Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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L'ORDRE DE DIEU


III
Tu ne prendras point le nom de l'Eternel, ton Dieu, en vain
par W. A. VISSER' THOOFT

Tu ne prendras point le nom de l'Éternel, ton Dieu, en vain; car l'Éternel ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris son nom en vain.
Exode 20 / 7.

Il nous est difficile de considérer ce troisième commandement avec le même sérieux que les autres. Les autres commandements semblent parler d'actes et d'attitudes par lesquels nous sommes totalement engagés.

Ils parlent de péchés qui manifestent une attitude foncièrement fausse vis-à-vis de Dieu et de notre prochain. Peut-on en dire autant du troisième commandement ? Ne faut-il pas plutôt dire que dans ce troisième commandement il s'agit - nous dirions : il s'agit seulement - du nom de Dieu, donc d'une question de langage et de terminologie, qui n'est pas nécessairement liée à notre attitude intérieure ? Faut-il alors vraiment mettre ce commandement sur le même plan que les autres ? Y a-t-il vraiment une comparaison possible entre l'abus du nom de Dieu, qui est si souvent un abus inconscient, et le meurtre, le vol, l'adultère ? Pouvons-nous et devons-nous dire que celui qui prend le nom de Dieu en vain est aussi coupable que celui qui tue, qui rend de faux témoignages, qui méprise ses parents ?

Pour répondre à ces questions il nous faut tout d'abord savoir ce que représente cette expression : le nom de Dieu, qui joue un si grand rôle dans la Bible et qui nous est devenue si étrangère. Nous ne comprendrons le vrai sens du troisième commandement qu'à travers une redécouverte de ce que le nom et de ce que ce nom signifie dans la Bible. Mais pour cela il nous faut faire un détour. Il nous faut tout d'abord comprendre ce que le nom tout court représentait pour des hommes tels que ceux qui recevaient les dix commandements.

Dans le monde antique, et aujourd'hui encore dans le monde des peuples primitifs, le nom n'est pas considéré comme une simple étiquette permettant de désigner et de distinguer les personnes. Il est lié à la personne par un lien indissoluble. Le nom lui appartient et elle appartient au nom. Le nom exprime l'être intime d'une personne ; on peut même dire que c'est la personne elle-même. Il nous en reste quelque chose dans l'expression : parler au nom de quelqu'un, car cette expression veut bien dire : parler avec l'autorité qu'une autre personne nous a donnée. Mais les primitifs prennent cette identification à la lettre. C'est pourquoi ils considèrent un enfant qui n'a pas encore reçu de nom comme un être qui n'a pas vraiment vécu. On l'enterre sans cérémonie funéraire.

Le nom est donc quelque chose d'essentiel dans la vie de tout être. C'est une émanation qui exprime la véritable nature des choses et des hommes. On connaît les choses et les hommes par leur nom. Ainsi certains peuples primitifs comme les Toradjas, des Indes Néerlandaises, ont élaboré tout un système de médecine basé sur les noms des maladies et des médicaments. Une plante dont le nom suggère la santé et la guérison sera utilisée et une plante dont le nom suggère la maladie sera évitée. C'est comme si nous utilisions les petits pois spécialement pour les malades qui doivent gagner du poids et un extrait d'oeillets pour ceux qui ont une maladie des yeux.

Ainsi le nom devient une puissance. Cette puissance est bien l'émanation d'une personne ou d'une chose, mais elle a aussi une force indépendante. Quand on connaît le nom d'un homme on peut exercer une influence sur lui. On peut lui faire du bien ou du mal. Il faut donc éviter de mentionner ce nom légèrement. Il ne faut pas que les mauvais esprits l'apprennent. C'est pourquoi l'on change le nom de personnes malades et que l'on cache leur vrai nom aux étrangers. La ville de Rome avait un nom secret qui était réservé aux cérémonies religieuses. L'empereur de Chine n'était jamais appelé par son vrai nom.

Le nom a donc une signification magique. Il est plein de dynamisme. Il révèle le secret des êtres; il est une force redoutable dans la lutte des bons et des mauvais esprits. Il s'en suit que la connaissance du nom d'un dieu ou des dieux et son utilisation sont d'une importance décisive pour la vie religieuse des primitifs et des anciens. On garde le secret au sujet du vrai nom de Dieu. Car on peut obliger le dieu à agir en l'appelant par son vrai nom. On peut pour ainsi dire forcer les portes du monde divin si l'on arrive à connaître les noms mystérieux de ses habitants. C'est pourquoi le démoniaque de Capernaüm (Marc 1) pense qu'il peut maîtriser Jésus en utilisant son nom secret et messianique : « Saint de Dieu », et que nous lisons dans les Actes des Apôtres l'histoire d'exorcistes juifs qui cherchent à chasser les esprits malins en invoquant le nom de Jésus (Actes 19/13). Le Yoga Hindou enseigne que par la méditation du mot « oui. » qui représente Brahman, on arrive jusqu'à Brahman lui-même. Les Romains parlent de « fatiguer les dieux » par l'appel de leur nom. Tous les peuples païens ont élaboré des systèmes analogues.

Nous avons parlé de ces phénomènes exotiques parce qu'ils nous aident à comprendre ce que le nom de Dieu signifie dans la Bible et surtout ce que le nom de Dieu n'y signifie pas. La Bible nous vient du monde ancien dans lequel ces conceptions et ces croyances sont générales et elle utilise jusqu'à un certain point la terminologie de ce monde. Mais elle représente en même temps et surtout une irruption dans ce monde d'un message, d'une réalité radicalement nouvelle. Elle est le document d'une révélation qui, tout en se manifestant dans les formes de ce monde ancien, en brise le cadre et en transforme complètement les croyances. Voyons donc ce qui dans la Bible reflète la conception du monde primitif et ce qui reflète la nouveauté de la révélation.

Dans la Bible le nom est aussi identifié à la personne. Le nom de Dieu, c'est Dieu lui-même, Dieu personnellement. Craindre « ce nom glorieux et terrible, l'Éternel, ton Dieu », c'est craindre Dieu lui-même. (Deut. 28/58). « Ton nom est présent parmi nous » (Ps. 75/2) veut dire: « tu es personnellement présent parmi les tiens ». Le nom de Dieu, ne serait-ce donc qu'une façon orientale de parler de Dieu lui-même ? Non, il y a plus, « le nom de Dieu » implique la grande, la bonne nouvelle que Dieu n'est pas un Dieu inconnu, un Dieu abstrait et solitaire, mais un Dieu qui s'est fait connaître à son peuple, qui se révèle. Le nom de Dieu veut dire : Dieu comme il est présent, comme il agit parmi ceux qui le connaissent et lui obéissent

Dans ce sens, mais dans ce sens seulement, la Bible partage les idées du monde antique au sujet du nom. Pour elle aussi le nom est d'une grande importance; il manifeste la réalité d'un être, il nous permet de le connaître. Mais la Bible s'oppose résolument à tout usage magique de cette vérité. La connaissance du nom de Dieu n'a rien à voir avec une puissance occulte. Dieu ne laisse pas utiliser son nom pour des fins humaines. Dieu se révèle comme le Dieu Saint, c'est-à-dire le Dieu qui reste le Seigneur, qui ne se livre pas aux hommes.

L'expression la plus concentrée de cette conception biblique du nom de Dieu se trouve dans le récit du buisson ardent d'Exode 3. Dieu y révèle son nom, mais il ne le révèle pas de telle sorte que ce nom devienne un instrument que les hommes pourraient utiliser à leur guise. Le nom qui est révélé à Moïse indique clairement qu'il ne s'agit pas d'un nom parmi tant d'autres. C'est un nom unique. C'est le nom de celui qui s'appelle : « Je suis qui je suis » (ce qui est probablement la meilleure traduction). Ce nom indique que ce Dieu, même quand il se révèle, reste tout à fait maître de la situation, Il se manifeste, il montre qu'il ne veut pas rester un Dieu inconnu et caché; par son nom il entre dans le monde et parle avec son peuple. Mais sa manifestation ne devient pas un objet de spéculation ou de magie. Il est ce qu'il est. Il vient quand il vient. Il reste le Dieu Souverain et Saint. Il faut se couvrir la tète et se déchausser quand on est devant lui. Moïse doit dire aux enfants d'Israël : « Celui qui s'appelle « je suis » m'a envoyé vers vous ». Les dieux des autres peuples peuvent être utilisés, exploités, emprisonnés par les hommes dans leurs cérémonies, leurs rites, leurs actes magiques. Ils sont comme des forces naturelles qu'on s'efforce d'exploiter. Le Dieu d'Israël reste l'Éternel vis-à-vis, le « toi », le Dieu qui n'est comparable qu'avec Lui-même. Dieu seulement parle bien de Dieu.

Il se révèle, mais il se révèle comme Dieu et non pas comme un dieu ou comme une force divine. Il nous dit qu'il est près, mais il ne cesse pas d'être aussi le Dieu lointain. « Ne suis-je un Dieu que de près, et ne suis-je pas aussi un Dieu de loin ? » (Jérémie 23/23). Il se fait connaître, mais il reste aussi le Dieu incompréhensible. C'est précisément le miracle que Dieu se fasse connaître comme le Dieu Saint. En ceci la Bible est vraiment unique. Elle seule, parmi toutes les religions, prend tout à fait au sérieux le fait que Dieu reste Dieu, reste le Créateur et le Seigneur, même après et dans sa révélation. Elle seule peut dire d'abord: « Élève avec force ta voix, Jérusalem, pour publier la bonne nouvelle, dis aux villes de Juda : Voici notre Dieu », et tout de suite après : « Qui a sondé l'esprit de l'Eternel... A qui me comparerez-vous pour que je lui ressemble ? » (Esaïe 40/9-18). Ici seulement, révélation veut dire sanctification et non profanation.

Et nous qui lisons l'Ancien Testament dans l'Église ne pouvons-nous, ne devons-nous pas aller plus loin ? Ce nom de Dieu, ce Dieu révélé, cet Emmanuel-Dieu-parmi-nous, c'est Jésus-Christ. C'est celui qui vient dans le monde, mais qui n'est pas de ce monde, qui est vraiment homme, mais le seul homme qui soit fils du Dieu vivant, celui qui est bien livré dans les mains des hommes, mais qui par sa résurrection se manifeste comme leur vainqueur. À celui-là Dieu donne son propre nom. « Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom », c'est-à-dire le nom unique que Dieu porte lui-même : Kurios, mot utilisé pour traduire Jéhovah et qui vent dire : Seigneur. Désormais il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Actes 4/12). Désormais Dieu est vraiment connu par son nom. Le nom de Dieu est devenu chair. Le grand mystère du Dieu qui dit : « je suis qui je suis », le mystère du buisson ardent est devenu un mystère révélé et porté à la connaissance de toutes les nations. L'Église, en invoquant le nom de Dieu, invoque la présence de Dieu en Jésus-Christ.

N'est-il pas normal de voir, maintenant, le troisième commandement figurer parmi les dix ? Il ne s'agit pas seulement d'une question d'ordre terminologique; il ne s'agit pas seulement de l'utilisation du mot : Dieu, il s'agit surtout de la reconnaissance de la présence réelle de Dieu parmi nous. Prendre le nom de Dieu en vain, ce n'est pas seulement abuser de son nom par nos paroles, c'est aussi et surtout méconnaître ce que cette présence signifie pour nous, c'est refuser de prendre au sérieux les conditions dans lesquelles Dieu s'est révélé et le contenu de cette révélation; c'est utiliser le nom qui est au-dessus de tout nom comme une des étiquettes possibles pour nos initiatives toutes humaines; c'est traiter Dieu non pas comme Dieu, mais comme un dieu; non pas comme le Dieu Saint et personnel, mais comme une chose divine; c'est aussi traiter celui qui porte son nom comme une créature.

Nous avons déjà parlé de la forme la plus crue du péché que le troisième commandement condamne. C'est la magie, l'effort de maîtriser le destin par l'invocation du nom puissant. Ce qui la caractérise, c'est que l'homme y est au centre et que Dieu doit répondre à ses appels. Tandis que la foi biblique est toujours. comme encadrée par la prière : « que ta volonté soit faite », l'art magique consiste à obliger Dieu à entrer dans les desseins des hommes.

Cette attitude magique ne survit pas seulement dans les tribus primitives. Elle est présente parmi nous dans les expressions de notre paganisme, expressions bien plus graves précisément parce qu'elles ne sont pas primitives et qu'elles expriment l'attitude d'hommes et de femmes qui ont écouté ou pu écouter les commandements de la loi de Dieu.

Le juron n'est probablement pas autre chose qu'une invocation magique qui a été déracinée du sol proprement religieux et qui a été transplantée dans la vie ordinaire. C'est une caricature de la magie consciente. La plupart de ceux qui jurent, ne le font pas avec l'intention d'insulter Dieu, mais avec le désir de donner une plus grande force à leurs arguments. Il y a là comme un vague souvenir que le nom de Dieu est puissant. Mais cela ne saurait les rendre excusables. Car le Dieu tout-puissant est, en fait, insulté, quand Son nom, le nom qu'il nous révèle pour que nous le reconnaissions comme notre Seigneur, est utilisé pour donner plus de force à nos arguments, à nos menaces, à nos colères.

Mais la magie primitive et le juron ne sont peut-être pas les formes les plus graves du péché contre le troisième commandement. Il y a encore l'abus systématique et conscient du nom de Dieu par les païens modernes. Il est extraordinaire de constater que ces païens-là, qui ne reconnaissent aucune révélation spécifique, tiennent tellement au nom de Dieu. Ils ne font pas de grands discours sans déclarer que Dieu est avec la cause qu'ils représentent. Seulement, et cela nous donne l'explication de l'énigme, ils ne parlent de Dieu que dans leurs toutes dernières phrases. C'est que leur dieu est un dieu qu'on introduit au dernier moment, un « deus ex machina » qui doit garantir la bonne issue d'un combat qu'on a commencé sans lui. Ce n'est pas le Dieu de la Bible, qui est Alpha et Oméga, le commencement et la fin, le Dieu qui ne saurait apparaître à la fin quand il n'a pas été invoqué au début et obéi par la suite. C'est encore un dieu magique qui n'a pas d'autre rôle que de bénir ce que les hommes ont fait sans se soucier de sa volonté.

Il y a des chrétiens qui sont tout heureux quand un homme d'État, qu'on avait considéré comme un athée, parle de Dieu dans ses discours publics; il y en a qui espèrent des résultats spirituels remarquables de la restauration du nom de Dieu dans la vie politique. Ils oublient le troisième commandement. Ils oublient que l'abus du nom de Dieu est plus grave que le silence au sujet de ce nom. Il est vrai que Dieu doit être reconnu dans la vie publique comme dans la vie privée, mais reconnaître Dieu veut dire reconnaître sa souveraineté et sa sainteté. Il est donc inadmissible que son nom soit prononcé par ceux qui ne l'acceptent pas comme Souverain et ne veulent pas sanctifier son nom.

Prenons un exemple très récent. M. Jacques Chevallier avait rétabli le mot « Dieu » dans le programme d'instruction morale des écoles primaires françaises. Était-ce un progrès ? Non ! Les instituteurs français ont eu raison de protester et le successeur de M. Chevallier, le nouveau secrétaire d'État français à l'éducation nationale, a bien fait de remplacer le mot « Dieu » par l'expression « valeurs spirituelles ». L'explication qu'il donne de son action montre qu'il a compris le sens du troisième commandement. Il dit : « Mieux vaut ne pas parler de Dieu en classe que d'en mal parler et ce sera toujours en mal parler pour un chrétien qui porte au fond de son coeur l'amour de son Sauveur que de s'en tenir aux termes d'une vague religiosité et d'un déisme abstrait et inconsistant ». Ainsi le représentant de la neutralité religieuse peut montrer plus de compréhension pour le commandement biblique que le partisan de l'Etat chrétien.

Car il y a une façon chrétienne de prendre le nom de Dieu en vain. Il y a même plusieurs façons de le faire.

Je pense tout d'abord à cette facilité déconcertante avec laquelle bien des chrétiens parlent de Dieu et introduisent son nom dans leurs discours et leurs conversations. Ne voient-ils pas qu'ils rendent un témoignage négatif ? Ne comprennent-ils pas que leur familiarité avec Dieu finit par convaincre les autres qu'un tel dieu ne vaut pas la peine d'être pris au sérieux ? La dame très chrétienne qui veut manifester sa piété en déclarant qu'elle prie toujours avant d'acheter un chapeau neuf - l'exemple est historique - connaît-elle le Dieu du buisson ardent, sait-elle qu'il est terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant ? N'est-elle pas plus éloignée de la vraie connaissance de Dieu que l'agnostique dont l'agnosticisme est basé sur le respect de l'incompréhensible mystère de l'existence de Dieu ? Ce pasteur qui est si remarquablement habile à expliquer pourquoi Dieu fait souffrir un tel et comble un autre de bénédictions, ce soi-disant prophète qui sait exactement quel est le dessein secret de Dieu dans la guerre - parlent-ils encore du Dieu dont les jugements sont insondables et les voies incompréhensibles (Rom. 11/33) ?

Le vrai critère de notre obéissance vis-à-vis du troisième commandement est la prière. Au fond pour un chrétien l'abus du nom de Dieu dans la prière devrait être impossible. Car si nous osons même prendre le nom de Dieu en vain au moment où nous nous plaçons consciemment devant Lui - -peut-on encore prendre notre foi au sérieux, pouvons-nous nous-mêmes prendre notre foi au sérieux ? Hélas, il faut bien l'avouer, c'est dans la prière que nous péchons souvent le plus gravement contre la loi de Dieu. Combien de fois ne prions-nous pas, sans être vraiment devant lui, sans nous rendre compte qu'il est là, qu'il nous écoute, qu'il nous juge, qu'il nous appelle, qu'il nous aime ? Combien de fois ne faisons-nous pas exactement ce qui nous est défendu, ne multiplions-nous pas « de vaines paroles comme les païens qui s'imaginent qu'à force de paroles ils seront exaucés » ? Écoutez ces longues prières verbeuses qu'on entend dans certains cultes, ces prières qui sont si clairement adressées aux fidèles comme une sorte de sermon après le sermon. Elles ne prouvent qu'une chose : que celui qui prie ne compte même pas avec la possibilité que Dieu l'écoute. Relisez alors les prières de la Bible, ces prières de quelques mots où tout, absolument tout, est dit devant Dieu et dit avec crainte et tremblement. Et vous serez effrayés par l'abîme qui sépare les unes des autres.

Nous avons dit que le nom de Dieu pour nous, le nom par lequel nous connaissons Dieu est Jésus-Christ. C'est pourquoi nous devons aussi parler de l'abus de son nom. Est-il vraiment admissible que nous utilisions si facilement le mot chrétien ? N'est-ce pas un mot qui lui appartient plutôt qu'à nous ? Avons-nous le droit de faire de ce mot un shibboleth qui distingue nos idées, notre culture, nos traditions, nos coutumes de ceux d'autres hommes, d'autres peuples ?

Nous voyons ici de nouveau que les péchés contre les commandements de Dieu sont toujours en même temps des péchés contre Dieu et contre le prochain. Car c'est bien à cause de notre légèreté coupable, de notre manque de vrai respect pour les choses de Dieu et de son Fils que nous obscurcissons la lumière de l'Évangile pour ceux du dehors. Je pense à un jeune homme, fils de parents archi-pieux, qui me racontait une fois qu'à cause de l'emploi presque automatique du nom de Dieu dans sa famille, il ne pouvait plus entendre prononcer ce nom sans éprouver une sorte de dégoût physique et qu'il n'a retrouvé le chemin de l'Église qu'après de grandes luttes intérieures. Je pense à ces millions d'Asiatiques et d'Africains qui ont appris par nous que l'Occident est peuplé par des peuples chrétiens et qui après avoir constaté comment on vivait en Occident, quelle influence cet Occident exerçait dans leur Pays se sont dit : toute autre religion plutôt que celle-là ! Quel miracle de Dieu que tant d'êtres qui nous ont entendu prendre le nom de Dieu en vain, qui nous ont entendu abuser du nom de Jésus-Christ, comme si ce nom était de la monnaie courante, arrivent encore à connaître Dieu en dépit de nous !

Si nous avons jamais pensé qu'il était facile de garder ce commandement, nous devons maintenant dire que nous l'avons transgressé, que nous le transgressons continuellement. Nous avons tous pris le nom de Dieu en vain. Et ne faut-il pas aller plus loin encore ? Parlons-nous jamais de Dieu de telle sorte que le commandement ne nous juge pas ? Parlons-nous jamais de Dieu comme il faut parler de lui ? Ne devons-nous pas dire comme Esaïe : « Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures et mes yeux ont vu le Roi, l'Éternel des Armées ? » Nous aussi, nous connaissons l'Éternel, nous devons donc parler de lui, mais nous ne pouvons pas parler de lui comme il faut parler de lui.

Alors il ne reste qu'une possibilité: que Dieu s'occupe lui-même de la sanctification de son nom. Si nous parlons mal de Dieu, Dieu parle bien de Dieu. Si nous prenons son nom en vain, il rend à son nom toute la substance éternelle qu'il contient. Et c'est bien cela le message de toute la Bible : Dieu sanctifie son nom. Il ne se retire pas après avoir révélé son nom. Il dit « Je sanctifierai mon grand nom, qui a été profané parmi les nations, que vous avez profané au milieu d'elles. Et les nations sauront que je suis l'Éternel » (Ez. 36/23). Et tout ce qu'il fait par son peuple et pour son peuple est un accomplissement de cette grande promesse. N'a-t-il pas sanctifié son nom en faisant sortir son peuple du pays d'Égypte ? Ne le sanctifie-t-il pas en envoyant son Fils dans le monde ? Jésus prie : « Glorifie ton Fils, afin que ton Fils le glorifie » (Jean 17), et le Père lui répond en lui donnant le nom qui est au-dessus de tout nom. Et il manifestera finalement qu'il est vraiment Dieu quand il instaurera son Règne et quand tous pourrons voir sa gloire.

C'est pourquoi nous devons prier : « Que ton nom soit sanctifié ». Par cette prière, nous admettons que nous ne saurions par nous-mêmes sanctifier son nom, que nous sommes des profanes, qui prennent son nom en vain. Mais nous confessons aussi qu'il veille, qu'il ne laisse pas obscurcir la gloire de son nom par les innombrables profanations dont les hommes sont coupables, qu'il fera définitivement reconnaître la gloire de son nom par tous les peuples.

Est-ce à dire que notre rôle n'est que celui de spectateurs ? Certainement non, car Dieu veut nous associer à la sanctification de son nom. Quand il nous annonce dans son commandement qu'il nous est défendu de prendre son nom en vain, ce n'est pas pour que nous gardions le silence. Il nous dit par l'Ancien Testament qu'il veut être «sanctifié au milieu des enfants d'Israël» (Lév. 22/32). Il nous dit par le Nouveau Testament que nos bonnes oeuvres doivent amener les hommes à glorifier notre Père qui est dans les cieux. Le fait même, qu'il se fait connaître, montre qu'il veut nous faire participer à l'oeuvre par laquelle il crée son monde à nouveau et manifeste la gloire de son nom. Quand Jésus prie : « Père, glorifie ton nom », le Père répond : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore ». Est-ce un dialogue entre le Père et le Fils qui ne nous regarde pas ? Non, Jésus dit : « Ce n'est pas à cause de moi que cette voix s'est fait entendre; c'est à cause de vous» (Jean 12). A cause de nous ! C'est cela l'Évangile, la bonne nouvelle qu'en dépit de notre caractère profane, en dépit de tous nos péchés contre son commandement, Dieu ne nous abandonne pas, qu'il veut encore de nous, qu'il nous utilise, qu'il sanctifie son nom en nous et par nous.

Si donc nous prions : « Que ton nom soit sanctifié » nous prions aussi pour nous-mêmes et contre nous-mêmes. Nous prions alors que Dieu veuille bien toucher nos lèvres impures comme celles d'Esaïe avec une pierre ardente et qu'il veuille enlever nos iniquités, afin que nos paroles et nos actes soient dignes de lui.

Dieu l'a déjà fait. La pierre ardente nous a touchés, nos iniquités ont été enlevées. La menace que Dieu ne laissera pas impunis ceux qui prennent son nom en vain, qui pèse sur chacun de nous, n'est pas retirée, mais elle est comme absorbée par le fait que Jésus-Christ porte le fardeau de tous nos péchés. En Jésus-Christ nous ne sommes plus des profanes, mais des saints. Tout ce qu'il faut maintenant, c'est être ce que nous sommes en lui. Tout ce qu'il faut, c'est rejeter ce que nous étions avant que la parole nous fût adressée et croire résolument que Dieu veut dire ce qu'il dit. Il est donc possible de ne pas prendre en vain le nom de Dieu. Il est possible en Jésus-Christ de proclamer son nom comme il veut qu'il soit proclamé. Si nous sommes vraiment dans la foi, nous pouvons sanctifier le nom de Dieu.

Pour que cela devienne la réalité de notre vie, nous devons prier, prier sans cesse : « Que ton nom soit sanctifié». Nous devons oser bâtir toute notre vie sur cet unique fondement. Tous les commandements sont dominés par le premier. Sanctifier le nom de Dieu, c'est vivre uniquement pour que son nom et seulement Son nom soit glorifié. Tout est là. Ne pas se laisser emprisonner ou même distraire par autre chose. Risquer tout pour obtenir la perle de grand prix. Croire que rien dans le monde n'est vraiment important en comparaison de la révélation du saint nom de Dieu et de la manifestation de sa puissance, de son salut dans le monde. Le croire même quand on ne le voit pas et quand il semble que la profanation devient la religion officielle et universelle.
Suivre le Seigneur jusqu'au dernier moment de sa vie quand il était face à face avec la Croix et quand il parlait ainsi : « Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur... Maintenant mon âme est troublée. Et que dirai-je ? Père, délivre-moi de cette heure ? Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure. Père, glorifie ton nom » (Jean 12).

W. A. VISSER'T HOOFT.


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