HUDSON TAYLOR
HUITIÈME PARTIE
EN AVANT SUR LES
GRANDES EAUX
1866-1868
CHAPITRE 48
Ma face ira devant toi
1866
L'homme s'effaçant entièrement
devant Dieu, et Dieu pleinement suffisant pour
toutes choses, voilà ce, que les visiteurs
de la rue de Coborn ne pouvaient s'empêcher
de constater dans ces dernières
journées de préparatifs. Au milieu
des caisses et des paquets de toute espèce,
la réunion de prières du samedi se
tenait comme à l'ordinaire. La grande carte
de la Chine était suspendue à la
muraille et la Bible ouverte sur la table. Tout le
reste passait au second plan.
Hudson Taylor avait écrit
:
Notre grand désir, notre but,
est de planter l'étendard de la Croix dans
les onze provinces encore inoccupées et dans
la Tartarie chinoise.
- Entreprise insensée!
affirmaient ceux qui ne voyaient que les
difficultés.
- Tâche surhumaine ! disaient avec
un soupir beaucoup d'amis, pleins
d'anxiété.
- On vous oubliera. Aucun comité
ne vous représentant ici, les multiples
appels de toutes sortes d'oeuvres attireront tous
les secours et vous mourrez de faim.
J'emmène mes enfants avec moi,
répondait Hudson Taylor, et je remarque que
je n'ai aucune peine de me souvenir que ces petits
ont besoin de déjeuner le matin, de
dîner à midi, et de souper avant
d'aller au lit. En vérité, il me
serait impossible d'oublier cela, et je ne saurais
supporter que notre Père céleste
eût moins de tendresse et moins de
sollicitude que moi.
Il n'est pas étonnant qu'une foi
si calme et si simple attirât la sympathie
d'un grand nombre de coeurs. Jamais voyageurs ne
furent entourés de plus de prières,
et jamais voyageurs n'en eurent plus besoin. Partis
de Londres le 26 mai, ils n'arrivèrent
à Shanghaï
qu'à la fin de septembre et ils eurent
à subir tous les assauts de l'Ennemi, qui
s'efforça de détruire leur union et
leur puissance spirituelle et, ensuite, de les
jeter au fond de la mer en brisant le vaisseau qui
les portait. Mais depuis le moment où M.
Berger et quelques amis intimes les
recommandèrent à Dieu, dans le salon
du Lammermuir, des réunions de
prières nombreuses ne cessèrent
d'appeler sur eux la protection et la
bénédiction du Seigneur.
Sur le vaisseau, le temps
s'écoulait pour la petite troupe
alternativement dans la prière,
l'étude du chinois, la lecture, la
méditation des Écritures et le chant
des cantiques.
Je voudrais que vous puissiez nous
apercevoir par l'embrasure d'une porte, quand nous
sommes réunis, écrivait Hudson Taylor
à M. Berger, vous verriez combien nous
sommes tous heureux... L'équipage, y compris
le capitaine, est composé de trente-quatre
hommes. Avec notre compagnie, cela fait
cinquante-six personnes à bord.
Au cours de mauvais jours, le mal de mer
n'épargna pas les voyageurs. La
tempête cependant s'apaisa bientôt, et
pendant les onze semaines et demie que dura la
navigation à travers l'Atlantique, et
jusqu'aux îles de l'Océan Indien, en
contournant le cap de Bonne-Espérance, la
mer fut remarquablement calme. Les relations avec
l'équipage devinrent très cordiales
et amenèrent parmi ces hommes un changement
considérable.
La présence de tant de
missionnaires avait tout d'abord
mécontenté les matelots, pour la
plupart impies bien que le capitaine fût
chrétien. Les réunions qu'Hudson
Taylor obtint la permission de tenir le dimanche ne
les attirèrent point, mais il eut la sagesse
de ne pas chercher à s'imposer à eux.
Au contraire, quand l'équipage eut besoin
d'un coup de main, ceux qui, parmi les
missionnaires étaient menuisiers ou
forgerons se mirent volontiers à sa
disposition et lui rendirent plus d'un service. En
l'absence d'un médecin, les soins d'Hudson
Taylor furent aussi d'un grand secours. En un mot,
ces hommes de Dieu se montraient si serviables, si
cordiaux, si joyeux aussi, car ils chantaient toute
la journée, que les marins se dirent :
« Après tout, ces missionnaires sont
d'aimables compagnons. Mais qu'y a-t-il donc dans
leur vie et dans leurs perspectives terrestres qui
puisse leur donner tant de joie? » Oui, il
était évident que la
piété était pour ces hommes et
ces femmes une réalité. Et, peu
à peu, la réserve hostile du
début fit place à l'estime et
à la confiance.
Les sentiments de l'équipage
deviennent des plus amicaux, écrivait Hudson
Taylor. Le garçon de cabine est un
chrétien. Dieu nous fasse la grâce de
voir beaucoup de conversions avant de quitter le
navire. Priez-Le qu'Il nous donne toute la sagesse,
toute la foi, tout l'amour dont nous avons
besoin.
Longtemps avant de savoir quel serait le
vaisseau qui les porterait en Chine, les
missionnaires et leurs amis avaient demandé
au Seigneur de leur donner un équipage
auquel ils pussent être en
bénédiction. Et ils attendaient avec
ardeur l'exaucement de leurs prières. Le but
de toute leur existence, à eux tous,
n'était-il Pas de gagner des âmes par
l'intercession d'abord, et ensuite par le
témoignage de leur vie, d'une vie exhalant
la bonne odeur de Christ » ?
La conversion de l'officier en second,
survenue vingt-cinq jours après le
départ de Plymouth, fut une réponse
encourageante à tant de prières. Elle
fut suivie bientôt par celle de deux
aspirants. Ce fut le commencement d'un
réveil. L'intérêt pour les
choses spirituelles semblait contagieux, à
la grande joie des missionnaires qui voyaient ces
hommes arriver l'un après l'autre à
la lumière. Quatre d'entre eux
étaient catholiques romains. Hudson Taylor
écrivait à M. Berger :
Je voudrais que vous eussiez
été présent quand nous
reçûmes des réponses
précises à nos prières. Notre
âme fut littéralement inondée
de joie. Il nous tarde que nos amis d'Angleterre
apprennent la bénédiction qui a
été répandue sur nous. Dieu
semble avoir choisi, comme Il le fait souvent, les
plus inconvertissables en apparence, et, parmi eux,
des étrangers qui comprenaient très
peu l'anglais et que nous ne pouvions guère
atteindre; mais le Seigneur a ouvert leurs
coeurs.
Le culte du dimanche, d'abord peu
fréquenté, devint bientôt
insuffisant. Des réunions de prières
furent organisées, d'abord trois fois par
semaine, puis tous les jours.
La conversion du pilote, M. Brunton, qui
avait été jusqu'alors une brute
inabordable, fut particulièrement
remarquable. Pendant plus d'un mois il fut
plongé dans un désespoir qui faisait
pitié. Une réunion spéciale
eut lieu pour demander à Dieu sa
délivrance. Une nuit, Hudson Taylor se
sentit pressé d'aller lui parler, au moment
où cessait son service de garde. Il lui lut
une explication, écrite par Mackintosh, du
chapitre 12 de l'Exode (la Pâque). La
lumière jaillit enfin dans cette âme
enténébrée, et la paix de Dieu
l'inonda. Hudson Taylor
réveilla sa femme et plusieurs de ses
compagnons, bien qu'il ne fût que deux heures
et demie du matin, et, ensemble, ils rendirent
grâces ; leur coeur débordait de joie
et de reconnaissance.
La nouvelle, rapidement connue de tous,
produisit une impression extraordinaire. L'officier
converti fit lui-même part à ses
hommes du bien que Dieu avait fait à son
âme. Un des jeunes aspirants donna
également son coeur au Seigneur, et
plusieurs hommes de l'équipage, qui avaient
été hésitants jusqu'alors,
furent amenés à une décision
définitive.
C'est le jour des grandes choses,
écrivait Hudson Taylor le 4 août.
Plusieurs ont trouvé la paix par la foi.
Nous avons eu une réunion qui a duré
jusqu'à minuit pour louer le Seigneur et
demander la conversion de tous nos compagnons de
route.
La cabine du maître d'hôtel
où avaient lieu les réunions
étant devenue trop petite, on se transporta
sur le gaillard d'avant, beaucoup plus spacieux ;
à peu près tout le monde,
désormais, assista aux services, les uns
assis sur des chaises, d'autres sur des caisses,
(les planches ou divers agrès du vaisseau.
Quelques-uns, encore timides, se cachaient
derrière le cabestan ou derrière la
porte. Là, missionnaires et équipage
répandirent devant Dieu leurs âmes
pleines de gratitude, plusieurs en un langage
incorrect et à peine intelligible. On chanta
à la demande d'un matelot : Béni soit
le jour où j'ai fait choix de Jésus
pour Maître. Et les mains se cherchaient pour
s'étreindre et les bouches s'ouvraient pour
exprimer la joie et l'affection mutuelle. Et la
réunion se prolongeait bien au delà
du temps fixé.
Les missionnaires se réunissaient
aussi entre eux pour s'entretenir de leur
carrière future et Pour exposer à
Dieu ce sujet si vaste et si important.
Notre esprit est parfaitement en paix
pour ce qui concerne notre avenir. Si même
nous ne devions jamais arriver en Chine, nous nous
réjouirions tous de l'oeuvre que Dieu a
faite sur le Lammermuir. Et s'Il permet que nous
arrivions à destination, Celui qui a
été avec nous jusqu'ici y sera encore
et nous conduira par des sentiers
unis.
On voudrait s'arrêter ici et ne
parler que de la merveilleuse délivrance
accordée aux voyageurs dans la Mer de Chine.
Mais le souci de la vérité nous
oblige à révéler une autre
tentative de l'Ennemi de nuire
à leur ministère. La discorde
s'établit parmi eux, au sujet de choses
futiles. De grandes tentations eussent
été repoussées
immédiatement, mais de petites critiques,
une légère froideur, de mesquines
jalousies amenèrent la désunion et
paralysèrent les prières. L'oeuvre de
l'Esprit fut aussitôt arrêtée,
et pendant un mois entier il n'y eut aucune
conversion. Les missionnaires s'en rendirent compte
et en souffrirent tous, spécialement Hudson
Taylor. La parole du psaume 133 : « Oh! que
c'est une chose bonne et agréable que des
frères demeurent unis ensemble, car c'est
là que le Seigneur a établi la vie et
la bénédiction à toujours
» les remplissait d'une véritable
détresse. Ils déploraient tous cet
état de choses, ils en voyaient et en
sentaient le danger ; ils comprenaient que cela
devait cesser et ils se mirent à sonder
leurs voies devant Dieu. La prière et le
jeûne apportèrent le remède et
rapprochèrent des coeurs si bien faits pour
s'entendre mais que l'Ennemi avait réussi,
momentanément, à
séparer.
Vaincu sur ce point, le prince de la
puissance de l'air changea de tactique et,
décidé de détruire d'une
façon ou d'une autre la Mission nouvelle,
livra ses plus terribles assauts contre le petit
vaisseau, objet de tant de prières et
d'espérances. Pendant quinze jours et quinze
nuits consécutifs, la tempête fit
rage. Un typhon après l'autre le ballotta
sur la Mer de Chine. Les voiles furent mises en
lambeaux, les mats furent renversés, tout
sembla perdu, sauf leur inébranlable
confiance en Dieu. Pas question de dormir pendant
la nuit ; c'était le moment le plus
favorable pour la prière. Pendant que le
vent soufflait avec impétuosité, les
missionnaires chantaient : « Il est un roc
séculaire », et d'autres cantiques du
même genre.
Nos voix impuissantes à
dominer le fracas de la tempête se
mêlaient à lui. Notre vaisseau de fer
était agité comme une coquille de
noix, tantôt porté sur le sommet d'une
vague, tantôt précipité dans
une profonde vallée, tantôt debout,
tantôt couché sur le flanc,
tantôt l'avant, tantôt l'arrière
enfoncé dans les flots. Il y avait
déjà douze jours que la tempête
durait, et, n'eût été
l'assurance que le bras de l'Éternel nous
entourait et que tous les éléments
étaient soumis à Sa puissance, le
désespoir se serait emparé de nous.
Pourtant, le pire était encore à
venir. Il est impossible de décrire cet
ouragan. Pendant les trois journées, du 22
au 24 septembre, la mer balaya le pont de notre
vaisseau comme si elle allait tout emporter.
Grâces à Dieu, nous demeurâmes
tous calmes, prêts soit pour la vie, soit
pour la mort, heureux que nos
amis d'Europe ne connussent pas le danger imminent
que nous courions.
L'attitude paisible et résolue
d'Hudson Taylor et de ses compagnons contribua
puissamment au salut du navire. À un moment
donné, le capitaine fit mettre les ceintures
de sauvetage et déclara que le Lammermuir ne
résisterait pas deux heures de plus avant de
sombrer. Comme les hommes, effrayés et
découragés, refusaient de continuer
leur service, il alla vers eux le revolver au
poing. Hudson Taylor le suivit et le supplia de ne
pas employer la violence avant que tous les autres
moyens eussent été essayés.
Alors, après avoir prié, il parla aux
matelots, leur disant sa confiance que Dieu les
sauverait, mais que, pour cela, il importait que
chacun fit son devoir. « Nous vous aiderons
tant que nous le pourrons, car notre vie est en
danger comme la vôtre »,
conclut-il.
Le navire était de plus en plus
ballotté et tout ce qu'il transportait
Projeté de côté et d'autre, de
sorte, qu'en plus du danger de sombrer, il y avait
à craindre à chaque instant que
quelqu'un n'eût les jambes brisées par
les caisses et les objets divers qui roulaient en
tous sens.
Tout travail étant devenu
impossible, il ne restait d'autre ressource que la
prière. Chacun était
exténué et, pendant plusieurs jours,
les passagers ne purent se nourrir que de quelques
biscuits et d'un peu de beurre et de fromage, faute
de pouvoir préparer le moindre
repas.
Le vaisseau faisait eau de toutes
parts. Les pompes ne fonctionnant plus, nous
pensâmes que nos heures et nos minutes
étaient comptées; nous prîmes
congé les uns des autres, embrassâmes
les enfants et nous abandonnâmes à la
grâce de Dieu.
Enfin le vent faiblit, la mer s'apaisa
graduellement et l'espoir renaquit dans les
coeurs.
On devine plus qu'on ne peut
décrire ce que dut être la sollicitude
de Mme Taylor pour ses petits enfants, au milieu de
circonstances si angoissantes.
Il nous était doux,
écrivait-elle, de nous réjouir en
Dieu, malgré tout, et de nous rappeler les
témoignages de Son amour dans le
passé. Le cantique d'Habacuc devint pour moi
plus que jamais une réalité
:
« Je me réjouirai en
l'Éternel; je me glorifierai dans le Dieu de
mon salut. »
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