HUDSON TAYLOR
DIXIÈME PARTIE
LE DIEU DE
L'IMPOSSIBLE...
1872-1877
CHAPITRE 60
De faibles ils sont devenus forts
1874-1875
Ce fut un jour mémorable pour Hudson
Taylor que celui où, avec son intime ami, M.
Judd, il remonta le cours du Yangtze jusqu'au point
où il reçoit le Han son affluent,
c'est-à-dire jusqu'à la
métropole de la Chine centrale, poste le
plus avancé des Missions protestantes.
Située à mille kilomètres de
la côte, cette cité de Wuchang, centre
de commerce et de culture (ce dont elle
était très fière), donnait
accès à neuf provinces encore
inoccupées au Nord, à l'Ouest et au
Sud, depuis les jungles de la Birmanie jusqu'aux
steppes dénudées de la Mongolie et
aux remparts neigeux du Tibet. Vastes
régions, mais non pas plus vastes que
l'ambition avec laquelle. Hudson Taylor regardait
maintenant vers elles, à qui, depuis
longtemps, son coeur s'était donné en
réponse à leur silencieux
appel.
Mon âme brûle,
écrivait-il alors (juin 1874), oh ! avec
quelle intensité, du besoin
d'évangéliser les, cent quatre-vingt
millions d'âmes de ces provinces
déshéritées. Que n'ai-je cent
vies à dépenser pour leur bien
!
Pendant ce temps, en Angleterre, les
personnes les plus intimement associées
à la Mission passaient par des
expériences fort différentes.
Soignée avec tendresse par Mlle Soltau, par
Mme Duncan et d'autres encore, Mlle Blatchley
dépérissait peu à peu au
milieu de grandes souffrances et sa vie, tout
entière consacrée à la cause
de la Mission, semblait sur le point de
s'éteindre comme une lampe dont l'huile est
épuisée.
Il me semble la voir, écrivait
Mlle Soltau, étendue sur son sofa, son
aimable visage si amaigri, les larmes coulant le
long de ses joues Pendant qu'elle priait
individuellement pour tous les missionnaires de
toutes les stations. Oh ! comme elle portait le
fardeau de cette grande oeuvre dans son coeur
aimant ! Et elle sentait qu'elle ne tarderait pas
à partir pour la patrie
céleste ! Nos réunions de
prières du samedi, pendant bien des
semaines, ne comptèrent pas plus de dix
personnes; parfois nous étions seules, nous
deux, et je n'oublierai jamais le sentiment de
désolation qu'elle éprouvait à
la pensée que, dans tout le vaste monde,
personne ne songeait à la petite troupe qui
peinait dans la Chine lointaine !
Hudson Taylor avait été
très affecté, nous l'avons dit, de ne
pas pouvoir accourir à la première
nouvelle de sa maladie, pour soulager l'amie
bien-aimée à laquelle lui-même,
les siens et la Mission, devaient tant. Les mois
avaient succédé aux mois, et ce ne
fut que lorsque M. Judd fut installé d'une
manière quelque peu convenable à
Wuchang qu'il vit son chemin s'ouvrir pour un
retour en Angleterre. Mais avant même qu'il
eût quitté la Chine, celle qu'il
espérait secourir avait quitté ce
monde. Pour elle, aucune aide humaine
n'était plus nécessaire.
Chère, bien-aimée.
Émilie ! écrivait Mlle Soltau. Notre
perte ne peut être mesurée que par
ceux qui l'ont connue... Pourtant je ne voudrais
pas un seul moment rappeler ici-bas ce coeur si
tendre et la séparer de Celui qu'elle a tant
aimé... Ces deux dernières
années furent pour moi délicieuses.
Quelle croissance dans la grâce ! Quel doux
repos dans le Seigneur! Quelle tendresse pour tous
ceux qui l'entouraient! Oui, c'est un grand
privilège d'avoir passé ce temps
auprès d'elle.
Le Révérend Grattan
Guinness a rendu, dans le Christian, un beau
témoignage à l'humble et
fidèle servante du Seigneur que fut Mlle
Blatchley :
Les plus glorieux triomphes de Christ
sont spirituels, et Son oeuvre la plus
élevée est opérée dans
le secret de l'âme. Non la conquête de
royaumes, mais la conquête de soi-même;
non le renoncement à quelque chose
d'extérieur seulement, mais le renoncement
à soi-même; non la consécration
de quelque chose, mais la consécration de
soi-même au service de Dieu et de l'homme.
Voilà les choses les plus difficiles
à accomplir et les résultats les plus
divins. Ils resplendissent de la lumière du
Calvaire.
Émilie Blatchley, quoique
inconnue du monde, était une vraie
héroïne, et un exemple de ce noble
renoncement, si conforme à l'esprit de
Jésus, pour le bien des autres. Son souvenir
laisse le parfum d'une vie consacrée
à Christ et au salut des païens. C'est
cela qui la rendit capable de se charger du soin
des enfants de M. Hudson Taylor, de la Mission
à l'Intérieur de la Chine. Elle
veilla sur eux dans la santé comme dans, la
maladie, au pays et en Chine, pendant des
années. Aussi longtemps
que sa santé le lui
permit, elle fut leur unique éducatrice.
Elle fit cela pour seconder
l'évangélisation de la Chine, car
elle rendait ainsi M. et Mme Taylor plus libres
d'accomplir leur travail missionnaire
direct.
Non contente de s'occuper des
enfants de M. Taylor, elle devint la
secrétaire de la Mission. Elle
écrivit des milliers de lettres; elle tint
les comptes. Elle publia la Feuille occasionnelle.
Elle porta le fardeau de l'oeuvre. Elle travaillait
de longues heures et jusque tard dans la nuit. Elle
travaillait non seulement avec sa tête et ses
mains, mais avec son coeur aussi, car elle priait
sans cesse pour la Mission. Chaque jour elle
présentait ses missionnaires
individuellement au Trône de la Grâce,
et elle plaidait continuellement sa cause
auprès de Dieu. Elle souffrit aussi. Elle
connut les privations et l'incommodité de la
vie missionnaire en Chine au cours de voyages
nombreux d'une ville à l'autre. Elle se
dévoua pour ses collègues et les
soigna en maintes occasions. Sa foi fut
éprouvée, et son coeur aussi, car,
pour la cause des missions, elle renonça aux
affections les plus légitimes. Et elle fit
tout cela d'une manière si calme, sans
prétention, avec une
sérénité qui dura
jusqu'à son dernier jour. Nul n'eût pu
donner à l'oeuvre de Dieu parmi les
païens plus qu'elle n'a donné, car elle
a donné tout ce qu'elle avait et s'est
donnée elle-même. Béni soit
Dieu pour toute la grâce qu'Il lui accorda et
pour le repos éternel dans lequel elle est
entrée; pour la grâce qui lui permit
d'endurer tant de peines pour Jésus et de
s'endormir en Lui !
Fidèle servante d'une
Mission faible, mais héroïque, plaise
à Dieu que tous ses membres aient une
âme semblable à la tienne !... Amis de
la Mission à l'Intérieur de la Chine,
une aide précieuse nous a été
enlevée; serrons les rangs et tâchons
de combler cette grande brèche. Cette
Mission a plus que jamais besoin de notre
assistance. Puissions-nous être à la
hauteur des circonstances et travailler avec un
nouveau zèle et une infatigable
persévérance.
Lorsque au mois d'octobre Hudson
Taylor put revenir au pays natal, ce fut pour lui
une profonde tristesse que de trouver vide la place
de Mlle Blatchley, ses enfants dispersés, la
réunion de prières du samedi
interrompue et l'oeuvre languissante. Pourtant, de
nouvelles épreuves encore
l'attendaient.
Au cours du voyage qu'il avait fait
sur le Yangtze avec M. Judd, quelques mois
auparavant, un accident lui était
arrivé. Son pied ayant glissé sur
l'escalier, semblable à une échelle,
qui conduisait à l'entrepont, il
était lourdement tombé sur ses
talons. Une entorse ne fut que la moindre partie du
mal. Hudson Taylor éprouva pendant plusieurs
jours une vive douleur au dos qui l'obligea,
même lorsque son pied fut guéri, de se
servir de béquilles. Souvent un choc violent
ne développe ses
conséquences que plus
tard. Ce ne fut que deux ou trois semaines
après son retour en Angleterre que la vie
agitée de Londres, et le mouvement des
trains et des omnibus réveillèrent la
douleur endormie. Une paralysie graduelle des
membres inférieurs se déclara et le
médecin prescrivit un repos absolu. Ainsi,
frappé dans la force de l'âge, il fut
réduit à demeurer étendu dans
son lit, ayant conscience de toute la tâche
qui réclamait ses soins, réduit
à se tenir tranquillement couché,
et... à se réjouir en
Dieu!
Oui, se réjouir en Dieu! Avec
des désirs et des espérances aussi
illimités que les besoins qui pesaient sur
son coeur. Avec la prière qu'il avait
adressée à Dieu et les
réponses que Dieu lui avait données.
Avec des portes nouvelles qui s'ouvraient en Chine
et la vague de bénédiction
spirituelle qui, à ce moment même,
vivifiait les Églises d'Europe, et qu'il
avait fort à coeur d'utiliser au profit de
l'oeuvre missionnaire. Avec la « sentence de
mort » qu'il portait en lui-même, ne lui
laissant que peu d'espoir de pouvoir un jour,
à nouveau, se, tenir debout et marcher
encore. Dans tout cela, son acceptation sereine de
la volonté de Dieu, considérée
comme bonne, agréable et parfaite, fut le
plus extraordinaire, le plus merveilleux exemple.
Il est certain que, ce fut de cette paisible
chambre de, maladie et de souffrance que sortit le
développement nouveau et considérable
de la Mission à l'Intérieur de la
Chine. Un petit lit était maintenant la
sphère d'action à laquelle il
était réduit, alors qu'il avait
espéré faire tant de choses pendant
son séjour en Angleterre! N'y avait-il pas
à réorganiser complètement la
base européenne de l'oeuvre? Si jamais un
effort énergique eut été
nécessaire, c'était bien à ce
moment. Ce petit lit avec ses quatre pieds,
était-ce sa prison, faut-il dire? ou le
champ favorable à son activité ? Au
pied de ce lit était suspendue une carte de
la Chine ; aux alentours on percevait jour et nuit
la présence de Celui auprès duquel il
avait libre accès au nom de Jésus.
Cette liberté d'approche est sans doute
à la disposition de tous, mais Hudson Taylor
en usait. Cela fait toute la
différence.
Un jour, longtemps après que
Dieu eût exaucé ses prières,
alors que les ouvriers de la Mission à
l'Intérieur de la Chine prêchaient
l'Évangile dans toute l'étendue du
pays, un membre influent de l'Église
d'Écosse dit à Hudson Taylor : «
Vous devez avoir conscience que Dieu a fait
prospérer d'une manière
merveilleuse votre oeuvre
missionnaire. Peu d'hommes assurément ont eu
un plus grand honneur. »
« Je ne considère pas
les choses de cette manière, répondit
tranquillement Hudson Taylor. Voyez-vous, je pense
quelquefois que Dieu doit avoir cherché
quelqu'un d'assez faible, d'assez petit pour qu'Il
pût s'en servir, afin que toute la gloire Lui
appartint à Lui seul, et Il m'a
trouvé. »
L'horizon ne s'éclairait pas
et la fin de l'année approchait. Hudson
Taylor était de moins en moins capable de se
mouvoir, même dans son lit. Il ne pouvait se
retourner qu'à l'aide d'une corde fortement
fixée au plafond. Alors qu'au début
il avait encore la possibilité
d'écrire, il était incapable
même de tenir une plume. Et les circonstances
le privaient à cette époque de l'aide
précieuse qu'eût été Mme
Taylor, retenue ailleurs... Ce fut à ce
moment, à l'aube de l'année 1875, que
parut dans la presse chrétienne un petit
article intitulé : APPEL A LA PRIÈRE
en faveur de cent cinquante millions de Chinois.
Après un bref exposé des faits
concernant les neuf provinces inoccupées ;
après avoir dit que des amis de la Mission
à l'Intérieur de la Chine priaient
depuis longtemps pour que des pionniers de
l'Évangile visitassent ces régions
déshéritées ; après
avoir dit que quatre mille livres sterling
étaient déjà disponibles pour
cela, et que des indigènes appartenant
à ces régions et convertis dans les
anciennes Stations étaient ardemment
désireux de porter l'Évangile
à leurs concitoyens, l'auteur de l'article
ajoutait :
Actuellement, notre plus pressant
besoin est d'avoir un plus grand nombre de
missionnaires comme pionniers. Chacun de vos
lecteurs chrétiens voudrait-il élever
immédiatement son coeur à Dieu et
consacrer une minute à une prière
ardente pour que le Seigneur suscite, cette
année, dix-huit hommes qualifiés pour
se consacrer à cette oeuvre?
L'appel ne disait pas que le chef de
la Mission était atteint d'un mal
probablement incurable. Il ne disait pas que les
quatre mille livres sterling données
l'avaient été par M. et Mme Taylor et
étaient une partie du capital qu'ils avaient
consacré à l'oeuvre de Dieu. Il ne
disait pas que, depuis deux ans et demi,
eux-mêmes et plusieurs autres avec eux
priaient journellement et avec foi pour obtenir ces
dix-huit évangélistes. Mais tous les
lecteurs sentaient que ces paroles et cette
invitation ne pouvaient avoir été
écrites que dans une communion profonde avec
Dieu.
Rapidement, la correspondance
s'accrut et la joie d'Hudson Taylor fut vive de
voir comment le Seigneur manifestait Sa force dans
la faiblesse de Son serviteur.
Dieu lui procura chaque jour des
secrétaires bénévoles en la
personne de jeunes chrétiens qui venaient
dans sa chambre lui offrir leurs services. Cette
période d'inactivité forcée
fut pour lui un temps béni en ce Dieu auquel
il se confiait pour toutes choses et qui pourvoyait
à tous ses besoins. Jamais sa
correspondance, disait-il, ne fut tenue avec plus
de régularité.
Et les dix-huit hommes
demandés se présentèrent
enfin.
Nous correspondions
premièrement, puis ils venaient me voir dans
ma chambre. Bientôt, j'eus auprès de
mon lit toute une classe d'élèves
apprenant le chinois. Au temps voulu, le Seigneur
leur donna les moyens de partir et les chers amis
de Mildmay se mirent à prier pour mon
rétablissement. Le Seigneur bénit les
remèdes employés et je fus
guéri. Une des raisons pour lesquelles
j'avais été mis de côté
n'existait plus. Si ma santé m'avait permis
de faire des tournées, quelques-uns auraient
pu croire que l'envoi des dix-huit hommes en Chine
était dû à mes pressants appels
et non à une action directe de Dieu. N'ayant
rien pu faire moi-même, sinon dicter un appel
à la prière, la réponse
à ces prières apparaissait plus
éclatante.
Trois mois au lit, c'est bien
long, écrivait-il à la fin de
février. je me serais bien ennuyé, si
le Seigneur Jésus n'avait fait de ce temps
un temps de vraie joie. J'ai passé des nuits
sans aucun sommeil, et mon bonheur était de
prier.
Et encore, deux mois plus tard
:
Vous serez heureux d'apprendre
que je recouvre enfin la santé. Mon dos se
fortifie; après avoir passé au lit
presque cinq mois, je puis maintenant monter et
descendre l'escalier... je crois que Dieu m'a
permis de faire pour la Chine, pendant cette longue
maladie, plus que je n'aurais fait si je
m'étais bien porté.
Un changement très sensible
s'était produit à la rue de Pyrland.
La maison missionnaire, naguère
déserte, recevait de nombreuses visites. Le
premier contingent des Dix-huit s'était
embarqué et les candidats affluaient encore,
au point que la place manquait pour les recevoir.
On dut ajouter une nouvelle maison à
l'ancienne, car en réponse à «
l'appel à la prière »
publié en janvier, plus de soixante
personnes s'offrirent au cours de l'année.
Les extraits suivants de la lettre adressée
à chaque candidat, par
Hudson Taylor, montrent combien il redoutait de
leur part une décision
inconsidérée. Si, après avoir
pris connaissance de cet exposé
fidèle, des faits, les candidats
paraissaient toujours résolus à se
consacrer à la Mission, ils étaient
invites à passer un temps plus ou moins long
à la rue de Pyrland auprès du
directeur de l'oeuvre.
Tout en appréciant les
avantages d'unie bonne éducation, nous
attachons beaucoup plus d'importance aux
qualités spirituelles. Nous désirons
des hommes ayant foi en un Dieu tout puissant et
fidèle et qui, par conséquent, se
confient en Lui. Il nous faut des hommes de
prière, des hommes croyant que la Bible est
la Parole de Dieu et qui, acceptant la
déclaration de Jésus : « Toute
puissance m'est donnée », sont
prêts à obéir de leur mieux au
commandement : « Allez... enseignez toutes les
nations. » Des hommes s'appuyant sur Celui qui
possède cette puissance plutôt que sur
des canonnières étrangères ;
sur Celui qui a promis d'être « toujours
» avec Ses messagers. Des hommes prêts,
par conséquent, à aller jusqu'aux
extrémités de la Chine, en se
reposant uniquement sur le bras de
l'Éternel, Nous désirons des hommes
qui, croyant à l'éternité,
vivent pour elle et se sentent pressés
d'arracher à la perdition les ignorants et
les coupables, comme des tisons, que l'on arrache
du feu.
La Mission reçoit des
dons, mais n'a pas de souscripteurs
réguliers. Elle ne peut donc garantir un
revenu déterminé. Nous ne pouvons
donner à nos missionnaires que ce que Dieu
nous donne... Nous n'envoyons pas des hommes en
Chine en qualité d'agents de notre Mission.
Mais, quant à ceux qui croient que Dieu les
a appelés à cette oeuvre; qui vont
là-bas pour travailler pour Lui et qui
peuvent, cela étant, se confier à
Celui à qui ils appartiennent et qu'ils
servent, pour en obtenir l'aide temporelle
nécessaire, nous sommes heureux de
coopérer avec eux et de leur fournir, s'il
le faut, des fonds pour leur équipement et
leur voyage, ainsi que la mesure d'assistance que
les circonstances demandent et que nous sommes
à même de fournir. Notre foi est
souvent mise à rude épreuve, mais
Dieu s'est montré fidèle et a
toujours pourvu à tous nos besoins, au
moment voulu et de la meilleure
manière.
Il y a en Chine un tiers de la
race humaine, qui a besoin de l'Évangile.
Douze millions meurent, là, chaque
année. Et vous cherchez à être
approuvé de Dieu au risque d'encourir la
désapprobation des hommes; si vous
êtes prêt à supporter
joyeusement la privation de vos biens, et, s'il le
faut, à sceller votre témoignage de
votre sang; si la dégradation morale et la
souillure matérielle des pauvres Chinois ne
vous rebutent pas, vous pouvez compter sur une
belle moisson d'âmes dès, maintenant
et, ensuite, sur la couronne de gloire « qui
ne se flétrit pas », et sur le Cela va
bien du Maître.
Vous vous apercevrez, en rapport
avec la Mission à l'Intérieur de la
Chine, qu'il n'est pas question d'être
partagé entre l'oeuvre et le
monde. Les hommes, les seuls
hommes qui soient heureux au milieu de nous, ce
sont ceux qui mettent le monde sous leurs pieds. Je
n'hésite pas à dire que de tels
ouvriers trouveront un bonheur qu'ils n'auraient
jamais rêvé ou cru possible ici-bas.
Car à ceux qui considèrent toutes
choses comme des ordures à cause de
l'excellence de la connaissance de
Jésus-Christ notre Seigneur, Il se
révélera avec une telle
intensité qu'ils ne pourront pas regretter
leur choix. Si, après réflexion et
beaucoup de prières, vous êtes
disposé à vous consacrer à une
telle oeuvre, je serai heureux d'entrer en relation
avec vous.
Les jeunes gens des deux sexes que
l'esprit de cette lettre encourageait au lieu de
rebuter, et qui arrivaient à la rue de
Pyrland pour une période d'épreuve,
trouvaient là bientôt l'occasion de se
réjouir en Dieu comme en Celui qui entend et
exauce la prière. Ce fut, par exemple, le
cas après le départ de M. Georges
King pour la Chine. Ce jeune homme avait
été l'un des plus fidèles
secrétaires bénévoles d'Hudson
Taylor dans les heures laissées libres par
son travail de bureau. Lorsqu'il ne fut plus
là, il y eut un ralentissement sensible dans
la correspondance. Dix jours après son
départ, le 25 mai, Hudson Taylor en constata
le résultat par une forte diminution dans
les dons reçus. « Demandons au
Seigneur, suggéra-t-il, de rappeler à
quelques-uns de Ses intendants fortunés les
besoins de notre oeuvre. »
Du 4 au 24 mai, on n'avait
reçu que soixante-huit livres sterling.
C'était deux cent trente-cinq livres de
moins que la moyenne ordinaire des dépenses
pendant trois semaines. À la réunion
de prières de midi, cela fut
présenté au Seigneur et la
réponse ne tarda pas. Le même soir, le
facteur apporta une lettre contenant un
chèque que le donateur priait d'enregistrer
comme provenant d'une « vente d'argenterie
». Le montant du chèque était de
deux cent trente-cinq livres, sept shillings, neuf
pence. Aussi la réunion de prières du
lendemain se transforma-t-elle en louange, et
Hudson Taylor, en racontant ce fait, ne put
s'empêcher de s'écrier : «
Confiez-vous à Lui en tout temps, et vous ne
serez jamais confus! »
(1).
Un incident tout aussi remarquable
se produisit tôt après.
C'était au mois de juin ;
revenant de la Convention chrétienne de
Brighton, Hudson Taylor fut accosté à
la gare par un noble Russe, le comte Bobrinsky, qui
avait aussi assisté à ces
mémorables assemblées. Apprenant
qu'Hudson Taylor allait comme lui à Londres,
il lui proposa de monter dans le même
compartiment.
- Mais je voyage en troisième
classe, dit le missionnaire.
- Mon billet me permet d'en faire
autant, répondit courtoisement le
comte.
Quand ils furent en tête
à tête, il tira son portefeuille et
dit à son compagnon : « Permettez-moi
de vous offrir une bagatelle pour votre oeuvre.
»
Un coup d'oeil sur le billet de
banque qu'il recevait fit penser à Hudson
Taylor qu'il y avait là quelque erreur, car
cette « bagatelle » était un
billet de cinquante livres.
- N'aviez-vous pas l'intention de me
donner cinq livres? dit-il aussitôt. Or vous
m'en donnez cinquante. Laissez-moi vous rendre ce
billet.
- Je ne puis le reprendre,
répondit le comte non moins surpris. C'est
bien cinq livres que je comptais vous donner, mais
le Seigneur doit avoir voulu que vous en receviez
cinquante. Je ne puis le reprendre.
Impressionné par cet
incident, il arriva chez lui au moment où se
tenait une réunion de prières. On
devait envoyer de l'argent en Chine et il manquait,
pour parfaire le total jugé indispensable,
quarante-neuf livres et onze shillings. Cette
insuffisance fut l'objet d'une réunion
d'intercession dans laquelle elle fut
présentée au Seigneur en toute
simplicité et en toute confiance. Qu'on juge
de la joie et de la reconnaissance de tous les
assistants, quand Hudson Taylor déposa sur
la table son précieux billet de cinquante
livres! « Quiconque est sage prendra garde
à ces choses et considérera les
bontés de l'Éternel.
»
Un autre et non moins grand
encouragement pour cette vie de foi fut
donné à l'occasion du redoublement
d'intérêt provoqué par le
départ des Dix-huit. Dès les
débuts de la Mission, Hudson Taylor avait
songé à une voie d'accès plus
courte et plus facile vers les provinces de la
Chine occidentale, par la Birmanie et le fleuve
Irrawaddy. Ce projet qui, alors, avait paru
irréalisable, prenait une forme plus
précise, par suite du désir du
gouvernement anglais de développer les
relations commerciales avec ces
provinces. Un voyage officiel d'exploration allait
être entrepris au delà de Bhamo et le
long du cours supérieur de l'Irrawaddy. Un
voyageur qui connaissait bien le pays vint
même auprès d'Hudson Taylor dans sa
chambre de malade pour s'entretenir de tout cela
avec lui. Par une remarquable coïncidence, M.
Stevenson qui, dix ans auparavant, avait
examiné cette idée avec lui, se
trouvait alors en Angleterre et se déclarait
prêt à faire partie de la colonne
expéditionnaire. Le commerce, sans doute,
était intéressé au
succès de cette entreprise, mais l'oeuvre de
Dieu ne l'était pas moins, et la ville de
Bhamo paraissait un admirable point de
départ pour l'établissement d'une
branche occidentale de la Mission. Le Comité
de la Mission, réuni autour du lit d'Hudson
Taylor, fut si vivement impressionné par les
avantages de ce projet qu'il donna son approbation
unanime, et que l'un des secrétaires, M.
Henry Soltau, s'offrit à accompagner M.
Stevenson dans cette entreprise difficile, sinon
hasardeuse.
Des réunions d'adieux, tenues
en différents endroits par MM. Soltau et
Stevenson, excitèrent un très vif
intérêt, entretenu et augmenté
encore par les lettres écrites pendant leur
voyage et publiées dans les journaux. Le
souverain autocratique de la Birmanie reçut
les voyageurs à Mandalay, sa capitale, avec
une remarquable bienveillance et leur permit de
s'installer à Bhamo, où aucun
étranger ne résidait
encore.
On peut rapprocher de ces faits une
décision caractéristique d'Hudson
Taylor, qui le mit à même de diffuser
largement ces nouvelles. Ce fut au printemps de
cette année (mars 1875) que parut pour la
dernière fois la Feuille occasionnelle
trimestrielle racontant l'histoire des voies
miséricordieuses du Seigneur à
l'égard de la Mission depuis son origine. Le
vin nouveau demandait des outres neuves et le
courant de vie et de bénédictions
résultant de l'appel des Dix-huit demandait
à être relaté d'une
façon plus adéquate. Hudson Taylor le
sentit et, quoique la charge d'une revue
illustrée mensuelle tombât sur lui,
recherchant la force divine à ce propos, il
l'accepta comme une part du service auquel sa vie
était consacrée.
C'était une grosse
entreprise. Dans ce temps-là, il n'y avait
pas de journaux illustrés comme aujourd'hui,
et le China's Millions, quand il sortit de presse,
était une nouveauté.
La Birmanie occupait alors une large
place dans les
préoccupations du public.
Les articles et les gravures d'actualité de
la revue, les récits chinois traduits avec
brio pour la jeunesse, les aventures de voyage des
pionniers, les rapports sur les progrès de
l'oeuvre dans les anciennes stations, et surtout
les articles inspirés et inspirateurs dus
à la plume d'Hudson Taylor, étaient
attendus avec impatience et reçus avec
empressement par de nombreux amis de tout
âge.
La santé de notre
missionnaire, rétablie d'une manière
merveilleuse en réponse à tant
d'ardentes prières, lui permettait de
nouveau d'abattre une somme de travail
considérable. Un bref congé de
convalescence, qu'il passa auprès de ses
enfants dans l'île de Guernesey, fut presque
entièrement absorbé par des travaux
de plume. Il s'était réjoui à
la pensée de visiter avec les siens ces
beaux rivages. Or, pendant les quinze jours qu'il y
passa, il ne trouva le moyen de faire avec eux
qu'une seule sortie. Mais les lettres qu'il
expédia en Chine et ailleurs valaient leur
pesant d'or.
Je suis reconnaissant de pouvoir
vous envoyer quatre-vingt-dix dollars,
écrivait-il à l'un des plus jeunes
membres de la Mission. Le Seigneur y pourvoit,
n'est-il pas vrai ? Quel bonheur de se confier en
Lui ! Compter sur le Donateur vaut mieux que de
compter sur Ses dons. je trouve cette vie-là
de plus en plus heureuse.
J'espère que vous
trouverez nos chers auxiliaires indigènes
plus avancés dans la connaissance de la
Parole. Eux ont besoin, pour les aider, de notre
énergie et de notre foi; à nous, il
faut une vie et une puissance venant de Dieu. Lisez
la Parole de vie en priant beaucoup, cher
frère. Nourrissez-vous-en. Entretenez une
sainte communion avec le Seigneur. Et quand vous
trouvez dans cette Parole « de la moelle et de
la graisse » pour votre âme,
communiquez-leur ce que vous avez trouvé.
Vous éprouverez que c'est là un
service béni et saint. Vous n'aurez pas
à semer longtemps de cette manière
avant de vous réjouir des prémices de
votre moisson.
Ne, pouvant, cela va sans dire,
entretenir une correspondance
régulière avec chacun de ses
collaborateurs, il leur adressa, à son
retour à Londres, une lettre circulaire pour
leur faire part de quelques-unes des
précieuses leçons apprises à
l'école de la faiblesse et de la
souffrance.
...Mes lettres ont
été rares, mais chaque jour vous ai
portés sur mon coeur. Non pas une fois ou
deux dans la journée, mais bien
souvent je me suis souvenu de
vous devant Dieu, de vos circonstances et de votre
sphère d'action, pour autant que je les
connais. je voudrais pouvoir vous écrire
à chacun souvent et longuement; mais je me
console en pensant que vous savez que je travaille
pour vous et pour la Chine de toutes mes forces.
Que Dieu vous bénisse, vous et ceux qui vous
sont chers, et toute votre activité, et
puisse-t-Il montrer bientôt qu'Il a vraiment
été à l'oeuvre en vous et par
vous.
En revenant dans mon pays, l'an
dernier, j'espérais faire beaucoup pour la
Chine. Vous savez comment, pendant de longs mois,
je ne pus faire autre chose que de prier. Et quel a
été le résultat ? Dieu a fait,
Il fait actuellement et fera beaucoup plus que je
n'aurais, osé
l'espérer.
Ne tirerons-nous pas de cela une
leçon ? Ne nous déciderons-nous pas
à travailler davantage en Priant, à
cultiver une communion plus intime avec Dieu,
pensant moins à ce que nous faisons
qu'à ce que Lui fait, de sorte qu'Il soit
glorifié en nous et par nous? Si nous
faisons cela, je ne doute pas qu'avant longtemps,
nous en voyions les résultats au sein de
toutes nos Églises, dans la manière
dont nos auditeurs seront prêts à
recevoir notre message et dans la puissance qui
accompagnera notre prédication. Des
âmes en plus grand nombre seront
sauvées, les croyants mèneront une
vie plus sainte, et nous ferons de grands
progrès dans la connaissance de Dieu et dans
notre joie en Lui. Certainement, nous devons vivre
de belles vies, des vies glorieuses, si nous
demeurons en Celui qui est « le premier entre
dix mille », en Celui qui est parfaitement
aimable ! « Le peuple de ceux qui connaissent
leur Dieu sera fort et fera de grands exploits.
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