HUDSON TAYLOR
NEUVIÈME PARTIE
TRÉSORS DE
TÉNÈBRES
1868-1871
CHAPITRE 53
L'heure la plus sombre
1868-1869
Loin de se plaindre d'avoir été
trouvés dignes de souffrir pour le nom de
Christ, les missionnaires étaient pleins de
reconnaissance de ce que Dieu les avait tous fait
échapper à la tourmente. Les
mandarins de Yangchow avaient insisté pour
qu'ils quittassent la ville, au moins
provisoirement, afin de laisser le calme
renaître. En arrivant à Chinkiang, ils
furent les objets d'une vive sympathie et d'une
généreuse hospitalité non
seulement de la part de leurs collègues,
mais encore de toute la colonie
étrangère. On réussit à
trouver un gîte pour les
réfugiés. M. et Mme Taylor se
contentèrent d'une chambre humide du
rez-de-chaussée, qu'ils estimaient ne pas
convenir pour les autres missionnaires.
À peine installés, ils se
mirent au travail. Ils avaient, en effet, à
mettre à jour leur vaste correspondance et
à s'occuper de neuf ou dix stations
où s'étaient établis leurs
collaborateurs, sans parler de la petite compagnie
qui était avec eux. Leur foi n'était
nullement ébranlée, bien loin de
là, puisqu'ils avaient vu la main de Dieu
intervenir pour eux, même dans des
détails matériels, Nous avons dit
que, dans leur maison incendiée, une seule
chambre avait été
épargnée, celle où se
trouvaient leur argent et leurs papiers les plus
précieux, que les émeutiers auraient
pu piller comme le reste. Un de leurs
collègues, M. McCarthy, leur écrivait
:
Le Seigneur ne nous abandonnera pas.
Il ne le peut pas. Que rien ne nous détourne
de Son dessein de bénir la Chine par notre
faible moyen... Qui est suffisant pour ces choses ?
Personne, si ce n'est Celui qui a dit : « Je
suis avec vous tous les jours. » En Son nom et
pour Sa cause, bon courage ! L'heure la plus sombre
est celle qui précède
l'aurore.
Une heure bien sombre se
préparait, en effet, pour le chef de
la Mission, une période
si douloureuse, à certains égards,
que même les souffrances occasionnées
par l'émeute de Yangchow lui parurent peu de
chose.
Un résident de Chinkiang, avec
les meilleures intentions, envoya aux journaux de
Shanghaï un récit émouvant des
mauvais traitements infligés à des
sujets anglais. Le public européen,
indigné, réclama une action
énergique de la part des autorités
britanniques. Le Consul général et
l'Ambassadeur lui-même intervinrent pour
demander satisfaction. Une canonnière
remonta le fleuve jusqu'à Chinkiang, et les
autorités chinoises, effrayées,
étaient sur le point de céder aux
justes revendications du Consul lorsque le vaisseau
fut obligé, par la maladie de son capitaine,
de redescendre à Shanghaï. Alors un
revirement s'opéra dans l'esprit des
mandarins, qui devinrent hautains et
réfractaires à toute concession. Il
fallut, pour les faire céder, la
présence de tout une flotte de
canonnières à l'ancre devant Nanking,
et la menace d'une guerre imminente.
Ces événements
causèrent un grand chagrin et beaucoup de
souci à Hudson Taylor, qui aurait, de
beaucoup, préféré ne
répondre à l'hostilité des
indigènes que par la patience
chrétienne et la persévérance
à faire le bien. Retenu à Chinkiang
pendant des semaines, il constata que les
difficultés devenaient de plus en plus
nombreuses. En même temps, de douloureuses
complications surgissaient dans son propre
entourage. L'état d'esprit fâcheux,
déjà montré par quelques
membres de la Mission, allait s'aggravant. Un
groupe de cinq personnes, qui avait rompu avec les
principes de la Mission après avoir
causé maints ennuis se sentait à
l'étroit dans le cercle de celle-ci. Un de
ces missionnaires dut être renvoyé
ensuite d'une attitude incompatible avec la
conduite d'un missionnaire chrétien. Pendant
plus de deux ans, M. et Mme Taylor avaient fait
tout ce qui était en leur pouvoir pour aider
ce frère et sa femme à vivre et
à travailler d'une façon heureuse
dans le sein de la Mission. Nul ne saura jamais
à quel point ils souffrirent de la
dureté et de la déloyauté de
ces deux collaborateurs et combien il leur fut
pénible de constater leur influence
néfaste. En les congédiant, Hudson
Taylor comprenait qu'il donnait en même temps
le signal du départ à trois femmes
missionnaires qui avaient été les
confidentes des mécontents. C'est en effet
ce qui eut lieu, au soulagement
de ceux qui n'avaient pu qu'admirer la longue
Patience de leur chef. Mais Hudson Taylor fut
très affecté de la défection
de ces auxiliaires, et il songeait aux contrecoups
qui atteindraient les amis de la Mission en
Angleterre.
Une lettre qu'il écrivit à
M. Berger avant même l'émeute de
Yangchow révèle comment se formait en
lui le caractère véritable de
l'oeuvre. À ce moment-là, Mme Taylor
était à Shanghaï, prenant
courageusement sa part du fardeau, et ce qu'il
exprimait avait un sens tout spécial pour
lui :
Il est très important que les
missionnaires mariés soient de doubles
missionnaires et non des moitiés, des quarts
ou des huitièmes de missionnaires. Ne
serait-il pas bon de dire à nos candidats :
« Notre oeuvre est d'une nature
particulière. Nous vivons à
l'intérieur de la Chine, où vous
n'aurez d'autre compagnie que celle des
indigènes. Si vous désirez une vie
confortable, exempte de soucis, ne vous joignez pas
à nous. Si vous ne voulez pas que votre
femme soit une vraie missionnaire, et non seulement
une épouse, une maîtresse de maison et
une amie, ne vous joignez pas à nous. Elle
doit être en mesure de lire et de
posséder à fond un Évangile au
moins, en langue usuelle, avant de se marier. Une
personne de culture moyenne peut arriver à
ce résultat en six mois, Mais s'il lui faut
plus de temps, il est d'autant plus indique de
différer le mariage. Elle doit être
prête à vivre d'une façon
heureuse avec les Chinois quand les
nécessités de votre vocation vous
obligeront, comme cela sera souvent le cas, de vous
absenter momentanément. Vous aussi vous
devrez vous rendre maître des
difficultés initiales de la langue et ouvrir
une station, si aucune station ne vous a
été attribuée, avant de vous
marier. Avec du zèle et la
bénédiction de Dieu, vous y arriverez
en une année à peu près. Si
ces conditions vous paraissent trop dures et ces
sacrifices trop grands à accepter pour la
malheureuse Chine, ne vous joignez pas à
nous. Ce sont de petites choses comparées
aux croix que vous pourrez être appelé
à porter pour votre bien-aimé
Maître. »
La Chine ne sera pas gagnée par
des hommes et des femmes qui cherchent
égoïstement leurs aises. Ceux qui ne
sont pas prêts à travailler, à
renoncer à eux-mêmes et à
supporter beaucoup de tribulations seront d'une
piètre utilité dans l'oeuvre. En un
mot, les hommes et les femmes qu'il nous faut sont
ceux qui, en toute chose, et en tout temps,
mettront au premier rang Jésus, la Chine,
les âmes. La vie elle-même doit
être une chose secondaire, que dis-je,
même ceux qui nous sont plus précieux
que la vie. Ne craignez pas de nous envoyer trop de
tels hommes, de telles femmes. Leur valeur surpasse
de beaucoup celle des rubis.
S'il eut des déboires avec
quelques-uns de ses aides, Hudson Taylor eut
d'autant plus de reconnaissance et de joie en
constatant l'amour pour Christ
et le dévouement manifestés par la
plupart de ses compagnons, prêts à
entrer en contact étroit avec les Chinois et
à s'adapter aux conditions de leur
entourage. Mme Taylor fut d'un grand secours
à beaucoup de ses jeunes collègues
pour les initier à leur nouveau genre de
vie. Heureux ceux qui, comme M. et Mme Judd, les
premiers à s'offrir pour Yangchow
après l'émeute, eurent le
privilège d'être au contact de sa
forte, mais gracieuse personnalité.
Son air calme, heureux,
sanctifié par la prière, nous
impressionna vivement, écrivit M. Judd. En
compagnie de M. McCarthy et d'un aide
indigène, elle avait fait un voyage de sept
jours pour venir à notre rencontre. Elle
nous fit le plus chaud accueil et nous donna toute
l'assistance possible. Dès que nous
fûmes installés dans notre bateau (en
vêtements chinois, cela va sans dire), le
dîner fut servi, et Mme Taylor me tendit
poliment une paire de bâtonnets et un bol
contenant de la soupe avec une espèce de
petits chaussons flottant dans le
liquide.
« M. Judd, dit-elle avec un
sourire, voulez-vous accepter de ce pouding aux
petits chiens ? »
Immédiatement tout ce que
j'avais entendu dire des Chinois mangeant des
chiens, etc., me revint à l'esprit. Mais je
n'osais pas mettre en question le contenu d'un plat
qui m'était offert par une telle dame !
M'armant de toutes mes forces, je me mis donc
à manger et je ne trouvai rien de pire que
de petits morceaux de porc délicatement
couverts de pâte.
Mme Judd aussi, tout récemment
mariée, garda de ce voyage un souvenir
ineffaçable. Elle ne put s'empêcher
d'éprouver du dégoût quand,
à l'approche de la nuit, elle vit des
cafards sortir en nombre de toutes les fentes du
bateau. Elle avait toujours eu en horreur ces
insectes et comprit qu'elle ne pourrait pas
supporter de les sentir courir sur elle pendant la
nuit.
« Oh! Mme Taylor,
s'écria-t-elle, je ne puis vraiment pas me
mettre au lit avec tous ces cafards autour de moi.
»
Avec une autre missionnaire nouvellement
arrivée, elle alluma une lampe et se disposa
à passer toute la nuit assise et montant la
garde contre ces visiteurs importuns. Mais Mme
Taylor lui dit avec douceur : « Ma
chère enfant, si Dieu vous conserve la vie
pour travailler en Chine, vous aurez beaucoup de
nuits semblables à celle-ci, et il n'est pas
possible que vous vous passiez de sommeil. Ne
feriez-vous pas mieux de vous coucher
tranquillement et de vous confier en Lui pour vous
garder? »
Un peu confuse et très
désireuse de posséder une telle
maîtrise sur elle-même, la jeune
missionnaire vit Mme Taylor se disposer à se
mettre au lit. Après un réel combat
intérieur, elle fit de même, et eut
une nuit de bon sommeil.
Ceci peut sembler une circonstance
triviale, écrivait-elle longtemps
après; mais bien souvent, dans la suite,
quand j'étais entourée d'ennemis plus
cruels et de dangers bien plus graves,
j'étais fortifiée par le souvenir de
cette simple leçon de confiance.
Le désir de Mme Taylor, en
dépit de tout ce qui était
arrivé à Yangchow, et malgré
l'événement qu'elle attendait,
était de retourner dans cette ville et de
faire connaître l'amour du Sauveur à
ces coeurs enténébrés. Cela
semblait irréalisable, car M. Medhurst, le
Consul général, était aux
prises avec des difficultés apparemment
insurmontables. Puis, la maison de Chinkiang,
louée plusieurs semaines avant
l'émeute de Yangchow, n'était pas
encore disponible, et les missionnaires devaient
s'entasser dans deux petits logis de la concession
et payaient un loyer très
élevé. Les négociations se
poursuivirent durant les mois de septembre et
d'octobre jusqu'au moment où, en novembre,
Sir Rutherford Alcock envoya cinq
canonnières qui remontèrent le fleuve
jusqu'à Nanking.
Hudson Taylor, en dépit d'une
maladie douloureuse, n'avait pas cessé de
faire des plans et même des tentatives en vue
d'atteindre des districts non encore
évangélisés. Dès que
ses forces le lui permirent, il partit, en
compagnie de M. Williamson, pour un voyage
d'exploration à Tsingkiangpu, ville
située à cent soixante
kilomètres au nord de Yangchow, dont il
voulait faire une base pour pénétrer
dans les provinces du Nord. Le Honan et le Shansi
étaient sur son coeur, et, en même
temps, il projetait une avance vers l'Ouest. Son
vieil ami Wylie venait d'achever un très
long voyage, qu'il avait entrepris pour la
Société Biblique. Fort
désireux de recueillir tous les
renseignements possibles sur l'intérieur du
pays, Hudson Taylor descendit à
Shanghaï pour le rencontrer. Tout ce qu'il
entendit raconter de la lointaine province du
Szechwan, ou le voyageur avait été
très durement traité, ne fit
qu'accroître son désir d'aller
lui-même sans délai y établir
une oeuvre permanente. Beaucoup de membres de la
Mission étaient animés du même
esprit de conquête.
M. Meadows, par exemple, avait
laissé à d'autres sa maison et son
oeuvre de Chinkiang pour s'avancer vers l'Ouest,
dans la province de Anhwei peuplée de vingt
millions d'âmes, où il n'y avait pas
un seul missionnaire protestant.
Tout cela accrut encore la
reconnaissance avec laquelle fut reçue enfin
la nouvelle du règlement pacifique de
l'affaire de Yangchow.
Les mandarins consentirent même
à mettre sur la façade de la maison
reconstruite après l'incendie, une plaque de
marbre où il était dit que les
étrangers résidaient là avec
la pleine approbation des autorités. Les
missionnaires furent réinstallés avec
honneur dans la ville, et Hudson Taylor put
écrire, le 18 novembre : « Le
résultat de tout ceci sera probablement de
faciliter beaucoup notre pénétration
dans l'intérieur. »
Mais ce furent la vie de famille et
l'esprit amical des missionnaires qui
désarmèrent les soupçons et
ouvrirent peu à peu le chemin des coeurs. Le
retour des enfants, après tout ce qui
était arrivé, ne pouvait que toucher
le peuple. Mme Taylor elle-même, sur le point
de donner naissance à son quatrième
fils, n'hésita pas à revenir au
milieu d'une population qui l'avait traitée
si brutalement. Elle préférait que
son enfant naquit dans cette ville, dans cette
maison, dans cette chambre, plutôt que dans
la demeure la plus confortable et la plus
luxueuse.
Ce fut là, en effet, que
l'événement attendu se produisit, et
les Chinois du voisinage vinrent présenter
leurs félicitations aux heureux parents. Une
telle confiance de leur part produisit sur tous la
plus heureuse impression. Le propriétaire de
l'auberge et deux autres personnes
demandèrent le baptême, et quand,
avant la fin de l'année, la maison de
Chinkiang fut enfin mise à leur disposition,
Hudson Taylor eut bien le droit d'écrire :
« Une fois de plus nous dressons notre
Eben-Ezer. Jusqu'ici l'Éternel nous a
secourus. »
Mais l'heureuse conclusion des
désordres de Yangchow ne mettait pas fin aux
épreuves qui devaient en résulter en
Europe pour les missionnaires. Ce que Spurgeon
appelait le « rugissement du diable »
allait se faire entendre, furieux. L'action du
Consul et de l'Ambassadeur anglais en Chine fut
l'objet de critiques acerbes dans toute la presse.
On accusa les missionnaires d'avoir, par leur
action intempestive et leur imprudence,
mis leur pays à deux
doigts d'une guerre redoutable. Pendant quatre ou
cinq mois, ce fut le sujet de polémiques
ardentes. La Chambre des Lords s'en occupa, et le
duc de Somerset, après une attaque violente
contre la Mission, demanda le rappel en Angleterre
de tous les missionnaires à l'oeuvre dans
l'Empire chinois. On peut se figurer combien M.
Berger fut affecté par toute cette affaire.
Il était assailli de demandes d'explications
et de critiques fort vives à l'adresse
d'Hudson Taylor que l'on accusait
d'inconséquence pour avoir
réclamé l'intervention du Consul
alors qu'il eût dû attendre de Dieu
seul son secours. En réalité, Hudson
Taylor n'avait aucunement réclamé
cette intervention, ni surtout dans la forme
où elle s'était produite. Il
s'était borné, au lendemain de la
terrible nuit de Yangchow, d'envoyer un billet
tracé au crayon, pour informer les
autorités consulaires de la
situation.
MM. Berger et Taylor, bien que
douloureusement émus des attaques dont ils
étaient les objets, n'en furent point
troublés. Ils attendaient de Dieu leur
justification et se gardèrent bien de
rejeter la faute sur les agents du gouvernement
anglais en Chine. Cela leur eût paru un acte
absolument dépourvu de
générosité.
Un des résultats de ces
difficultés et de ces polémiques fut
une diminution sensible des dons pour la Mission
à l'Intérieur de la Chine. Pour la
première fois, Hudson Taylor se trouva en
face d'une sérieuse insuffisance de
ressources.
Mais Dieu envoya un secours
supplémentaire, à ce moment
même, par le moyen de Georges Müller qui
leur avait toujours témoigné une vive
sympathie. Il avait envoyé
déjà régulièrement
à plusieurs membres de la Mission des sommes
importantes s'élevant jusqu'à
vingt-cinq livres sterling par trimestre. Longtemps
avant d'avoir entendu parler de l'émeute de
Yangchow, il avait écrit à M. Berger
pour lui demander les noms de quelques autres
agents, bénis dans leur ministère,
pour les ajouter à la liste de ceux qu'il
aidait. M. Berger lui envoya six noms parmi
lesquels il pouvait choisir M. Müller les
choisit tous, ce qui fut pour les missionnaires,
non seulement un précieux secours
matériel, mais surtout un grand
encouragement, car la sympathie et les
prières d'un homme tel que Georges
Müller, qui vivait dans l'intimité de
Dieu, était pour eux d'un prix
inestimable. De plus en plus
Hudson Taylor sentait le besoin d'une communion
comme celle-ci.
Un serviteur de Dieu, qui a
laissé une réputation de
sainteté, Rutherford, écrivait en
1637 :
J'ai d'étranges hauts et bas.
Sept fois le jour je perds pied et suis
obligé de me mettre à la nage, et de
nouveau le Seigneur me place sur le rocher trop
élevé pour moi... J'ai vu mon
abominable indignité et, si d'on me
connaissait vraiment, il n'y aurait personne dans
ce royaume qui consentirait à me
saluer.
Bien qu'aucun de ceux qui vivaient
auprès d'Hudson Taylor ne pouvait s'en
douter, c'était à peu près
là son expérience.
Débordé par sa tâche, sa vie
spirituelle était durement exercée.
Extérieurement, il n'en paraissait
rien.
L'un de ses compagnons d'oeuvre, qui
était constamment avec lui, écrivait
: Nos coeurs étaient fortement
attirés par M. Taylor en le voyant si
humble, bienveillant, sensible, au milieu de tous
les soucis qui furent les siens dans ces
années du début pour l'administration
de la Mission.
Je l'ai observé dans
toutes sortes de circonstances, écrivait un
autre avant l'émeute de Yangchow. Je crois
que si vous pouviez le suivre chaque jour, vous
admireriez son esprit d'abnégation, son
humilité, et son zèle que rien
n'abat. Bien peu de personnes, dans sa situation,
auraient manifesté la patience et l'esprit
d'amour qu'il a montrés... Personne ne sait
jusqu'à quel point nos difficultés
lui sont sensibles. S'il n'avait pas l'habitude de
rejeter ses fardeaux sur le Seigneur, il
succomberait sous leur poids. C'est la grâce,
et non son tempérament naturel, qui le
soutient.
Mais la charge qu'Hudson Taylor portait
dépassait ses forces bien souvent. Ce
n'était pas tant l'oeuvre elle-même
avec toutes ses difficultés et ses
épreuves. Car lorsqu'il avait la joie, d'une
communion consciente avec le Seigneur, ces choses
lui devenaient légères. Ce
n'était ni la baisse des fonds, ni
l'anxiété concernant ceux qui lui
étaient le plus chers. Mais c'était
lui-même, c'était la faim inassouvie
de son coeur, les luttes perpétuelles de sa
vie intérieure pour se maintenir en Christ,
les désappointements des périodes
d'aridité spirituelle. Ces
expériences-là étaient si
amères qu'il ne devait jamais les oublier,
même longtemps plus tard. Elles le rendirent
capable de témoigner une
vive sympathie aux jeunes missionnaires qui
passaient par de semblables conflits et, de plus en
plus, il fut pour eux un véritable
appui.
À cette époque, les pages
d'un journal bien connu, le Revival, devenu
bientôt le Christian, étaient remplies
de détails sur le mouvement de réveil
d'où allait sortir la Convention de Keswick,
et dont l'influence devait se faire sentir dans
tout le monde chrétien. Ce journal
était lu dans toutes les stations de la
Mission, et il éveillait dans l'âme de
beaucoup de ses lecteurs, comme dans celle d'Hudson
Taylor lui-même, la faim et la soif d'une vie
spirituelle plus intense. Ils voyaient que,
d'après la Parole de Dieu, la vie normale du
disciple de Christ est une victoire continuelle sur
le péché, victoire rendue possible
à celui qui peut dire : « Ce n'est plus
moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi. »
Pendant l'été et l'automne 1868
partit une série d'articles
spécialement bienfaisants intitulés
« Le Chemin de la Sainteté
».
Le secret de la force, disait
l'auteur, est de nous abandonner entièrement
à Christ pour Le laisser vivre en nous,
accomplissant Sa force dans notre faiblesse...
C'est vous qui avez été vaincu, ce
n'est pas Christ. je demeure persuadé que la
cause immédiate de votre défaite
consiste en ce que vous ne Lui avez pas tout
confié, en vous abandonnant à Lui
sans réserve. - Quand le Saint-Esprit
crée dans les âmes des aspirations
à la justice et à la sainteté,
c'est afin que Christ puisse les
satisfaire.
La foi en Jésus
crucifié est le chemin de la paix pour le
pécheur; la foi en Jésus
ressuscité est le chemin d'un salut
quotidien pour le croyant.
« Purifiant leurs coeurs par
la foi. » Ces mots ont fait bondir de joie mon
âme, car ils m'ont fait voir la
possibilité de la délivrance. Si
c'est par la foi, je veux me confier en
Jésus pour avoir un coeur pur, et cela sans
délai.
« Il s'est donné
Lui-même pour nous afin de nous racheter de
toute iniquité, et de nous purifier afin que
nous soyons un peuple qui lui appartienne en propre
et zélé pour les bonnes oeuvres
» (Tite 2 : 14). Et tout cela dès
maintenant.
Le Seigneur me fait la
grâce de boire à la source de Son
amour comme à un fleuve, disait Thomas
Walsh. « Je me couchai mais ne pus dormir,
tant le sentiment de l'amour de Christ était
profond et doux. Son Esprit reposait sur moi et
faisait brûler mon coeur d'amour poumon Dieu,
pour mon Tout. Je n'aurais jamais pensé
qu'on pût L'aimer ainsi de tout son coeur, si
le Saint-Esprit ne me l'avait
révélé. Le feu de l'amour
divin brûlait continuellement dans mon
âme. »
Connaître cette
rédemption, cet amour, dans une mesure plus
complète, était l'ardent désir
d'Hudson Taylor. Mais, si la Mission se
développait, son chemin à lui
semblait plus que jamais encombré de
préoccupations, extérieures et
intérieures.
Sa vie était trop active pour
que sa correspondance révélât
quelque chose de la crise de son âme.
Pourtant, au début de 1869, se trouvant seul
en voyage, il saisit l'occasion d'écrire une
lettre à sa mère comme il avait
l'habitude de le faire autrefois. Laissant à
M. Judd la responsabilité de, Yangchow et
à M. Rudland celle de Chinkiang, il avait
amené sa famille à Ningpo pour un
séjour pendant que lui-même faisait
une tournée dans les plus anciennes stations
de la Mission. Une menace d'émeute le retint
près d'un mois à Taichow, au moment
où la ville était remplie
d'étudiants venus passer leurs examens. Tant
dans cette ville qu'à Wenchow, où M.
Stott avait fait face à une opposition
continuelle, le travail portait déjà
des fruits, et Hudson Taylor eut la joie de
baptiser les premiers croyants. Dans une station
ouverte plus récemment, il trouva cinq
candidats au baptême et un désir
général d'entendre l'Évangile
là où, treize mois auparavant, il n'y
avait ni converti ni prédicateur. Mais, tout
en écrivant à ses parents pour leur
faire part de ces bonnes nouvelles, il demandait
leur aide au sujet de questions personnelles dont
il n'eût guère pu s'ouvrir librement
à d'autres.
J'ai plus besoin que jamais
d'être soutenu par vos prières. Objet
d'envie pour quelques-uns, de mépris pour
beaucoup, peut-être de haine pour d'autres;
souvent blâmé pour des choses
auxquelles je suis parfaitement étranger,
regardé parfois comme un novateur dangereux,
ayant à lutter contre de puissants
systèmes d'erreur et de superstition
païennes; marchant dans un chemin où je
ne trouve les traces de personne pour me guider, et
n'ayant que peu d'auxiliaires
expérimentés; souvent malade de
corps, en proie aux perplexités de l'esprit
et aux embarras créés par les
circonstances, j'aurais souvent perdu courage si le
Seigneur, plein de bonté pour moi, ne
m'avait soutenu par la conviction que c'est Son
oeuvre et qu'Il est avec moi au plus fort du
combat. Oui, la bataille est celle du Seigneur et
Il vaincra. Lui ne saurait
échouer.
Mes responsabilités
augmentent et j'ai par conséquent toujours
plus besoin d'une grâce spéciale pour
remplir ma tâche. J'ai continuellement
à gémir de ce que je suis mon
précieux Maître de trop loin. Je ne
puis vous dire à quel point je suis parfois
tourmenté par la tentation. Je n'avais
jamais su jusqu'ici combien mon coeur est mauvais.
Cependant je suis assuré
que j'aime Dieu, que j'aime Son oeuvre et que je
désire Le servir Lui seul et en toutes
choses. Je mets au-dessus de tout ce
précieux Sauveur en qui seul je puis
être accepté. Souvent je suis
tenté de croire qu'un homme aussi plein de
péché que moi ne peut pas être
un enfant de Dieu. Mais je m'efforce de repousser
cette pensée et je me réjouis
d'autant plus de la valeur inestimable de
Jésus et des richesses de cette grâce
par laquelle nous avons été rendus
agréables dans le Bien-aimé.
Bien-aimé de Dieu, il devrait L'être
aussi de nous. Mais, comme je suis loin du but ici
encore! Dieu veuille m'aider à L'aimer
davantage et à Le servir mieux! Oh ! priez
pour moi. Demandez à Dieu qu'Il me garde du
péché, qu'Il me sanctifie
parfaitement et qu'Il m'emploie davantage à
Son service.
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