous les deux ensemble. Le
jeune homme, voulant faire ce que Jésus
aurait fait à sa place, sacrifia l'espoir
qu'il caressait et offrit la carte à son
maître. Ce dernier promit de lui apporter un
compte rendu complet des réunions. Il le fit
mais, pour des raisons connues de lui seul, il ne
dit pas un mot de la Chine ni d'Hudson Taylor.
Rudland en fut déçu ; le poids de ces
millions mourant sans Dieu (mille à chaque
heure du jour et de la nuit) l'écrasait. Sur
les murs de sa forge, il avait fixé deux
textes bibliques desquels ses yeux ne pouvaient se
détourner : « N'éteignez pas
l'Esprit » et « Celui-là
pèche qui sait faire le bien et ne le fait
pas ».
Cependant son maître, peu
désireux sans doute de perdre un aussi bon
ouvrier, cherchait à le
décourager.
- Voyez, lui dit-il un jour en lui
montrant un livre chinois, voici la langue qu'ils
parlent là-bas. Pensez-vous pouvoir jamais
l'apprendre ?
- Quelqu'un l'a-t-il apprise ?
répondit tranquillement Rudland.
- Quelques-uns seulement.
- Alors, pourquoi pas moi ?
Et les pages jaunes du livre, couvertes
d'étranges hiéroglyphes, le
poussèrent à prier d'autant plus le
Seigneur de lui ouvrir le chemin de la
Chine.
Peu de temps après, Mlle
Macpherson, qui s'était établie
à Londres, envoyait à Rudland
l'ouvrage intitulé : Le dénuement
spirituel et les droits de la Chine, avec une
lettre l'invitant à venir assister à
la réunion hebdomadaire de prières
à la rue de Coborn.
Le maître forgeron consentit
à lui donner un ou deux jours de
congé, mais lui dit : « Aussi sûr
que vous passez le seuil de cette porte, vous
êtes en route pour la Chine ! »
L'impression produite sur Rudland par le
livre d'Hudson Taylor, par le contact avec les
missionnaires, la réunion de prières
et tout ce qu'il vit et entendit dans ce cercle de
piété intense, fut décisive et
procura à la Mission, ce jour-là, un
de ses meilleurs ouvriers
(1).
Rudland trouva en Hudson Taylor un homme
au dessein bien arrêté, pour lequel
les âmes qui périssaient en Chine
étaient une réalité, et qui
vivait pour une chose : accomplir le plan de Dieu
en les amenant au salut. Réalité,
simplicité, c'était là ce que
l'on sentait partout ; c'était le climat de
la Mission nouvelle,
Mais combien il eût
été facile d'oublier la
considération due aux travaux des autres !
Hudson Taylor avait maintenant de nombreuses portes
ouvertes. Il était l'homme d'un message, et
d'un message que le peuple de Dieu était
désireux d'entendre sans se
préoccuper de savoir quelle
dénomination le ou les missionnaires
pouvaient représenter. La Mission trouvait
des amis et des collaborateurs dans les
églises et dans d'autres groupements. La
sphère dans laquelle elle allait travailler
était si vaste qu'elle suscitait un
intérêt extraordinaire. Il eut pu
arriver, et Hudson Taylor le sentit tout de suite,
que l'attention et les dons fussent
détournés d'oeuvres plus anciennes.
L'effort en faveur de la Chine et des autres pays
païens était certes plus que
nécessaire, et il désirait ardemment
que cette oeuvre nouvelle pût, par la
bénédiction de Dieu, être pour
toutes un encouragement sans
faire obstacle à aucune.
Mais comment éviter d'empiéter sur
les ressources des autres? Problème
malaisé à résoudre.
Pour éliminer dès le
début cette difficulté, Hudson Taylor
et M. Berger, son principal conseiller,
décidèrent que les principes de foi
de la Mission devaient aller jusqu'à ne
lancer aucun appel de fonds et à
éviter même les collectes. Si la
Mission pouvait être soutenue par les soins
fidèles de Dieu en réponse à
la prière et à la prière
seule, sans souscripteurs et sans demandes
d'argent, alors elle pourrait grandir aux
côtés d'oeuvres préexistantes
sans danger de distraire les dons des destinations
habituelles.
L'argent était-il la chose
essentielle, ou était-il vrai qu'une marche
selon Dieu, source de bénédiction
spirituelle est chose plus importante dans Son
service ? Hudson Taylor ayant été
quelques années à l'écart
comme Paul en Arabie ou Moïse, dans le
désert, pouvait répondre à
cette question comme à bien
d'autres.
En considérant les choses
d'une façon bornée,
écrivait-il au sujet de la période
remplie principalement par la révision du
Nouveau Testament dans le dialecte de Ningpo, je ne
voyais rien au delà de l'utilité
qu'aurait ce Nouveau Testament pour les
chrétiens indigènes. Mais j'ai
souvent réalisé depuis que sans ces
mois passés avec la Parole de Dieu, je
n'aurais pu former, sur la base actuelle, une
mission comme la Mission à
l'intérieur de la Chine. En étudiant
la Parole divine, j'ai appris que pour obtenir des
ouvriers qualifiés, il faut tout d'abord
prier Dieu avec sérieux de pousser des
ouvriers dans Sa moisson ; et, secondement,
approfondir la vie spirituelle 'de l'Église,
afin que les hommes ne puissent rester
tranquillement chez eux. J'ai vu que le plan des
apôtres n'était pas de susciter des
hommes et des ressources, mais d'aller et de faire
le travail, comptant sur les sûres promesses
de Celui qui a dit : « Cherchez
premièrement le royaume de Dieu et sa
justice, et toutes ces choses vous seront
données par-dessus. »
Le plus urgent besoin, il le voyait,
était la foi en Dieu pour un
développement tel de la vie spirituelle, au
sein de Son peuple, qu'il produisît un esprit
missionnaire. Le mobile d'une réunion ne
pouvait être de faire une collecte, mais bien
de. placer les gens sous la puissance de la Parole
de Dieu et les aider à entrer en communion
avec Lui.
Si nos coeurs sont droits, disait-il
souvent, nous pouvons compter sur le Saint-Esprit
agissant par nous pour amener les autres à
une communion plus intime avec Dieu... Nous n'avons
pas besoin de parler beaucoup de
la Mission à l'Intérieur de la Chine.
Que les gens voient Dieu à l'oeuvre, que
Dieu soit glorifié, que les croyants
deviennent plus saints, plus heureux, qu'ils soient
rapprochés de Lui, et l'on n'aura pas besoin
de faire appel à leur aide
matérielle.
Travailler dans cet esprit,
c'était travailler dans
l'intérêt de toutes les missions. Si
quelqu'un désire donner,
spécialement, pour l'oeuvre en Chine, de
tels dons inspirés par l'amour et
accompagnés de prières auront une
valeur centuplée. « Mieux vaut,
disait-il, un shilling réellement
consacré qu'une livre non consacrée,
» Or, des dons spontanés auront
plutôt ce caractère que des
souscriptions ou des collectes
précédées de sollicitations
pressantes. On n'avait pas vu souvent de
missionnaire en tournées
dépréoccupé si totalement du
résultat matériel de son travail ;
mais cette méthode gardait au
conférencier sa liberté d'esprit. Il
était plus préoccupé de donner
que de recevoir.
Beaucoup d'autres problèmes
réclamaient une solution : ainsi le choix et
la formation des candidats, l'organisation de la
Mission, en Chine et en Europe. Toutes ces
questions furent dûment
considérées par les amis
réunis à Saint-Hill.
Un arbre, disait M. Berger,
illustrant la situation par une heureuse image, a
besoin de temps pour croître. D'abord une
mince tige; quelques feuilles et quelques boutons;
puis des branches de plus en plus vigoureuses. S'il
y a vie, cette vie se développera suivant
ses lois.
Ainsi en fut-il de la Mission. Au
début, rien de plus
élémentaire que son organisation. Les
principes essentiels, spirituels, faisaient l'objet
d'entretiens avec les candidats et étaient
clairement reconnus comme base de l'action.
Quelques simples arrangements furent pris en
présence de M. Berger, et ce fut
tout.
Nous sommes, disait Hudson Taylor,
des enfants de Dieu, aux ordres de Dieu, pour faire
l'oeuvre de Dieu. Comptant sur Son assistance
exclusive, nous irons de l'avant jusqu'au coeur de
la Chine, vêtus du costume
indigène.
M. Berger, chargé de
représenter l'oeuvre en Angleterre, devait
rédiger une Feuille occasionnelle donnant
des nouvelles de la Mission, publier les comptes
soigneusement contrôlés, envoyer les
ouvriers à mesure que les fonds le
permettraient et surtout éviter les dettes
et les emprunts.
Il est réellement juste et facile pour
Dieu de donner l'argent d'avance. Il
préfère de beaucoup agir ainsi. Il
est trop sage pour permettre que Ses plans soient
gâtés par suite de manque de moyens.
Mais les fonds obtenus par des moyens non
spirituels sont un obstacle certain à la
bénédiction.
Que signifie réellement
faire des dettes ? Cela veut dire que Dieu n'a pas
suppléé à ce qui vous
manquait. Vous vous confiiez en Lui, et Il ne vous
a pas donné le nécessaire. Alors vous
y pourvoyez vous-même et empruntez. Si nous
savons attendre jusqu'au moment voulu, Dieu ne peut
mentir, Dieu ne peut oublier. Il s'est
engagé à subvenir à tous vos
besoins.
Le moment du départ pour la Chine
d'Hudson Taylor et de ses compagnons approchait.
Ils comptaient s'embarquer en mai, et il restait
beaucoup de préparatifs à faire.
Quand on lui demandait combien ils seraient
à partir, il répondait :
Si Dieu envoie de l'argent pour trois
ou quatre, trois ou quatre partiront. S'Il nous en
envoie pour seize, ce sera une preuve qu'Il veut
que seize partent à la fois.
Il comptait bien que ce dernier chiffre
serait atteint, et c'était l'objet de
beaucoup de prières. On avait besoin pour
cela de deux mille livres sterling. C'était
le chiffre indiqué dans la première
Feuille occasionnelle de la Mission remise à
l'imprimeur le 6 février 1866. Ce
jour-là, à midi, une réunion
de prières quotidienne fut inaugurée
à la rue de Coborn, et dans la maison de
beaucoup d'amis, à l'effet d'obtenir les
fonds nécessaires.
Hudson Taylor ne put être
présent à toutes ces rencontres. Les
invitations qui lui étaient adressées
pour des réunions étaient si
pressantes que la Société Biblique le
libéra de son travail de révision
(2), ce qui lui
permit de consacrer plus de temps à ce
ministère itinérant. Mais jour
après jour il était en esprit avec le
petit groupe réuni à la rue de Coborn
qui se réjouissait de voir comment ses
prières étaient
exaucées.
En effet, au milieu de ses nombreuses
responsabilités, il était
gardé dans une paix merveilleuse et il
pouvait saisir toutes les occasions de plaider la
cause de la Chine. Dans son
inexpérience, il ne
comprenait guère, sans doute, comment il
gagnait la confiance des croyants partout où
il allait. Il savait seulement qu'en réponse
à la prière beaucoup étaient
poussés à aider, qu'une occasion en
amenait une autre et que le Seigneur semblait avoir
préparé les coeurs dans toutes les
Églises où il déposait le
fardeau des multitudes qui périssaient en
Chine.
Ainsi, il rencontra à Liverpool
le jeune évangéliste H. Grattan
Guinness, qui l'invita à se rendre à
Dublin. Hudson Taylor accepta l'offre qui lui
était faite de parler à des
étudiants en théologie que M.
Guinness instruisait dans sa propre maison. M.
Guinness partit le premier pour annoncer la venue
de son visiteur et ne manqua pas de donner force
détails sur la Mission nouvelle et son chef
qui, par la foi, s'attaquait à la
tâche immense d'évangéliser
l'intérieur de la Chine. Inutile de dire que
les jeunes gens réunis pour entendre Hudson
Taylor étaient dans une impatience
fébrile. Il y avait là John McCarthy,
Charles Fishe et son frère, qui ne se
doutaient guère que le Seigneur les
appellerait ce soir-là à donner leur
vie pour la Chine. Tom Barnardo était aussi
du nombre ; jeune homme de vingt ans, plein
d'entrain, son intérêt pour la Chine
s'éveilla aussi en cette même
soirée, et devait finalement le diriger vers
l'oeuvre que le Seigneur lui réservait parmi
les enfants miséreux et les vagabonds de
l'Est de Londres
(3). M. et Mme
Guinness devaient aussi recevoir l'impulsion divine
qui allait les engager, eux-mêmes d'abord,
puis tous leurs enfants, dans le travail
missionnaire et avoir comme fruit la formation de
plus de mille évangélistes qui
portèrent l'Évangile dans les parties
les plus ténébreuses de la terre
(4).
Il valait donc bien la peine de venir
à Dublin pour ce groupe de jeunes gens,
quoique, à ce moment, tous ces
développements fussent du domaine de
l'avenir.
Quelle surprise, pour ne pas dire quel
désappointement, quand les étudiants
virent entrer le visiteur attendu. Comment?
c'était cet homme jeune, mince, aux cheveux
blonds, si petit comparé à
l'imposante carrure de leur professeur? Ou bien ne
serait-ce pas lui ? Sûrement, il y avait
erreur! Mais non! M. Guinness introduisait son
invité. L'examinant d'un bref coup d'oeil,
Barnardo, qui était de petite taille, plus
petit encore qu'Hudson Taylor, souffla à
l'oreille de McCarthy : « Bon, il y a espoir
pour moi! »
Mais combien les coeurs
brûlèrent quand ces jeunes hommes,
fascinés, écoutèrent tout ce
qu'il avait à leur dire!
Il me semble que je le vois,
écrivait John McCarthy quarante ans plus
tard, si calme, si modeste, mais si plein de la
puissance de Dieu ! Ce soir-là, je trouvai
la réponse à beaucoup de
prières et l'homme choisi de Dieu pour me
guider dans la vie. Le moment de conversation
passé dans sa chambre après la
réunion, et sa prière à Dieu
pour moi, sont parmi mes plus chers souvenirs. Le
lien formé alors entre nous ne s'est jamais
relâché et l'éternité
seule révélera quelle
bénédiction son amour et ses
prières ont été pour
moi.
La visite d'Hudson Taylor en Irlande
amena dix candidats à la Mission et le lia
d'amitié avec des chrétiens
éminents. Il parut devant le Synode des
presbytériens anglais, réuni à
Manchester, et parla de l'oeuvre de leur
bien-aimé missionnaire, William Burns, en
Chine. Son objectif était d'encourager les
pasteurs et leurs troupeaux à soutenir plus
généreusement leur Mission de Swatow.
Il se réjouit d'avoir atteint ce but, d'une
joie tout aussi grande que lorsque des dons
étaient faits pour la Mission à
l'Intérieur de la Chine et que les
prières s'élevaient à Dieu en
sa faveur. Bien longtemps après, l'on se
souvenait de l'impression produite par la parole de
cet homme de Dieu qui parcourait le pays pour
éveiller le zèle missionnaire des
chrétiens et les pousser à rechercher
la présence et la communion du Seigneur. Peu
lui importait que les assemblées fussent
nombreuses ou non. Il donnait toujours le meilleur
de lui-même, et faisait partager à
tous la préoccupation qui
dominait son coeur. À Birmingham, à
l'heure de la réunion, il tombait une pluie
torrentielle. Hudson Taylor était
fatigué, et son hôte l'engagea
à rester au coin de son feu. - Mais la
réunion n'a-t-elle pas été
annoncée pour ce soir? demanda-t-il
tranquillement. Alors, il faut que j'y aille, quand
même il n'y aurait que le concierge. - La
salle se trouva à peu près vide, huit
ou dix personnes seulement y prirent place. Mais !a
présence de Dieu se fit tellement sentir que
la moitié des assistants entrèrent
eux-mêmes dans la Mission ou y
consacrèrent leurs enfants, tandis que les
autres devinrent dès ce jour-là ses
fidèles soutiens.
De retour à Londres, Hudson
Taylor s'empressa de consulter le livre de caisse
pour constater comment Dieu avait répondu
aux prières. Pendant les cinq
premières semaines de l'année,
c'est-à-dire jusqu'au 6 février, cent
soixante-dix livres sterling avaient
été reçues. Dans les cinq
semaines qui suivirent l'inauguration des
réunions de prière de midi, on
reçut de quoi parfaire la somme de deux
mille livres, ce qui permettait l'envoi des seize
missionnaires qui s'étaient
préparés à partir. Un
généreux souscripteur de Liverpool,
ému par la récente visite d'Hudson
Taylor dans cette ville, avait envoyé un
chèque de six cent cinquante livres.
La Feuille occasionnelle,
préparée pour le mois de
février, n'avait pu être
expédiée à cause d'un incendie
survenu dans l'imprimerie. Elle n'était donc
pour rien dans l'envoi des sommes reçues. On
put par conséquent glisser dans ses plis un
feuillet annonçant que la somme, attendue du
Seigneur, était arrivée.
Cela nous fit songer, dit Hudson
Taylor, à Moïse faisant proclamer dans
le camp des Israélites qu'on n'avait plus
besoin de rien apporter pour le Tabernacle, les
dons reçus étant plus que suffisants.
Nous sommes convaincus que, s'il y avait moins
d'appels aux hommes, plus de dépendance de
la puissance du Saint-Esprit et une vie spirituelle
plus profonde, le même résultat serait
obtenu dans toutes les branches de
l'activité chrétienne.
Une dernière campagne de
réunions dans les comtés de l'Ouest
amena Hudson Taylor à Bristol, où il
fut particulièrement heureux de rencontrer
le vénéré Georges Müller
qui, depuis longtemps, pratiquait les mêmes
principes de foi que lui et avait, appuyé
sur Dieu seul, fondé des orphelinats
où des milliers et des
milliers d'enfants furent recueillis et
élevés. Georges Müller
témoigna à Hudson Taylor la plus
affectueuse sympathie et lui promit le secours de
ses prières ; c'était là, aux
yeux du missionnaire, un secours d'une immense
valeur. Chaque fois qu'il alla le voir, Georges
Müller prit tout le temps nécessaire
pour examiner attentivement les questions qui
avaient trait à l'oeuvre. Quelques mois
auparavant, Hudson Taylor s'était rendu
à Bristol avec quelques collaborateurs sur
le point de partir pour la Chine, afin qu'ils
eussent le privilège de faire la
connaissance de cet homme de Dieu.
Passé une heure avec M.
Müller, écrivait-il le 21 août.
Il nous a parlé d'une façon
très précieuse de l'appel et de
l'esprit du missionnaire, de la lecture
méthodique de la Parole de Dieu, de la
prière et de la foi en Dieu, et des
obstacles et des épines de la
route.
Et encore, le jour suivant :
M. Müller a parlé de la
communion avec Dieu qui passe avant le travail pour
Dieu, de la nécessité de ne pas agir
d'une manière incertaine, de se mêler
librement au peuple, d'éviter de parler
l'anglais entre nous en présence de Chinois
qui ne peuvent nous comprendre. Finalement, il
promit de prier pour le groupe qui
partait.
Hudson Taylor rencontra le même
intérêt partout où il alla.
Chaque jour il avait plusieurs réunions et
il était obligé de travailler
à sa vaste correspondance jusque dans les
trains. Cela ne l'empêchait pas
d'écrire à sa mère :
Quelle joie de travailler pour un tel
Maître ! Mon âme en est souvent remplie
à déborder. Et quel honneur
d'être employé pour une telle cause !
Si le travail est grand et les difficultés
nombreuses, plus grande encore est la force
donnée par Dieu et plus grande sera la
récompense. Aucun service ne pourrait
être la source d'un bonheur pareil dès
maintenant, et quant à la récompense,
elle viendra plus tard et sera
éternelle.
Cette joie dans le Seigneur attirait
tout spécialement les jeunes. Le
missionnaire était jeune lui-même, et
ses paroles incisives n'en avaient que plus de
pouvoir.
Elles nous ont fait passer, à
plusieurs d'entre nous, une nuit blanche, rappelait
M" H. F. Soltau, qu'Hudson Taylor rencontra pour la
première fois lors d'une visite à
Exeter, et dès cette heure, ma chère
soeur Agnès (qui allait
épouser M. Richard Hill) et moi fûmes
liées à la Mission
(5).
Lorsqu'on se souvient de tout ce que
cette seule vie a représenté pour la
Chine, et de l'amour et de l'attachement qu'ont
pour celle qui écrivit les lignes ci-dessus
les femmes de l'intérieur de la Chine, on
peut constater que la rapide visite d'Hudson Taylor
à Exeter eut comme résultat un des
meilleurs présents que Dieu fit jamais
à l'oeuvre missionnaire à
l'étranger.
Nous ne pouvons nous étendre sur
les contacts qu'il eut avec Robert Chapman et
d'autres hommes de Dieu
(6).
Rentré à Londres, Hudson
Taylor fut pris dans le tourbillon des
préparatifs et des réunions d'adieux.
La fin d'avril approchait, et la petite troupe
devait partir en mai. L'état de faiblesse
où se trouvait encore Mme Taylor,
après une maladie récente, faisait
retomber sur son mari tout le fardeau des
préparatifs à faire.
« Il mettait la main à tout
», écrivait un de ses
compagnons.
« On eût dit qu'il
était expert en toutes choses et chacun
trouvait auprès de lui, pour son travail
particulier, les conseils dont il avait besoin.
»
Mais, fait étrange, le vaisseau
qui devait transporter la petite troupe de dix-huit
adultes et quatre enfants n'était pas encore
trouvé. Désireux d'éviter des
frais considérables, Hudson Taylor ne
voulait pas passer par Suez, mais faire le tour de
l'Afrique par le Cap. C'était là, on
le comprend, un sujet de prières
continuelles à la rue de Coborn. Les
voyageurs demandaient à Dieu de leur donner
un capitaine de vaisseau pieux et un
équipage dont tous les membres pussent
recevoir du bien dans le voyage. Assuré
que Dieu l'exaucerait, il
n'éprouvait aucune anxiété,
mais il lui tardait pourtant de voir la question
résolue.
Le 2 mai, une importante réunion
devait avoir lieu dans le comté de Hertford,
chez le colonel Puget, beau-frère de Lord
Radstock. Bien que surpris, le colonel, pour entrer
dans les vues d'Hudson Taylor, avait annoncé
qu'il n'y aurait pas de collecte. Mais
l'intérêt suscité par la parole
de l'orateur fut si puissant qu'à la fin de
la réunion le colonel se leva pour dire que,
s'il jugeait des sentiments de l'assemblée
par les siens propres, ils s'en iraient le coeur
chargé à moins de pouvoir exprimer
leur sympathie d'une manière pratique en
faveur de la Mission.
À ce moment, Hudson Taylor
l'interrompit en déclarant que, ce qu'il
désirait avant tout, c'était
justement que ses auditeurs partissent le coeur
chargé. L'argent n'était pas la chose
principale dans l'oeuvre du Seigneur, surtout pas
l'argent donné à la
légère sous l'influence d'une
émotion. Ce qu'il désirait par-dessus
tout, c'était que chacun s'en allât en
demandant au Seigneur de lui montrer ce qu'Il
attendait de lui. Tout en remerciant le colonel de
sa bienveillante intention, il insista pour qu'on
ne fit pas de collecte. Dieu réclamait de
son peuple des dons plus coûteux,
peut-être un fils ou une fille, ou leur
propre personne. Aucune somme d'argent ne pourrait
jamais sauver une seule âme. Ce qu'il
fallait, c'étaient des hommes et des femmes
remplis du Saint-Esprit, se donnant eux-mêmes
pour l'oeuvre en Chine ou travaillant chez eux par
la prière. Pour soutenir des serviteurs
envoyés de Dieu, les fonds ne manqueraient
jamais.
« Vous vous êtes bien
trompé, si j'ose m'exprimer de, la sorte,
lui dit le colonel après la réunion.
Les gens étaient réellement
intéressés et nous aurions eu une
bonne collecte. »
Hudson Taylor ne réussit pas
à convaincre son hôte, mais, le
lendemain matin, celui-ci parut tardivement
à la table du déjeuner,
déclarant qu'il avait passé une
mauvaise nuit. Puis, remettant à Hudson
Taylor plusieurs dons reçus après la
conférence de la veille, il ajouta : «
Hier soir, il me semblait que vous aviez tort, mais
ce matin je vois les choses différemment. Je
n'ai pu dormir de toute la nuit en pensant à
ces multitudes d'âmes qui s'enfoncent dans
les ténèbres. Tout ce que j'ai pu
faire, ce fut de crier : « Seigneur, que
veux-tu que moi je fasse? » Et je crois qu'Il
m'a répondu.
En disant cela, il lui remit un
chèque de cinq cents livres. « S'il y
avait eu une collecte, j'aurais donné cinq
livres. Ce chèque est le résultat de
ma nuit de prière. »
On était au jeudi 3 mai. Pendant
le repas, Hudson Taylor reçut une lettre lui
offrant pour sa troupe l'entière disposition
du Lammermuir, sur le point d'appareiller pour la
Chine. Il prit aussitôt congé de son
hôte, dont l'intérêt
était de plus en plus vif, revint à
Londres et se rendit aux docks directement. Ayant
vu que le bateau était
précisément ce qu'il lui fallait, il
donna en acompte le chèque de cinq cents
livres qu'il venait de recevoir et rentra chez lui
à la rue de Coborn avec la joie que l'on
peut se figurer pour y apporter ces bonnes
nouvelles.
Pour la petite troupe, regarder à
Dieu de moment en moment, Le voir à
l'oeuvre, sentir Son bras se déployer, voir
Sa main s'étendre pour les protéger
et les guider, marcher enfin à la
lumière de Sa face, cela valait mieux que
des milliers de pièces d'or et d'argent. Ils
sentaient leur extrême faiblesse et en
auraient été accablés s'ils
n'avaient entendu le Seigneur leur dire : « Ma
grâce te suffit, ma force s'accomplit dans la
faiblesse. »
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