L'ORDRE DE
DIEU
III
- Tu ne prendras
point le nom de l'Eternel, ton Dieu, en
vain
par W. A. VISSER' THOOFT
Tu ne prendras point le nom de
l'Éternel, ton Dieu, en vain; car
l'Éternel ne tiendra point pour
innocent celui qui aura pris son nom en
vain.
Exode 20 / 7.
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Il nous est difficile de considérer ce
troisième commandement avec le même
sérieux que les autres. Les autres
commandements semblent parler d'actes et
d'attitudes par lesquels nous sommes totalement
engagés.
Ils parlent de péchés qui
manifestent une attitude foncièrement fausse
vis-à-vis de Dieu et de notre prochain.
Peut-on en dire autant du troisième
commandement ? Ne faut-il pas plutôt dire que
dans ce troisième commandement il s'agit -
nous dirions : il s'agit seulement - du nom de
Dieu, donc d'une question de langage et de
terminologie, qui n'est pas nécessairement
liée à notre attitude
intérieure ? Faut-il alors vraiment mettre
ce commandement sur le même plan que les
autres ? Y a-t-il vraiment une comparaison possible
entre l'abus du nom de Dieu, qui est si souvent un
abus inconscient, et le meurtre, le vol,
l'adultère ? Pouvons-nous et devons-nous
dire que celui qui prend le nom de Dieu en vain est
aussi coupable que celui qui tue, qui rend de faux
témoignages, qui méprise ses parents
?
Pour répondre à ces
questions il nous faut tout d'abord savoir ce que
représente cette expression : le nom de
Dieu, qui joue un si grand rôle dans la Bible
et qui nous est devenue si étrangère.
Nous ne comprendrons le vrai sens du
troisième commandement qu'à travers
une redécouverte de ce que le nom et de ce
que ce nom signifie dans la Bible. Mais pour cela
il nous faut faire un détour. Il nous faut
tout d'abord comprendre ce que le nom tout court
représentait pour des hommes tels que ceux
qui recevaient les dix commandements.
Dans le monde antique, et aujourd'hui
encore dans le monde des peuples primitifs, le nom
n'est pas considéré comme une simple
étiquette permettant de désigner et
de distinguer les personnes. Il est lié
à la personne par un lien indissoluble. Le
nom lui appartient et elle appartient au nom. Le
nom exprime l'être intime d'une personne ; on
peut même dire que c'est la personne
elle-même. Il nous en reste quelque chose
dans l'expression : parler au nom de quelqu'un, car
cette expression veut bien dire : parler avec
l'autorité qu'une autre personne nous a
donnée. Mais les primitifs prennent cette
identification à la lettre. C'est pourquoi
ils considèrent un enfant qui n'a pas encore
reçu de nom comme un être qui n'a pas
vraiment vécu. On l'enterre sans
cérémonie funéraire.
Le nom est donc quelque chose
d'essentiel dans la vie de tout être. C'est
une émanation qui exprime la
véritable nature des choses et des hommes.
On connaît les choses et les hommes par leur
nom. Ainsi certains peuples primitifs comme les
Toradjas, des Indes Néerlandaises, ont
élaboré tout un système de
médecine basé sur les noms des
maladies et des médicaments. Une plante dont
le nom suggère la santé et la
guérison sera
utilisée et une plante
dont le nom suggère la maladie sera
évitée. C'est comme si nous
utilisions les petits pois spécialement pour
les malades qui doivent gagner du poids et un
extrait d'oeillets pour ceux qui ont une maladie
des yeux.
Ainsi le nom devient une puissance.
Cette puissance est bien l'émanation d'une
personne ou d'une chose, mais elle a aussi une
force indépendante. Quand on connaît
le nom d'un homme on peut exercer une influence sur
lui. On peut lui faire du bien ou du mal. Il faut
donc éviter de mentionner ce nom
légèrement. Il ne faut pas que les
mauvais esprits l'apprennent. C'est pourquoi l'on
change le nom de personnes malades et que l'on
cache leur vrai nom aux étrangers. La ville
de Rome avait un nom secret qui était
réservé aux cérémonies
religieuses. L'empereur de Chine n'était
jamais appelé par son vrai nom.
Le nom a donc une signification magique.
Il est plein de dynamisme. Il révèle
le secret des êtres; il est une force
redoutable dans la lutte des bons et des mauvais
esprits. Il s'en suit que la connaissance du nom
d'un dieu ou des dieux et son utilisation sont
d'une importance décisive pour la vie
religieuse des primitifs et des anciens. On garde
le secret au sujet du vrai nom de Dieu. Car on peut
obliger le dieu à agir en l'appelant par son
vrai nom. On peut pour ainsi dire forcer les portes
du monde divin si l'on arrive à
connaître les noms mystérieux de ses
habitants. C'est pourquoi le démoniaque de
Capernaüm
(Marc 1) pense qu'il peut
maîtriser Jésus en utilisant son nom
secret et messianique : « Saint de Dieu
», et que nous lisons dans les Actes des
Apôtres l'histoire d'exorcistes juifs qui
cherchent à chasser les esprits malins en
invoquant le nom de Jésus
(Actes 19/13). Le Yoga Hindou
enseigne que par la méditation du mot «
oui. » qui représente Brahman, on
arrive jusqu'à Brahman lui-même. Les
Romains parlent de « fatiguer les dieux »
par l'appel de leur nom. Tous les peuples
païens ont élaboré des
systèmes analogues.
Nous avons parlé de ces
phénomènes exotiques parce qu'ils
nous aident à comprendre ce que le nom de
Dieu signifie dans la Bible et surtout ce que le
nom de Dieu n'y signifie pas. La Bible nous vient
du monde ancien dans lequel ces conceptions et ces
croyances sont générales et elle
utilise jusqu'à un certain point la
terminologie de ce monde. Mais elle
représente en même temps et surtout
une irruption dans ce monde d'un message, d'une
réalité radicalement nouvelle. Elle
est le document d'une révélation qui,
tout en se manifestant dans les formes de ce monde
ancien, en brise le cadre et en transforme
complètement les croyances. Voyons donc ce
qui dans la Bible reflète la conception du
monde primitif et ce qui reflète la
nouveauté de la
révélation.
Dans la Bible le nom est aussi
identifié à la personne. Le nom de
Dieu, c'est Dieu lui-même, Dieu
personnellement. Craindre « ce nom glorieux et
terrible, l'Éternel, ton Dieu », c'est
craindre Dieu lui-même.
(Deut. 28/58). « Ton nom est
présent parmi nous »
(Ps. 75/2) veut dire: « tu es
personnellement présent parmi les tiens
». Le nom de Dieu, ne serait-ce donc qu'une
façon orientale de parler de Dieu
lui-même ? Non, il y a plus, « le nom de
Dieu » implique la grande, la bonne nouvelle
que Dieu n'est pas un Dieu inconnu, un Dieu
abstrait et solitaire, mais un Dieu qui s'est fait
connaître à son
peuple, qui se révèle. Le nom de Dieu
veut dire : Dieu comme il est présent, comme
il agit parmi ceux qui le connaissent et lui
obéissent
Dans ce sens, mais dans ce sens
seulement, la Bible partage les idées du
monde antique au sujet du nom. Pour elle aussi le
nom est d'une grande importance; il manifeste la
réalité d'un être, il nous
permet de le connaître. Mais la Bible
s'oppose résolument à tout usage
magique de cette vérité. La
connaissance du nom de Dieu n'a rien à voir
avec une puissance occulte. Dieu ne laisse pas
utiliser son nom pour des fins humaines. Dieu se
révèle comme le Dieu Saint,
c'est-à-dire le Dieu qui reste le Seigneur,
qui ne se livre pas aux hommes.
L'expression la plus concentrée
de cette conception biblique du nom de Dieu se
trouve dans le récit du buisson ardent
d'Exode 3. Dieu y révèle son nom,
mais il ne le révèle pas de telle
sorte que ce nom devienne un instrument que les
hommes pourraient utiliser à leur guise. Le
nom qui est révélé à
Moïse indique clairement qu'il ne s'agit pas
d'un nom parmi tant d'autres. C'est un nom unique.
C'est le nom de celui qui s'appelle : « Je
suis qui je suis » (ce qui est probablement la
meilleure traduction). Ce nom indique que ce Dieu,
même quand il se révèle, reste
tout à fait maître de la situation, Il
se manifeste, il montre qu'il ne veut pas rester un
Dieu inconnu et caché; par son nom il entre
dans le monde et parle avec son peuple. Mais sa
manifestation ne devient pas un objet de
spéculation ou de magie. Il est ce qu'il
est. Il vient quand il vient. Il reste le Dieu
Souverain et Saint. Il faut se couvrir la
tète et se déchausser quand on est
devant lui. Moïse doit dire aux enfants
d'Israël : « Celui qui s'appelle «
je suis » m'a envoyé vers vous ».
Les dieux des autres peuples
peuvent être
utilisés, exploités,
emprisonnés par les hommes dans leurs
cérémonies, leurs rites, leurs actes
magiques. Ils sont comme des forces naturelles
qu'on s'efforce d'exploiter. Le Dieu d'Israël
reste l'Éternel vis-à-vis, le «
toi », le Dieu qui n'est comparable qu'avec
Lui-même. Dieu seulement parle bien de
Dieu.
Il se révèle, mais il se
révèle comme Dieu et non pas comme un
dieu ou comme une force divine. Il nous dit qu'il
est près, mais il ne cesse pas d'être
aussi le Dieu lointain. « Ne suis-je un Dieu
que de près, et ne suis-je pas aussi un Dieu
de loin ? »
(Jérémie 23/23). Il se
fait connaître, mais il reste aussi le Dieu
incompréhensible. C'est
précisément le miracle que Dieu se
fasse connaître comme le Dieu Saint. En ceci
la Bible est vraiment unique. Elle seule, parmi
toutes les religions, prend tout à fait au
sérieux le fait que Dieu reste Dieu, reste
le Créateur et le Seigneur, même
après et dans sa révélation.
Elle seule peut dire d'abord: «
Élève avec force ta voix,
Jérusalem, pour publier la bonne nouvelle,
dis aux villes de Juda : Voici notre Dieu »,
et tout de suite après : « Qui a
sondé l'esprit de l'Eternel... A qui me
comparerez-vous pour que je lui ressemble ? »
(Esaïe 40/9-18). Ici seulement,
révélation veut dire sanctification
et non profanation.
Et nous qui lisons l'Ancien Testament
dans l'Église ne pouvons-nous, ne
devons-nous pas aller plus loin ? Ce nom de Dieu,
ce Dieu révélé, cet
Emmanuel-Dieu-parmi-nous, c'est
Jésus-Christ. C'est celui qui vient dans le
monde, mais qui n'est pas de ce monde, qui est
vraiment homme, mais le seul homme qui soit fils du
Dieu vivant, celui qui est bien livré dans
les mains des hommes, mais qui par sa
résurrection se manifeste comme leur
vainqueur. À celui-là Dieu donne son
propre nom. « Dieu l'a
souverainement élevé et lui a
donné le nom qui est au-dessus de tout nom
», c'est-à-dire le nom unique que Dieu
porte lui-même : Kurios, mot utilisé
pour traduire Jéhovah et qui vent dire :
Seigneur. Désormais il n'y a sous le ciel
aucun autre nom qui ait été
donné parmi les hommes, par lequel nous
devions être sauvés »
(Actes 4/12). Désormais Dieu
est vraiment connu par son nom. Le nom de Dieu est
devenu chair. Le grand mystère du Dieu qui
dit : « je suis qui je suis », le
mystère du buisson ardent est devenu un
mystère révélé et
porté à la connaissance de toutes les
nations. L'Église, en invoquant le nom de
Dieu, invoque la présence de Dieu en
Jésus-Christ.
N'est-il pas normal de voir, maintenant,
le troisième commandement figurer parmi les
dix ? Il ne s'agit pas seulement d'une question
d'ordre terminologique; il ne s'agit pas seulement
de l'utilisation du mot : Dieu, il s'agit surtout
de la reconnaissance de la présence
réelle de Dieu parmi nous. Prendre le nom de
Dieu en vain, ce n'est pas seulement abuser de son
nom par nos paroles, c'est aussi et surtout
méconnaître ce que cette
présence signifie pour nous, c'est refuser
de prendre au sérieux les conditions dans
lesquelles Dieu s'est révélé
et le contenu de cette révélation;
c'est utiliser le nom qui est au-dessus de tout nom
comme une des étiquettes possibles pour nos
initiatives toutes humaines; c'est traiter Dieu non
pas comme Dieu, mais comme un dieu; non pas comme
le Dieu Saint et personnel, mais comme une chose
divine; c'est aussi traiter celui qui porte son nom
comme une créature.
Nous avons déjà
parlé de la forme la plus crue du
péché que le
troisième commandement condamne. C'est la
magie, l'effort de maîtriser le destin par
l'invocation du nom puissant. Ce qui la
caractérise, c'est que l'homme y est au
centre et que Dieu doit répondre à
ses appels. Tandis que la foi biblique est
toujours. comme encadrée par la
prière : « que ta volonté soit
faite », l'art magique consiste à
obliger Dieu à entrer dans les desseins des
hommes.
Cette attitude magique ne survit pas
seulement dans les tribus primitives. Elle est
présente parmi nous dans les expressions de
notre paganisme, expressions bien plus graves
précisément parce qu'elles ne sont
pas primitives et qu'elles expriment l'attitude
d'hommes et de femmes qui ont écouté
ou pu écouter les commandements de la loi de
Dieu.
Le juron n'est probablement pas autre
chose qu'une invocation magique qui a
été déracinée du sol
proprement religieux et qui a été
transplantée dans la vie ordinaire. C'est
une caricature de la magie consciente. La plupart
de ceux qui jurent, ne le font pas avec l'intention
d'insulter Dieu, mais avec le désir de
donner une plus grande force à leurs
arguments. Il y a là comme un vague souvenir
que le nom de Dieu est puissant. Mais cela ne
saurait les rendre excusables. Car le Dieu
tout-puissant est, en fait, insulté, quand
Son nom, le nom qu'il nous révèle
pour que nous le reconnaissions comme notre
Seigneur, est utilisé pour donner plus de
force à nos arguments, à nos menaces,
à nos colères.
Mais la magie primitive et le juron ne
sont peut-être pas les formes les plus graves
du péché contre le troisième
commandement. Il y a encore l'abus
systématique et conscient du nom de Dieu par
les païens modernes. Il est
extraordinaire de constater que ces
païens-là, qui ne reconnaissent aucune
révélation spécifique,
tiennent tellement au nom de Dieu. Ils ne font pas
de grands discours sans déclarer que Dieu
est avec la cause qu'ils représentent.
Seulement, et cela nous donne l'explication de
l'énigme, ils ne parlent de Dieu que dans
leurs toutes dernières phrases. C'est que
leur dieu est un dieu qu'on introduit au dernier
moment, un « deus ex machina » qui doit
garantir la bonne issue d'un combat qu'on a
commencé sans lui. Ce n'est pas le Dieu de
la Bible, qui est Alpha et Oméga, le
commencement et la fin, le Dieu qui ne saurait
apparaître à la fin quand il n'a pas
été invoqué au début et
obéi par la suite. C'est encore un dieu
magique qui n'a pas d'autre rôle que de
bénir ce que les hommes ont fait sans se
soucier de sa volonté.
Il y a des chrétiens qui sont
tout heureux quand un homme d'État, qu'on
avait considéré comme un
athée, parle de Dieu dans ses discours
publics; il y en a qui espèrent des
résultats spirituels remarquables de la
restauration du nom de Dieu dans la vie politique.
Ils oublient le troisième commandement. Ils
oublient que l'abus du nom de Dieu est plus grave
que le silence au sujet de ce nom. Il est vrai que
Dieu doit être reconnu dans la vie publique
comme dans la vie privée, mais
reconnaître Dieu veut dire reconnaître
sa souveraineté et sa sainteté. Il
est donc inadmissible que son nom soit
prononcé par ceux qui ne l'acceptent pas
comme Souverain et ne veulent pas sanctifier son
nom.
Prenons un exemple très
récent. M. Jacques Chevallier avait
rétabli le mot « Dieu » dans le
programme d'instruction morale des écoles
primaires françaises. Était-ce un
progrès ? Non ! Les instituteurs
français ont eu raison de
protester et le successeur de M. Chevallier, le
nouveau secrétaire d'État
français à l'éducation
nationale, a bien fait de remplacer le mot «
Dieu » par l'expression « valeurs
spirituelles ». L'explication qu'il donne de
son action montre qu'il a compris le sens du
troisième commandement. Il dit : «
Mieux vaut ne pas parler de Dieu en classe que d'en
mal parler et ce sera toujours en mal parler pour
un chrétien qui porte au fond de son coeur
l'amour de son Sauveur que de s'en tenir aux termes
d'une vague religiosité et d'un
déisme abstrait et inconsistant ».
Ainsi le représentant de la
neutralité religieuse peut montrer plus de
compréhension pour le commandement biblique
que le partisan de l'Etat chrétien.
Car il y a une façon
chrétienne de prendre le nom de Dieu en
vain. Il y a même plusieurs façons de
le faire.
Je pense tout d'abord à cette
facilité déconcertante avec laquelle
bien des chrétiens parlent de Dieu et
introduisent son nom dans leurs discours et leurs
conversations. Ne voient-ils pas qu'ils rendent un
témoignage négatif ? Ne
comprennent-ils pas que leur familiarité
avec Dieu finit par convaincre les autres qu'un tel
dieu ne vaut pas la peine d'être pris au
sérieux ? La dame très
chrétienne qui veut manifester sa
piété en déclarant qu'elle
prie toujours avant d'acheter un chapeau neuf -
l'exemple est historique - connaît-elle le
Dieu du buisson ardent, sait-elle qu'il est
terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant ?
N'est-elle pas plus éloignée de la
vraie connaissance de Dieu que l'agnostique dont
l'agnosticisme est basé sur le respect de
l'incompréhensible mystère de
l'existence de Dieu ? Ce pasteur qui est si
remarquablement habile à expliquer pourquoi
Dieu fait souffrir un tel et comble un autre de
bénédictions, ce
soi-disant prophète qui sait exactement quel
est le dessein secret de Dieu dans la guerre -
parlent-ils encore du Dieu dont les jugements sont
insondables et les voies incompréhensibles
(Rom. 11/33) ?
Le vrai critère de notre
obéissance vis-à-vis du
troisième commandement est la prière.
Au fond pour un chrétien l'abus du nom de
Dieu dans la prière devrait être
impossible. Car si nous osons même prendre le
nom de Dieu en vain au moment où nous nous
plaçons consciemment devant Lui - -peut-on
encore prendre notre foi au sérieux,
pouvons-nous nous-mêmes prendre notre foi au
sérieux ? Hélas, il faut bien
l'avouer, c'est dans la prière que nous
péchons souvent le plus gravement contre la
loi de Dieu. Combien de fois ne prions-nous pas,
sans être vraiment devant lui, sans nous
rendre compte qu'il est là, qu'il nous
écoute, qu'il nous juge, qu'il nous appelle,
qu'il nous aime ? Combien de fois ne faisons-nous
pas exactement ce qui nous est défendu, ne
multiplions-nous pas « de vaines paroles comme
les païens qui s'imaginent qu'à force
de paroles ils seront exaucés » ?
Écoutez ces longues prières verbeuses
qu'on entend dans certains cultes, ces
prières qui sont si clairement
adressées aux fidèles comme une sorte
de sermon après le sermon. Elles ne prouvent
qu'une chose : que celui qui prie ne compte
même pas avec la possibilité que Dieu
l'écoute. Relisez alors les prières
de la Bible, ces prières de quelques mots
où tout, absolument tout, est dit devant
Dieu et dit avec crainte et tremblement. Et vous
serez effrayés par l'abîme qui
sépare les unes des autres.
Nous avons dit que le nom de Dieu pour
nous, le nom par lequel nous connaissons Dieu est
Jésus-Christ. C'est pourquoi nous devons
aussi parler de l'abus de son
nom. Est-il vraiment admissible que nous utilisions
si facilement le mot chrétien ? N'est-ce pas
un mot qui lui appartient plutôt qu'à
nous ? Avons-nous le droit de faire de ce mot un
shibboleth qui distingue nos idées, notre
culture, nos traditions, nos coutumes de ceux
d'autres hommes, d'autres peuples ?
Nous voyons ici de nouveau que les
péchés contre les commandements de
Dieu sont toujours en même temps des
péchés contre Dieu et contre le
prochain. Car c'est bien à cause de notre
légèreté coupable, de notre
manque de vrai respect pour les choses de Dieu et
de son Fils que nous obscurcissons la
lumière de l'Évangile pour ceux du
dehors. Je pense à un jeune homme, fils de
parents archi-pieux, qui me racontait une fois
qu'à cause de l'emploi presque automatique
du nom de Dieu dans sa famille, il ne pouvait plus
entendre prononcer ce nom sans éprouver une
sorte de dégoût physique et qu'il n'a
retrouvé le chemin de l'Église
qu'après de grandes luttes
intérieures. Je pense à ces millions
d'Asiatiques et d'Africains qui ont appris par nous
que l'Occident est peuplé par des peuples
chrétiens et qui après avoir
constaté comment on vivait en Occident,
quelle influence cet Occident exerçait dans
leur Pays se sont dit : toute autre religion
plutôt que celle-là ! Quel miracle de
Dieu que tant d'êtres qui nous ont entendu
prendre le nom de Dieu en vain, qui nous ont
entendu abuser du nom de Jésus-Christ, comme
si ce nom était de la monnaie courante,
arrivent encore à connaître Dieu en
dépit de nous !
Si nous avons jamais pensé qu'il
était facile de garder ce commandement, nous
devons maintenant dire que nous l'avons
transgressé, que nous le transgressons
continuellement. Nous avons tous pris le nom de
Dieu en vain. Et ne faut-il pas
aller plus loin encore ? Parlons-nous jamais de
Dieu de telle sorte que le commandement ne nous
juge pas ? Parlons-nous jamais de Dieu comme il
faut parler de lui ? Ne devons-nous pas dire comme
Esaïe : « Malheur à moi, je suis
perdu, car je suis un homme dont les lèvres
sont impures et mes yeux ont vu le Roi,
l'Éternel des Armées ? » Nous
aussi, nous connaissons l'Éternel, nous
devons donc parler de lui, mais nous ne pouvons pas
parler de lui comme il faut parler de lui.
Alors il ne reste qu'une
possibilité: que Dieu s'occupe
lui-même de la sanctification de son nom. Si
nous parlons mal de Dieu, Dieu parle bien de Dieu.
Si nous prenons son nom en vain, il rend à
son nom toute la substance éternelle qu'il
contient. Et c'est bien cela le message de toute la
Bible : Dieu sanctifie son nom. Il ne se retire pas
après avoir révélé son
nom. Il dit « Je sanctifierai mon grand nom,
qui a été profané parmi les
nations, que vous avez profané au milieu
d'elles. Et les nations sauront que je suis
l'Éternel »
(Ez. 36/23). Et tout ce qu'il fait
par son peuple et pour son peuple est un
accomplissement de cette grande promesse. N'a-t-il
pas sanctifié son nom en faisant sortir son
peuple du pays d'Égypte ? Ne le
sanctifie-t-il pas en envoyant son Fils dans le
monde ? Jésus prie : « Glorifie ton
Fils, afin que ton Fils le glorifie » (Jean
17), et le Père lui répond en lui
donnant le nom qui est au-dessus de tout nom. Et il
manifestera finalement qu'il est vraiment Dieu
quand il instaurera son Règne et quand tous
pourrons voir sa gloire.
C'est pourquoi nous devons prier :
« Que ton nom soit sanctifié ».
Par cette prière, nous admettons que nous ne
saurions par nous-mêmes sanctifier son nom,
que nous sommes des profanes, qui
prennent son nom en vain. Mais nous confessons
aussi qu'il veille, qu'il ne laisse pas obscurcir
la gloire de son nom par les innombrables
profanations dont les hommes sont coupables, qu'il
fera définitivement reconnaître la
gloire de son nom par tous les peuples.
Est-ce à dire que notre
rôle n'est que celui de spectateurs ?
Certainement non, car Dieu veut nous associer
à la sanctification de son nom. Quand il
nous annonce dans son commandement qu'il nous est
défendu de prendre son nom en vain, ce n'est
pas pour que nous gardions le silence. Il nous dit
par l'Ancien Testament qu'il veut être
«sanctifié au milieu des enfants
d'Israël»
(Lév. 22/32). Il nous dit par
le Nouveau Testament que nos bonnes oeuvres doivent
amener les hommes à glorifier notre
Père qui est dans les cieux. Le fait
même, qu'il se fait connaître, montre
qu'il veut nous faire participer à l'oeuvre
par laquelle il crée son monde à
nouveau et manifeste la gloire de son nom. Quand
Jésus prie : « Père, glorifie
ton nom », le Père répond :
« Je l'ai glorifié et je le glorifierai
encore ». Est-ce un dialogue entre le
Père et le Fils qui ne nous regarde pas ?
Non, Jésus dit : « Ce n'est pas
à cause de moi que cette voix s'est fait
entendre; c'est à cause de vous»
(Jean 12). A cause de nous ! C'est
cela l'Évangile, la bonne nouvelle qu'en
dépit de notre caractère profane, en
dépit de tous nos péchés
contre son commandement, Dieu ne nous abandonne
pas, qu'il veut encore de nous, qu'il nous utilise,
qu'il sanctifie son nom en nous et par
nous.
Si donc nous prions : « Que ton nom
soit sanctifié » nous prions aussi pour
nous-mêmes et contre nous-mêmes. Nous
prions alors que Dieu veuille bien toucher
nos lèvres impures comme
celles d'Esaïe avec une pierre ardente et
qu'il veuille enlever nos iniquités, afin
que nos paroles et nos actes soient dignes de
lui.
Dieu l'a déjà fait. La
pierre ardente nous a touchés, nos
iniquités ont été
enlevées. La menace que Dieu ne laissera pas
impunis ceux qui prennent son nom en vain, qui
pèse sur chacun de nous, n'est pas
retirée, mais elle est comme absorbée
par le fait que Jésus-Christ porte le
fardeau de tous nos péchés. En
Jésus-Christ nous ne sommes plus des
profanes, mais des saints. Tout ce qu'il faut
maintenant, c'est être ce que nous sommes en
lui. Tout ce qu'il faut, c'est rejeter ce que nous
étions avant que la parole nous fût
adressée et croire résolument que
Dieu veut dire ce qu'il dit. Il est donc possible
de ne pas prendre en vain le nom de Dieu. Il est
possible en Jésus-Christ de proclamer son
nom comme il veut qu'il soit proclamé. Si
nous sommes vraiment dans la foi, nous pouvons
sanctifier le nom de Dieu.
Pour que cela devienne la
réalité de notre vie, nous devons
prier, prier sans cesse : « Que ton nom soit
sanctifié». Nous devons oser
bâtir toute notre vie sur cet unique
fondement. Tous les commandements sont
dominés par le premier. Sanctifier le nom de
Dieu, c'est vivre uniquement pour que son nom et
seulement Son nom soit glorifié. Tout est
là. Ne pas se laisser emprisonner ou
même distraire par autre chose. Risquer tout
pour obtenir la perle de grand prix. Croire que
rien dans le monde n'est vraiment important en
comparaison de la révélation du saint
nom de Dieu et de la manifestation de sa puissance,
de son salut dans le monde. Le croire même
quand on ne le voit pas et quand il
semble que la profanation devient
la religion officielle et universelle.
Suivre le Seigneur jusqu'au dernier
moment de sa vie quand il était face
à face avec la Croix et quand il parlait
ainsi : « Si quelqu'un me sert, qu'il me
suive, et là où je suis, là
aussi sera mon serviteur... Maintenant mon
âme est troublée. Et que dirai-je ?
Père, délivre-moi de cette heure ?
Mais c'est pour cela que je suis venu
jusqu'à cette heure. Père, glorifie
ton nom »
(Jean 12).
W. A. VISSER'T HOOFT.
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