HUDSON TAYLOR
DIXIÈME PARTIE
LE DIEU DE
L'IMPOSSIBLE...
1872-1877
CHAPITRE 62
Les portes de l'Occident
1876-1877
Quelles étaient donc les clauses de ce
fameux Traité, signé à Chefoo
le 13 septembre 1876? Voici celles qui
intéressaient les pionniers : les
étrangers obtenaient le droit de circuler
dans tous les états de l'Empereur, sous sa
haute protection. On devait les respecter et ne les
gêner en rien dans leurs voyages. Dans toutes
les villes, ces arrangements devaient être
publiés et affichés. Pendant deux
ans, des agents officiels britanniques avaient le
droit de parcourir tout le pays,
spécialement pour s'assurer de
l'exécution de cette clause. En fait, les
représentants de la Mission à
l'Intérieur de la Chine furent les premiers,
et, pendant des années, presque les seuls
étrangers à profiter de cette grande
liberté. Ils allèrent au loin,
parcoururent en tous sens les provinces de
l'intérieur, et
pénétrèrent jusque dans le
Tibet oriental. En dix-huit mois, ils couvrirent
cinquante mille kilomètres, vendant et
distribuant partout des portions de la Bible et des
traités et entretenant avec le peuple des
relations presque constamment amicales. L'on
croyait, au début, qu'ils étaient des
agents du gouvernement, et leur arrivée
produisait quelque effarement dans le monde
officiel. L'on ne s'était guère
hâté de faire les publications
promises et plus d'un mandarin imagina d'occuper
les visiteurs au moyen d'une hospitalité
obséquieuse, pour se donner le temps de
faire placarder la proclamation
négligée.
Tout, cependant, n'était pas
aisé pour les pionniers. Bien que l'attitude
du gouvernement fût favorable, les
préjugés des lettrés
demeuraient les mêmes, ainsi que les
difficultés du voyage. Remarquables furent
à beaucoup d'égards les
expériences des voyageurs qui se
lançaient dans l'inconnu. Nombreux furent
les périls ; mais admirables leur patience,
leur amour des âmes, leur foi en Dieu. Ce qui
les impressionna le plus, ce fut l'empressement du
peuple à écouter et l'écho
éveillé dans les âmes
par les questions spirituelles.
Tant M. Judd dans le Hunan qu'Henry Taylor dans le
Honan ou Easton et Parker en route vers le lointain
Nord-Ouest, ils trouvèrent tous le
même désir d'entendre
l'Évangile et, ici et là, une soif
intense de lumière chez ceux qui cherchaient
la Vérité.
Comme nous parlions de Jésus
et de Ses souffrances pour nos
péchés, écrivait du Honan
Henry Taylor, nous voyions des larmes couler sur
bien des visages.
Ce premier voyage dans le Honan, fait
soit à pied, soit en chariot ou en
brouettes, dura cinquante-six jours. Les routes
étaient cahoteuses et la nourriture frugale.
Les missionnaires, partis à la pointe du
jour, marchaient souvent jusqu'à la nuit,
prêchant le long du chemin ou dans les rues
encombrées des villes, racontant la joyeuse
nouvelle de l'amour rédempteur
(1).
Parmi les cas de conversion les plus
intéressants, citons, dans la ville et le
district de Juning : Wang, le jeune instituteur ;
Hu, le dévot végétarien ; le
vendeur de médecine qui n'avait point de
remède pour un coeur corrompu ; le vieux
lettré qui, la première fois qu'il
entendit parler de Jésus, s'agenouilla
humblement pour demander que ses
péchés fussent placés sur le
divin sacrifice, et qui parut surpris que quelqu'un
pût être indifférent à la
bonne nouvelle d'un tel Sauveur ; et un M. Mu,
homme de lettres lui aussi, dans le coeur duquel se
poursuivait l'oeuvre évidente de l'Esprit de
Dieu. Plusieurs de ceux-là venaient chaque
jour chez le missionnaire, pour lire et prier avec
lui et son compagnon chinois. M. Mu demandait avec
insistance d'être baptisé. Pour le
convaincre d'ajourner son baptême
jusqu'à ce qu'il eût mieux appris ce
qu'est un chrétien, il fallut lui promettre
de revenir, si Dieu le permettait, dans peu de
mois.
À côté de ces faits
encourageants et de la persévérance
dans la foi de beaucoup de ces nouveaux
chrétiens, l'on pouvait enregistrer des
délivrances vraiment providentielles. Ainsi,
lors d'un voyage subséquent, Henry Taylor,
certain qu'il devait abréger sa visite
à Kaifeng, capitale de la province, partit
un jour ou deux plus tôt qu'il n'en avait
l'intention. Longtemps après, il
apprit qu'une foule
d'étudiants étaient venus à
son auberge et ne le trouvant pas, avaient
détruit l'enseigne et auraient mis lé
feu à la maison si les autorités
n'étaient intervenues. Ils s'étaient
mis en embuscade dans diverses parties de la ville.
Quand ils surent que leur attente était
vaine, leur rage ne connut plus de bornes.
Dans une autre occasion, Henry Taylor,
à court d'argent, envoya son aide en
chercher à Hankow et attendit son retour
dans une auberge. À sa vive surprise, une
proclamation parut, défendant, sous peine
des plus sévères châtiments, de
vendre quoi que ce soit à l'étranger.
Le propriétaire de l'auberge n'osait plus,
dès lors, lui procurer aucune nourriture. Ne
sachant que faire, le missionnaire priait, un soir,
dans sa chambre, lorsqu'il entendit derrière
les volets un léger bruit. Non sans quelque
crainte, car dans le Honan les voleurs sont
généralement armés, il
s'approcha de la fenêtre et vit un individu
qui, apparemment, cherchait à s'introduire.
Avant qu'il pût donner l'alarme, l'homme lui
fit signe de se taire, et, fouillant dans sa
ceinture, il en tira un petit pain semblable
à un pouding cuit à la vapeur, puis
un second, un troisième, ainsi
jusqu'à six. Il les lui tendit par la
fenêtre et, sans un mot, disparut dans
l'obscurité. Le lendemain soir, il revint et
fit de même. Le missionnaire voulut lui
offrir le peu de monnaie qui lui restait. «
Inutile », dit-il avec décision. Il
n'osait pas engager une conversation, mais
renouvela fidèlement ses visites
jusqu'à l'arrivée du secours attendu
permettant à Henry Taylor de partir pour la
côte.
Les pionniers auraient pu raconter bien
des incidents et des exaucements. Des lettres
venues des contrées les plus reculées
parlaient de baptêmes pratiqués dans
quelque clair ruisseau de montagne et même de
petites assemblées réunies pour
célébrer la Cène. Cette
activité itinérante avait pour but de
faire connaître en tous lieux la
vérité, avant de songer à
établir une oeuvre plus stable là
où la porte s'ouvrirait. Il faut du temps
pour que des enseignements nouveaux
pénètrent l'esprit des individus ou
des foules. En renouvelant les visites, les
premières impressions laissées
pouvaient être approfondies et les personnes
intéressées instruites peu à
peu. En attendant, l'on se documentait et l'on
cherchait l'indication relative aux endroits
propices à l'installation d'une station. Une
oeuvre permanente, solidement établie,
était bien le but
visé. Mais il fallait les signes d'une
action réelle du Saint-Esprit ; alors
suivraient, éventuellement, une maison
missionnaire et une église. C'était
la raison pour laquelle les voyages devaient
être poursuivis avec
persévérance. Et, lors même que
des personnes intéressées pouvaient
être groupées, et qu'une
localité semblait pleine de promesses, il
s'écoulait souvent beaucoup de temps encore
avant que l'on pût songer à s'y fixer.
Ainsi, dans le Honan, le district de Juning
paraissait spécialement indiqué pour
l'un de ces postes. Lorsqu'ils y revinrent, les
missionnaires trouvèrent une trentaine de
personnes semblant avoir reçu
l'Évangile. Ils en baptisèrent deux,
le jeune Wang et M. Mu qui, par son
témoignage fidèle, avait
été le moyen d'attirer la plupart de
ses autres compatriotes.
Une maison fut louée dans une
petite ville au pied des collines, et six heureuses
semaines s'écoulèrent au milieu du
peuple. Mais les lettrés fomentèrent
des troubles qui durèrent plusieurs jours et
mirent en danger la vie des missionnaires. Ceux-ci
durent enfin quitter la place.
Heureusement Hudson Taylor, qui avait
passé jadis par plus d'une épreuve du
même genre, était arrivé
d'Angleterre et pouvait encourager et guider ses
jeunes collaborateurs.
Pour lui-même, pendant les
premiers mois qui suivirent son arrivée, il
ne put réaliser que très peu des
projets qu'il avait formés. Un
refroidissement, contracté dans la Mer de
Chine, dégénéra en une
sérieuse maladie. Il eut juste la force de
remonter le fleuve jusqu'à Chinkiang et,
là, eut à apprendre de nouvelles
leçons de patience. Bien que sa
présence fût réclamée
dans presque toutes les stations, il ne pouvait
à nouveau faire autre chose que de prier et
d'écrire des lettres.
J'ai peine à réaliser
que je ne puis aller çà et là
comme autrefois, écrivait-il en novembre
à Mme Taylor... La faiblesse qui
m'empêche de me surmener est peut-être
pour moi une très grande
bénédiction.
Mais comment ne pas se surmener ? M.
Fishe, malade, avait dû revenir en Europe en
congé, et il n'y avait personne pour le
remplacer comme secrétaire de la Mission en
Chine. Cela impliquait pour Hudson Taylor de
longues heures de travail de bureau chaque jour, en
plus de sa tâche de directeur de l'oeuvre et
de la rédaction du China's Millions, dont il
demeurait
l'éditeur.
Pendant des mois, il dut vivre
séparé de sa femme, et cet isolement
prolongé fut pénible à l'un et
à l'autre ; mais ils trouvèrent dans
l'amour de leur Dieu une douce compensation. Ce fut
grâce à ce séjour forcé
à Chinkiang qu'il put y accueillir de jeunes
pionniers revenus tout tristes de régions
inhospitalières et qui trouvèrent
auprès de lui la tendre sympathie et le
réconfort dont ils avaient besoin, ainsi
Henry Taylor qui revenait, accablé, du Honan
et Georges Nicoll qu'une émeute avait
chassé d'Ichang.
Malgré l'absence de sa famille et
les entraves douloureuses résultant de sa
mauvaise santé, Hudson Taylor continuait
à se décharger sur le Seigneur de
tous ses fardeaux, au point qu'il pouvait
écrire à M. Hill, en février
1877 : « Je puis me réjouir sept jours
par semaine. » Quand il avait un moment de
repos, il avait l'habitude de jouer sur un petit
harmonium et de chanter les cantiques qu'il aimait,
mais surtout celui qui exprime la douceur du repos,
du repos en Jésus. Plusieurs, dans son
entourage, ne comprenaient pas cette joie et ce
repos alors que ses collaborateurs couraient de
grands dangers. Un jour, des lettres
arrivèrent annonçant de
sérieuses émeutes dans deux stations
différentes. Hudson Taylor, debout devant
son bureau, lut ces lettres, en dit le contenu
à son ami M. Nicoll et déclara qu'un
secours immédiat était
nécessaire. Son jeune collègue allait
se retirer par discrétion quand, à sa
grande surprise, il entendit quelqu'un siffler la
mélodie du cantique bien connu Parlant du
repos en Jésus.
Se retournant aussitôt, M. Nicoll
ne put s'empêcher de s'écrier: «
Comment pouvez-vous siffler, quand nos amis sont en
si grand danger? » « Voudriez-vous me
voir anxieux et troublé? répondit
Hudson Taylor. Cela ne leur servirait à
rien, et me rendrait incapable de faire mon
travail. Je n'ai pas autre chose à faire
qu'à me décharger de ce fardeau sur
le Seigneur. »
C'était là le secret
duquel il vivait jour et nuit, et, souvent, dans la
petite maison de Chinkiang, ceux qui étaient
éveillés à deux ou trois
heures du matin pouvaient entendre le doux refrain
du cantique favori d'Hudson Taylor. Il avait appris
que, pour lui, la seule vie possible était
la vie bénie de celui qui, en toutes
circonstances, peut se reposer et se réjouir
dans le Seigneur, en Lui laissant le soin de
résoudre toutes les difficultés
intérieures ou extérieures, grandes
ou petites.
Si son plus ardent désir
était de porter l'Évangile aux
provinces de l'intérieur, il souhaitait
ardemment que la Conférence des
missionnaires qui devait avoir lieu à
Shanghaï fût bénie et
marquée par un réel esprit
d'unité. jamais les occasions n'avaient
été aussi nombreuses pour
l'évangélisation. jamais non plus
n'avait été plus urgent le besoin de
puissance spirituelle pour les utiliser
judicieusement. Hudson Taylor soupirait
après une avance sur un large front, non
seulement de la Mission à l'Intérieur
de la Chine, mais aussi de toutes les
sociétés missionnaires, et songeait
à lancer un énergique appel aux
Églises d'Angleterre pour obtenir des
renforts. Pour cela il ne fallait pas moins qu'un
merveilleux exaucement de prières. Il
régnait, en effet, un fort esprit de parti
quant à l'épineuse « question du
terme » (2),
et de nombreux missionnaires se proposaient de ne
point participer à cette Conférence,
pressentant qu'elle serait l'occasion de
controverses, sinon de disputes. Cependant la Chine
était ouverte comme jamais auparavant, et
c'était sur une petite troupe de cinq cents
missionnaires que reposait la tâche
écrasante de l'évangéliser.
Quel besoin de puissance, de la vraie puissance du
Saint-Esprit répandue dans des coeurs bien
disposés et unis!
Non seulement Hudson Taylor priait, mais
il agissait aussi et faisait tout ce qu'il
était possible pour écarter les
malentendus. Il savait que les méthodes et
l'oeuvre de la Mission à l'Intérieur
de la Chine étaient, dans beaucoup de
milieux, l'objet de très vives critiques. On
lui reprochait d'employer comme pionniers des
hommes jeunes dont l'ignorance et
l'inexpérience pouvaient sérieusement
compromettre la cause de l'Évangile. Hudson
Taylor le comprenait lui-même, et nul plus
que lui n'eût vu avec joie d'anciens
missionnaires entreprendre cette oeuvre de
défrichement. Hélas! tous
étaient retenus par les devoirs pressants de
leur ministère dans les anciennes stations,
et aucun d'eux ne s'était levé pour
s'élancer en avant. Fallait-il donc se
résoudre à laisser inutilisé
le fait que la Chine était maintenant
ouverte d'une extrémité à
l'autre? Après avoir demandé si
longtemps à Dieu d'envoyer les ouvriers
nécessaires et après les avoir
reçus de Lui, fallait-il se désister?
Il ne le pensait pas, mais s'efforçait
d'adjoindre aux jeunes
évangélistes quelques hommes plus
âgés ou même des
chrétiens chinois expérimentés
et dignes de confiance. D'ailleurs,
n'était-ce pas en travaillant que ces jeunes
gens acquerraient l'expérience qui leur
manquait encore, et cette lacune
n'était-elle pas compensée par leur
vigueur physique, intellectuelle et morale, et par
l'ardeur de leur zèle, de leur amour et de
leur foi ? Si ceux qui les critiquaient pouvaient
les voir à l'oeuvre et les entendre raconter
les grandes choses que Dieu se plaisait à
accomplir par leur moyen, leurs objections feraient
bientôt place à une cordiale
sympathie. Il n'avait aucun doute à ce
sujet.
Un chef moins humble, ou moins attentif
aux directives divines, aurait pu négliger
des critiques dépourvues d'amour et
s'absorber dans l'oeuvre qu'il avait
créée. Mais il avait appris a ne pas
se se rechercher soi-même, et son
désir était d'employer sagement et
pour la gloire de Dieu les occasions magnifiques
dans lesquelles il voyait un exaucement aux
prières de la moitié de sa vie. Il
savait que les frères dont les vues
étaient les plus éloignées des
siennes pouvaient avoir, autant que lui, un
sincère désir de l'avancement du
Royaume de Dieu. Il avait un sentiment profond de
l'unité du corps de Christ et comprenait que
tous les membres de ce corps sont solidaires et ont
besoin les uns des autres. Le travail de pionnier
de la Mission à l'Intérieur de la
Chine, comparable à la main, pouvait
atteindre à une certaine distance avant les
autres membres, mais, pour obtenir davantage, il
était nécessaire que le corps tout
entier avançât Une grande partie de sa
tâche, et non la plus aisée,
consistait donc à s'efforcer, en toute
humilité et patience, d'entraîner ses
frères dans le nouveau mouvement en avant
auquel il se sentait appelé par Dieu. Sans
doute il lui eût été beaucoup
plus facile de marcher seul sans s'inquiéter
des autres ; mais comment, dans un organisme vivant
où chaque membre est relié au tout,
une telle indépendance pourrait-elle
être pratiquée ?
Plein de ces pensées, Hudson
Taylor, dès que sa santé le lui
permit, alla de Chinkiang au nouveau centre de la
Mission, à Wuchang. M. Judd venait de partir
avec un des pionniers pour la lointaine capitale du
Kweichow, et il fallait le remplacer. Il y avait
aussi plusieurs questions importantes à
examiner, entre autres le moyen de rester en
contact avec les ouvriers les plus
éloignés, de façon à
leur procurer les ressources nécessaires.
Pendant plusieurs semaines, Hudson
Taylor put bénéficier de
l'expérience et des conseils de M. McCarthy,
qui se préparait à entreprendre un
des plus remarquables voyages accomplis en Chine.
Bien qu'il fût difficile de se passer de lui,
Hudson Taylor se réjouit de son projet,
presque autant que s'il eût dû
l'exécuter lui-même, et nombreuses
furent les heures consacrées par les deux
amis à des entretiens et à la
prière en faveur de cette tentative hardie
(3).
Se souvenant de leurs propres
épreuves spirituelles, ils désiraient
aider leurs jeunes collaborateurs dans leur
tâche difficile et périlleuse. Hudson
Taylor avait à coeur depuis longtemps de
réunir le plus grand nombre possible de
jeunes missionnaires pour une Convention d'une
semaine. En fixant le départ des derniers
groupes, il avait fait en sorte qu'ils revinssent
à une date déterminée. Tout en
considérant ces choses avec M. Mc Carthy,
ils virent, dans cette Convention, l'occasion d'un
rapprochement souhaitable avec les missionnaires
des autres Sociétés. À Hankow,
de l'autre côté du fleuve, en face de
Wuchang, il y avait une nombreuse communauté
missionnaire et, si des rencontres en commun
pouvaient avoir lieu, un grand pas serait fait
au-devant d'une bonne entente, ce qui serait une
excellente préparation a la
conférence plus générale de
Shanghaï.
Les missionnaires wesleyens et ceux de
la Mission de Londres firent à cette
suggestion une réponse si cordiale qu'Hudson
Taylor y vit déjà un exaucement de
ses prières. Il résolut de profiter
de toutes les occasions pour nouer des relations
avec ses collègues des autres Missions et
surtout avec ceux dont il connaissait les
dispositions peu bienveillantes à
l'égard de la Mission, à
l'Intérieur de la Chine. Ses occupations
absorbantes ne lui laissaient pas beaucoup de temps
pour cela, mais il comprit qu'il y avait là,
pour lui, un appel du Seigneur
Lui-même.
Un soir donc qu'il se trouvait à
Hankow, il fut heureux d'être
retenu jusqu'à une heure
trop avancée pour retraverser le fleuve.
Avant qu'il pût atteindre. l'autre rive, les
portes de la ville seraient fermées et, sans
ses effets de nuit, il lui était difficile
d'aller coucher dans une auberge. Il n'avait
d'autre ressource que d'aller demander
l'hospitalité chez un collègue. Il
alla frapper à la porte de l'un d'entre eux,
qu'il connaissait très peu, mais qu'il
savait mal disposé à son égard
et à l'égard de la Mission.
Très simplement, il lui exposa son cas et
demanda si l'on voulait bien le recevoir pour la
nuit. La courtoisie chrétienne n'admettait
qu'une réponse et la voie fut ouverte ainsi
à des relations amicales. Hudson Taylor
savait écouter aussi bien que parler, et la
conversation qui s'engagea et s'orienta
bientôt vers les choses spirituelles fut
très bienfaisante. Le missionnaire, conquis
par l'amabilité de son hôte, saisit la
première occasion de, dire « qu'il
n'eût jamais cru que M. Taylor fût un
homme aussi excellent ».
La même expérience se
répéta lorsque Hudson Taylor
descendit le Yangtze pour visiter les stations et
faire certains arrangements concernant le district
de M. McCarthy. Là où il rencontrait
des missionnaires appartenant à d'autres
sociétés, il s'intéressait
à leur travail. Il passa notamment un
dimanche avec M. David Hill à Wusueh.
À Kiukiang, il noua d'heureuses relations
avec les missionnaires américains, et logea,
semble-t-il, dans une maison
indigène.
Le vent est violent et froid,
écrivait-il à Mme Taylor au cours de
cette visite. J'écris près d'une
fenêtre dans un grenier obscur. Ma chaise n'a
pas trente centimètres de hauteur et,
cependant, bien qu'assis, ma tête touche les
tuiles. Les grêlons qui ont traversé
le toit cette nuit forment un tas d'un
demi-mètre carré. J'ai écrit
jusqu'à trois heures du matin avec les
doigts tout engourdis. L'homme naturel ne jouit pas
de ces choses, mais mon coeur se réjouit de
ce que permet mon Père, et je ne puis
m'empêcher de chanter : « Quel ami nous
avons en Jésus », car c'est vrai,
n'est-ce pas ?
J'ai écrit au Missionary
Recorder, continuait-il quelques jours plus tard,
pour demander que l'on prie d'une façon
toute spéciale pour que nous recevions une
effusion de l'Esprit de Dieu, non seulement
à la Conférence, mais auparavant,
afin que nous nous y rendions tous
déjà enrichis, et non seulement dans
l'espérance d'une
bénédiction.
Le sol est dur, disait-il encore,
et pour réussir, il faut des hommes
complètement consacrés. La recherche
de ses aises n'est pas permise
ici. L'on a besoin d'hommes aimant la Croix.
Où les trouvera-t-on ? Hélas,
où ? Oh ! que Dieu nous donne, à toi
et à moi, cet esprit, et que notre
prière soit : « Seigneur, que veux-tu
que moi je fasse ?... »
Il y a en ce moment, en Chine,
des perspectives si favorables que jamais il n'y en
a eu ou il n'y en aura de semblables. Aussi
longtemps que dure l'effet des proclamations
impériales (et dans très peu de mois
cet effet s'atténuera), des semaines
suffiront pour un travail qui nécessitait
jadis des mois ou des années.
Les portes longtemps fermées
s'ouvraient en effet de toutes parts. Vers le Nord
et jusque vers le lointain Nord-Ouest, les
pionniers s'avançaient. M. McCarthy
approchait déjà de la province
occidentale du Szechwan, plus grande à elle
seule que toute la France et beaucoup plus
peuplée. MM. Judd et Broumton avaient
réussi à louer un immeuble dans la
capitale du Kweichow
(4), à
mille trois cents kilomètres au sud-ouest de
la station missionnaire la plus proche, tandis que,
de Bhamo, MM. Stevenson et Soltau avaient fait de
lointaines tournées dans les collines de
Kahchen, d'où une descente de deux ou trois
heures aurait suffi pour les amener en territoire
chinois (5).
À son ami intime M. Berger, dont les
prières s'étaient si longtemps unies
aux siennes pour obtenir les développements
mêmes dont il était le témoin,
Hudson Taylor avait écrit récemment
:
Ce sera pour vous une joie peu
ordinaire d'apprendre que nos prières sont
exaucées déjà au point que
l'oeuvre est commencée dans six des neuf
provinces visées. Vous aurez appris que
Stevenson et Soltau n'ont pas obtenu la permission
de pénétrer dans le Yünnan.
J'espère que ce retard n'est que
momentané et que le chemin s'ouvrira
d'autant plus dans la suite. Quel repos de savoir
que Dieu sait comment poursuivre Son oeuvre !
Risquons-nous de nous tromper en nous confiant en
Lui pour obtenir ce qui Lui est si facile : fournir
les hommes et les moyens nécessaires
à la poursuite et à l'extension de
cette oeuvre ? Mon coeur répond avec joie :
« Non », bien que je Le connaisse encore
trop peu; et, de plus, Sa Parole déclare :
« Celui qui n'a point épargné
son propre Fils... ne nous donnera-t-il pas toutes
choses librement avec lui ? »
Ainsi, plein de reconnaissance et
d'espoir, Hudson Taylor retourna à Wuchang
pour recevoir les pionniers venus pour la petite
Convention. Dix-sept membres de la Mission à
l'Intérieur de la Chine arrivèrent
des stations les plus éloignées,
comme aussi des stations sur le fleuve, et une
douzaine de missionnaires de Hankow se joignirent
à eux. La responsabilité des
réunions incombait tout entière
à Hudson Taylor. Comme toujours dans les
moments de besoins urgents, un jour fut mis
à part pour la prière et pour le
jeûne. Lui-même et ses compagnons de
travail étaient à l'unisson pour
appeler une effusion de la vie divine qui
balayât de leur propre coeur toute froideur,
tout esprit de critique et toute
mésintelligence. Tous aspiraient à
être revêtus de la puissance d'En-haut
pour la grande oeuvre à
accomplir.
Admirable fut la réponse
à ces prières dans les jours qui
suivirent. Dans la serre de M. Judd, située
au flanc de la colline, et dans la chapelle de la
Mission de Londres, de l'autre côte du
fleuve, la présence de Dieu se fit sentir
d'une manière évidente. « Prenez
le temps d'être saint », tel fut, en
résumé, le message du Dr Griffith
John, suivi d'allocutions d'Hudson Taylor et
d'autres participants sur les problèmes
essentiels, les problèmes intérieurs,
spirituels, de la vie missionnaire. Beaucoup de
temps fut consacré à la
prière, surtout en faveur des provinces
inoccupées. Les récits des jeunes
évangélistes, faits avec une grande
simplicité, provoquèrent la plus
profonde sympathie. Ces jeunes gens étaient
sans doute encore inexpérimentés,
mais leur joyeux optimisme et leur confiance
entière au Dieu qui se plaît à
réaliser l'impossible, étaient aussi
contagieux que bienfaisants.
Je remercie Dieu pour M. Taylor;
je remercie Dieu pour la Mission à
l'Intérieur de la Chine; je remercie Dieu
pour ces frères plus jeunes, dit le Dr John
à la réunion de clôture, et,
ajouta-t-il, je suis sûr d'exprimer le
sentiment de tous les missionnaires de
Hankow.
Trois semaines plus tard devait
avoir lieu la Conférence
générale de Shanghaï, et Hudson
Taylor, après avoir renvoyé à
leur tache les jeunes pionniers pleins d'une force
et d'un courage renouvelés, se disposa
à se rendre à la côte, ou il
pensait bien que des difficultés
l'attendaient. Il avait à lire un travail
sur l'itinérance au loin et auprès,
comme moyen d'évangélisation. Ce
sujet, plus que tout autre, lui
tenait à coeur, mais il savait
qu'après la « question du terme »,
son travail provoquerait les plus grandes
divergences de vues, sinon des sentiments
d'amertume. Son hymne favori,
célébrant le repos en Jésus,
fut souvent chanté dans la petite maison
où s'entassait le contingent de la Mission
à l'Intérieur de la Chine et, en
dépit de la gravité des
circonstances, son esprit fut gardé en
paix.
Une fois de plus la prière de
la foi triompha, et ce qui semblait impossible
s'accomplit. La « question du terme »
fut, d'un consentement unanime, laissée en
dehors des délibérations, et le
travail d'Hudson Taylor, comme le constatait le
journal The Celestial Empire, « éveilla
le plus profond intérêt chez ses
auditeurs ». Depuis le discours d'ouverture du
Dr John, qui fit un plaidoyer pressant et puissant
en faveur d'une vie inspirée tout
entière par le Saint-Esprit, jusqu'à
l'appel unanime de la Conférence «
à tous les comités de mission, aux
universités et aux Églises du monde
entier », tout fut un sujet d'actions de
grâces.
C'est une conférence riche
en bénédictions pour le peuple
chinois, écrivait Hudson Taylor, le pas le
plus important que les missions en Chine aient
jamais fait.
Après deux semaines de
communion fraternelle
(6) on se
sépara « comme des membres d'une
même famille qui ne se trouveront plus
réunis sur la terre ». Aucune note
discordante ne se fit entendre. Même le
vêtement chinois d'Hudson Taylor et de ses
collègues ne choquait plus, et le mouvement
en avant qu'ils représentaient avait conquis
la confiance, la sympathie et les prières de
la plupart des assistants, sinon de tous.
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