HUDSON TAYLOR
NEUVIÈME PARTIE
TRÉSORS DE
TÉNÈBRES
1868-1871
CHAPITRE 54
Une vie transformée
1869
Dans la vieille demeure de Hangchow, M. McCarthy
était occupé à écrire.
Un soleil radieux s'était levé pour
lui, ce soleil intérieur dont l'éclat
fait toutes choses nouvelles. Il avait un ardent
désir de le raconter à celui qui
était à la fois son directeur et son
ami, car il connaissait d'expérience les
luttes intérieures par lesquelles passait
Hudson Taylor. Mais il ne savait par où
commencer ni comment exprimer cela avec des mots,
et de pressants devoirs le réclamaient
ailleurs.
Combien j'aimerais à
m'entretenir avec vous maintenant de ce sujet de la
sanctification qui a si souvent absorbé mes
pensées ! Nous en avons maintes fois
parlé ensemble, et j'ai eu à
déplorer bien des tentatives infructueuses
pour atteindre le but, beaucoup de troubles,
beaucoup d'efforts stériles pour obtenir une
communion permanente avec Dieu, cette communion
parfois si réelle et plus souvent si vague,
si lointaine. Eh bien ! cher frère, je crois
maintenant que ces luttes, ces efforts, ces
aspirations, cette attente de jours meilleurs, ne
sont pas le vrai moyen de parvenir au bonheur,
à la sainteté, à une vie
utile. Cela vaut mieux assurément, beaucoup
mieux que d'être satisfait des pauvres
progrès que l'on peut constater; mais ce
n'est pourtant pas le meilleur chemin. J'ai
été frappé par un passage du
livre, que vous m'avez laissé,
intitulé Christ est tout, où il est
dit :
Recevoir le Seigneur
Jésus, c'est la sainteté
commencée. Chérir le Seigneur
Jésus, c'est le progrès ans la
sainteté. Compter sur le Seigneur
Jésus toujours présent, ce serait la
sainteté complète... Cette
grâce de la foi est la chaîne qui lie
l'âme à Christ et fait que le Sauveur
et le pécheur font un... Un canal est alors
ouvert par lequel la plénitude de Christ est
répandue abondamment en nous. Le sarment
stérile devient une portion du cep
fécond. Une seule et même vie circule
dans la plante entière.
Vous vous lamentez sur vos
chutes, sur vos imperfections; vous haïssez le
péché, ce monstre qui veut vous
dominer. Il y a pour vous en Christ un secours
efficace...
Ceux qui sentent le plus
profondément qu'ils sont morts en Christ et
qu'ils ont subi en Sa personne le châtiment
du péché, atteignent les plus hauts
sommets de la vie divine. Celui-là est le
plus saint qui possède le mieux Christ
au-dedans de lui et qui se réjouit le plus
complètement dans Son oeuvre accomplie.
C'est l'imperfection de la foi qui entrave la
marche et est la cause de beaucoup de
chutes.
Voilà ma conviction profonde
aujourd'hui... Il faut, non pas faire de grands
efforts et soutenir de grandes luttes
nous-mêmes, mais demeurer en Christ, regarder
à Lui, se confier à Lui pour vaincre
notre nature corrompue, se reposer sur l'amour d'un
Sauveur tout puissant, dans la joie consciente d'un
salut complet, de la délivrance « de
tout péché » (c'est Sa Parole) ;
vouloir que Sa volonté soit notre souveraine
absolue, - cela n'est pas nouveau, mais c'est
nouveau Pour moi. Je vois, comme si la
première lueur du jour s'était
levée pour moi. Je la salue avec tremblement
et pourtant avec confiance. Je n'ai vu de cet
océan que les bords, mais ce sont les bords
d'un océan sans limites. Que Christ soit
littéralement notre tout, voilà, me
semble-t-il, le seul secret de la puissance, le
seul fondement d'une joie immuable. Puisse-t-Il
nous aider à expérimenter Son
insondable plénitude !
Comment donc notre foi peut-elle
être augmentée ? Simplement en
réfléchissant à tout ce que
Jésus est, et à tout ce qu'Il est
pour nous, en faisant de Sa vie, de Sa mort, de Son
oeuvre, de Lui-même tel qu'Il nous est
révélé dans Sa Parole, le
sujet constant de nos pensées. Il ne s'agit
pas de lutter pour avoir la foi, ou pour
accroître notre foi, mais tout ce dont nous
ayons besoin, me semble-t-il, c'est de regarder
à Celui qui seul est le Fidèle, de
nous reposer entièrement sur le
Bien-aimé, pour le temps et pour
l'éternité.
La vie d'Hudson Taylor était,
à cette époque surtout,
singulièrement remplie. Revenu de son voyage
aux plus anciennes stations, il devait aller et
venir entre Yangchow et Chinkiang, appelé
là par les soins d'une Église
grandissante, ici par les travaux d'imprimerie et
les soins de la direction générale.
Il y avait eu récemment des baptêmes
à Yangchow et M. Judd était heureux
de l'aide qu'il pouvait lui donner en s'occupant
des nouveaux convertis. Chacun était
éprouvé par la chaleur de
l'été, et Hudson Taylor
lui-même avait été mis à
l'écart par une grave maladie au milieu du
mois d'août. Au début de septembre, il
était en convalescence et essayait de
reprendre le travail accumulé. De jeunes
missionnaires venaient d'un côté ou de
l'autre chercher auprès de lui des
directives. Mme Judd était dangereusement
malade et réclamait des soins assidus. Le
moment n'était pas favorable à une
crise spirituelle profonde.
Et pourtant, ce fut au milieu de ces
circonstances mêmes que cette crise se
produisit. Hudson Taylor revenait d'une course
rapide à Yangchow où il avait
été voir sa malade, M Judd. Sur le
petit bateau à vapeur qui le ramenait
à Chinkiang il eut une heure de
méditation et de prière,
éprouvant une tristesse profonde, presque du
désespoir, en constatant que la face de son
Maître lui était voilée
à nouveau. Il avait joui intimement de Sa
présence, et l'interruption de cette
communion lui était d'autant plus
pénible. C'est l'épouse, qui
gémit sur l'absence de son époux et
non une personne qui n'a pas connu son
amour.
Arrivé dans la petite maison de
Chinkiang, il se retira dès qu'il le put
dans son cabinet pour vaquer à sa
correspondance. Ce fut là, au milieu d'une
pile de lettres, qu'il trouva celle de M. McCarthy
que nous avons citée. Il la lut
attentivement, et, « en lisant cette lettre,
dit-il, la lumière se, fit dans mon
âme. je regardai à Jésus et
quand je Le vis, oh ! quelle joie m'inonda!
»
C'était le samedi 4 septembre
1869. La maison était pleine, de nouveaux
hôtes étaient attendus. Qu'importait?
il fallait tous les retenir pour le dimanche, car
il était impossible de ne pas leur faire
partager une telle joie
(1). Sortant de
la chambre où son âme venait
d'être illuminée, nouvel homme dans un
monde nouveau, Hudson Taylor brûlait du
désir de dire ce que le Seigneur avait fait
pour lui. Il prit la lettre de M. McCarthy, et une
de Mlle Faulding, écrite dans le même
esprit et, réunissant au salon toute la
maisonnée, il fit un récit que sa vie
entière allait confirmer jusqu'à son
glorieux terme. Bien des coeurs furent
touchés et reçurent à cette
heure une grande bénédiction. Les
« fleuves d'eau vive » dont parle
Jésus commencèrent à couler de
tous côtés de cette modeste demeure de
Chinkiang et coulent encore.
Car, Jésus a dit : « Quiconque boit de
l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif,
mais l'eau que je lui donnerai sera en lui une
source d'eau vive jaillissant en vie
éternelle. »
Les lettres d'Hudson Taylor, même
ses lettres d'affaires, prirent dès lors un
ton nouveau. Il lui était impossible de ne
pas donner essor à la joie et à la
vie qui débordaient de son âme. Il
écrivait le 6 septembre :
Ma chère soeur. Nous avons
passé hier ici une très heureuse
journée. La lecture d'une lettre de M.
McCarthy a été bénie pour
plusieurs d'entre nous. Lui-même et Mlle
Faulding paraissent si heureux !... Ce qui m'a
surtout fait du bien, c'est l'assertion que voici :
« Comment donc notre foi peut-elle être
augmentée ? Simplement en
réfléchissant à tout ce que
Jésus est, et à tout ce qu'Il est
pour nous, en faisant de Sa vie, de Sa mort, de Son
oeuvre, de Lui-même tel qu'Il nous est
révélé dans Sa Parole le sujet
constant de nos pensées. Il ne s'agit pas de
lutter pour avoir la foi, ou pour accroître
notre foi, mais tout ce dont nous avons besoin, me
semble-t-il, c'est de regarder à Celui qui
seul est Le Fidèle. »
Là, je pense, est le
secret : non pas me demander comment je puis tirer
du cep la sève pour la faire circuler en
moi, mais me souvenir que Jésus est le cep,
la racine, le tronc, les branches, les feuilles,
les fleurs, le fruit, tout en vérité,
oui, et beaucoup plus encore. Il est le sol et le
rayon de soleil, l'air et la pluie, plus que tout
ce que nous pouvons demander, penser ou
désirer. Dès lors, ne cherchons rien
hors de Lui, mais réjouissons-nous
d'être nous-mêmes en Lui, un avec Lui
et par conséquent un avec toute Sa
plénitude. N'attendons pas que la foi
produise la sainteté, mais
réjouissons-nous de la parfaite
sainteté en Christ comme d'un fait;
réalisons qu'étant un avec Lui d'une
manière inséparable, cette
sainteté est la nôtre et, acceptant ce
fait, nous en constaterons la
réalité.
Quand il revint à Yangchow pour
voir sa malade, il était si plein de joie,
au dire de M. Judd, que lorsque les deux amis se
rencontrèrent, Hudson Taylor ne savait
comment lui parler. Il ne prit même pas le
temps de le saluer mais, se promenant de long en
large dans la chambre, les mains derrière le
dos, il s'écria : « Oh! M. Judd, Dieu a
fait de moi un nouvel homme! Dieu a fait de moi un
nouvel homme! »
Le jeune missionnaire fut
profondément impressionné par le
changement survenu chez son bien-aimé
directeur. Lui aussi, comme tant d'autres, savait
tout cela en théorie, sans l'avoir
jamais réellement
expérimenté. Il n'oublia jamais les
paroles qui suivirent :
Je n'ai pas à faire de moi un
sarment. Je le suis, du moment que Jésus me
le dit. Je suis une partie de Lui-même;
à moi de le croire et d'agir en
conséquence. Si je vais à la banque
de Shanghaï avec un chèque de cinquante
dollars, le caissier ne peut pas refuser cet argent
à ma main tendue, sous prétexte qu'il
appartient à Hudson Taylor. Ce qui est
à Hudson Taylor, ma main peut le prendre.
Elle est un membre de mon corps. Et je suis un
membre de Christ, et je puis prendre de Sa
plénitude tout ce dont j'ai besoin. Il y a
longtemps que j'ai vu cela dans la Bible, mais je
le crois maintenant comme une vivante
réalité.
Si simple que fût cette nouvelle
manière de voir, elle amenait dans toute sa
vie un changement complet.
C'est maintenant un homme joyeux,
écrivait M. Judd, un chrétien
épanoui, heureux. Autrefois il portait un
lourd fardeau et son âme ne goûtait pas
beaucoup de repos. Maintenant il se repose en
Jésus, et Le laisse accomplir Son oeuvre;
cela fait toute la différence. Quand il
parle en public, il le fait avec une puissance
nouvelle et les inquiétudes de la vie ne le
tourmentent plus comme auparavant. Il se
décharge sur Dieu d'une manière
efficace et consacre plus de temps à la
prière. Au lieu de travailler tard le soir,
il prend l'habitude de se coucher plus tôt et
de se lever à cinq heures du matin pour
consacrer deux heures à la lecture de la
Parole de Dieu et à la prière avant
le travail de la journée. Ainsi il nourrit
son âme et des fleuves d'eau vive
découlent de lui pour les
autres.
Six semaines après ces
expériences, alors qu'Hudson Taylor se
réjouissait dans cette vie nouvelle, il
reçut d'Angleterre une lettre qui le toucha
d'une façon toute particulière. Elle
venait de sa soeur Amélie, Mme Broomhall,
son amie intime, la confidente des premières
années. Elle avait maintenant une nombreuse
famille et de lourdes responsabilités et,
comme lui-même autrefois, elle connaissait
les luttes intérieures plutôt que le
repos dans les choses spirituelles. Désirant
ardemment venir en aide à sa soeur
bien-aimée, il prît la plume pour lui
raconter l'histoire de sa détresse et de sa
délivrance et lui adressa une lettre
précieuse, reproduite ici en grande partie
malgré quelques répétitions.
Chinkiang, le 17 octobre
1869.
Merci beaucoup de ta bonne longue lettre...
Je ne pense pas que tu m'aies jamais écrit
une lettre comme celle-là depuis que je suis
en Chine. Je sais qu'il en est
pour toi comme pour moi : tu ne peux pas, et non tu
ne veux pas. L'esprit et le corps ne peuvent
dépasser une certaine somme d'effort et ne
peuvent pas faire plus qu'une certaine
quantité de travail. Pour ce qui est du
travail, le mien n'a jamais été si
abondant, si plein de responsabilités et de
difficultés. Mais le fardeau et la tension
ont complètement disparu. Le dernier mois,
ou un peu plus, a été peut-être
le plus heureux de ma vie. Il me tarde de te dire
un peu ce que le Seigneur a fait pour mon
âme. je ne sais si je pourrai me faire
comprendre, car il n'y a là rien de nouveau,
ou d'étrange, ou de merveilleux. Et
cependant, tout est nouveau ! En un mot, tandis
qu'autrefois j'étais aveugle, maintenant je
vois.
Il y avait bien six ou huit mois
que, pour moi-même et pour notre Mission,
pour moi surtout, je sentais le besoin de plus de
sainteté, de plus de vie, de plus de
puissance. je comprenais l'ingratitude, le danger,
le péché de ne pas vivre plus
près de Dieu. Je priais, je luttais, je
jeûnais, je gémissais, je prenais des
résolutions, je lisais la Parole de Dieu
plus diligemment, je mettais plus de temps à
part pour la méditation... Mais tout cela
sans résultat. Le sentiment de mon
péché m'oppressait. Je savais que si
je pouvais simplement demeurer en Christ, tout
irait bien, mais je ne le pouvais pas. Chaque jour
amenait son cortège de chutes et
d'insuccès. Le vouloir était bien en
moi, mais je ne trouvais pas la force de
l'accomplir.
Alors je me demandai : n'y a-t-il
pas de remède ? Sera-ce ainsi jusqu'à
la fin : des conflits incessants, aboutissant trop
souvent, non à la victoire, mais à la
défaite ? Comment prêcher aux autres
une délivrance que je n'obtenais pas pour
moi-même ?... Je me haïssais, je
haïssais mon péché et
j'étais sans force pour le vaincre. Je me
savais un enfant de Dieu, mais j'étais
entièrement impuissant à
m'élever à la hauteur de mes
privilèges... Je pensais que la
sainteté, une sainteté pratique,
devait être atteinte graduellement, par
l'usage diligent des moyens de grâce. Je
savais bien qu'il n'y avait rien dans ce monde que
je désirasse autant que cela, rien dont
j'eusse autant besoin. Mais j'étais si loin
d'y atteindre. Plus je luttais, plus le but
s'éloignait, à tel point que
j'étais presque
désespéré. Je me disais que,
pour rendre son ciel plus doux, Dieu voulait
peut-être nous refuser d'en jouir
ici-bas...
Je ne veux pas dire que, pendant
ces longs mois de combats, ce fût là
mon état continuel. Non, certes : parfois
j'avais des temps de paix, et même de joie
dans le Seigneur. Mais c'était une paix et
une joie intermittentes qui ne me donnaient pas la
puissance spirituelle. Oh ! combien le Seigneur a
été bon de mettre un terme à
ces douloureux conflits !
Je savais bien qu'en Christ se
trouvait tout ce dont j'avais besoin, mais comment
me l'approprier ? Il était riche, moi
pauvre; Lui fort, moi faible. Dans le cep, se
trouvait une sève riche et féconde,
mais comment la faire passer dans le sarment maigre
et chétif ? Graduellement se faisait en moi
un peu de lumière. je voyais bien que
C'était par la foi que je pouvais participer
à la plénitude de Christ, mais je
n'avais Pas cette foi...
L'agonie de mon âme
était à son comble, quand Dieu se
servit d'une phrase contenue dans la lettre du cher
McCarthy, pour faire tomber les écailles de
mes yeux. Le Saint-Esprit me révéla,
comme je ne l'avais jamais compris, la grande
vérité que nous ne sommes qu'un avec
Jésus. Il ne s'agit pas, disait-il, de
lutter, de peiner, pour avoir la foi, il suffit de
se reposer sur Celui qui est
Fidèle...
La lumière jaillit tout
à coup devant moi. Je regardai à
Jésus, et je vis (et quand je vis, quelle
joie m'inonda !) qu'il avait dit : Je ne te
laisserai point. Oh ! pensai-je, là est le
repos. Je me suis efforcé en vain de me
reposer en Lui, je ne m'efforcerai plus
désormais, car n'a-t-Il pas promis de
demeurer avec moi, de ne jamais m'abandonner ? Non,
ma chère, Il ne le fera
jamais.
Mais ce n'est pas là la
moitié de ce que Christ me montra... En
méditant la parabole du cep et des sarments,
je vis que non seulement Il ne m'abandonnerait
jamais, mais que j'étais un membre de Son
corps, de Sa chair et de Ses os...
Oh ! ma chère soeur,
quelle chose merveilleuse d'être
réellement un avec un Sauveur
ressuscité et glorieux, d'être un
membre de Christ ! Pense à ce que cela
implique. Christ peut-Il être riche et moi
pauvre ? Ta main droite peut-elle être riche
et la gauche pauvre ? Ou ta tête bien nourrie
pendant que ton corps meurt de faim ? Et songe
à ce que cela entraîne pour la
prière. Un employé de banque peut-il
dire à un client : « C'est seulement
votre main qui a écrit ce chèque, ce
n'est pas vous », ou bien : « Je ne puis
pas payer cette somme à votre main, mais
seulement à vous-même ? » Donc
une prière présentée au nom de
Jésus ne saurait être repoussée
aussi longtemps que nous nous tenons dans les
limites du crédit que Jésus nous a
ouvert par Sa parole (ce crédit est assez
étendu, n'est-il pas vrai ?). Si nous
demandons une chose qui n'est pas selon
l'Écriture ou qui n'est pas en accord, avec
la volonté Dieu, Christ Lui-même ne
pourrait pas l'accomplir. Mais, « si nous
demandons quelque chose selon Sa volonté, Il
nous écoute... et nous savons que nous avons
les choses que nous Lui demandons
».
Ce qu'il y a de plus
précieux, dans ces vérités
toutes si précieuses, c'est le repos que
procure la complète identification avec
Christ. Rien ne me donne plus aucune
anxiété car Il a, Lui, la puissance
d'accomplir Sa volonté, et Sa volonté
c'est la mienne. Qu'importe à mon serviteur
que je l'envoie faire des achats pour quelques sous
ou pour une forte somme? Il compte sur moi pour
payer, dans un cas comme dans l'autre. Si Dieu
permet une grande détresse, ne me
donnera-t-Il pas pleine assistance; des situations
difficiles, beaucoup de grâce; des
circonstances accablantes et des épreuves,
une grande force ? Pas de crainte, Ses ressources
seront égales aux besoins. Et toutes Ses
ressources sont à moi parce qu'Il est
à moi, avec moi et en moi. Tout cela
résulte de l'union du croyant et de Christ.
Et depuis que Christ habite ainsi dans mon coeur
par la foi, comme je suis heureux ! J'aimerais
pouvoir te le dire plutôt que te
l'écrire.
Je ne suis pas meilleur
qu'auparavant (en un sens je ne désire pas
l'être, ni m'efforcer de
l'être), mais je suis mort et enseveli avec
Christ, oui, et aussi ressuscité et assis
dans les lieux célestes, et Christ vit en
moi et « la vie que je vis dans la chair, je
la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a
aimé et s'est livré Lui-même
pour moi ». Je crois maintenant que je suis
mort au péché. Dieu me
considère comme tel, et me dit de le
reconnaître aussi... Je sens et je sais que
les choses anciennes sont passées. Je suis
capable de pécher autant qu'avant, mais
j'expérimente la présence de Christ
comme jamais auparavant. Il ne peut pécher,
et Il peut me préserver du
péché. Je ne puis dire (je suis
triste de devoir le confesser) que je n'aie plus
péché depuis que j'ai compris ces
choses; mais je vois qu'il n'était pas
nécessaire qu'il en fût ainsi. En
outre, étant davantage dans la
lumière, ma conscience a été
plus sensible; le péché a
été immédiatement reconnu,
confessé, pardonné; la paix et la
joie avec l'humilité sont revenues. Un jour,
cependant, la paix et la joie ne revinrent pas
durant plusieurs heures parce que je n'avais pas
pleinement confessé ma faute et avais
tenté de me justifier.
La foi, je le saisis maintenant,
est la substance des choses que l'on espère,
et non leur ombre simplement. Elle n'est pas moins
que la vue, mais plus. La vue s'arrête
à la forme extérieure des choses,
mais la foi en donne la substance. Tu y trouves
repos et nourriture; Christ habitant dans le coeur
par la foi est véritablement puissance et
vie. Christ et le péché ne peuvent
cohabiter, et nous ne pouvons avoir Sa
présence avec l'amour du
monde...
Maintenant je dois terminer. Je
ne t'ai pas dit la moitié de ce que je
désirais te confier. Que Dieu te donne de
tenir par-dessus tout à ces
précieuses vérités. Ne
continuons pas à dire, en somme : « Qui
montera au ciel, c'est-à-dire pour en faire
descendre Christ ? » En d'autres termes, ne Le
considérons pas comme quelqu'un de distant
quand Dieu a fait de nous une même plante
avec Lui, membres de Son propre corps. Ne croyons
pas non plus que ces expériences soient
réservées à une
minorité. Elles sont pour chaque enfant de
Dieu, et personne ne peut s'en priver sans
déshonorer notre Seigneur. La seule
puissance pour la délivrance du
péché ou pour le vrai service, c'est
CHRIST.
Cette bénédiction
résista à l'épreuve des jours
qui allaient suivre. Hudson Taylor aurait pu dire
comme Georges Müller : « Quand même
j'aurais la force de travailler vingt-quatre heures
par jour, je ne pourrais pas faire la moitié
de ce qu'auraient à faire mes mains, mes
pieds, ma tête et mon coeur. » Mais il
aurait pu ajouter : « Cependant, avec tout
cela, je regarde comme mon premier devoir, et comme
l'affaire la plus importante de chaque
journée, d'obtenir une
bénédiction pour ma propre âme.
Que mon âme soit d'abord heureuse dans le
Seigneur, puis viendra le travail et un travail
auquel je m'appliquerai tout entier. » Ses
lettres montrent quel travail absorbant et
varié était à ce moment le
sien, et que « la joie de
l'Éternel était sa force ».
« Il me rend heureux tout le long du jour
», écrivait-il à M. Berger.
« Il rend pour moi le travail léger et
me donne la joie de Le voir bénir les
autres. Je n'ai aucune crainte, à
présent, que la charge de notre oeuvre soit
trop lourde pour Lui. » Il écrivait le
18 octobre à M. Reid à Nanking
:
Mon coeur est rempli pour vous
tandis que je vous écris. Le travail est
pressant, mais il ne diminue aucunement ma joie
dans le Seigneur...
Et le même jour à M.
Cordon :
Mon âme est si heureuse
dans le Seigneur ! Quand je pense à la
bénédiction qu'Il m'a donnée
dans cette belle journée où nous
étions tous réunis, je ne sais
comment Le remercier et Le louer assez.
Jésus est véritablement Celui dont
nos âmes ont besoin. Il est le grand don de
l'amour de notre Père - qui L'a donné
pour nous et nous fait un avec Lui dans Sa vie de
résurrection et dans Sa puissance... Les
fonds de la Mission sont plus bas qu'ils ne l'ont
jamais été dans le
passé.
Et de Yangchow, le 27 octobre
:
Notre oeuvre ici est fort
encourageante. Nous ne saurions assez en
bénir Dieu. Cinq personnes ont
été baptisées; huit vont
l'être bientôt, et nous comptons que
plusieurs autres suivront sous peu... Je crois
fermement que nous verrons de grandes choses, car
nous sommes un avec Jésus.
À M. Jackson à
Taichow, le 30 octobre :
Je voudrais vous demander de vous
souvenir devant Dieu de l'état de notre
caisse. Jamais nos fonds n'ont été
aussi bas. Toutefois nous n'avons pas
été abandonnés, nous ne le
sommes pas, et ne le serons assurément
jamais, si nous avons de la foi comme un grain de
semence de moutarde... Les précieuses
vérités dont nous nous sommes
entretenus me rendent heureux tout le long du jour.
J'espère qu'il en est ainsi pour
vous.
On a quelque peine à
comprendre, quand on l'entend parler de son
travail, qu'un seul homme ait pu y suffire. Ce
labeur, même en ce qu'il avait de
matériel, était pour lui une source
de joie, puisqu'il était fait pour Dieu et
pour ses frères.
Je viens de recevoir sept
portions différentes de l'Ancien et du
Nouveau Testament (des livres entiers), et de longs
traités en différent,
dialectes, avec prière de
les examiner et de les corriger. Il y a là
(si même je puis le faire) du travail pour
des semaines, sinon pour des mois. Et je devrai
probablement partir ce soir pour une de nos plus
lointaines stations afin de voir un des
nôtres, malade.
Au mois de novembre, des nouvelles
très inquiétantes arrivèrent
d'Anking, la station la plus éloignée
dans l'intérieur. Hudson Taylor était
en voyage et ne pouvait recevoir de lettres, quand
il entendit de vagues rumeurs d'après
lesquelles M. et Mme Meadows et M. Williamson
auraient été
assassinés.
En proie à une incertitude
qui serait devenue de l'angoisse s'il n'avait pas
compté sur Dieu, il écrivait en
rentrant à Chinkiang en toute hâte
:
Que dirons-nous ? «
Père, glorifie ton nom »; bien que la
chair soit faible et tremble. Jésus est
notre force. Ce que nous ne pouvons faire ni
supporter, Lui peut le faire et le supporter en
nous. Nous ne sommes pas à nous-même,
et l'oeuvre non plus n'est pas la nôtre.
Celui à qui nous sommes et que nous servons
se montrera à la hauteur des
circonstances.
À son grand soulagement, il
apprit que ces bruits étaient
exagérés. L'émeute avait
été sérieuse, mais les
missionnaires étaient en vie et les enfants
n'avaient souffert aucun dommage. Pourtant
l'affaire n'était pas finie et l'on pouvait
craindre qu'elle n'eût des
répercussions en Chine et en Europe.
Déjà les critiques malveillantes
avaient amené une sérieuse diminution
dans l'apport des dons. En quatre mois, de mai
à septembre, on avait reçu mille
livres de moins que pendant la même
période de l'année
précédente. Il y aurait eu là,
pour Hudson Taylor, une source de vive
anxiété si la
bénédiction dont il avait
été l'objet n'avait produit ses
fruits de paix.
Vous pouvez faire allusion
à l'état de nos finances en
écrivant aux divers membres de la Mission,
confiait-il à M. Berger en décembre,
non pas pour les décourager, mais
plutôt pour qu'ils se détournent de
l'homme pour regarder à Dieu, le
Tout-Puissant, Celui qui ne fait jamais
défaut.
Oh ! cher frère, la seule
chose qu'il nous faut, c'est d'être
amenés à expérimenter d'une
façon plus vivante la proximité de
Christ et notre union avec Lui. Presque toutes nos
difficultés auraient été
prévenues, ou affrontées dans de
meilleures conditions si cela avait mieux
été ancré dans notre esprit.
Des difficultés plus grandes et plus
redoutables que jamais
s'amassent autour de moi. Ces derniers mois, j'ai
eu un travail sans précédent,
beaucoup de sujets de préoccupation et des
voyages constants. Mais j'ai eu plus de
tranquillité d'âme, plus de repos
d'esprit et plus de joie dans le Seigneur que
jamais auparavant. Si une autre tempête
devait éclater à propos de
l'émeute d'Anking, ne vous laissez pas
abattre. La force du Seigneur nous rendra capables
de supporter beaucoup plus que ceci. Dieu a
triomphé de l'opposition des juifs et des
Romains coalisés. Il en triomphera
encore.
À sa mère, il
écrivait :
Je suis plus heureux dans le
Seigneur que je ne l'ai jamais été...
Les choses peuvent, à beaucoup
d'égards, aller tout autrement que nous le
désirerions; mais si Dieu permet ou ordonne
qu'elles soient ainsi, moi je puis bien en
être content. À moi d'obéir,
à Lui de diriger. Je puis donc non seulement
me résigner à ce qu'il nous arrive
à Anking, mais en être pleinement
satisfait, ne pas désirer autre chose et
remercier Dieu de tout.
Effectivement, grâce à
Dieu, non seulement les missionnaires furent
bientôt réinstallés à
Anking, mais cette ville devint le point de
départ d'une nouvelle avance et comme
Yangchow, le siège d'un home destiné
à la préparation des
missionnaires.
Noël approchait. Ce fut un
temps de grande joie pour M. et Mme Taylor et leur
famille réunis à Yangchow. La
fête ne se déroula pas autour d'un
roast-beef ou d'un succulent plum-pudding, ainsi
qu'on peut en juger par les souvenirs de M. C. T.
Fishe, récemment arrivé d'Angleterre
:
J'étais bien jeune alors,
écrivait-il, et je fus très
touché de l'amabilité de M. Taylor
qui se montra très bon pour moi. je l'aidais
dans son oeuvre médicale et étais
beaucoup avec lui à Yangchow. Il me
dirigeait dans mes études. Naturellement,
c'était un homme très occupé,
mais il paraissait jeune et plein d'entrain. Il
aimait à jouer avec ses enfants et l'on eut
dit d'un homme affranchi de tout souci. Il se
plaisait à faire de la musique et avait
l'habitude de jouer de l'harmonium, le dimanche
soir, pour les Chinois auxquels il faisait chanter
des cantiques. Son thème favori, en ces
jours-là, était le chapitre quinze de
jean dont il faisait ses délices. Chaque
jour nous avions à midi une réunion
de prières, et l'on sentait que sa vie
spirituelle faisait de grands
progrès.
Quant à notre nourriture,
elle était exclusivement chinoise. Je me
souviens de la peine que nous avions à
trouver un couteau, une fourchette et une
cuillère quand un étranger,
inexpérimenté dans l'art de manier
les bâtonnets, venait à Yangchow. Le
lait condensé n'était pas
sur le marché, en ce
temps-là, et on n'utilisait que peu ou pas
de provisions d'origine étrangère.
Cependant nous considérions comme un luxe un
grand baril de mélasse que le Lammermuir
nous avait apporté récemment. Cette
mélasse, mélangée au riz,
était fort
appréciée.
Cependant la baisse des fonds se
faisait sentir, et tous les membres de la famille
réduisaient autant que possible les
dépenses personnelles afin de pouvoir venir
en aide à leurs compagnons d'oeuvre. Hudson
Taylor congédia son cuisinier et trouva
moins coûteux de faire venir, toute
prête, d'une auberge voisine, la nourriture
à raison d'un dollar par personne et par
mois. « Prions avec foi pour nos fonds,
disait-il, afin de ne pas avoir à
réduire notre oeuvre. » Il pouvait
accepter avec joie une diminution de confort, mais
non une, réduction de son oeuvre. Cette
réduction, Dieu merci, il n'eut jamais
à l'opérer. Quatre shillings par
personne et par mois pour les dépenses du
ménage et la nourriture apportée
toute prête, pourraient paraître
à certains une rude « privation de
missionnaire ». Mais nos amis étaient
parfaitement heureux dans leur milieu chinois, en
contact étroit avec le peuple et en intime
communion avec le Seigneur.
Et voici que, la veille du jour de
l'An, une surprise arriva, aussi agréable
qu'inattendue, qu'ils considérèrent
à juste titre comme un heureux
présage. M. Georges Müller
s'était senti pressé, non seulement
de prier avec une ferveur nouvelle pour la Mission,
mais de lui venir en aide plus efficacement. Il
s'était procuré les noms des ouvriers
qu'il n'avait pas encore secourus et envoyait pour
eux onze chèques de dix ou de vingt-cinq
livres, le total s'élevant à deux
cent trente livres. Cet envoi était
accompagné d'une lettre qu'il priait Hudson
Taylor de reproduire pour l'envoyer à chacun
des intéressés auxquels il tenait
à témoigner une affectueuse
sympathie. Cette sympathie, venant d'un tel homme
de Dieu, multipliait singulièrement la
valeur du don.
Mon principal but, disait-il dans
cette lettre, est de vous dire que je vous aime
dans le Seigneur, que je suis avec un profond
intérêt l'oeuvre de la Mission
à l'Intérieur de la Chine, et que je
prie pour vous chaque jour. J'ai pensé qu'au
milieu de vos épreuves, de vos tribulations
et de vos désappointements, ce serait un
grandi encouragement de savoir qu'il y a ici
quelqu'un dont le coeur bat pour vous et qui se
souvient de vous devant le Seigneur. Mais alors
même qu'il en serait autrement et que vous
n'eussiez personne s'intéressant à
vous ou vous témoignant
cet intérêt, vous
auriez toujours le Seigneur auprès de vous.
Souvenez-vous de l'expérience de Paul
à Rome (2 Tim. 4 : 16, 18). Comptez sur Lui,
regardez à Lui, appuyez-vous sur Lui, et
soyez assurés que. si vous marchez avec Lui,
et attendez de Lui le secours, Il ne vous fera
jamais défaut. C'est là
l'expérience d'un frère
aîné qui connaît le Seigneur
depuis quarante ans et qui peut dire que, dans les
plus grandes difficultés, dans les plus
lourdes épreuves, dans la plus profonde
pauvreté, Dieu ne l'a jamais
abandonné. Je me réjouis de donner
gloire à Son Nom.
Ajoutons que pendant les quelques
années qui suivirent, les dons de M. Georges
Müller pour la Mission à
l'Intérieur de la Chine
s'élevèrent annuellement à
près de deux mille livres. En 1870, il
envoya à Hudson Taylor mille neuf cent
quarante livres. Il aidait
généreusement vingt-et-un
missionnaires qui, avec douze femmes, constituaient
l'effectif total de la Mission, soit trente-trois
personnes y compris M. et Mme Taylor.
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