HUDSON TAYLOR
D0UZIÈME PARTIE
LA MARÉE
MONTANTE
1881-1887
CHAPITRE 68
Plus que tout ce que vous demanderez
1883-1884
Paris... et Pâques!... Combien peu M. et
Mme Taylor eussent pensé que leur longue
séparation se terminerait enfin là.
Même le jour passé à Cannes fut
long pour le voyageur, lorsqu'il sut qui venait
à sa rencontre. Avant de quitter la Chine,
il avait été vivement
impressionné par la lecture de la
prophétie de Sophonie et
particulièrement par le dernier chapitre et
sa magnifique révélation de l'amour
de Dieu : « L'Éternel, ton Dieu, est au
milieu de toi, comme un héros qui sauve : il
fera de toi sa plus grande joie, il gardera le
silence dans son amour, il aura pour toi des
transports d'allégresse. »
Tout le passage m'avait
été en grande
bénédiction, disait-il, mais ce ne
fut qu'à mon arrivée à Paris
que je compris la pleine signification de ces
derniers mots. Là, je fus rejoint par ma
bien-aimée femme, après une
séparation de quinze mois. Tandis que nous
étions assis côte à côte
dans la voiture et quoique nous eussions tant de
choses à nous dire, je ne pouvais que
presser sa main en silence ; la joie était
trop forte pour s'exprimer. Alors cette
pensée me vint à l'esprit : si
l'amour humain est un symbole de l'amour divin,
quelle doit être la grandeur de celui-ci
puisque, de Dieu même, il est écrit
qu' « Il garde le silence dans son amour
» ? Notre confiance rend possible la
manifestation de cet amour. Quel dommage de lui
faire obstacle !
Rentré chez lui à la fin
de mars, Hudson Taylor pouvait prendre part aux
réunions du printemps et de
l'été. Il se rendit compte rapidement
de la place nouvelle accordée à la
Mission dans l'estime du public chrétien.
Les huit années de labeur infatigable de M.
Broomhall avaient suscité la confiance et
gagné des amis. De plus, le succès
des pionniers, hommes et femmes, dans
l'intérieur du pays, avait été
le sujet d'ardentes actions de grâces. En
maints endroits l'on désirait apprendre
comment l'impossible s'était
réalisé ; comment, sans appel de
fonds et sans collectes,
l'oeuvre avait été maintenue et
comment, dans les parties les plus reculées
de la Chine, de petits groupes de convertis avaient
été formés. Des
réunions, de tous côtés,
réclamèrent bientôt le chef de
la Mission, l'homme modeste si plein d'assurance en
son Dieu fort!
La correspondance des deux années
de son séjour en Angleterre offre à
cet égard le plus vif
intérêt.
À lui, qui ne l'avait jamais
recherchée, était acquise
désormais l'affectueuse estime des riches et
des pauvres, des jeunes et des vieux.
Si vous n'êtes pas encore mort,
disait la charmante lettre d'un enfant de
Cambridge, je désire vous envoyer l'argent
que j'ai économisé pour aider les
petits garçons et les petites filles de
Chine à aimer Jésus.
Lord Radstock écrivait du
Continent :
Recevez toute mon affection dans le
Seigneur; vous nous êtes d'un grand secours
en Angleterre, car vous fortifiez notre
foi.
Andrew Bonar transmit cent livres
sterling envoyées par un ami
presbytérien inconnu « qui pense au
pays de Sinim ». Spurgeon lui adressa une
invitation à parler au Tabernacle.
De tout coeur, je me joins à
vous pour demander soixante-dix nouveaux ouvriers,
écrivait M. Berger en envoyant cinq cents
livres sterling, mais ne vous arrêtez pas
à ce chiffre ! Nous verrons certainement de
plus grandes choses que celles-ci, si nous ne
cherchons que la gloire de Dieu et le salut des
âmes.
Des lettres de gentilshommes invitaient
Hudson Taylor dans leurs châteaux, et de
vieilles domestiques, après son
départ, envoyaient leurs dons pour la Chine.
Par-dessus tout, d'autres messages parlaient de
bénédictions reçues au cours
des réunions non seulement grâce
à ses discours, mais à sa
personnalité et à son esprit.
C'était vers l'homme
lui-même que nous étions
attirés, écrivait l'un de ses
nouveaux amis, M. J. J. Luce. Ce qu'il était
donnait une force irrésistible à ce
qu'il faisait... Il y avait en lui une telle
richesse de foi, de connaissance de Dieu et
d'expérience chrétienne que l'on ne
se sentait qu'un nain, en comparaison.
Je n'oublierai jamais une
réunion tenue dans notre salle
d'école; un groupe de jeunes gens
l'entouraient tandis qu'il racontait simplement ses
années d'études et sa
préparation pour l'oeuvre à laquelle
Dieu l'appelait en Chine. J'étais comme
écrasé; il me semblait que je n'avais
jamais renoncé à rien pour
Jésus-Christ, que je n'avais jamais appris
à me confier en Lui. Il me fallut demander
à M. Taylor de s'arrêter : mon mur se
brisait. Nous n'étions que douze. Mais trois
d'entre nous partirent pour la Chine comme fruit de
cette soirée.
Quand M. Taylor commença
à parler, écrivit une darne, une paix
profonde m'envahit; je compris un peu ce que
signifiait le mot de consécration et, tandis
que je m'abandonnais à Dieu,
l'espérance, la lumière, la joie
pénétrèrent dans mon âme
comme un flot que le temps n'a pas
tari.
Quand il parlait, disait M. Luce,
vous pouviez être assurés qu'il ne
faisait aucun appel de fonds. Souvent, je l'ai
entendu répéter que son désir
était de ne détourner vers la Chine
aucune des ressources des autres
Sociétés... Au lieu de désirer
recevoir quelque chose de vous, il était
toujours prêt à vous donner... Son
coeur et son esprit étaient remplis de ce
désir.
À la Conférence de
Salisbury, le chanoine Thwaites fut surtout
impressionné par l'humilité d'Hudson
Taylor ou plutôt « par la manière
dont Dieu le revêtait d'humilité
». Et cependant, il y avait de la puissance
dans ses discours, la puissance du Saint-Esprit,
« intense, presque redoutable ». À
la réunion de louange qui termina la
Conférence, aucune allusion ne fut faite
à la Mission à l'Intérieur de
la Chine et pourtant des vies furent
consacrées à la Chine. Bien qu'il n'y
eût pas de collecte, des gens vidèrent
leurs bourses, se débarrassèrent de
leurs bijoux, donnèrent montres,
chaînes, bagues, et leur propre vie pour le
service de Dieu.
Son temps et ses forces étaient
si complètement absorbés par ces
réunions qu'il est surprenant qu'il ait pu
poursuivre sa correspondance et sa tache de chef de
la Mission. Deux volumes manuscrits nous prouvent
à cet égard qu'il ne
négligeait cependant rien, ni en Chine, ni
au pays. L'un de ces volumes contient une liste de
lettres échangées avec la Chine,
portant la date de réception, celle de la
réponse, ainsi qu'un résumé de
leur contenu. L'autre volume, rempli de la
même façon, concerne la correspondance
relative au travail en Angleterre. On peut calculer
par ce moyen qu'en dix mois passés en
voyages constants, Hudson Taylor
avait personnellement reçu et envoyé
deux mille six cents lettres, Mme Taylor ayant
été souvent, là encore, sa
précieuse collaboratrice.
Beaucoup de ses pensées portaient
aussi un problème capital, qui était
l'objet de ses prières, celui de
l'organisation de la Mission et surtout de son
organisation indigène. De tous
côtés, Hudson Taylor cherchait
à se documenter sur les moyens de
préparer son développement prochain
et, cinq mois après son arrivée en
Angleterre, il envoyait à tous les membres
de la Mission un message soigneusement
préparé pour leur communiquer ses
intentions et solliciter leur avis
(1).
Pendant ce temps, en Chine, les besoins
de renfort devenaient plus pressants. Cinq
missionnaires seulement avaient été
envoyés dans les trois premiers mois de
l'année, mais quinze se mirent en route dans
les mois suivants et beaucoup de candidats nouveaux
entrèrent en rapport avec la
Mission.
Nous attendons avec
anxiété des nouvelles des
soixante-dix, écrivait du Shansi M. Easton.
Nous croyons que des frères qualifiés
et au coeur chaud pourront nous
rejoindre.
De Taiyüan, la capitale de la
province voisine, le Dr Schofield adressait l'appel
suivant :
Nous prions tous les jours pour les
Soixante-dix et j'espère qu'au moins quatre
d'entre eux seront pour notre province. À
une ou deux journées de voyage sont trois ou
quatre villes où nous avons de vieux
malades, trois d'entre eux atteints de double
cataracte, mais qui peuvent fort bien recouvrer la
vue. Quelques-uns sont non seulement
reconnaissants, mais bien disposés pour
l'Évangile.
Il ne disait pas combien son coeur
était oppressé à la
pensée de ce grand pays qui attendait, avec
ses millions d'habitants ; combien d'heures il
dérobait chaque jour au repos pour les
consacrer à la prière, demandant
à Dieu d'envoyer des ouvriers ; combien, par
un travail excessif, il était devenu non
seulement le médecin qui faisait des
merveilles, en rendant la vue aux aveugles et
presque en ressuscitant les morts, mais l'homme
porteur de bonne nouvelle, le prédicateur
infatigable, au coeur plein d'amour.
Quelques jours après avoir
écrit ce message, il mourait de la
diphtérie contractée en soignant un
malade : il mourut pendant qu'il priait. Les
derniers mois de son court ministère de
trois ans - les trois plus belles années de
sa vie, comme il le disait souvent - avaient
été, malgré ses travaux
absorbants. hantés par le besoin de la
prière. La demande qu'il adressait à
Dieu était qu'Il touchât le coeur des
étudiants de nos universités et qu'Il
suscitât, pour Son oeuvre parmi les
païens, des hommes instruits et
dévoués. Il n'y avait alors aucune
fédération d'étudiants
chrétiens. Mais, étudiant
distingué, ayant obtenu de brillants
succès en de nombreux concours, il savait la
valeur d'une instruction complète. Il lui
fut souvent reproché de sacrifier à
la mission un bel avenir ; aussi, il demandait
particulièrement pour ses frères les
intellectuels l'effusion d'un esprit nouveau plus
en harmonie avec Celui qui s'était
abaissé Lui-même afin que les hommes
qui périssent puissent vivre.
Ce fut le 1er août que le Dr
Schofield mourut pour l'oeuvre qu'il avait tant
aimée, mais les prières de ses
derniers mois ne furent point inutiles. Le jour
même de sa mort, Hudson Taylor, qui
l'ignorait, reçut une lettre d'un jeune
officier d'artillerie qui, depuis quelque temps
disait-il, songeait à s'offrir pour la
Chine. Il demandait une entrevue et signait sa
lettre : D. E. Hoste. Il ne se doutait pas que,
bien des années plus tard, il remplacerait
Hudson Taylor à la tête de la Mission.
La lettre de M. Hoste, la venue de Stanley P.
Smith, étudiant au Collège de la
Trinité, célèbre par ses
exploits de rameur, la vocation de ses camarade qui
formèrent la fameuse équipe des
« sept de Cambridge » et furent le moyen
d'un réveil au sein des universités
en Angleterre, et aux Etats-Unis, tout cela
n'était-il pas la réponse de Dieu aux
saintes intercessions d'un coeur plein de foi, en
communion étroite avec Lui?
J'ai quelquefois pensé,
écrit l'auteur du livre
L'Évangélisation du monde, que ces
prières étaient la plus grande oeuvre
de la vie de Schofield et, qu'ayant ainsi
prié, il avait achevé ce que Dieu lui
demandait avant de lui accorder Son
éternelle récompense.
Mais si l'année 1883 fut
mémorable, que dire de 1884 et du mouvement
dans lequel ces jeunes hommes entrèrent? Ce
fut un flot montant de puissance spirituelle et de
bénédictions ; une année
d'activité intense pendant laquelle Hudson
Taylor sembla remplir la tâche de dix. Une
année où la sympathie et les dons
affluèrent plus que jamais ; une
année de moisson, du point de vue des amis
nouveaux et des collaborateurs, et, par-dessus
tout, une année d'étroite et
constante dépendance de Dieu. Ce fut la
dernière des trois années au cours
desquelles les soixante-dix devaient être
donnés, suivant la mesure de la foi qui les
recevrait de la main du Seigneur. Et ils furent
donnés, avec une magnificence royale, car la
plupart de ceux qui s'embarquèrent à
la fin d'octobre furent en surplus. Quarante-six
partirent pendant les douze mois et la
qualité des ouvriers fut aussi remarquable
que leur nombre.
Ici, nous pouvons attirer l'attention
sur quelques-unes des influences extérieures
qui contribuèrent aux résultats de
cette merveilleuse période et de celles qui
suivirent. Au premier rang il faut placer la
seconde visite de Moody et de Sankey en
Grande-Bretagne. Les fondations de la Mission
à l'Intérieur de la Chine furent
posées, nous l'avons vu, en un temps
où la vie spirituelle des Églises
avait été admirablement
stimulée par le grand réveil de
18,59. La première visite de Moody en 1873
avait mis en relief le devoir suprême de
gagner des âmes, préparant ainsi la
voie à plusieurs mouvements progressifs, y
compris l'appel des Dix-huit et l'ouverture de
l'intérieur de la Chine. Et maintenant qu'un
nouveau stade allait être franchi par
l'oeuvre missionnaire, le coeur de l'Angleterre
chrétienne était remué jusque
dans ses profondeurs par une démonstration
pratique et irrésistible de la puissance de
l'Évangile. Qui dira ce que la mission en
terre païenne doit à ces
évangélistes
consacrés?
Puis ce fut un simple livre, qui
glorifiait Dieu. Publié plusieurs
années auparavant, sous ce titre : Les
besoins spirituels et les droits de la Chine, il
était doué d'une puissance
vivifiante. Plusieurs éditions successives
s'écoulèrent et toujours la
même influence profonde
jaillissait de ses pages. Dieu l'avait
employé pour appeler à Son service de
nombreux ouvriers et, maintenant, soigneusement
révisé et augmenté, il allait
parcourir une nouvelle carrière dans son
attrayante édition de 1884
Ce livre eut un grand retentissement,
écrivait M. Stevenson, qui venait de rentrer
de Birmanie... Beaucoup de nouveaux amis furent
gagnés à la Mission par son moyen, et
les dons arrivèrent sans
interruption.
Ce fut un temps de
développement remarquable. Partout des
occasions magnifiques s'offraient à nous...
C'était chose si nouvelle que de pouvoir
parler d'une Chine ouverte d'un bout à
l'autre, et la grande carte que nous avions
toujours avec nous était si éloquente
! Le voyage de McCarthy tout au travers de la Chine
suscitait un intérêt exceptionnel.
Pour ce qui me concerne, j'avais traversé la
Chine de Bhamo à Shanghaï. Personne
d'autre n'a semblable histoire à raconter,
car aucune mission ne possède des stations
dans l'intérieur.
Cependant, ce fut dans la prière
que l'oeuvre s'accomplit en réalité.
Sans bruit, la vie spirituelle était
entretenue au coeur de la Mission. jamais les
réunions de prières n'eurent plus de
puissance. Quand la petite troupe de Mlle Murray
arriva de Glasgow, se rendant en Chine, ce ne fut
pas une petite affaire que de recevoir tous ceux
qui se réunirent un samedi
après-midi. Beaucoup de vieux amis se
trouvèrent là, en particulier
Reginald Radcliffe, brûlant d'une sainte
ardeur. M. McCarthy vint d'Écosse,
enthousiasmé par les scènes qu'il
avait vues. MM. Hoste et Stanley Smith
l'accompagnaient. Mais il n'y eut aucune agitation
; la présence de Dieu était trop
réelle et le sentiment des
responsabilités trop profond pour
cela.
Au milieu de ces circonstances
mémorables, M. et Mme Taylor eurent à
envisager encore une longue séparation. La
répartition de tant de nouveaux ouvriers
réclamait la présence du directeur de
la Mission en Chine, tandis que sa femme ne pouvait
quitter son foyer. Lui-même semblait
nécessaire en Angleterre où des
portes s'ouvraient de tous côtés ;
mais c'était en Chine que devait se livrer
le combat et qu'il fallait initier les recrues au
service qui les attendait. Aussi, à nouveau,
la séparation eut lieu. Hudson Taylor partit
dans les dispositions dans lesquelles se trouvait
Livingstone lorsqu'il traçait ces mots dans
son journal, notant l'un de ses derniers
anniversaires solitaires en Afrique :
« Jésus, mon Roi, ma Vie,
mon Tout, je me consacre tout entier à Toi.
»
Il se préparait à partir
avec un groupe de jeunes hommes parmi lesquels
étaient MM. Hoste, Stanley Smith et Cassels,
quand un revirement inattendu se produisit qui
renversa tous ces plans si bien
établis.
Dans son Histoire de la Church
Missionary Society, M. Eugène Stock parle de
« l'extraordinaire intérêt
qu'éveilla la nouvelle du départ,
pour la mission, du capitaine des Onze et du
premier rameur de l'équipe de Cambridge
». Lorsqu'elle parvint à
Édimbourg, elle émut
profondément un groupe d'étudiants en
médecine qui, durant des mois, avaient
souffert de l'indifférence de leurs
condisciples envers la question religieuse. Une
série de réunions à Oxford et
à Cambridge venaient de gagner à
Hudson Taylor et à ses compagnons les
sympathies des étudiants, mais les
missionnaires, tout à leurs
préparatifs de départ, ne pouvaient
suivre ce mouvement. Ce fut alors que,
providentiellement, entra en scène Reginald
Radcliffe, le fervent évangéliste
dont la paroisse était le monde et qui avait
soif de voir l'Évangile prêché
à toute créature.
Aimant l'Écosse d'un amour
particulier, il désirait mettre les
missionnaires en contact avec le monde des
étudiants et, avec l'assentiment d'Hudson
Taylor, il écrivit au professeur Simpson
pour lui proposer la visite à
Édimbourg de Studd et de Stanley Smith
(2).
La proposition fut accueillie avec
reconnaissance, en un moment où des
étudiants en médecine cherchaient
à plaider, devant leurs camarades, la cause
de Jésus-Christ.
Beaucoup avaient entendu parler de
Stanley Smith, écrivait le professeur
Charteris et le nom de Studd était familier
à quiconque savait quelque chose du criket.
Aussi le mot d'ordre fit-il le tour de nos salles
de cours : « Allons saluer les athlètes
missionnaires ! » Ceux-ci s'adressèrent
à un millier d'hommes. Partout Smith
eût été remarqué comme
orateur - il avait une puissance extraordinaire de
pensée, d'imagination et
de parole; d'ailleurs, tout homme, même moins
ardent que lui, eût été
électrisé par l'auditoire auquel il
racontait comment l'amour du Christ l'avait
contraint à abandonner tous ses projets
d'avenir pour partir au loin, en Chine,
prêcher l'Évangile. Studd, lui,
n'avait pas les dons d'un orateur, mais jamais, sur
le terrain, il n'atteignit mieux son but que dans
le viril récit de la manière dont
Dieu l'avait conduit, pendant des années, de
degré en degré, jusqu'à ce
qu'il fût prêt à quitter
père et mère, famille et amis, pour
l'amour de son Sauveur.
Les étudiants furent
bouleversés. Les deux orateurs à
l'énergique attitude étaient si
heureux, parlaient avec tant de naturel que,
lorsqu'ils eurent achevé, des centaines de
jeunes gens les entourèrent pour serrer
leurs mains, les suivirent jusqu'au train qui
devait les conduire à Londres et se tinrent
sur le quai, criant, au moment du départ :
« Que Dieu vous protège !
»
Ce ne devait pas être tout. Des
invitations pressantes à retourner en
Écosse affluaient, provenant en particulier
des étudiants d'Édimbourg ; elles
exprimaient l'espoir qu'Hudson Taylor
accompagnerait les nouveaux missionnaires. Il
comprit que la main de Dieu était dans ce
mouvement. Il avait senti la puissance du
Saint-Esprit chez ceux qui l'avaient aidé au
cours des réunions, il avait
été témoin de l'influence
qu'exerçait leur consécration, non
seulement sur des étudiants, mais sur des
maîtres de la pensée et de la vie
chrétienne
(3). L'occasion
était unique et le dessein de Dieu
évident d'utiliser ces collaborateurs de
choix pour approfondir la vie spirituelle de Son.
peuple et susciter de nouveaux ouvriers en vue de
la moisson.
Hudson Taylor se fût réjoui
de rester et d'offrir son concours, mais le devoir
l'appelait ailleurs.
Son projet était de partir pour
régler des affaires importantes qui le
réclamaient à Shanghaï et de
laisser M. Radcliffe entreprendre, avec M.
Broomhall et d'autres, la campagne qui devait avoir
de si grandes conséquences.
Une réunion eut lieu à
Exeter Hall, à laquelle assistèrent
tous les missionnaires partants.
L'influence d'une telle troupe
d'hommes sur le point de partir pour la Chine fut
irrésistible. Rien de pareil ne
s'était jamais vu et, dans le siècle
entier, rien n'avait éveillé,
à un si haut degré, dans l'esprit des
chrétiens, le sentiment de
l'immensité des besoins du monde païen
et de la noblesse de la vocation missionnaire
(4).
Toutefois, ce n'était pas dans
des assemblées publiques que ces hommes
devaient s'attacher étroitement à
leur chef et à la Mission.
Le travail s'accomplissait dans des
heures calmes, en particulier dans des moments de
prière à la rue de Pyrland, comme
ceux du dernier jour de 1884. On ne leur avait pas
caché la pauvreté matérielle
de la Mission qui avait clos ses comptes avec dix
livres sterling en caisse. Dix livres sterling et
toutes les promesses de Dieu. Mais
qu'était-ce que cela, quand la
présence du Seigneur se faisait si fortement
sentir! Hudson Taylor n'avait jamais cherché
à dissimuler les difficultés qui
attendaient les jeunes missionnaires en
Chine.
M. Taylor, dit l'un d'entre eux, lui
exposa le vrai caractère de la vie et de
l'oeuvre en Chine, en lui montrant qu'elle
entraînait l'isolement, les privations, la
haine des indigènes, le mépris des
Européens, ainsi que beaucoup
d'épreuves de foi et de patience. M. Hoste,
ajouta-t-il - et c'est de lui-même qu'il
parlait - s'éloigna, profondément
impressionné par le caractère de
l'homme avec lequel il s'était entretenu et
plus que jamais résolu, dans son coeur,
à devenir missionnaire en Chine.
La veille de la nouvelle année,
consacrée, dans un tel esprit, à la
prière et au jeûne, fut
mémorable. Quand Hudson Taylor quitta
Londres, trois semaines plus tard, quelques-uns de
ses compagnons étaient de nouveau en
Écosse où ils disaient avec
joie toutes les richesses qu'ils
trouvaient dans la communion intime de Christ,
richesses si supérieures à tous les
avantages terrestres qu'ils abandonnaient. Et,
tandis qu'il traversait seul la France, dans une
tempête de neige, le voyageur était
plein de louanges en son coeur pour les nouvelles
reçues, le matin même, de la capitale
du Nord : « Deux mille étudiants hier
soir, heures merveilleuses! C'est le Seigneur!
»
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