HUDSON TAYLOR
QUATORZIÈME PARTIE
CONSUME PAR
L'AMOUR
1895-1905
CHAPITRE 82
Les eaux paisibles
1900-1904
Dans la maison missionnaire de Pingyang (au sud
du Shansi) un petit groupe d'étrangers se
préparait à entreprendre un terrible
voyage de mille six cents kilomètres
à travers un pays infesté de Boxers,
pour atteindre un refuge sûr. Le pasteur
indigène à cheveux blancs, devenu si
invalide par l'âge qu'il pouvait à
peine, marcher, était venu leur dire adieu
et s'entretenait avec l'une des femmes
missionnaires quand un pressant message l'appela
au-dehors. Un ami angoissé le suppliait de
rentrer immédiatement chez lui.
C'était au péril de sa vie, lui
disait-il, qu'il témoignait de la sympathie
à des étrangers. Un édit
impérial venait d'arriver disant que ceux-ci
et tous ceux qui étaient en rapport avec eux
devaient être exterminés ; il fallait
se cacher pour sauver sa vie. Le vieillard revint
tranquillement vers ses amis, les missionnaires, et
termina l'entretien en disant :
« Les royaumes peuvent
périr, l'Église ne peut être
détruite. »
C'est dans cette confiance que lui et
des centaines de chrétiens chinois
scellèrent de leur sang leur
témoignage
(1).
Parmi ceux qui échappèrent
à la mort, dans le district du pasteur Hsi,
se trouvait un cher vieillard dont la profession de
foi était bien simple. Longtemps il avait
dirigé un refuge pour fumeurs d'opium,
où il avait été témoin
de la puissance de Dieu. Dans toute la
région l'on savait l'efficacité de
ses prières et l'on s'adressait à lui
en cas de maladie ou de difficulté.
Li-Pucheo n'était pourtant pas un homme
instruit ; il ne savait pas même lire. Mais
il savait une chose, c'est que le Seigneur
Jésus est ressuscité des morts et
que, par conséquent, tout est possible.
Avant le terrible été de
1900, toutes les fois qu'un village était en
danger, que la chapelle était pillée
et les chrétiens dispersés, il
répétait avec une paisible confiance
: « Je sais que Jésus-Christ est
ressuscité des morts. » Ce fait
glorieux lui semblait le gage de la
résurrection de l'Église et, jamais,
ni avant, ni après ces longs mois
d'angoisse, son attente ne fut
trompée.
Pour Hudson Taylor, rien ne restait,
sinon l'unique et simple foi : « Seigneur, Tu
as été pour nous un refuge de
génération en
génération. » Pendant longtemps
il avait trouvé sa force et son repos en
Dieu ; cet asile ne lui faisait pas défaut,
maintenant. Tout ce qui pouvait être
ébranlé s'écroulait autour de
lui, mais il y a des choses qui ne peuvent
être ébranlées et qui demeurent
fermes dans la tempête.
« Avant d'avoir des enfants
à moi, disait-il souvent, j'avais la
pensée que Dieu ne m'oublierait pas, mais
lorsque je devins père moi-même,
j'appris que Dieu ne peut pas m'oublier.
»
En dernière analyse, n'est-ce pas
sur cet amour, sur ce coeur de Père, que
nous devons nous appuyer? Dans l'obscurité
et la confusion, au milieu de la tourmente produite
par le péché, je puis ne rien voir,
ne rien comprendre, n'être capable de rien,
pas même de prier parfois ; mais je connais
Dieu. De Son point de vue, tout est intelligible,
nécessaire, tout produit le plus grand
bien.
Mais combien il souffrait tandis que les
semaines s'écoulaient sans qu'il pût
alléger ou même partager les
souffrances de ses frères. Pendant plus de
trente ans il avait été le premier
à se hâter vers le lieu du danger,
sans s'épargner lui-même, pour peu
qu'il fût possible de venir en aide aux
collaborateurs qu'il aimait si fidèlement.
Et, maintenant, à l'heure de leur
épreuve suprême, il était
contraint de se, tenir à l'écart,
sans pouvoir faire autre chose que de prier pour
eux.
Il ne pouvait pas écrire.
À la vérité, au milieu
d'août, au moment des plus terribles
nouvelles, la vie semblait le quitter si rapidement
qu'il pouvait à peine traverser seul sa
chambre. Son pouls descendit à quarante
pulsations par minute. L'angoisse le tuait et ce ne
fut qu'en lui dosant les nouvelles que l'on put
maintenir le léger fil de sa vie.
Avec la délivrance des
légations et la fuite de la cour loin de
Peiping, le 14 août, la
folie des Boxers commença à s'apaiser
et Li-Hung-Chang fut de nouveau appelé
à la barre pour guider son pays
désorienté, dans ses
négociations avec les puissances
étrangères.
Mais, avant cela, la Mission à
l'Intérieur de la Chine avait perdu
cinquante-huit de ses membres, sans compter vingt
et un enfants, tués avec leurs parents ou
morts dans des tortures auxquelles ceux-ci purent
survivre. Dans toute la correspondance de cette
époque, il n'est pas un sentiment amer
contre les persécuteurs, pas un désir
de vengeance, pas une demande de
dédommagement. Les dispositions de cette
tendre mère, qui, mourant après des
semaines d'un voyage épuisant au cours
duquel elle avait été témoin
de la mort d'un de ses enfants et des souffrances
prolongées des autres, disait à son
mari : « J'aurais voulu vivre et revenir
là-bas, parler encore de Jésus
à ces pauvres gens », ces dispositions
semblaient animer tous les coeurs.
Quant à la difficile question des
indemnités, Hudson Taylor avait
immédiatement déclaré que la
Mission n'en demanderait pas et n'en, accepterait
pas, si l'on en offrait pour les vies perdues.
Lorsque, plus tard, outre une lourde
indemnité, des châtiments implacables
furent infligés par certaines puissances, il
alla plus loin et, en plein accord avec les
comités, refusa tout dédommagement
pour les pertes matérielles de la Mission,
tout en laissant les particuliers libres
d'accepter, s'ils le désiraient,
d'être. indemnisés de leurs dommages
personnels. Cette attitude, vivement
critiquée par certains, fut chaudement
approuvée par le Ministère anglais
des Affaires étrangères et par son
représentant à Peiping, qui fit
à la Mission un don de cent livres, en
témoignage de son « admiration »
et de sa sympathie.
Lorsque, ses forces revenues, Hudson
Taylor put supporter de connaître le
détail de ce qui s'était
passé, il ne s'épargna pas la lecture
d'une page de journal ou de lettre. La neige
était tombée sur les montagnes,
quand, par un beau matin d'octobre, il se rendit
chez sa belle-fille qui préparait la
biographie du pasteur Hsi. Un courrier venait
précisément d'apporter des nouvelles
du district de Hsi qui l'avaient
profondément ému. Ses larmes
coulaient tandis qu'en marchant dans la petite,
chambre il parlait des dernières lettres
qu'il avait reçues, écrites la veille
de leur mort, dans une station
éloignée, par Mlles Whitchurch et
Searell.
« Oh, disait-il au cours du
récit, imaginez-vous ce que ce dut
être d'échanger le spectacle de cette
populace meurtrière pour le ravissement de
Sa présence!
Ils ne regrettent rien, poursuivit-il,
dès qu'il put retrouver sa voix, maintenant
qu'ils possèdent une couronne qui ne se
flétrit point! Ils marcheront avec Lui, en
vêtements blancs, car ils en sont dignes!
»
Un peu plus tard, parlant de son
désir d'aller à Shanghaï pour
être au milieu de ceux qui y cherchaient un
refuge, il ajouta :
«Je ne pourrais pas faire
grand'chose, mais je sens qu'ils m'aiment. S'ils
pouvaient venir vers moi dans leur tristesse et si
je pouvais seulement pleurer avec eux, ce serait un
réconfort pour plusieurs. »
Tendrement, sa belle-fille lui fit
comprendre combien cette sympathie serait
précieuse, mais aussi combien ce serait plus
qu'il n'en pourrait supporter.
Incapable d'aller lui-même en
Chine, Hudson Taylor éprouvait un grand
soulagement de penser que M. Stevenson était
assuré de l'aide d'un homme manifestement
préparé par Dieu pour ces
circonstances critiques. M. Cooper était
tombé sous la hache du bourreau et il
semblait que rien ne pouvait compenser, pour la
Mission, la perte d'un chef si sage et si puissant
par la prière. Mais, sur le voeu d'Hudson
Taylor, M. D. Hoste, surintendant du Honan, passait
l'été à Shanghaï. Il se
trouvait donc à portée pour donner
à M. Stevenson un secours précieux.
Sentant que sa propre vie pouvait lui être
retirée d'un moment à l'autre, Hudson
Taylor désigna, au mois d'août, M.
Hoste comme directeur général-adjoint
de la Mission. Ce n'était pas une mesure
improvisée. Depuis des années, il
demandait à Dieu de lui indiquer son
successeur et ce fut avec une vive reconnaissance
qu'il vit M. Hoste devenir apte à ces
fonctions.
Avant même de quitter la Chine,
Hudson Taylor ne doutait pas que ses prières
fussent exaucées et, bien que la nomination
de M. Hoste ne fût rendue publique que
quelques mois plus tard, après l'approbation
cordiale de M. Stevenson et des Comités de
Londres et de Chine, il sentit avec joie qu'une
mesure importante avait
été prise pour la sauvegarde des
intérêts de l'oeuvre
entière.
Il trouvait dans les dispositions
d'esprit que manifestaient les lettres de ses
correspondants un autre, sujet de
reconnaissance.
J'ai écrit, disait-il à
la fin de l'année, à quelques-uns des
parents de ceux que nous avons perdus, pour les
consoler dans leur chagrin et, à ma grande
surprise, ils oublient leur propre deuil pour me
dire leur sympathie.
On comprendra sans peine combien il
était touché quand des pères
et des mères, non seulement lui
écrivaient dans un esprit de
résignation, mais encore faisaient des dons
et exprimaient même le voeu que d'autres de
leurs enfants fussent appelés par Dieu
à Le servir dans le champ missionnaire. En
réponse à une lettre de sympathie
venue de Shanghaï, signée par trois
cents membres de la Mission, il écrivit
:
En lisant vos signatures, une
à une, nous ayons remercié Dieu de
vous avoir épargnés pour nous et pour
la Chine. Les tristes circonstances que nous avons
traversées ont été permises de
Dieu pour Sa gloire et pour notre bien... Sans
aucun doute, Il permettra la reprise de l'oeuvre
maintenant arrêtée, et dans des
conditions plus favorables.
Nous Le remercions pour la
grâce qu'Il a accordée à ceux
qui ont souffert. C'est un honneur qu'Il nous a
fait, en tant que Mission, de passer par une
épreuve si profonde et d'avoir eu un si
grand nombre de nos membres jugés dignes de
la couronne du martyr. Plusieurs de ceux qui ont
été épargnés ont
peut-être plus souffert que ceux qui ont
été repris, et le Seigneur ne
l'oubliera pas. Nous ne pouvons dire combien il
nous a été pénible
d'être si loin de vous à l'heure de la
détresse...
Quand la reprise du travail sera
possible dans l'intérieur du pays, nous
trouverons peut-être beaucoup de changements,
mais les principes que nous avons mis à
l'épreuve pourront être
appliqués de nouveau, parce qu'ils sont
fondés sur la Parole immuable de notre Dieu.
Apprenons chacun les leçons que Dieu veut
nous enseigner, et soyons préparés
par Son Esprit pour tout service auquel Il nous
appellera en attendant qu'Il vienne.
Ce fut seulement en
été 1901 qu'il se vit contraint
d'abandonner pour longtemps tout espoir de
retourner en Chine. Un petit accident, dans la
vallée de Chamonix, réveilla son
ancien mal de la colonne
vertébrale et, pendant plusieurs mois, il
fut plus ou moins perclus. Il paraissait
impossible, au premier abord, qu'une simple
glissade sur des aiguilles de pin eût des
conséquences graves, Mais ce fut la
réponse de Dieu aux prières de Son
serviteur qui lui demandait de le diriger. Tout
simplement, la route était
barrée.
Une courte visite en Angleterre,
quelques mois plus tard, lui procura d'heureuses
rencontres avec des amis de la Mission, mais ce fut
trop pour ses forces. Tout ce qu'il put faire,
à la veille de son soixante-dixième
anniversaire, fut de retourner en Suisse,
reconnaissant de la vie simple et retirée
qui lui permettait, avec Mme Taylor, de servir
encore la Mission par la prière et la
correspondance.
Afin de jouir du voisinage de leur
amie, Mme Berger, M. et Mme Taylor
s'installèrent aux Chevalleyres, au-dessus
de Vevey et du lac Léman. Aucune voie
ferrée n'escaladait alors la montagne. Le
château de Blonay, avec sa vieille tour
grise, dominait un paysage d'une beauté
toujours renouvelée. Plus haut, sur les
pentes boisées des Pléiades, au
milieu des vergers et des prairies, se trouvait une
pension simple. mais charmante. L'entrée, au
nord, était au niveau de la route, mais les
chambres du rez-de-chaussée, au sud,
étaient surélevées par rapport
au jardin. C'était exactement ce que
cherchait Mme Taylor. Deux chambres avec un balcon,
et une véranda au soleil levant, offraient
le confort nécessaire.
Ils y arrivèrent en
été 1902 et y trouvèrent des
soins empressés et une sympathie toujours en
éveil. Depuis le vieux comte et la comtesse,
jusqu'aux paysans qu'ils rencontraient dans leurs
promenades quotidiennes, presque toujours les
visages s'éclairaient et les coeurs se
sentaient attirés vers ce missionnaire
à cheveux blancs et sa dévouée
compagne. L'amour rayonnait de leur vie,
malgré les bornes que leur imposait une
langue étrangère, et jamais amour ne
s'attira une réponse plus cordiale que dans
le dernier lieu de repos de leur pèlerinage
terrestre.
Peu à peu, la pension devint
comme, une sorte de rendez-vous pour des
hôtes anglais, pour des amis venant faire
à M. et Mme, Taylor de plus ou moins longues
visites. Cela leur procura une
société agréable et bien des
occasions de prier ensemble pour la Chine. Ce petit
salon devint, en vérité, au milieu
des montagnes, comme un centre
de la Mission, dont l'influence bénie se fit
sentir au loin.
Ce n'est pas tant ce que votre
père disait, que ce qu'il était qui
m'apporta une bénédiction,
écrit M. Rob. Wilder. Emerson dit : «
Les âmes ordinaires paient avec ce qu'elles
font, les nobles âmes avec ce qu'elles sont.
» Votre père répandait autour de
lui le parfum de Jésus-Christ. Cela
m'impressionna beaucoup de voir un homme dont la
vie avait été si active et qui
était réduit à une vie si
retirée, incapable de prier plus de quinze
minutes de suite et cependant toujours
joyeux.
Une des raisons du bonheur
tranquille de ces jours-là venait du fait
que M. et Mme Taylor n'avaient plus à se
quitter. Leur amour était toujours le
même et chacun s'adaptait parfaitement aux
besoins de l'autre. Ils purent d'abord sortir
souvent ensemble, jouissant de petites excursions,
en chemin de. fer ou en bateau, et de longues et
patientes escalades qui s'achevaient dans une
contemplation ravie du haut d'un sommet familier.
Peu à peu, comme d'autres pouvaient
accompagner Hudson Taylor, Mme Taylor y trouva une
excuse suffisante pour rester plus souvent à
la maison. En Mlle Williamson son mari trouva une
compagne dont l'amour pour la montagne était
égal au sien. Et, toujours, qu'elle
écrivit ou qu'elle tricotât, Mme
Taylor les accueillait au retour avec une tasse de
thé ou de joyeuses nouvelles. On passait de
longues heures à développer des
photographies ou à étudier les fleurs
que l'on avait cueillies. Hudson Taylor prenait un
plaisir remarquablement vif dans ces simples
choses, aussi bien qu'à contempler la nature
et à recevoir des amis. Il en jouissait
comme un enfant. Ne pouvant plus faire qu'une
lecture facile, il gardait toujours le même
amour pour la Parole de Dieu. Dans sa soixante et
onzième année, il lut la Bible du
commencement à la fin, pour la
quarantième fois en quarante ans
(2). Sa
correspondance se faisait presque
entièrement par la plume de sa femme ; les
livres de, copies de lettres qui existent encore
montrent quels étroits rapports il
entretenait avec ses amis de Chine et du monde
entier.
Jusqu'à l'automne de cette
année 1902, il resta directeur
général de la
Mission. Il recevait des rapports réguliers
de M. Hoste, de M. Stevenson et d'autres. À
deux reprises, M. Frost et M. Sloan vinrent en
Suisse pour le voir. Lors de sa seconde visite, M.
Sloan fut nommé directeur-adjoint de la
Mission en Angleterre. Quand M. Hoste arriva de
Chine, en novembre 1902, Hudson Taylor comprit que
le moment était venu de déposer des
responsabilités qu'il ne pouvait plus
assumer. Beaucoup de problèmes se posaient,
relatifs aux reconstructions et du
développement du champ d'activité.
Des occasions magnifiques s'offraient. La semence
répandue dans les larmes et arrosée
de sang, promettait une riche moisson. La
bénédiction de Dieu avait
reposé sur la nomination faite deux ans
auparavant ; aussi, en plein accord avec tous les
directeurs et comités, Hudson Taylor
transmit-il avec reconnaissance à M. Hoste
l'entière direction de la Mission. Le
changement s'était Produit peu à peu
et il fut à peine sensible. M. et Mme Taylor
restaient aussi étroitement attachés
à l'oeuvre que jamais, mais M. Hoste avait
assumé une responsabilité lourdement
accrue.
Le sentiment l'en accablait : «
Je n'ai maintenant personne, disait-il, au
lendemain de ce transfert, personne sauf Dieu.
»
Mais l'affection et la confiance de
ses collègues se manifestèrent plus
vivement, quand sa nomination fut connue. « Je
suis reconnaissant, écrivait M. Orr Ewing,
que vous ayez choisi celui qui, parmi nous, est
peut-être le plus un homme de prière.
»
Ceux qui savaient regarder par
delà les apparences, voyaient bien quelle
souffrance était pour Hudson Taylor le fait
d'être incapable de travailler. Le sacrifice
et le travail sont également doux pour la
cause de Jésus ; mais, ajoutait-il, «
le plus dur c'est de ne pouvoir rien faire
».
Ce fut alors qu'un nuage vint
brusquement obscurcir tout l'horizon. Un
télégramme, en juillet 1903,
annonça aux auteurs de ce livre que le
médecin venait de diagnostiquer chez Mme
Taylor une tumeur intérieure. Sa mère
étant morte d'un cancer, tout était
à craindre. Un chrétien
dévoué, membre du Comité
américain de la Mission, le Dr Howard Kelly,
chirurgien d'une réputation mondiale, qui se
trouvait alors en Suisse, fut appelé en
consultation avec l'habile Dr Roux.
C'était bien un cancer, mais
M. et Mme Taylor ne le surent jamais et leur
crainte s'évanouit. Quand la malade fut
examinée, sous le
chloroforme, le mal trop avancé rendait
toute opération inutile. M. et Mme Taylor
n'en demandèrent pas davantage : ils en
conclurent avec gratitude qu'une opération
n'était pas nécessaire. Il ne
s'agissait donc, pour eux, que d'une simple tumeur
et leur soulagement fut si grand qu'ils
n'éprouvèrent plus que de la
reconnaissance.
Les années 1903 et 1904, qui
auraient pu être remplies de tant de douleurs
et d'appréhensions, ne le furent que de
tendresse délicate et de grâce. Pour
ceux qui savaient ce qui les attendait,
c'était un miracle quotidien de voir, au
lieu d'un coucher de soleil assombri, une
lumière grandissante. Rien n'était
changé ni troublé, dans leur vie en
commun. Mourant du cancer, Mme Taylor s'occupait de
ceux qui l'entouraient et non pas
d'elle-même, vivant encore pour son mari et
pour la Chine. Dans ses journées de
faiblesse et de souffrance, elle s'appuyait encore
davantage sur Dieu.
L'hiver fut passé à
Lausanne, pour être à proximité
du Dr Roux et Mme Taylor apprécia à
sa valeur le privilège d'habiter en ville et
d'avoir le tramway à la porte. Tant qu'elle
put marcher, plus ou moins librement, elle trouva
un réconfort dans le culte de
l'Église anglaise et les nombreuses visites
à des amis. Puis, quand la faiblesse
augmenta, avec quelle joie elle retrouva les fleurs
du printemps, la paix et la beauté des
Chevalleyres! De retour dans leur vieille demeure,
entourés comme auparavant de soins
affectueux, leur coupe semblait déborder.
Jamais les nouvelles de Chine n'avaient
été plus encourageantes.
Dieu aide M. Hoste dans la
direction et le développement de la Mission,
écrivait M. Frost après une visite
à Shanghaï. Il y a, parmi les ouvriers
indigènes aussi bien qu'étrangers, un
esprit extraordinaire d'union et de
dévouement. Des portes s'ouvrent et des
âmes, en nombre toujours plus grand, sont
gagnées à Christ.
M. et Mme Taylor se
réjouissaient de ce que l'accroissement de
leurs ressources leur permit de faire, à
cette époque, nombre de dons inattendus. Il
semblait que le Seigneur eût
hâté la procédure légale
du règlement de, la succession d'un oncle de
Mme Taylor en Australie, pour lui permettre de
consacrer elle-même, tant qu'elle le pouvait
encore, les quinze cents livres Sterling qu'elle
reçut. Donner avait été la
jouissance de sa vie et elle
devait avoir la joie de donner jusqu'au bout.
Plusieurs chèques de cent livres furent
adressés au trésorier de la Mission
avec des paroles d'affectueux encouragement, tandis
que d'autres lettres et d'autres dons partaient
dans d'autres directions.
Alors s'épanouirent le
dernier printemps et le dernier été
qu'ils passèrent ensemble.
Je suis devenue faible,
écrivait-elle en mars 1904, avant de quitter
Lausanne. Mais la bonté du Seigneur et sa
compassion se renouvellent chaque matin... Mon cher
ami est toujours frêle... Nous sommes
très bien assortis et tous deux si
reconnaissants de pouvoir vivre une vie tranquille
sans effort.
Elle jouissait beaucoup de la chaise
longue sur la véranda où elle passait
toujours plus de temps.
J'ai des jours pénibles
souvent, écrivait-elle, mais je ne souffre
plus comme autrefois... Le Seigneur tient nos jours
dans Sa main et tout est bien... Je n'ai
qu'à me reposer sur Lui; mes jours de
travail sont passés et je ne puis plus que
Lui parler de vous, les ouvriers actifs dans Sa
vigne... Nous ne savons pas ce qui nous attend,
mais nous Le connaissons, Lui, et cela
suffit.
À la fin de juin, la
chère malade dut renoncer à se lever,
ce qu'elle avait fait aussi longtemps que possible
pour ne pas rompre le cercle de famille. Hudson
Taylor jouit beaucoup d'une visite de son plus
jeune fils Charles et de la compagnie de sa fille
Amy qui aidait à soigner Mme Taylor.
Celle-ci avait toujours peur d'être à
charge à ses bien-aimés et, vu les
circonstances, il semblait difficile de se procurer
une garde-malade. Bien que cela ne devînt
jamais nécessaire le Seigneur y pourvut
aussi.
Les Bonjour,
écrivait-elle, sont toujours
empressés à nous rendre service. La
femme de chambre parle anglais et est une
garde-malade très habile et très
agréable. Si je viens à avoir besoin
d'elle la nuit, je pourrai la garder, les Bonjour
se procureront une autre domestique. Est-il
possible d'être plus aimable ?
Depuis que je n'ai plus
essayé de me lever, j'ai été
mieux en quelque mesure... le passe des
journées paisibles et tranquilles, quoique
faible et quelquefois souffrante... Le Seigneur me
prend à Lui peu à peu et doucement,
ce qui m'est une grande grâce à cause
de mon mari.
Avant qu'elle pût accourir aux
Chevalleyres, sa belle-fille reçut à
Keswick, où la retenait un engagement
antérieur, une lettre précieuse
:
16 juillet 1904. - Ici, dans ma
paisible chambre, je te soutiendrai par la
prière quand tu seras au milieu de la foule.
J'apprends la leçon de la faiblesse et de la
dépendance. Peut-être l'apprends-tu
aussi dans le domaine spirituel, d'une autre
façon. Oh ! si l'on avait toujours
été dépendant du Seigneur dans
Son service !
« S'appuyer sur le
Bien-Aimé », c'est toujours «
monter ». Tout est en Lui : repos, direction,
ressources suffisantes et satisfaction profonde.
Qu'Il nous rende capables de demander de grandes
choses pour Sa gloire.
Ce sera délicieux de te
voir ici, si le Seigneur le permet; mais je vis au
jour le jour, sans savoir ce que le lendemain
apportera. « Mes jours sont en Ta main »
et c'est une bénédiction qu'il en
soit ainsi. Tu verras de quel secours me sont
Howard, Amy et leur cher père, tous si
aimants et toujours prêts à me
gâter de toutes manières. Le Seigneur
est si bon pour nous ! Il semble que nous ne
puissions rien désirer de plus; mais
seulement Le louer !
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