HUDSON TAYLOR
NEUVIÈME PARTIE
TRÉSORS DE
TÉNÈBRES
1868-1871
CHAPITRE 55
Jésus, pleinement, suffit...
1869-1870
Pour Mme Taylor, la vie nouvelle dans laquelle
étaient entrés son mari et plusieurs
de ses compagnons d'oeuvre était un sujet de
joie, mais d'étonnement aussi. Leurs
récentes expériences étaient
depuis longtemps le secret de ses victoires
à elle et de sa paix. « Se reposer en
Jésus et Le laisser agir »,
disait-elle. Phrase bien courte, mais dont elle
connaissait la réalité et qui faisait
d'elle (Hudson Taylor le sentait bien) la force de
la Mission. Maintenant mari et femme étaient
un dans la voie nouvelle, et la foi de l'un
étayait et fortifiait celle de l'autre. La
première fois qu'ils se
séparèrent après ce temps de
bénédiction, (le 9 novembre 1869),
Hudson Taylor lui écrivait de Hangchow
:
Nous avons une matinée claire
et ensoleillée, mais le soleil
extérieur n'est rien en comparaison du
soleil intérieur. je comprends mieux le
précepte : « Réjouissez-vous
dans le Seigneur. » En Lui je dois me
réjouir, je le fais et je veux t'associer
à cette joie...
Impossible, quand on se sait
vraiment un avec Lui, de ne pas se réjouir
dans Sa grâce, Son amour, Sa sainteté,
dans toutes Ses perfections. Il est le même
hier, aujourd'hui, éternellement. Si notre
joie consiste en ce qu'Il dompte le
péché en nous, une chute suffira pour
la détruire; si c'est en ce qu'Il
opère en nous ou par nous, nous pourrons ne
pas avoir conscience de la mesure où Il le
fait et nous pourrons, sans motif valable, nous
élever nous-même ou nous laisser
abattre. Mais si c'est en Lui tel qu'Il est, il ne
saurait y avoir là ni changement, ni
fluctuation. Oh ! ma chérie, quelle source
de joie immuable nous avons en Jésus
!
La beauté de leur vie commune se
voyait surtout à Yangchow, leur
résidence la plus fréquente.
Là, les enfants étaient
laissés aux soins de Mlle Blatchley pendant
les absences du père et de la mère ;
là , ils avaient la joie de se retrouver et
d'avoir d'heureuses relations avec M. et Mme Judd.
Le Seigneur fait une grande oeuvre
dans cette ville, écrivait Mlle, Blatchley
à la fin de 1869. Les convertis ici sont
très différents de ceux que nous
avons vus ailleurs. Ils montrent une telle vie, une
telle ferveur et tant de sérieux
!
La santé de M. Judd laissait
à désirer, faute d'exercice
suffisant. Hudson Taylor pria alors Duncan, qui
remontait le Grand Canal pour une tournée
d'évangélisation, d'acheter et de lui
ramener un gentil petit cheval de selle, s'il en
trouvait l'occasion. Il était absent quand
le cheval arriva, mais M. Judd, sachant qu'il se
proposait de le monter, se procura une selle
indigène et une bride et monta la bête
pour la tenir en haleine. C'était
précisément ce qu'Hudson Taylor
désirait. À son retour, trop
occupé pour faire de l'équitation, il
pria M. Judd « d'accomplir une bonne action
» sous cette forme, et quand il partit de
nouveau, il recommanda à son collègue
de se souvenir que le cheval avait besoin
d'exercice.
« Hudson Taylor n'a-t-il jamais
monté lui-même ce cheval? II
demandâmes-nous. « Jamais ; il
était beaucoup trop occupé. Mais il
avait soin de payer ses frais. »
C'était simplement une manière
délicate de procurer un exercice salutaire
à l'un de ses amis, qui ne l'aurait pas pris
autrement. Et c'était toujours ainsi. Il se
plaisait à rendre service de manière
que l'on ne se sentit pas son obligé. Et Mme
Taylor agissait de même. « Toujours
préoccupée des autres, elle
s'oubliait pour eux. Jamais on ne la vit
agitée ou tourmentée par les mille
tracas de la vie. Son visage était toujours
rayonnant de cette sérénité
que procure l'onction du St-Esprit. »
Comment le sarment porte-t-il du
fruit? demande Mme Beecher Stowe, dans son petit
livre intitulé Comment vivre de Christ. Ce
n'est pas en faisant un effort incessant pour
recevoir l'air et le rayon de soleil; ce n'est pas
en faisant de vains efforts pour obtenir ces
influences vivifiantes qui donnent à la
fleur sa beauté, à la feuille sa
verte fraîcheur. C'est simplement en
demeurant attaché au cep, dans une union
silencieuse et paisible, et les fleurs et les
fruits apparaissent comme par une croissance
spontanée.
Comment un chrétien
portera-t-il alors du fruit? Par des efforts et des
luttes pour obtenir ce qui est librement
donné ? Par des méditations sur la
vigilance, sur la prière, sur
l'activité, sur la tentation et sur les
dangers ? Non ! Il doit y avoir une concentration
totale des pensées et des affections sur
Christ, un abandon complet de tout son être
entre Ses mains; un regard constant sur Lui pour
avoir Sa grâce.
Les chrétiens en qui ces
dispositions sont fermement implantées vont
de l'avant aussi calmes que l'enfant dans les bras
de sa mère. Christ leur rappelle alors au
moment opportun la tâche qu'ils ont à
faire; Il les reprend en cas d'erreur, Il les
conseille dans leurs difficultés, Il les
stimule pour toute oeuvre utile. Tant dans les
affaires spirituelles que temporelles, ils n'ont
pas à se soucier du lendemain, parce qu'ils
savent qu'ils pourront avoir accès
auprès de Christ demain comme aujourd'hui,
et; que le temps ne met pas une barrière
à Son amour. Leur espérance et leur
confiance reposent uniquement sur ce qu'Il peut et
veut faire pour eux... Leur talisman dans toute
tentation et dans toute tristesse est un abandon
toujours renouvelé de tout leur être
entre Ses mains.
Telle était la voie ouverte
désormais aux deux époux.
Il n'est pas surprenant qu'une telle
bénédiction fût mise à
l'épreuve d'une façon plus intense.
La période dans laquelle ils entraient
allait être marquée par des
souffrances accrues de toutes parts. Dans leur
travail, ils allaient affronter la puissance de
l'adversaire comme jamais auparavant. Dans leur vie
personnelle, des tristesses profondes les
guettaient. Sans cette préparation
intérieure, cela eût été
combien plus douloureux encore, tant pour Hudson
Taylor que pour le champ missionnaire.
L'heure approchait où
l'heureuse famille allait se disperser. Impossible
de garder en Chine un été de plus les
aînés des enfants. La santé
délicate de Samuel, à peine
âgé de cinq ans, exigeait qu'on le fit
partir avec ses frères et sa soeur. Quatre
membres de leur petite troupe allaient donc se
séparer d'eux et il ne resterait plus, pour
réjouir le foyer dépouillé,
que le bébé venu au monde
après l'émeute de Yangchow. La
question se posait du départ de Mme Taylor
elle-même, mais Mlle Blatchley s'offrit pour
accompagner les enfants et prendre soin d'eux, ce
qui permit à leur mère de rester en
Chine auprès de son mari. Ce fut un grand
soulagement pour l'un et pour l'autre. Ils
pouvaient, en effet, confier sans crainte leurs
petits à l'amie devenue pour eux comme une
fille aînée, qui s'était
attachée aux enfants et en était
aimée presque comme si elle eût
été leur propre
mère.
Alors que l'heure de la
séparation approchait, la santé de
l'enfant qui donnait le plus de souci se mit
à décliner rapidement.
Était-ce la tristesse du départ, ou
un trouble que les distractions du voyage
dissiperaient?... Profitant d'une
amélioration
momentanée, la famille
quitta Yangchow, mais à peine le bateau
fut-il sorti de la ville que les signes d'une crise
nouvelle apparurent. Toute la nuit on veilla le
petit invalide et l'on tenta tout ce qu'il
était possible dans ces circonstances. Ce
fut en vain. Au lever du jour, l'enfant tomba dans
un profond sommeil et, des flots bourbeux du
Yangtze, passa sans douleur ni crainte dans la
Patrie céleste.
Poussés par la tempête,
les parents affligés traversèrent le
fleuve, large de près de quatre
kilomètres, pour déposer leur
trésor dans le petit cimetière de
Chinkiang. Puis ils partirent avec les autres
enfants pour Shanghaï. Quelques semaines plus
tard, après les avoir installés
à bord du vapeur français qui devait,
le lendemain, prendre le large au point du jour,
Hudson Taylor écrivait à M. Berger,
à minuit (le 22 mars 1870) :
Je les ai vus
éveillés pour la dernière fois
en Chine... Deux de nos chers petits ne nous
donnent plus d'anxiété; ils reposent
dans le sein de Jésus... Et, maintenant,
quoique rien ne puisse arrêter nos larmes, je
remercie Dieu de me permettre, à moi si
indigne, de prendre part à cette grande
oeuvre. Je n'ai aucun regret de m'y être
engagé. C'est Son oeuvre, non la mienne ni
la vôtre. Et pourtant c'est la nôtre,
non parce que nous y sommes engagés, mais
parce que nous sommes à Lui, et un avec
Celui dont c'est l'ouvrage.
C'était là la profonde
réalité, qui les soutenait et faisait
plus que les soutenir. Jamais encore la Chine
n'avait connu un été plus
agité que celui dans lequel ils
entraient.
Nous marchons vers une crise,
avait écrit Hudson Taylor peu de temps
auparavant. Si notre gouvernement persiste dans sa
politique actuelle que j'appellerais presque folle,
la guerre éclatera. En attendant, notre
situation est de plus en plus embarrassante et
compliquée.
Et cependant, au sein d'une telle
agitation, et avec la souffrance profonde que leur
causait l'absence de leurs chers enfants, ils
n'avaient jamais autant goûté le repos
et la joie de Dieu.
Je ne puis qu'admirer la
grâce qui a soutenu et
réconforté la plus tendre des
mères, écrivait Hudson Taylor en
relatant ces choses. Le secret, c'est que
Jésus étanche la soif intense de son
coeur et de son âme.
Mme Taylor était en
excellente santé à ce
moment-là, portée,
semblait-il, sur les eaux
démontées qui les environnaient. La
maladie régnait partout dans la Mission.
Avant même d'arriver à Chinkiang,
à leur retour de Shanghaï, ils
apprirent que Mme Judd était mourante, et
son mari complètement épuisé
par des veilles prolongées. La nuit
était venue quand M. Judd entendit dans la
cour de sa maison le roulement d'une brouette. Quel
pouvait être ce visiteur inattendu? Une femme
sortit de ce véhicule sans ressorts,
où elle avait passé une longue
journée. C'était Mme Taylor qui,
à défaut de son mari retenu à
bord par un autre malade, accourait soigner son
amie. Bien que fatiguée et souffrante
elle-même, elle obligea M. Judd à
prendre le repos dont il avait un urgent besoin et
s'installa au chevet de la malade. Rien, si ce
n'est la prière, n'amena la guérison,
comme rien, si ce n'est la prière, ne sauva
la situation dans plus d'une heure critique, cet
été-là.
Les affaires publiques prenaient
partout une tournure inquiétante.
L'excitation était générale,
et il semblait que les fondements de la
société étaient
ébranlés. Nul ne saurait
décrire les alarmes et la consternation des
Chinois superstitieux, quand ils apprirent que des
magiciens indigènes les avaient
ensorcelés et que ces magiciens
étaient des agents soudoyés par les
étrangers. On sait comment, à
Tientsin, la foule irritée massacra
sauvagement les Soeurs de Charité
catholiques, les prêtres, et même le
Consul de France. Combien plus grands encore
étaient les dangers courus, dans
l'intérieur du pays, par des missionnaires
isolés et privés de, toute protection
humaine! La puissante main de Dieu, en
réponse à de nombreuses et ardentes
prières, a seule pu réduire à
néant les machinations
ténébreuses des
adversaires.
On ne peut se faire une idée
de la tension d'esprit produite par ces
circonstances. Il fallut éloigner les femmes
et les enfants de plusieurs stations
particulièrement agitées, et peu s'en
fallut, sembla-t-il, que le gouvernement chinois
n'exigeât le départ de tous les
étrangers. Cela amena une correspondance
sans fin avec les autorités indigènes
et étrangères, et avec les
missionnaires les plus exposés pour leur
prodiguer des conseils, des encouragements, des
consolations. La petite maison de Chinkiang
était pleine à déborder et,
même dans cette ville, l'hostilité
était telle qu'on ne pouvait trouver aucun
immeuble à louer. Hudson Taylor devait
coucher sur le parquet du salon ou du vestibule
pour que sa femme pût
partager sa chambre à coucher avec d'autres
femmes.
Une difficulté suit
l'autre de très près,
écrivait-il; mais Dieu règne et non
le hasard. À Nanking, l'agitation a
été effrayante... Les nouvelles de
Yangchow sont très mauvaises... Priez pour
nous. Mon coeur est calme, mais ma tête est
durement éprouvée par cette
succession constante de peines de tous genres. Je
ne pense pas que nous ayons à quitter la
maison de Chinkiang.
L'activité au sein du peuple,
quoique fort entravée pendant cette
période, ne fut point interrompue. Mme
Taylor, à laquelle l'absence de ses enfants
laissait plus de liberté, ouvrit à
Chinkiang une classe, tenue le dimanche et deux ou
trois fois par semaine, pour intéresser les
indigènes à l'étude des
Saintes Écritures. Elle désirait
aussi par ce moyen faire comprendre aux plus jeunes
membres de la Mission l'importance de ses
enseignements dans l'oeuvre
missionnaire.
Les lettres d'Hudson Taylor
montraient qu'au milieu de tant de troubles il ne
perdait pas de vue la question essentielle. Sans
négliger aucun détail dans la partie
de sa correspondance relative aux affaires, il
revenait toujours sur le sujet de la vie
intérieure. Ainsi dans une lettre à
Mme Desgraz, écrite au milieu de juin, il
ajoutait, après avoir donné des
nouvelles des affaires de Yangchow :
Et maintenant, ma chère
soeur, j'ai pour vous un passage qui a
été béni pour moi-même :
« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à
moi et qu'il boive » (Jean 7 : 37, 39). Qui
n'a pas soif, soif de l'esprit, soif du coeur, soif
de l'âme, soif du corps ? Eh bien ! pour
n'importe laquelle de ces soifs, et même pour
toutes à la fois, « venez à Moi
et... restez avec votre soif ? Ah non ! Venez
à Moi et buvez ».
Quoi ? Jésus peut-Il
satisfaire tous mes besoins ? Oui, et bien plus
encore. Quels que soient mes embarras, mes
difficultés, mon deuil, ma solitude, mon
dépouillement, Jésus répond
à tout, à tout. Il ne me promet pas
seulement le repos, ou l'apaisement de ma soif.
Écoutez !... des fleuves d'eau vive
jailliront de lui. Il ne parle pas d'un filet
d'eau, ni d'un torrent qui se dessèche
bientôt, mais de fleuves, comme le puissant
Yangtze qui coule toujours, toujours, profond,
irrésistible... Et Jésus ne dit pas :
« Prenez à la hâte une
gorgée d'eau fraîche », il dit :
« Buvez, ou : buvez habituellement,
constamment »; ne craignez pas de vider la
fontaine, ou d'épuiser le
fleuve.
Il ne se doutait pas, au moment
où il écrivait ces lignes, que
dans peu de jours il serait
appelé à mettre en pratique
lui-même, plus entièrement que jamais,
ces paroles. Mais il allait éprouver aussi
la réalité bénie des promesses
divines.
La correspondance
échangée entre Mme Taylor et Mme
Berger, dans le courant de cet été si
fertile en événements de toutes
sortes, est des plus belles et des plus
édifiantes. Mme Berger, malgré son
âge, avait pour la Mission et les
missionnaires une sollicitude active et toute
maternelle. Si son mari était la tête
de l'oeuvre en Angleterre, elle en était
certainement le coeur et la main. Elle
s'intéressait à chacun, priait, et
s'efforçait de prévoir et de
prévenir les besoins. Elle faisait de
fréquents voyages à Londres pour des
emplettes, soigneusement préparées et
notées, et ses paquets arrivaient en Chine
avec une telle régularité et un tel
à propos qu'en maintes circonstances ils
furent regardés comme des réponses
spéciales à la prière. Mais
l'esprit de ce ministère d'amour, si
dévoué, exempt d'ostentation
était plus précieux encore que les
dons matériels. Après l'émeute
de Yangchow, elle écrivait à Mme
Taylor :
Oh! pourquoi nos coeurs ne
sont-ils pas plus grands, plus aimants, et nos
têtes plus sages, afin que vous puissiez
recevoir de nous quelque petit secours !... Ah !
bien-aimée soeur, nous ne savons pas vous
dire grand'chose, mais nous pensons à vous
et prions beaucoup pour vous dans cette
accumulation de tristesses. Vous vivez et mourez
pour Celui qui a vécu et qui est mort pour
vous. je me réjouis d'arriver au jour
où mes yeux verront le sourire d'amour qu'Il
vous accordera. Dès maintenant vous avez
conscience de Son approbation. N'est-ce pas assez ?
Qui peut enseigner comme Dieu ? Et n'avons-nous pas
besoin d'être seuls avec Lui, si nous voulons
être remplis de la lumière du ciel, et
ainsi être utiles à ceux qui nous
entourent ?
Être longtemps « seul
avec Dieu » n'était pas chose facile en
ces temps agites. Et pourtant, les lettres de
réconfort que Mme Taylor adressait à
ses collègues éprouvées
attestaient combien elle vivait près du
Seigneur. À Mme Rudland, qui venait de
perdre un enfant bien-aimé, elle
écrivait, après une nuit sans sommeil
due à la maladie dont elle souffrait
:
Ma chère Marie, je ne puis
écrire beaucoup, mais je vous envoie
quelques lignes pour vous dire que nous partageons
votre douleur et vos larmes. Puissiez-vous
réaliser que votre précieuse enfant
repose doucement et en toute sécurité
dans les bras de Jésus; c'est cela qui,
plus que toute autre chose,
adoucira l'amertume de la séparation. «
Ceux qui dorment en Jésus, Dieu les
ramènera avec lui. » Ils nous seront
rendus. Ils seront à nous de nouveau,
à nous pour toujours. Alors nous
comprendrons pourquoi ils nous ont
été repris. Alors nous pourrons dire
du plus profond de notre coeur : «
Jésus a fait toutes choses bien. » En
attendant, croyons-le. Par Sa grâce, nous ne
voulons douter ni de Son amour ni de Sa sagesse.
Cramponnons-nous à Lui quand Ses vagues et
Ses flots passent sur nous.
La prière était sa vie
plus que jamais et à mesure que ses forces
déclinaient, elle devenait, dans un sens
nouveau, son refuge.
Cela me fait du bien,
écrivait quelques mois plus tard Mlle
Blatchley, de me rappeler comment elle priait pour
ses enfants. Je l'ai vue, le soir, quand elle
croyait tout le monde endormi, la tête
penchée, à genoux, longtemps,
longtemps, sur le sol nu.
Son coeur de mère languissait
de savoir ses chers enfants arrivés à
bon port et installés quelque part en
Angleterre. Elle se réjouissait de penser
que les petits voyageurs trouveraient, à
Saint-Hill d'abord, une cordiale et joyeuse
hospitalité et les soins tout maternels de
Mme Berger. Elle-même reçut comme un
don de Dieu, le 7 juillet, un nouveau
bébé, son cinquième fils. Les
parents reconnaissants accueillirent ce petit
être avec d'autant plus d'amour qu'ils ne
pouvaient plus prodiguer leurs caresses à
leurs quatre absents. Ensemble ils le
consacrèrent au Seigneur. Mais ce petit
trésor, objet de la tendresse de la
mère, joie et fierté du père,
ne devait pas leur être laissé
longtemps. Une attaque de choléra avait
grandement affaibli Mme Taylor, qui ne put
l'allaiter suffisamment. Quand enfin l'on trouva
une nourrice chinoise, c'était trop tard.
Après une brève carrière
terrestre d'une semaine, le petit Noël
remontait vers la Patrie céleste où
sa mère devait le rejoindre
bientôt...
Très abattue physiquement,
Mme Taylor trouva, dans le sentiment intime de la
présence du Seigneur, une paix profonde et
de la joie même, dans la complète
soumission à Sa sainte volonté. Elle
choisit encore les cantiques qui devaient
être chantés au bord de la petite
tombe.
Malgré sa grande faiblesse,
nul ne prévoyait cependant que, pour elle
aussi, la fin fût si proche. L'amour profond
qui scellait leurs coeurs semblait exclure la
pensée même d'une séparation.
Elle n'avait que trente-trois ans,
elle était si nécessaire! Elle ne
souffrait pas, mais se sentait lasse, très
lasse. Elle avait reçu, deux jours
auparavant, une longue lettre de Mme Berger, la
rassurant sur le compte de ses enfants et lui
donnant, sur eux et leur installation, tous les
détails possibles. Elle en éprouva
beaucoup de joie et une vive reconnaissance. La
lettre se terminait ainsi :
Et maintenant, adieu,
précieuse amie. Que le Seigneur vous entoure
de Ses bras éternels !
C'était dans ces bras
éternels qu'elle allait trouver le
repos.
À l'aube du samedi 23
juillet, elle dormait paisiblement, et Hudson
Taylor la quitta un instant pour préparer
quelque nourriture. Elle s'éveilla
bientôt et des symptômes alarmants
appelèrent son mari à son
chevet.
Le jour se levait,
écrivait-il plus tard, et la lumière
du soleil révéla ce que la lampe
laissait inaperçu : le sceau de la mort
était sur son visage. Mon amour même
ne pouvait s'empêcher de voir qu'elle se
mourait.
Dès que je fus assez
maître de moi-même, je lui dis
:
- Ma chérie, sais-tu que
tu t'en vas ?
- M'en aller,
répondit-elle, le crois-tu ? Qui te le fait
croire ?
- Je le vois bien, lui
répondis-je. Tes forces
t'abandonnent.
- Est-ce vrai ? je ne souffre
pas, je me sens seulement si lasse.
- Oui tu vas à la Maison,
bientôt tu seras avec
Jésus.
Ma précieuse épouse
pensa à moi, qui allais rester seul dans
cette période critique, sans la compagne
aimée avec qui apporter chaque
difficulté au Trône, de la
grâce.
- Je suis si triste,
dit-elle.
Puis elle s'arrêta, comme
si elle se reprochait presque ce
sentiment.
- Tu n'es pas triste de t'en
aller pour être avec Jésus
?
Avec un regard inoubliable, elle
répondit :
- Oh ! non. Ce n'est pas cela. Tu
sais, mon chéri, que depuis dix ans il n'y a
pas eu un nuage entre mon Sauveur et moi. Je ne
suis pas triste de m'en aller vers Lui, mais cela
m'afflige de te laisser seul dans un tel moment.
Pourtant... Il sera avec toi et subviendra à
tous tes besoins.
Elle n'ajouta que peu de paroles,
quelques messages affectueux pour ses enfants et
ses amis, puis elle parut s'endormir et perdre, la
conscience des choses terrestres. Le soleil montait
toujours plus haut, le bourdonnement de la vie
s'élevait de la rue.
Mais, dans une humble maison chinoise d'où
l'on pouvait apercevoir le beau ciel de Dieu,
régnait le silence impressionnant d'une paix
merveilleuse.
Je n'ai jamais vu une
scène semblable, écrivait Mlle
Duncan. Comme la chère Mme Taylor rendait le
dernier soupir, M. Taylor s'agenouilla, le coeur
bien gros, et la remit au Seigneur. Il Le remercia
de la lui avoir donnée, et des douze
années et demi de bonheur qu'ils avaient
passées ensemble; il Le remercia aussi de ce
qu'Il la prenait en Sa présence bénie
et se consacra tout à nouveau et
solennellement à Son service.
Peu après neuf heures, la
paisible respiration de la mourante cessa. Ils
connurent alors qu'elle était « avec
Christ, ce qui est de beaucoup meilleur ».
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