HUDSON TAYLOR
TREIZIÈME PARTIE
MINISTÈRE
ÉLARGI
1887-1894
CHAPITRE 78
Le mouvement en avant
1893-1894
Jamais, depuis le jour d'octobre 1889 où
les pensées d'Hudson Taylor avaient
trouvé leur expression dans la brochure A
toute créature, ce sujet n'était
resté loin de son coeur. En dépit des
graves difficultés qui avaient assailli
l'oeuvre missionnaire en Chine, comme si l'appel de
la Conférence de Shanghaï demandant
mille missionnaires soulevait l'opposition de
toutes les puissances du mal, il restait convaincu
que ce dessein venait de Dieu et il se sentait
responsable de faire tout ce qu'il était
possible pour le réaliser. Sans cesse, il
avait en vue les renforts nécessaires pour
que toute créature, en Chine, pût
entendre l'Évangile.
La diminution des ressources en
Angleterre et les charges déjà
très lourdes en Chine semblaient indiquer
que les circonstances n'étaient pas
favorables pour un nouveau pas en avant. Mais le
coeur de la Mission s'ouvrait sous de nouvelles
bénédictions, de sorte qu'il ne
pouvait y avoir qu'une pleine et joyeuse
réponse à la volonté de Dieu.
Avant les réunions annuelles de
l'année 1893, quatre jours furent
consacrés, à la rue de Pyrland,
à l'étude de la Bible et à la
prière. Toutes ces assemblées furent
des manifestations de puissance spirituelle et,
plus que jamais, l'attitude d'Hudson Taylor
à l'égard des questions
financières resta celle de la foi.
Je fus souvent heureux, dit-il dans
une des réunions du soir, d'être un
pauvre homme, de n'avoir pas d'argent et de ne
pouvoir rien promettre à personne, mais
d'avoir un Père céleste riche et de
pouvoir promettre à tous qu'Il ne les
oublierait pas. Et, depuis que je suis père
moi-même, j'ai souvent pensé qu'Il ne
pouvait pas les oublier.
Il y a maintenant avec nous, en
Chine, cinq cent cinquante-deux missionnaires dont
le plus grand nombre sont sans ressources
personnelles et sans garantie de secours humain,
mais chacun d'eux est
assuré qu'il sera pourvu à tous ses
besoins. Ils ont mis à l'épreuve la
Parole de notre Dieu et c'est pour eux un
très grand encouragement de voir que, en
tout temps, Il tient Sa promesse,
Dieu est le Dieu Vivant, et Sa
Parole est une Parole vivante, et nous pouvons nous
y fier. Nous pouvons nous appuyer sur chaque parole
que Dieu a prononcée ou qu'Il a fait
écrire par le Saint-Esprit. Il y a quarante
ans, je croyais à l'inspiration verbale des
Écritures. Je les ai mises à
l'épreuve pendant quarante ans, et ma
conviction est plus forte qu'alors. J'ai mis les
promesses de Dieu à l'épreuve.
J'étais obligé de le faire, et je les
ai trouvées vraies et dignes de
confiance.
Dans ces dispositions, Hudson Taylor
n'attendit pas, pour préparer un nouveau
développement, l'augmentation des ressources
qui se produisit dans la seconde moitié de
l'année. Il se sentit poussé à
organiser une campagne systématique en
Angleterre, en Écosse et en Irlande, en vue
de faire appel aux jeunes gens pour le service de
la Mission. L'histoire de la Mission,
publiée récemment, était lue
partout. Les ressources affluèrent : en un
mois, dix mille livres sterling furent
reçues pour l'oeuvre d'extension. Exception
faite d'un rapide voyage en Amérique, Hudson
Taylor se préparait à un temps de
travail absorbant en Grande-Bretagne.
À ce moment-là, chose
étrange, un léger nuage l'avertit que
sa présence était nécessaire
en Chine. Tout en regrettant d'avoir à
modifier son plan, il décida de se rendre
à Shanghaï par l'Amérique, dans
la pensée qu'il lui suffirait d'une courte
absence. Il permit que Von portât son nom au
programme de la Convention de Keswick, qui devait
avoir lieu l'été suivant
(1).
La Conférence des
étudiants a Détroit fut
mémorable. John Mott, Robert Speer et
d'autres, y manifestèrent les dons qui,
depuis lors, ont été remarquablement
développés dans leur oeuvre
mondiale.
Notre Principal et seul souci, avait
écrit M. Mott à Hudson Taylor en le
pressant d'y venir, est d'avoir une
conférence spirituelle. Dieu a
été avec vous dans d'autres
assemblées et nous croyons que vous pourrez
être le moyen d'une
bénédiction, dans ce continent et
dans le monde entier, si vous venez à
Détroit; n'avons-nous pas le droit
d'attendre que Dieu fasse de
grandes choses pendant ces jours, si nous acceptons
Ses conditions ?
Dieu fit, en effet, de grandes choses.
Dans une inoubliable matinée, la vaste salle
se remplit d'étudiants qui venaient chercher
une bénédiction précise et
durable. Le message fut celui qui, deux ans
auparavant, avait fortifié un grand nombre
de personnes à Shanghaï. Comme alors,
les coeurs découvrirent l'un après
l'autre que les richesses de Dieu pouvaient
répondre à toutes les insuffisances
et à tous les besoins. Des années de
service dévoué dans bien des champs
de mission devaient témoigner du travail
spirituel accompli pendant cette heure.
Quelques semaines plus tard, l'affaire
qui avait amené Hudson Taylor à
Shanghaï était réglée. Il
se disposait à repartir pour l'Angleterre
quand, d'une manière inattendue, il fut
appelé dans une autre direction. Bien loin,
dans le nord de la Chine, avaient surgi des
difficultés menaçant de rappeler
à la côte tous les missionnaires
scandinaves. Un petit groupe d'ouvriers,
étranger à la Mission à
l'Intérieur de la Chine, s'était mis
à l'oeuvre, avec zèle mais dans une
ignorance totale des idées des
indigènes sur la propriété ;
des dangers sérieux et croissants en
résultèrent. Les missionnaires
étaient trop inexpérimentés
pour se rendre compte de la gravité de la
situation, mais des voyageurs en avaient
apporté la nouvelle à Peiping et le
Ministère suédois des Affaires
étrangères était sur le point
d'intervenir. Hudson Taylor en fut informé.
Bien qu'il n'eût pas affaire avec ces
missionnaires, il se rendit compte des
conséquences qui pouvaient surgir pour les
Scandinaves de la Mission. Il était
providentiel qu'il fût en Chine, nul
n'étant plus capable que lui d'exercer
quelque influence et d'inspirer confiance aux
autorités de Peiping.
Mais comment, même s'il
renonçait à retourner en Angleterre,
atteindre en temps utile ces stations
éloignées, sinon en voyageant tout
l'été? La fin d'avril approchait.
Dans quelques semaines la saison chaude allait
commencer et le voyage impliquait trois ou quatre
mois de marche par voie de terre. Aussi le Docteur
Howard Taylor ne fut-il pas sans éprouver
quelque inquiétude, du point de vue
médical, quand, a son arrivée
à Shanghaï après son voyage de
noces, il apprit que ses parents
étaient
déjà en route vers
l'intérieur. M. Stevenson l'autorisa
à les suivre et, avec sa jeune femme, il
atteignit les voyageurs au moment où ils se
préparaient à franchir, en brouette,
les montagnes du Honan. Il n'y avait point alors de
chemin de fer dans ces provinces et, aux brouettes,
devaient succéder les chariots sans
ressorts, plus rudes encore, des régions du
Nord. Le soleil brûlant, les pluies
tropicales, les difficultés de
ravitaillement dans les villages abandonnés
pendant la moisson, tout cela était
sérieux.
- Il peut vous en coûter la vie,
leur dirent-ils dans l'espoir qu'une autre solution
pourrait être donnée au
problème.
- Oui, fut-il doucement répondu,
mais n'oublions pas que nous devons donner notre
vie pour nos frères.
Les enfants n'avaient rien à
répliquer, mais ils obtinrent d'être
admis dans la petite troupe qui compta
désormais cinq personnes, y compris M.
Coulthard, gendre d'Hudson Taylor.
Partis de Hankow en mai, pour
l'intérieur, ils reparurent en septembre
dans le port de Tientsin. Cinq provinces furent
traversées, en tout ou en partie, et toutes
les stations missionnaires visitées le long
de la route. Un cordial accueil leur fut
ménagé dans ces localités si
distantes les unes des autres. Excepté le
dimanche, ils firent quatorze heures de chemin par
jour, lu milieu de populations accueillantes et
bien disposées parmi lesquelles ne se
trouvait aucun témoin de Christ. Maintes
fois, les voyageurs furent attristés d'avoir
à quitter des auditeurs attentifs qui leur
demandaient de rester plus longtemps ou de leur
promettre de revenir pour les enseigner encore.
Cette famille en voyage était une source
d'intérêt continuel. Cela était
si naturel, du point de vue chinois, surtout en ce
qui concernait la belle-fille! Partout on les
accueillait avec un sourire.
« Peut-être est-ce parce que
nous sommes nous-mêmes souriants »,
disait la jeune mariée.
Et, assurément, malgré la
chaleur, la poussière, la fatigue et le
manque de confort, il y avait du soleil dans les
coeurs et sur les visages de la petite
troupe.
Et que dire des brouettes,
recommandables surtout pour les voyages de noces,
parce qu'elles portent deux victimes au lieu
d'une... Engins primitifs, sans ressorts, elles
consistent en un cadre de bois
avec des poignées aux deux bouts et une
grande roue au milieu. Des deux côtés
de la roue, les passagers sont assis se tournant le
dos, et le tout est recouvert d'une capote de
bambous tressés. Les colis de provisions et
les bagages à main sont entassés sur
le devant tandis qu'à l'intérieur les
objets de literie sont étendus de
manière à préserver les
malheureux voyageurs de secousses qui, sans cela,
seraient insupportables.
Dès que nous Mmes
entrés, écrivit le plus jeune membre
de la petite troupe, un vigoureux brancardier
glissa la large lanière de toile sur ses
épaules, souleva l'extrémité
de la brouette en nous rejetant vivement en
arrière, et cria à son camarade de se
mettre en route. Un craquement, un cahot, un long
effort, et la lourde machine s'ébranla. La
poussière soulevée par les pieds des
hommes et le sillon de la roue sur la route
poudreuse nous enveloppait. D'un geste convulsif,
comme s'il s'agissait de sauver notre vie, nous
nous cramponnions à la charpente de la
brouette, rudement secoués par les
ornières et les pierres. Sèche et
sans huile, la roue tournait lentement avec des
plaintes discordantes. De grosses gouttes de sueur
perlaient sur le front de l'homme qui, à un
mètre de nous, se courbait si
résolument sur sa tâche; les foules
amies disparaissaient dans le lointain : notre
voyage était commencé.
Dix jours de route conduisirent les
voyageurs à Chowkiakow, à quatre cent
trente-cinq kilomètres de Hankow. Là,
les soixante-dix membres de l'Église
étaient dans toute l'anxiété
de l'attente. M. et Mme Shearer reçurent
leurs hôtes poudreux avec une
hospitalité empressée. Le lendemain,
dimanche, une foule de visiteurs emplit, de bonne
heure, le salon. Parmi eux, le cher vieux M. Ch'en,
très digne, vif et irréprochablement
vêtu d'une robe de soie pâle, mais tout
ému à la pensée de rencontrer
Hudson Taylor. Quand ce dernier quitta sa chambre,
M. Ch'en le salua dans la cour intérieure et
ce fut un touchant spectacle que celui des
courbettes et des échanges de courtoisie,
tandis que l'ex-mandarin répétait
avec amour et respect :
- Sans vous, vénérable
Monsieur, nous n'aurions jamais connu l'amour de
Jésus.
Une belle lettre écrite sur une
grande feuille de papier rouge exprimait ses
sentiments :
Je baigne mes mains et salue
respectueusement le vénérable M.
Taylor, fondateur de la Mission... Vous, Monsieur,
constamment en voyage entre la Chine et les pays
étrangers, vous avez enduré
beaucoup de fatigues et de
travaux. Au milieu de nous, vous avez montré
les sceaux de votre apostolat... C'est la
grâce glorieuse et rédemptrice du
Sauveur qui nous a bénis, mais par votre
venue au milieu de nous. Autrement, nous n'aurions
pas été capables de trouver la porte
qui conduit au droit chemin.
Que Dieu vous accorde,
vénéré Maître,
d'être épargné pour attendre le
retour du Seigneur... Nous sommes assurés
que dans le Royaume Millénial vous remplirez
de hautes fonctions, que vous régnerez mille
ans avec Jésus-Christ, et que, à la
fin du Millenium vous suivrez de tout près
Jésus quand Il montera aux
cieux.
Parmi notre famille et
l'Église de Chowkiakow, il n'en est aucun
qui ne vous estime hautement.
Avec de respectueux souhaits de
paix,
Le très indigne
serviteur
Ch'en, nommé Pearly
Wave.
J'incline ma tête et salue
respectueusement.
Le lendemain, un repas à la mode chinoise
fut offert par Ch'en au vénérable
« pasteur principal ». Il en avait
lui-même surveillé la cuisine «
dans six grands chaudrons, contenant des mets
préparés selon la coutume du culte
des ancêtres ». Apprenant qu'Hudson
Taylor ne pouvait user de poivre, il lui
prépara, de ses propres mains, des
provisions de route qu'il accompagna du billet que
voici :
Honoré et très
vénéré M. Taylor, Ch'en,
nommé Pearly Wave, incline sa
tête.
J'écris ceci
respectueusement pour vous offrir quelques
provisions de voyage : viande bâchée
cuite à l'huile, amandes d'abricots
épicées et melons d'eau
conservés au vinaigre. Veuillez les accepter
de ma main. Une partie de la viande est sans
poivre, pour l'usage du Maître
âgé, l'autre, avec du poivre de
Guinée, est pour M. Coulthard et votre
second digne fils. Je vous écris ces mots
pour vous souhaiter la paix.
Premier jour de la lune de la
mi-été.
Les plus pauvres chrétiens ne
savaient comment témoigner leur gratitude ;
ils firent une collecte pour offrir des
gâteaux. Quelques jours plus tard, un cher
vieux coolie vint entretenir le missionnaire de la
station d'un sujet qui le préoccupait : Les
voyageurs avaient continué leur route, mais
il les suivait journellement par la
prière.
Je ne cesse de penser au
vénéré pasteur principal,
disait-il. Sa vie est précieuse, mais il
n'est pas robuste. Moi, je ne suis pas encore
vieux, je puis vivre dix ou
vingt ans; mais je voudrais vous le dire : si je
meurs subitement c'est parce que j'ai offert les
années qui me restent à vivre, pour
qu'elles puissent être ajoutées
à sa vie. Inutile d'en parler. C'est le
désir de mon coeur devant Dieu
(2).
Sans aucun doute les prières de
ces braves chrétiens contribuèrent
à la sauvegarde des voyageurs et leur
permirent d'affronter la fatigue et le danger,
spécialement pendant les longues semaines de
leur voyage en chariots.
Il y aurait beaucoup à raconter,
au sujet de ce voyage, des délivrances
accordées et des bénédictions
reçues dans les stations, du but atteint et
de la visite à Peiping qui en fut la
conclusion, pour en communiquer les
résultats au ministre britannique. Mais ce
qui frappa surtout Hudson Taylor, ce furent les
progrès d'une oeuvre qui lui tenait tant
à coeur, dans la vaste et populeuse plaine
de Sian. Lors de son dernier voyage dans cette
région, huit ans auparavant, aucun point
lumineux n'éclairait les
ténèbres qui l'entouraient sur des
centaines de kilomètres. Maintenant de
nombreuses stations étaient ouvertes et,
dans la capitale, Sian, longtemps l'une des villes
chinoises les plus hostiles aux étrangers,
étaient réunis les missionnaires
scandinaves qu'il venait voir de si loin.
Ce changement merveilleux était
dû, après Dieu, aux vies
consacrées d'un petit groupe de pionniers,
longtemps méprisés et
persécutés. Quand Thomas Botham vint,
pour la première fois, le travail
était si dur qu'il en fut
découragé. Cependant il ne pouvait
abandonner l'oeuvre à laquelle il se sentait
appelé. « Je veux marcher dans les
ténèbres avec Dieu », dit-il
à son surintendant, M. Easton.
Dans les ténèbres avec
Dieu, lui fut-il répondu, mais, cher
frère, en Lui, avec Lui, il n'y a point de
ténèbres.
C'était la bonne parole dont il
avait besoin, ainsi que les deux collaborateurs qui
le rejoignirent. Ces jeunes hommes
considéraient comme une chose bien naturelle
d'avoir un domicile fixe. Mais les gens de cette
contrée ne l'entendaient pas ainsi. Personne
ne voulait leur louer un logement, et ils s'en
remirent à Dieu pour leur procurer une
maison quand Il le jugerait à propos.
Vingt-deux chefs-lieux, soixante villes
et d'innombrables villages disséminés
sur un espace de trente mille kilomètres
carrés formèrent leur paroisse.
Partout ils se heurtèrent à une vive
opposition. Tout ce qu'ils pouvaient faire,
c'était d'aller de lieu en lieu, restant
dans une auberge aussi longtemps qu'on voulait bien
les recevoir, prêchant dans les rues et
s'efforçant par leur humilité et leur
amour chrétien de faire accepter
l'Évangile.
Lorsque M. Botham se maria, sa
fiancée avait déjà, pendant
deux ans, été missionnaire en Chine.
Heureuse de souffrir pour l'Évangile, elle
apporta tant de lumière dans cette vie de
dur labeur que son mari pouvait écrire
:
Je ne me sens jamais si heureux que
lorsque, ma femme sur un âne et tous mes
biens terrestres sur un autre, je me mets en route
pour apporter l'Évangile dans une nouvelle
localité de la plaine de Sian.
Ils avaient tant à craindre des
soulèvements et des troubles que la petite
troupe dut se séparer. Ils n'osaient pas
être plus de deux à la fois dans le
même endroit. Partout, ils auraient pu passer
pour des « diables étrangers »,
à en juger par le traitement qu'ils
recevaient dans les rues. Aux portes des villes, on
placardait des affiches qui les accusaient de
crimes abominables.
À des amis, qui lui demandaient
ce qu'il avait pu faire dans une ville où
ils savaient qu'il venait de traverser de dures
journées, l'un d'eux, M. Bland,
répondit avec vaillance
- J'ai pu louer le Seigneur.
Et tous se réjouirent de cette
victoire de la foi.
Leur course vagabonde n'était pas
sans but. Ils mettaient en pratique
littéralement l'ordre du Maître :
« Quand on vous persécutera dans une
ville, fuyez dans une autre », mais ils
avaient soin de « fuir en cercle », et
comme ils revenaient de temps en temps dans les
mêmes villes, les gens s'habituaient à
les voir. Comme ils vivaient ouvertement au milieu
du peuple, l'amour, la pureté, la
grâce du Seigneur Jésus-Christ que
manifestait leur vie ne pouvaient être
cachés.
Il se passa des choses merveilleuses sur
lesquelles nous ne pouvons nous arrêter. Au
retour d'un voyage au cours duquel on les avait
reçus avec sympathie et
écoutés avec attention, ils purent
dire avec reconnaissance : « Les
ténèbres se dissipent. »
Les principaux des cinquante Scandinaves
arrivèrent dans ce district au moment
où ces vies consacrées
commençaient à porter du fruit. De
nombreuses stations furent ouvertes sans grandes
difficultés et les nouveaux ouvriers, hommes
de foi et de Prière, purent même
s'établir dans la capitale. Bien des
missionnaires l'avaient tenté en vain, mais
il fut réservé à Holman et
à sa guitare de réussir.
Entouré par une foule mal disposée
qui avait envahi son logis, il demanda
gaîment si l'on voulait l'entendre chanter.
Toute surprise, la foule écouta les
mélodies suédoises qu'il chantait de
sa belle voix, en s'accompagnant sur la guitare. Il
était si calme que ses auditeurs se
sentirent honteux et finalement, tandis qu'il
continuait de chanter, - criant à Dieu dans
son coeur pour sa délivrance -, ils se
retirèrent peu à peu.
C'était de cette ville que, le 26
juin, Hudson Taylor et ses compagnons approchaient.
À seize kilomètres, ses murs
crénelés, ses portes, ses tours se
découpaient sur le ciel. Au carrefour, deux
hommes en vêtements chinois avec de grands
chapeaux de paille, qui n'étaient autres que
MM. Easton et Hendrikson, les attendaient pour les
accompagner, les uns dans la ville, les autres
à la maison des darnes, dans la banlieue.
Soixante-dix jours de chaleur et de fatigue avaient
préparé les voyageurs à
apprécier le confort de ces demeures
chinoises. Luxe suprême, ils
trouvèrent dans chacune un puits, pourvu
d'eau pure et fraîche.
Nous ne pouvons que mentionner les
réunions de la Conférence. Des
arrangements bien définis furent faits avec
les Suédois. Un district, comprenant la
capitale, et s'étendant au nord-ouest dans
la province du Kansu, fut placé sous la
surintendance de M. Botham. Hudson Taylor
éprouva une joie vive à voir les
progrès accomplis, en moins de trois ans de
séjour en Chine, par les missionnaires de
Sian et à constater que, malgré les
restrictions qu'il avait à suggérer,
les liens les plus étroits unissaient
à la Mission à l'Intérieur de
la Chine les ouvriers de l'Alliance
Scandinave.
Nous devons passer, à regret, sur
le reste du voyage, en nous bornant à
mentionner encore la visite d'Hudson Taylor aux
districts de la province voisine du Shansi qu'il
connaissait déjà quelque peu. M.
Folke et ses collègues de la Mission
suédoise en Chine s'étaient
établis dans une importante région
où ne se trouvait auparavant aucun
missionnaire et Hudson Taylor fut
heureux de retrouver dans la
ville de Yücheng des hommes dont les
Églises et les familles l'avaient
reçu avec tant de cordialité, en
Suède.
Au delà, le voyage se fit au
clair de lune, pour éviter la chaleur
(quarante-quatre degrés dans les voitures)
qui avait presque coûté la vie
à Hudson Taylor, en venant de Sian.
C'était un vrai réconfort, en se
mettant en route au crépuscule, de se dire
qu'avant le lever du soleil une bonne étape
serait parcourue bien que des rencontres
dangereuses, sans parler des loups, puissent
être faites dans les montagnes ou dans les
abris offerts par les moissons
grandissantes.
- Portez-vous des voyageurs
étrangers? fut la question qui les fit
sursauter une nuit.
Mais, un instant plus tard, la demande
faite en anglais les rassurait :
- Est-ce la petite troupe de M. Taylor
?
Le pasteur Hsi et M. Hoste! Ils avaient
parcouru bien des kilomètres pour aller
au-devant des voyageurs attendus, auxquels ils
firent un chaleureux accueil sur les lieux
mêmes où, huit ans auparavant, M.
Hoste avait quitté Hudson Taylor.
Une semaine plus tard, après la
Conférence de Pingyang, il put accepter
l'invitation du pasteur Hsi et passer deux ou trois
jours dans sa maison. Quelle ne fut pas sa
surprise, en arrivant, d'être conduit
à travers des cours, derrière la
maison et les bâtiments de ferme,
jusqu'à un espace découvert qui
ressemblait à une aire. Là, une
grande table était recouverte d'une nappe
blanche et de tout ce qu'il fallait pour un repas
« étranger ». Une toile de tente,
supportée par une douzaine de piquets de
bois, formait un abri et, en arrière, se
trouvait un bâtiment, peut-être une
grange, aux portes ouvertes. Et voici,
c'était un véritable pavillon royal,
un appartement complet, propre et frais,
préparé pour M. et Mme
Taylor!
Ils l'explorèrent avec un
étonnement croissant, touchés par les
marques d'affectueuse prévenance qu'ils
rencontraient partout. La salle à manger
centrale donnait accès dans une vaste
chambre à coucher d'un côté et
de l'autre dans deux pièces plus petites.
Tout était bien meublé. Des lampes
toutes prêtes étaient sur les tables,
des nattes de paille fraîche couvraient
entièrement le sol, des rideaux de bambous
et des tentures voilaient portes
et fenêtres. Sur les lits
des couvertures et des draps bien blancs, sur les
tables des tapis rouges et, au centre, des
carrés de soie verte d'une magnifique
couleur, des cuvettes d'airain, brillantes comme
des miroirs, des serviettes blanches et des
morceaux du meilleur savon ! Les hôtes
pouvaient à peine en croire leurs
yeux.
- Ce n'est rien, disait le pasteur Hsi,
nous en aurions fait bien davantage pour notre
vénérable pasteur principal et sa
famille.
Rien ne pouvait dépasser l'amour
et la joie de cet accueil. Le pasteur Hsi,
lui-même, apportait l'eau chaude et
remplissait les tasses à thé, il
hâtait le repas de midi et insistait pour le
servir lui-même, de peur que ses domestiques
ne fussent pas assez prompts à
prévenir les moindres désirs.
Et quand Hudson Taylor essayait de le,
remercier, il disait, les yeux pleins de larmes
:
- Que n'avez-vous pas souffert pour que
nous puissions avoir l'Évangile! C'est pour
moi une joie et un privilège. Comment
pourrais-je faire moins ?
Nous insisterions volontiers sur les
progrès de l'oeuvre qu'Hudson Taylor
constatait avec tant de joie. Les jours de la
moisson, dont il avait vu la promesse,
étaient arrivés en dépit de
beaucoup de difficultés et les perspectives
étaient encourageantes.
Au loin, cependant, des
événements graves se
préparaient. Il entrevoyait un rapide retour
en Angleterre où il comptait reprendre les
travaux interrompus à regret en
février. Mais il suivait un Guide invisible
qui fait servir toutes les circonstances à
Ses grands desseins, d'une manière qui
souvent nous déconcerte.
Le jour même où il recevait
l'hospitalité empressée du pasteur
Hsi, le 25 juillet, éclatait la guerre entre
la Chine et le japon, et quand il atteignit
Shanghaï, il devint évident qu'il ne
pouvait s'absenter. Les choses allaient mal pour la
Chine. Personne ne savait si la fureur des Chinois,
impuissants contre l'ennemi, n'allait point se
tourner contre l'autre « étranger
». Tout projet de départ pour
l'Angleterre dut être abandonné et le
séjour en Chine, où les semaines
étaient devenues des mois, fut
prolongé indéfiniment
(3).
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