HUDSON TAYLOR
HUITIÈME PARTIE
EN AVANT SUR LES
GRANDES EAUX
1866-1868
CHAPITRE 50
Oh! si Tu voulais me bénir!
1866-1867
À la faveur de la nuit, toute la
compagnie était entrée à
Hangchow sans attirer l'attention publique, et
s'était établie chez M. Kreyer. Mais
cet abri n'était que provisoire. M. Kreyer
allait revenir et la nécessité de
trouver une maison à soi était
toujours aussi urgente. Comment découvrir
dans la grande ville, encore meurtrie par la
révolte des Taï-ping, un logement assez
spacieux pour eux tous et pour l'oeuvre qu'ils
espéraient accomplir ? Cependant Dieu, une
fois de plus, allait montrer qu'Il marchait devant
Ses messagers pour les conduire vers « un lieu
de repos ».
Hudson Taylor découvrit un vaste
bâtiment, jadis résidence d'un
mandarin, aujourd'hui tombant en ruines et envahi
par la végétation. La situation
était excellente, dans un coin tranquille,
près des murailles de la ville en même
temps que des rues commerçantes. La maison
avait deux étages, et un
rez-de-chaussée où l'on pouvait
aménager une salle de réception, une
chapelle, un dispensaire, une imprimerie, une salle
à manger et le logement des
domestiques.
Le propriétaire demandait un prix
très supérieur à celui
qu'Hudson Taylor était disposé
à offrir et il espérait, en
prolongeant les négociations, parvenir
à ses fins. Le dimanche arriva et suspendit
naturellement les tractations. Le
propriétaire, ne comprenant pas cet
arrêt, crut que d'autres propositions
étaient faites d'un autre côté.
Aussi, craignant de voir un marché
avantageux lui échapper, vint-il le lundi
matin de bonne heure faire des offres beaucoup plus
modérées, qui furent
immédiatement acceptées. Le bail fut
dûment conclu et signé et. à
l'aube du mercredi 28 novembre, jour du retour de
M. Kreyer, la petite troupe se dirigeait à
travers les rues silencieuses de la
villeencore endormie vers la
demeure où elle allait enfin trouver un peu
de repos après six mois de voyage et
d'agitation.
Le plan d'Hudson Taylor était de
faire aussi peu de bruit que possible
jusqu'à ce que ses jeunes compagnons fussent
assez maîtres de la langue pour commencer
leur travail. On espérait qu'alors la
population se serait habituée à la
présence d'étrangers paisibles et que
l'établissement dans la capitale
faciliterait l'accès de villes moins
importantes.
Car déjà l'on pensait
à étendre le champ d'activité.
Hudson Taylor, dès le premier dimanche, se
rendit dans une cité voisine nommée
Siaoshan. MM. Meadows et Crombie étaient
venus de Ningpo pour offrir leurs services, et il
fut heureux de bénéficier de leur
aide. Ils trouvèrent un accueil si favorable
dans cette ville, où ils passèrent
deux journées, qu'ils louèrent une
petite maison en vue d'y établir un des
nouveaux venus aussi vite que possible.
Avec joie il annonça à M.
Berger que les communications entre
l'intérieur du pays et les villes de la
côte s'étaient considérablement
améliorées. On pouvait maintenant
envoyer par la poste indigène des lettres et
même de l'argent. Le service n'était
pas rapide, mais il était suffisamment
sûr.
En attendant, le travail ne manquait
pas. Le nettoyage de la maison exigeait de
vigoureux efforts ; il fallait enlever de
véritables couches d'ordures des
étages supérieurs, qui étaient
cependant propres en comparaison du
rez-de-chaussée.
Il fait froid dans notre demeure,
écrivait-il, le 4 décembre. Nous
n'avons pas de plafonds et les vitres sont rares.
Le mur de ma propre chambre présente une
brèche de deux mètres sur trois; nous
la fermons avec un drap, ce qui donne à tous
les vents un libre passage. Mais nous ne faisons
guère attention à ces petites
misères. Autour de nous sont de pauvres
païens enténébrés ; des
villes et des villages innombrables sans aucun
missionnaire et sans aucun moyen de grâce. je
plaindrais ceux qui pourraient les oublier et les
laisser périr, par crainte de manquer d'un
peu de confort.
Assainie peu à peu, la maison
n'en conservait pas moins son caractère
chinois. On avait laissé à
Shanghaï les couteaux et les fourchettes,
ainsi que la vaisselle et les ustensiles de
cuisine, pour se contenter des bols et des
bâtonnets des indigènes. Il y avait
dans la salle de réception
des chaises et des tables destinées aux
visiteurs ; mais nos amis, pour eux-mêmes,
utilisaient le plus simple mobilier du pays :
tables faites de planches montées sur des
tréteaux, bancs de bois et lits consistant
en de simples cadres de bois garnis de fibres de
cacaoyer. Pour les repas, un menu qui ne pouvait
choquer les regards curieux des voisins. C'est
probablement ce qui désarma leurs
préjugés et favorisa un contact
amical avec eux. « Ces gens sont comme nous
», disaient-ils ; « ils mangent notre
riz, ils portent nos vêtements et nous
comprenons leur langage ».
Et peu à peu les voisins,
attirés l'un après l'autre par les
cantiques, venaient assister aux prières
faites en chinois. La première semaine
n'était pas encore écoulée
qu'une femme manifestait un sérieux
intérêt pour l'Évangile. Mlle
Faulding, qui avait fait de notables progrès
dans la langue, la visita ainsi que quelques autres
dont les récits, circulant au dehors,
rassurèrent leurs parents et leurs
amis.
Cette femme cessa bientôt de
brûler de l'encens devant les idoles et
commença à prier Dieu.
Tous nos voisins, écrit Mlle
Faulding, sont occupés à fabriquer,
avec du papier argenté, une sorte de monnaie
que l'on envoie aux parents
décédés, en la brûlant
sur leur tombeau. Cela donne lieu ici à un
grand commerce. Pendant que je leur fais la
lecture, tous ces gens, hommes et femmes, fument
leur pipe, ce qui m'ôte parfois la
respiration. je me garde bien de leur faire aucune
observation à ce sujet. Ils me posent toutes
sortes de questions sur nous-mêmes et
d'autres du genre de celles-ci : « Où
faut-il aller pour adorer Dieu ? » Hier nous
eûmes un auditoire de dix personnes,
amenées par la femme désignée
ci-dessus, outre nos domestiques.
L'oeuvre commencée marcha si bien
qu'avant Noël il y avait cinquante ou soixante
personnes au service du dimanche. C'était
amusant de voir un homme caresser son gros chien
pendant la prédication, une femme
raccommoder un soulier d'homme et une autre peigner
son enfant avec ses doigts effilés.
L'attention des auditeurs et les
remarques intéressantes qu'ils faisaient
souvent furent pour les missionnaires un
précieux encouragement.
Un soldat dit, après avoir lu un
Évangile et le livre des Actes : «
Quelle différence entre Judas et Paul ! Le
premier, un disciple qui trahit
son maître ; le second, un persécuteur
qui devient le plus dévoué de ses
serviteurs! »
Un prêtre bouddhiste, ayant
entendu Hudson Taylor prêcher dans un
carrefour, réjouit
l'évangéliste Tsiu en venant chaque
jour lui poser des questions pleines de bon sens.
Un homme cria un jour, dans la rue, à M.
Sell : « Je viendrai demain adorer le vrai
Dieu. »
Lorsque vint le Nouvel-An chinois, au
début de février 1867, de nouvelles
et précieuses occasions
d'évangéliser furent données
aux missionnaires. Un dispensaire fut ouvert, pour
commencer l'oeuvre médicale qui devait
rendre si célèbre la ville de
Hangchow. Pour trouver un médecin, il
fallait alors aller jusqu'à Ningpo ou
à Shanghaï. Aussi, bien que
déjà accablé de travail,
Hudson Taylor ne put rester indifférent aux
appels des multitudes de malades qui venaient
à lui de toutes parts.
Comme j'eus aimé que quelqu'un
de nos amis d'Angleterre fût présent
aujourd'hui à notre culte, écrivait
Mlle Faulding. Nous eûmes au moins deux cents
auditeurs, aussi attentifs que chez nous, et la
Vérité leur fut annoncé, avec
puissance. L'après-midi, beaucoup durent
s'en aller, faute de place. Je crois que nous
serons obligés d'avoir une plus grande
salle. Une femme, qui avait entendu parler de nous
par une de ses voisines, avait fait cinq
kilomètres pour assister au service.
Plusieurs ont cessé d'offrir de l'encens aux
idoles et nous demandent de les baptiser. L'oeuvre
médicale nous aide beaucoup et je ne saurais
dire quel tressaillement de joie nous saisit en
voyant tant de païens écouter
l'Évangile, que M. Taylor leur annonce avec
une clarté, une force et une
variété d'excellentes illustrations
qui étonneraient si l'on ne savait que
beaucoup d'amis prient pour lui et pour son oeuvre.
Il vient chaque jour plus de deux cents malades. De
petits commerçants étalent leurs
marchandises près de notre porte, dans
l'espoir de trouver là plus de clients
qu'ailleurs. Des chaises à porteurs se
tiennent prêtes aussi à emporter ceux
qui ne peuvent Marcher. L'évangéliste
Tsiu passe la plus grande partie de son temps
à parler avec les malades et M. Taylor
prononce généralement une allocution.
Plusieurs cherchent sérieusement la
Vérité.
Les premiers renforts arrivèrent
d'Angleterre, le 23 février. Ils
trouvèrent Hudson Taylor debout sur une
table prêchant à une foule de malades
réunis dans la cour. Il était si
occupé qu'il put tout juste leur crier un
mot de bienvenue à leur entrée dans
la maison sous la conduite de M. Meadows. Parmi
eux, se trouvait John McCarthy qui devint son
principal collaborateur dans
l'oeuvre médicale. Le don d'ubiquité
eut été nécessaire à
Hudson Taylor car, alors qu'il projetait de visiter
les principales villes de la province pour choisir
les endroits propices à
l'établissement d'une station, on le
réclamait à Ningpo et à
Shaohing, la station de M. Stevenson. Avec cela, il
était si calme, s'appuyant sur Dieu et
s'oubliant pour autrui, que c'était une
bénédiction pour ses jeunes
collègues d'être les témoins de
sa vie. « Aimable, aimant, plein de
sollicitude pour tous excepté pour
lui-même, une force et un réconfort
pour tous ceux avec lesquels il entrait en
contact... un exemple constant de ce que doit
être un missionnaire. »
Les rapides succès et le
développement de la Mission étaient,
cela va sans dire, un sujet de grande joie pour M.
Berger et les amis d'Angleterre. La tâche de
M. et de Mme Berger était presque aussi
absorbante que celle d'Hudson Taylor.
Déjà d'un certain âge, ce
devait être pour eux une fatigue constante
d'avoir leur paisible demeure transformée en
centre missionnaire. Bureaux pour la Mission,
magasin rempli de caisses et de paquets, table
ouverte pour les candidats missionnaires et leurs
amis, rédaction et expédition de la
Feuille occasionnelle, correspondance
considérable, tenue des livres, envois
d'argent, négociations pour le départ
de nouveaux ouvriers, préparation de leurs
cabines, voyages d'adieux aux différents
ports, soit de jour, soit de nuit, tout cela, ils
le faisaient avec de vrais coeurs de père et
de mère. Un secrétaire
dévoué se trouva en la personne de M.
Aveline.
M. Aveline et moi, écrivait M.
Berger, avons à peine une demi-heure de
détente par jour. C'est trop peu pour notre
santé. Mais nous sommes très heureux,
et notre travail nous procure beaucoup de
joie.
Comment, au milieu de tant de travaux et
de préoccupations, M. Berger trouvait-il le
temps d'écrire à Hudson Taylor avec
une surprenante régularité? Pas un
courrier sans doute ne partait pour la Chine sans
emporter une de ces lettres écrites dans les
jours de joie comme dans les heures de tristesse et
qui, conservées avec soin et
renfermées dans une couverture de cuir
composent un volume qui est un vrai trésor
de sagesse, d'encouragements et d'affectueux
conseils.
Il n'y avait pas, en effet, que des
satisfactions à Saint-Hill,
pas plus qu'à Hangchow.
Quelques-uns des compagnons d'Hudson Taylor furent
pour lui une source d'ennuis déjà
pendant le voyage. À leur arrivée en
Chine, ils écrivirent à leurs
familles des lettres pleines de critiques et de
plaintes, contraste frappant avec les récits
enthousiastes de la plupart de leurs
collègues. Ces mécontents
n'étaient point disposés à se
faire à tout en adoptant le costume et la
manière de vivre des Chinois. Leurs
plaintes, de plus en plus amères,
affligèrent M. Berger et trouvèrent
un écho chez plusieurs, surtout lorsqu'on
vit un missionnaire en faire la base d'une
opposition décidée à l'oeuvre
d'Hudson Taylor. Ce missionnaire, qui
exerçait une grande influence, fut si
fortement prévenu contre la Mission à
l'Intérieur de la Chine et son chef, qu'il
ne prit pas la peine de contrôler par une
enquête impartiale ce qui était dit
contre l'une et l'autre. Il lança
inconsidérément dans le public
anglais des accusations violentes contre l'ouvrier,
qu'il déclarait impropre à sa
tâche, et contre l'oeuvre dont il critiquait
les méthodes.
Ces accusations tombèrent comme
un coup de foudre sur les amis de Saint-Hill.
Hudson Taylor avait toujours évité de
mentionner dans ses lettres ces sujets
pénibles, et avait résolu de chercher
à triompher de ces difficultés par la
prière et la patience, en évitant
autant que possible de nuire aux
récalcitrants. Mme Taylor y avait fait
quelque allusion en écrivant à Mme
Berger, mais elle avait dû céder aux
instances de son mari désireux
d'éviter des plaintes directes contre ses
détracteurs.
Satan nous crible comme on crible le
blé, et cela n'a rien d'étonnant...
mais je dois me taire et obéir au
précepte : « Femmes, soyez soumises
à vos maris. » Je crois pourtant
pouvoir dire que nous sommes, pour le moment,
chassés de Siaoshan.
En dépit des recommandations
d'Hudson Taylor, les missionnaires en question
étaient revenus au costume et aux habitudes
d'Angleterre, ce qui leur procura de sérieux
désagréments dans cette ville de
l'intérieur. Le mandarin, qui les avait
laisses tranquilles jusque-là,
résolut de les chasser. Le soir du 28
janvier, il envahit leur maison avec ses soldats et
ses subordonnés, et leur enjoignit de partir
avant le jour. Pour les effrayer, il fit saisir
l'évangéliste Tsiu et le fit battre
cruellement de six cents coups
d'une lanière de cuir sur le dos et de cent
coups sur le visage. Tout meurtri et brisé,
Tsiu revint comme il le put à la capitale,
bientôt suivi du personnel de la Mission, qui
fut reçu à Hangchow jusqu'à ce
que l'affaire pût être
réglée.
Hudson Taylor fit tous ses efforts pour
convaincre les missionnaires ainsi expulsés
des causes de leur infortune. Ce fut en vain. Les
mécontents portaient toujours ouvertement le
costume anglais, n'assistaient pas aux
réunions et essayaient même de
fomenter parmi leurs collègues la
résistance à l'autorité et aux
arrangements de leur chef. Ils étaient
malheureusement poussés dans cette voie par
le missionnaire mentionné plus haut, qui
partait en congé pour l'Europe et qui,
persuadé de la réalité des
griefs formulés, estima de son devoir de
discréditer les nouvelles méthodes de
la Mission à l'Intérieur de la Chine
auprès de ceux qui la soutenaient.
Il se peut que quelque faute ou des
imprudences commises aient fourni le
prétexte à ces plaintes. Un homme de
trente-quatre ans n'a pas l'expérience d'un
vieillard et tous les collaborateurs d'Hudson
Taylor étaient encore plus jeunes que lui.
Comme le disait Spurgeon : « L'homme qui ne
fait jamais aucune faute est celui qui ne fait
jamais rien. » Mais comment ne pas voir qu'ils
étaient tous des hommes entièrement
consacrés à Dieu, souhaitant du plus
profond de leur coeur de marcher devant Sa face et
de Lui être agréables? Des conseils
donnés dans un esprit fraternel eussent
été les bienvenus et eussent pu
empêcher plus d'un faux pas ; mais en
agissant comme le fit le missionnaire en question,
il s'en fallut de peu qu'il ne détruisit
l'oeuvre de fond en comble.
M. Berger mit naturellement Hudson
Taylor au courant de tout ce qui se passait, et lui
écrivit des lettres d'une affection et d'une
sagesse vraiment touchantes.
Mon instante prière,
disait-il, est que ma lettre ne vous émeuve
pas plus que le Seigneur ne voudrait que vous en
soyez ému. Puisse-t-Il nous donner à
l'un et à l'autre l'esprit de sagesse qui
nous fera faire exactement ce qui Lui plaira... Les
difficultés ici sont nombreuses et grandes,
mais celles que vous rencontrez là-bas sont
de vraies montagnes. Mon cher frère,
malgré tout ce que M. X... a écrit,
vous occupez toujours dans nos coeurs la même
place... Tout ce que Dieu nous demande, c'est de
renoncer à tout ce qui est faux ou mauvais
et d'augmenter toujours notre capital de sagesse et
d'amour. Oh ! oui, confions tout
cela au Seigneur, qui sait que nous faisons
toujours de notre mieux. Il est plein de
miséricorde et ne nous abandonnera jamais au
jour de l'épreuve.
Si nous n'étions pas
assurés que Dieu nous a donné
Lui-même cette oeuvre à faire, il y
aurait de quoi se demander si nous devons la
continuer; mais étant sûrs que nous
avons répondu à Son appel, nous
pouvons Le supplier de nous donner le secours
nécessaire.
Examinons-nous solennellement
devant Dieu pour voir en quoi nous pouvons nous
être trompés, et fortifions-nous en
Lui... Ma prière ardente est que vous
puissiez confier à Dieu entièrement
toute cette affaire. Je suis sûr qu'Il
interviendra en notre faveur au moment
convenable.
Le total des dons de l'année
s'éleva à deux mille huit cents
livres sterling, ce qui fut considéré
comme une preuve évidente de la
bienveillance de Dieu et de Sa volonté que
les missionnaires allassent de l'avant avec
prudence et dans un esprit de prière.
D'ailleurs les accusations portées par M. X.
n'eurent pas d'autre écho. Dieu ne pouvait
manquer d'intervenir pour rendre justice à
Ses serviteurs calomniés en faisant un jour
éclater la vérité.
Il est à regretter que les
lettres d'Hudson Taylor relatives à cette
affaire n'aient pas été
conservées. On peut juger de l'esprit qui
dût les animer par les messages de Mm' Taylor
à M" Berger, dont beaucoup subsistent
encore. Cinq jours après la naissance de la
petite fille attendue, elle écrivait de son
lit :
J'entendais tout à l'heure mon
bien-aimé mari et quelques autres jouer et
chanter plusieurs de nos hymnes de
prédilection. Cela me faisait penser aux
beaux moments que nous avons passés dans
votre chère maison de Saint-Hill, et
j'aurais presque souhaité revenir à
ces temps heureux; mais le soldat qui est sur le
champ de bataille, quoique étroitement
pressé ou blessé, ne doit pas songer
à sa sécurité ou à son
repos. C'est plus tard que nous arriverons dans le
pays où l'on ne souffre plus et où
l'on ne pleure plus.
Oh ! priez pour nous,
bien-aimée soeur, pour que le Seigneur nous
accorde la grâce de la
persévérance en ce temps-ci. Nous
sommes venus attaquer Satan dans sa plus redoutable
forteresse. Il n'est pas étonnant qu'il
emploie contre nous toutes ses armes. Quelle folie
serait la nôtre, si nous étions venus
ici avec notre propre force ! Mais Celui qui est
pour nous est plus grand que ceux qui sont contre
nous. - Nous serions tentés d'adresser
à Dieu bien des Pourquoi... Pourquoi a-t-il
permis que M. X... vînt ici ? Peut-être
pour nous pousser à établir notre
Mission sur une bonne base dès le
début. Dieu peut, dans Sa sage providence,
réduire à néant tous les
efforts de notre grand adversaire pour
déshonorer et nous et notre oeuvre.
Et, pendant ce temps, des âmes
étaient sauvées et Dieu
exauçait la prière que les passagers
du Lammermuir avaient faite au début de
l'année : « Oh! si tu me
bénissais et si tu étendais mes
limites ; si ta main était avec moi et si tu
me préservais du mal, en sorte que je ne
sois pas dans la souffrance! » I Chron. 4 :
10. Avant la fin de mars, il y avait douze
candidats au baptême. Une réunion
hebdomadaire pour ceux qui s'y intéressaient
fut instituée, en dépit d'un
mouvement populaire hostile et persécuteur
qui les mit en danger. Plusieurs des nouveaux
convertis donnèrent des preuves manifestes
du changement accompli en eux. Les premiers
baptêmes eurent lieu en mai, au milieu d'une
joie telle que Mme Taylor écrivait
:
Peut-être notre Seigneur
voit-Il que nous avons besoin de causes de
tristesse pour nous empêcher de nous
élever par suite des riches
bénédictions qu'Il fait reposer sur
notre travail.
Pendant ce temps, le malheureux
esprit manifesté à Siaoshan sembla
prendre de nouvelles forces, et les
difficultés de M. Berger en Angleterre
atteignirent leur apogée. Ces complications
étaient un grand obstacle aux projets de
voyage d'Hudson Taylor visant à l'extension
de l'oeuvre missionnaire. Tout autour d'eux, dans
cette seule province côtière du
Chekiang, de nombreux millions d'êtres
vivaient sans jamais avoir entendu parler du
Sauveur. Il n'y avait pas moins de soixante villes
qui ne possédaient aucun messager de
l'Évangile, étranger ou
indigène. Neuf d'entre elles étaient
des chefs-lieux de préfectures, dont il se
proposait de faire autant de centres
d'action.
Deux de ses collaborateurs les plus
expérimentés, MM. Meadows et Scott,
s'étant déclaré prêts
à s'établir dans des localités
nouvelles, deux importantes préfectures de
l'Est et du Sud, Taichow et Wenchow leur furent
assignées. M. Jackson, un des passagers du
Lammermuir, s'offrit à accompagner M.
Meadows. Leurs autres collègues de Hangchow,
dont plusieurs soupiraient après un champ de
travail particulier qui leur permettrait de se
mêler davantage au peuple et de faire plus de
progrès dans la langue, pouvaient
s'établir dans le Nord et l'Ouest.
Accompagné d'un robuste montagnard
écossais, Duncan, Hudson Taylor put, vers la
fin d'avril, faire une exploration vers le Nord
dans la région du Grand Lac où, en
collaboration avec M. William
Burns, il avait fait autrefois de
mémorables expériences. Il trouva
dans la préfecture de Huchow un terrain si
bien préparé que, quelques mois plus
tard, il conçut le projet d'en faire son
quartier général. En attendant, il
fit visiter cette ville de temps à autre par
quelques-uns de ses compagnons qui, à leur
grande joie, découvrirent dans un nouveau
converti un précieux auxiliaire pour gagner
des âmes.
Dans le large estuaire du fleuve de
Hangchow se jette la belle rivière Tsientang
qui prend sa source dans les montagnes de l'Ouest
de la province. C'est de ce côté
qu'Hudson Taylor dirigea ses pas quand, au mois de
juin, la fermeture du dispensaire médical
lui donna un peu de répit. Duncan, qui se
révélait un pionnier remarquable,
l'accompagna encore, ainsi que M. McCarthy,
l'évangéliste Tsiu et deux
chrétiens de Hangchow.
Leur voyage dans un bateau où
ils n'avaient pour abri pendant leur sommeil que
des nattes de bambou, ne laissa rien à
désirer en fait de pittoresque. Leurs
compagnons de route, installés autour de
petites lampes à la flamme vacillante,
mangeaient, fumaient, babillaient et faisaient
d'amusantes remarques sur ces étrangers
habillés en Chinois. Tôt le matin, le
petit groupe missionnaire, réuni à
l'avant du bateau, célébrait son
culte habituel. Tous les voyageurs
écoutaient avec curiosité et
intérêt le chant du cantique Une belle
patrie, la prière, la lecture d'un fragment
de la Bible et les explications qui étaient
données.
Utilisant ensuite un bateau plus
petit, dont le chargement était plus que
complet, ils eurent pour compagnons de voyage un
malheureux prisonnier chargé de
chaînes, expulsé de la province
à la suite d'un meurtre, quelques soldats,
cinq ou six courriers de mandarins et des fumeurs
d'opium ; tout cela formait un curieux amalgame de
têtes et de queues étrangement
mêlées pendant leur
sommeil.
Au matin, quand ils avaient
roulé les nattes qui leur servaient de lits,
la célébration de leur culte
procurait aux missionnaires l'occasion de nombreux
et intéressants entretiens. À la
préfecture de Yenchow, a cent soixante
kilomètres en amont de Hangchow, il y eut un
arrêt de plusieurs jours. M. McCarthy s'y
établit avec un des auxiliaires chinois,
tandis qu'Hudson Taylor et les autres continuaient
leur voyage. Le pays était magnifique, de
nombreuses villes, petites et grandes, attestaient
l'extrême densité de
la population. Duncan fut laissé dans un
faubourg de Lanchi où un homme de Ningpo,
rencontré dans une maison de thé et
heureux de trouver quelqu'un parlant son dialecte,
l'aida à se procurer un logement.
C'était un pauvre logis ouvert à tous
les vents, construit avec des planches et des
tréteaux de bambou. Le mobilier consistait
en une couverture de voyage, un oreiller, une
moustiquaire, et une chaise pour laquelle Duncan
avait dépensé prodigalement la somme
de six pence ; mais la bonne humeur de ce jeune
pionnier de l'Évangile n'était
nullement altérée par cette
austérité toute spartiate.
Parlant à sa mère de
ce voyage et des occasions qu'il avait eues de
proclamer la Bonne Nouvelle, Hudson Taylor montrait
ses compagnons de route rangés autour de lui
dans leur bateau, et tellement captivés par
la prédication qu'il devait recommencer
plusieurs fois et répondre à beaucoup
de questions. Enfin, épuisé de
fatigue, il congédiait ses auditeurs, en
leur faisant observer qu'il était tard et
qu'il fallait aller au lit. Il y avait là de
quoi consoler le missionnaire de bien des
ennuis.
Il y a plus d'un an,
écrivait-il le 30 mai à M. Berger,
que nous nous disions adieu sur le pont du
Lammermuir. Mais vous et moi pouvons toujours dire,
quant au passé : Eben-Ezer; quant au
présent : Jehovanissi (l'Éternel mon
étendard), et quant à l'avenir :
Jehova-jireh (l'Éternel pourvoira),
grâces Lui en soient rendues ! J'ai eu
à supporter pendant cette année des
fardeaux plus lourds que je n'en avais jamais
connus, des responsabilités telles que je
n'en avais jamais encourues, et des tristesses en
comparaison desquelles toutes mes tristesses
passées étaient bien
légères. Mais j'ai l'assurance
d'avoir appris, dans une faible mesure au moins,
à dire : C'est un rempart que notre Dieu,
une invincible armure.
J'ai depuis longtemps le
sentiment que notre Mission doit passer par un
baptême. Peut-être est-il encore
à venir et peut-être sera-t-il plus
redoutable que nous ne pouvons le prévoir.
Mais si Dieu nous fait la grâce de demeurer
fidèles, à la fin tout sera bien.
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