L'ORDRE DE
DIEU
IV
-
Souviens-toi
du
jour du repos pour le sanctifier
par W. A. VISSER' T HOOFT
Souviens-toi du jour du repos pour le
sanctifier. Tu travailleras six jours, et
tu feras toute ton oeuvre; mais le
septième jour est le repos de
l'Éternel, ton Dieu: tu ne feras
aucune oeuvre en ce jour-là, ni
toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton
serviteur, ni ta servante, ni ton
bétail, ni l'étranger qui
est dans tes portes; car l'Éternel
a fait en six jours les cieux, la terre,
la mer et tout ce qui y est contenu, et il
s'est reposé le septième
jour: c'est pourquoi l'Éternel a
béni le jour du repos et l'a
sanctifié.
Exode
20/8-11.
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Le quatrième commandement parle de deux
choses : du travail et du jour du Seigneur. Il est
donc important de voir tout de suite quel est
l'ordre et quelle est la hiérarchie qui
dominent leur relation. Faut-il commencer par le
travail ? Cela semblerait naturel. Le repos ne
vient-il pas après le travail ? Le repos
peut-il avoir un sens en dehors du travail ? Mais
n'allons pas trop vite et laissons parler le
commandement lui-même.
« Souviens-toi du jour du repos
pour le sanctifier. Tu travailleras six jours et tu
feras tout ton ouvrage. Mais le septième
jour est le jour du repos de l'Éternel, ton
Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton
fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni La
servante, ni ton bétail, ni
l'étranger qui est dans tes portes. Car en
six jours l'Éternel a fait les cieux, la
terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et
il s'est reposé le septième jour :
c'est pourquoi l'Éternel a béni le
jour du repos et l'a sanctifié.
»
Nous constatons deux choses : tout
l'accent tombe non pas sur l'accomplissement de
notre tâche quotidienne, mais sur la
sanctification du jour du repos.
Et tout ce qui est dit au sujet du
travail est encadré par les exhortations au
sujet de la sainteté du sabbat. Il semble
donc que la Bible voie le travail à la
lumière du sabbat, plutôt que le
sabbat à la lumière du travail. Plus
tard nous verrons ce que cela signifie et pourquoi
la Bible renverse ici - comme tant d'autres fois -
l'ordre « normal » des choses. Pour le
moment nous n'en tirons qu'une conclusion : pour
comprendre le sens du quatrième
commandement, il faut commencer par étudier
ce qu'est le sabbat et ce qu'il veut nous
dire.
Le fait que le sabbat occupe une place
si considérable dans le Décalogue,
que le langage de ce quatrième commandement
est si solennel, et que ce commandement soit
répété tant de fois dans
l'Ancien Testament montre qu'il s'agit d'une
institution tout à fait centrale dans la vie
du peuple de Dieu. Écoutons encore
Exode 31 (14-15): « Vous
observerez le sabbat, car il sera pour vous une
chose sainte. Celui qui le profanera, sera puni de
mort; celui qui fera quelque ouvrage ce
jour-là, sera retranché du milieu de
son peuple ». Calvin dit avec raison «
Dieu n'a jamais requis plus étroitement
l'obéissance d'aucun précepte, que de
celui-ci ».
L'observation du sabbat était
évidemment - comme elle l'est encore
aujourd'hui - la caractéristique la plus
visible du peuple juif. En disant cela je pense
à un vendredi soir, lors d'un séjour
aux Indes, à Cochin, dans le Travancore. La
ville est toute bruissante du vacarme habituel de
la vie hindoue. Mais il y a une petite rue
où tout est tranquille. J'y vois des maisons
devant lesquelles brûlent de petites lampes
à huile. En m'approchant, je comprends
pourquoi. On voit dans chaque maison des hommes et
des femmes penchés sur de
grosses Bibles. C'est le quartier des juifs,
émigrés de leur pays depuis une
dizaine de siècles, mais restés
fidèles à la grande tradition de leur
pays. C'est le Sabbat de l'Éternel,
célébré au milieu d'un peuple
idolâtre et païen. Il n'est pas douteux
que celle intransigeance magnifique au sujet du
Sabbat explique pourquoi ils sont toujours
là comme un peuple distinct et n'ont pas
été absorbés par les masses
asiatiques.
Mais, précisément à
cause de ce caractère spécifiquement
juif du sabbat, la question est de savoir si le
quatrième commandement petit avoir la
même signification pour nous. Nous ne sommes
pas juifs, nous n'avons pas besoin de nous
distinguer par la sanctification de journées
spéciales; il y a des façons plus
efficaces de se distinguer du monde. D'ailleurs,
l'Église chrétienne a remplacé
le sabbat par le dimanche et a donc souligné
qu'elle ne se sentait pas littéralement et
extérieurement liée au
quatrième commandement. Le dimanche
célèbre la résurrection de
notre Seigneur et n'a donc pas besoin d'être
justifié par le commandement du Sinaï.
Pourquoi donc nous arrêter devant ce sabbat
périmé qui semble avoir rempli une
fonction importante dans la vie de l'ancien peuple,
mais qui ne paraît pas plus avoir de sens
réel pour nous que les lois
détaillées, au sujet de la
pureté, que nous lisons (ou plutôt que
nous sautons) dans le livre du Lévitique ?
Les autres commandements ont quelque chose de
permanent; ils ne sont pas spécifiquement
juifs; mais ce commandement-ci semble bien antique
et bien étranger à notre vie
d'aujourd'hui.
Tout le problème de
l'exégèse fidèle du
commandement consiste à distinguer entre ce
qu'il y a de Vrai et de faux dans cette
attitude-là. Il est vrai que ce
commandement ne nous lie pas
en
ce qu'il représente une, institution
spécifique de la vie religieuse et sociale
du peuple juif. Mais il est faux de penser qu'il ne
contient rien de plus. À côté
de cet élément transitoire il
contient une vérité permanente. Ce
n'est pas par hasard qu'il se trouve dans le
Décalogue, dans le résumé du
contenu de l'Alliance que Dieu fait avec son
peuple, donc non seulement avec Israël, mais
aussi avec les successeurs d'Israël,
c'est-à-dire avec l'Église. Il faut
donc arriver à déterminer ce qui dans
ce commandement nous est adressé à
nous et ce qui est uniquement destiné aux
Juifs. Dans le langage des Réformateurs cela
veut dire qu'il faut apprendre à distinguer
entre ce qu'il contient de «
cérémoniel » et ce qu'il
contient de « spirituel ».
Le sens profond du sabbat est clairement
indiqué dans plusieurs passages de l'Ancien
Testament dont nous citons les deux suivants :
Exode 31/16-17 : « Les enfants
d'Israël observeront le sabbat, en le
célébrant, eux et leurs descendants,
comme une alliance perpétuelle. Ce sera
entre moi et les enfants d'Israël un signe qui
devra durer à perpétuité; car
en six jours l'Éternel a fait les cieux et
la terre, et le septième jour il a
cessé son oeuvre et il s'est reposé.
» Et
Ezéchiel 20/20 : «
Sanctifiez mes sabbats, et qu'ils soient entre moi
et vous un signe auquel on connaisse que je suis
l'Éternel, votre Dieu.,
Les deux mots que nous devons retenir
sont les mots: alliance et signe. Le sabbat est le
signe de l'alliance de Dieu avec son peuple. Par
l'observation du sabbat le peuple élu
reconnaît dans un acte qu'il appartient
à Dieu. L'argument social
qu'il faut donner du repos à tous ceux qui
travaillent, surtout à ses serviteurs, est
mentionné dans la Bible, mais tout l'accent
est mis sur la grande raison d'être du sabbat
: qu'il est le jour mis à part par
l'Éternel et pour l'Éternel. Signe de
l'Alliance, c'est-à-dire signe de ce que le
peuple n'est pas livré à
lui-même, qu'il n'est pas abandonné,
qu'il est à Dieu et que ce Dieu veut
être servi et adoré.
Un jour consacré à Dieu -
mais pourquoi ? Ne faut-il pas consacrer toute sa
vie à Dieu? Question abstraite. Car ce qui
n'est pas clairement et spécifiquement
manifesté devient une affirmation vide. Ce
qui est partout n'est nulle part. C'est
précisément parce que toute ma vie
doit être consacrée à Dieu que
je dois me consacrer spécialement à
lui un jour par semaine. Dieu n'agit pas vaguement
et généralement. Notre réponse
ne saurait être vague et
générale. Il faut des signes pour que
l'alliance entre Dieu et nous devienne
concrète et entre dans la
réalité de notre vie.
Le sabbat et le dimanche
représentent donc « le jour du Seigneur
». Cette expression même montre qu'il
s'agit de quelque chose de bien plus grand qu'un
arrangement raisonnable du problème du
travail et du repos. Le jour du Seigneur, c'est le
jour du sabbat cosmique, du sabbat mondial,
préfiguré dans le repos de
l'Éternel à la fin de la semaine de
la création et annoncé dans la
proclamation du Royaume de Dieu. C'est le jour de
la manifestation visible de la Royauté de
Dieu - jour du jugement - les prophètes
parlent surtout de cet aspect-là - mais
aussi jour de salut. Car c'est le jour du Seigneur
Jésus-Christ. Dans l'Évangile de
Jean, Jésus parle de : « mon jour
», et St-Paul parle de la
journée du Seigneur, ou
dit tout simplement : le jour
(I Cor. 5/5).
Le sabbat et le dimanche sont des signes
de ce jour définitif. C'est dire qu'ils
proclament que Dieu est Roi et que sa
Royauté deviendra manifeste aux yeux de
toute l'humanité. Ils sont des promesses de
salut. C'est ce qu'indique l'Épître
aux
Hébreux (4/4): « Il y a
donc un repos de sabbat réservé au
peuple de Dieu. Car celui qui entre dans le repos
de Dieu se repose de ses oeuvres, comme Dieu s'est
reposé des siennes.» Calvin dit
prudemment, mais clairement : « Il pourrait
donc sembler admis que par le septième jour,
le Seigneur ait voulu figurer à son peuple
la perfection du sabbat qui sera au dernier jour,
afin de le faire aspirer à icelle perfection
d'une estude continuelle durant cette vie.
»
Ainsi, il devient clair que le dimanche
est le successeur légitime du sabbat. Le
sens profond du sabbat est de témoigner de
la victoire de Dieu, mais la proclamation de cette
victoire trouve son expression la plus nette dans
la Résurrection de Jésus-Christ.
Depuis ce jour-là, on ne saurait parler de
la Royauté de Dieu en faisant abstraction du
fait qu'il a triomphé des puissances du mal
dans la résurrection de son Fils. Depuis ce
jour-là, le peuple de Dieu doit donc
célébrer le jour de la
Résurrection, et le sabbat - signe de
l'Alliance du Sinaï - doit céder la
place au dimanche - signe de Pâques. Mais il
n'y a pas de rupture. La promesse contenue dans le
sabbat n'est pas abolie, mais affirmée plus
clairement. L'Église, en
célébrant le jour du Seigneur,
n'oublie pas qu'elle est l'héritière
du peuple d'Israël.
L'expression que l'Église emploie
pour indiquer le dimanche et que
nous ne trouvons qu'une fois dans la Bible
(Apoc. 1/10), montre d'ailleurs qu'il
s'agit toujours de la même chose. Quand Jean
de Patmos parle du « jour du Seigneur »,
il souligne, comme l'avaient fait Moïse et les
prophètes, que le peuple de Dieu doit
manifester clairement que Dieu est son seul
Seigneur. Il y avait à ce moment
déjà d'autres jours appelés
jours du Seigneur, c'est-à-dire des jours
consacrés au culte de l'empereur. Jean
souligne donc que les chrétiens
appartiennent au Dieu d'Abraham, d'Isaac, de Jacob
et de Jésus-Christ. Il proclame que ce
Dieu-là est le seul vrai Dieu.
Nous devons maintenant en venir au
contenu du commandement. Et la première
question qui se pose est celle-ci : Pourquoi
devons-nous célébrer le jour de Dieu
par le repos ? Nous admettons sans trop de peine
qu'un jour soit mis à part pour l'adoration
de Dieu, mais pourquoi cet élément
négatif ? Pourquoi ces menaces contre ceux
qui ne voudront pas se reposer ? Ne peut-on pas
adorer Dieu en travaillant ? Ou encore, si nous
consacrons quelques heures du dimanche au culte,
est-il vraiment nécessaire de s'abstenir de
toute activité, pendant les autres heures ?
Ne faut-il pas plutôt dire que ce
côté négatif du commandement
appartient au judaïsme et ne nous concerne pas
?
En essayant de répondre, nous
nous basons sur le principe déjà
mentionné : tout ce qui est « spirituel
» plutôt que «
cérémoniel » dans le
commandement nous est aussi adressé. Il faut
arriver à une conclusion : oui ou non, le
repos du dimanche a-t-il une signification profonde
et permanente, ou serait-il plutôt un
arrangement transitoire,
pour des
conditions spéciales; en d'autres mots, oui
ou non, le repos, lui aussi, est-il un signe de
l'alliance entre Dieu et son Église
?
La réponse est indiquée
par un verset de la prophétie
d'Ezéchiel (20/12) : « Je
leur donnai aussi mes sabbats comme -un signe entre
moi et eux, pour qu'ils puissent faire
connaître que je suis l'Éternel, qui
les sanctifie ». C'est Dieu seul qui
sanctifie. L'homme ne peut se sanctifier
lui-même. En se reposant le jour du Seigneur,
l'homme reconnaît que son salut dépend
de l'oeuvre que Dieu fait en lui et non pas des
oeuvres qu'il fait pour lui-même ou
même pour Dieu. Citons encore Calvin, parce
qu'il le dit tellement mieux que nous ne pourrions
le dire : « Or si notre sanctification
consiste au renoncement de nostre propre
volonté, de là desjà
apparaît la similitude entre le signe externe
et la chose intérieure. Il nous faut du tout
reposer, afin que Dieu besoigne en nous : il nous
faut céder de notre volonté,
résigner nostre coeur, renoncer et quitter
toutes les cupiditez de nostre chair : bref, il
nous faut cesser de tout ce qui procède de
nostre entendement, afin qu'ayans Dieu besoignant
en nous, nous acquiescions en luy. »
Le jour du Seigneur est donc une
démonstration de grande envergure de notre
incapacité de nous sauver nous-mêmes
et de notre besoin de Dieu; il est le
témoignage que l'Autre nous sauve, si nous
le laissons agir en nous. Le côté
négatif du commandement est donc
indispensable. Nous ne pourrons témoigner
d'une façon claire et convaincante que Dieu
est le Dieu Vivant, agissant, le Créateur et
le Sauveur de notre vie, si nous ne
témoignons en même temps que nous
sommes incapables par
nous-mêmes de faire le bien et de trouver le
salut.
Tout cela semble extrêmement
subtil. En fait, c'est très simple. Il y a
un monde plein d'êtres humains qui s'agitent
fiévreusement, qui courent à droite
et à gauche, qui cherchent à
accumuler des richesses, qui font des projets
d'avenir, qui propagent des idées nouvelles,
ou qui luttent pour le maintien du statu quo. Que
veulent-ils, que cherchent-ils ? Ils cherchent
à donner un sens 'à leur vie. lis en
discernent bien la vanité. Mais on peut
redoubler d'efforts, travailler plus, gagner
davantage, penser et vivre avec plus
d'intensité. On peut forcer le rythme. Il
faut absolument arriver à quelque chose de
substantiel. Il faut chasser le désespoir.
Il faut éviter le néant. Dans ce
monde, la voix de Dieu retentit. Cette voix dit :
Halte-là ! Mes pauvres créatures,
cessez de vous agiter, cessez de tourner autour de
vous-mêmes, sachez que vous n'arriverez
jamais à donner un sens à votre vie,
car la vie est un don que je vous ai fait. Je suis
le seul qui puisse lui donner une vraie substance.
Votre travail n'aura pas de sens tant que vous ne
saurez pas écouter, tant que vous ne saurez
pas recevoir. Apprenez donc à vous reposer
en moi et devant moi.
Le jour du Seigneur nous avertit
solennellement que nos oeuvres ne sauraient donner
un vrai contenu à notre vie et qu'il faut
chercher ce contenu ailleurs, chez celui qui donne
la vie.
Nous pouvons maintenant tirer quelques
conclusions pratiques de nos réflexions. Le
commandement nous concerne parce qu'il parle de
choses qui sont aussi valables
pour nous que pour les Juifs. Il nous parle de la
victoire de Dieu et nous rappelle que nous
dépendons totalement de lui. Il faut donc
obéir.
Mais comment ? Faut-il suivre les lois
sabbatiques à la lettre ? Faut-il renouveler
les anciennes discussions au sujet de l'utilisation
des bicyclettes, le dimanche ? Est-il vraiment
inadmissible qu'on fasse autre chose, le dimanche,
que d'aller à l'Église et prier,
comme le réclamaient certains vieux
catéchismes puritains ? Non, nous ne sommes
pas des Juifs, nous ne vivons pas sous le signe de
la loi, mais sous le signe de la liberté
chrétienne. Nous suivons un Seigneur qui est
aussi le Maître du sabbat. Ce qui importe, ce
n'est pas que nous suivions la lettre du
commandement, mais que nous entendions le grand
message qu'il contient et que nous
répondions par notre vie à ce
message.
Comment donc célébrer le
dimanche ? En rendant à Dieu ce qui est
à Dieu. Cela veut dire tout d'abord que le
dimanche est le jour du culte rendu à Dieu.
Et non pas d'un culte tout privé et
ésotérique, mais d'un culte rendu par
une communauté et en public. C'est le jour
de la grande démonstration aux yeux de tous,
que Dieu a un peuple sur terre et que ce peuple se
sait lié par lui et à lui. Ce que
nous pouvons et devons apprendre par le
quatrième commandement, c'est que le culte
du dimanche n'est pas seulement une institution qui
a pour but de nous consoler et de nous encourager,
mais un acte d'adoration, une présentation
d'armes devant Dieu. Notre consolation et notre
encouragement seront d'autant plus vrais que nous
irons au temple dans l'esprit du
Psaume 84 : « Mieux vaut un
jour dans tes parvis que mille ailleurs ».
Et le repos du dimanche ? Il n'y a pas
de règles, car il s'agit d'une attitude
intérieure plutôt que d'une conduite
extérieure. Si vous arrivez à cette
tranquillité intérieure, à
cette interruption de votre train de vie, à
cette cessation de préoccupation et à
cette vraie réceptivité - en allant
faire un tour de bicyclette - faites-le. Si vous y
arrivez plus sûrement en lisant, prenez un
bon livre. La seule chose qui importe est que vous
vous souveniez vraiment qu'il s'agit du jour du
Seigneur. J'ai connu un homme d'État
surchargé qui ne travaillait jamais le
dimanche et qui était prêt à en
payer le prix. Il reprenait donc son travail le
dimanche à minuit en sacrifiant une nuit sur
sept. Ce n'est pas ridicule, c'est magnifique, car
cela manifeste un vrai respect du commandement de
Dieu. D'autre part, il est vain d'imposer
l'observation d'un repos à ceux qui n'en
voient pas la nécessité. Le
père qui voulait punir son fils parce qu'il
le voyait jouer avec des soldats, un
après-midi de dimanche, et qui recevait la
réponse : « mais papa, il s'agit de
soldats de l'Armée du Salut »,
était en train de faire de son fils un
hypocrite parfait.
Et le travail ? Il est temps que nous en
parlions. Est-il juste que nous y consacrions
seulement les quelques minutes qui nous restent ?
Nous en avons déjà parlé. En
nous efforçant de comprendre le sens du jour
du Seigneur, nous avons déjà dit
l'essentiel de ce qu'il y a à dire. Nous
savons maintenant de quel point de vue il faut
considérer le travail. Pour comprendre ce
qu'il représente dans l'économie de
Dieu, il faut se placer sur le terrain du jour du
Seigneur.
Qu'est-ce que le travail ? C'est la
forme normale de la vie de
l'homme. Dans le paradis déjà,
l'homme reçoit l'ordre de cultiver et de
garder te jardin. À ce moment le travail
représente le service joyeux de Dieu, la
réponse directe à son travail de
création. Mais par la chute le
caractère du travail change. Il devient une
lutte pour l'existence. « C'est à force
de peine que tu tireras ta nourriture du sol tous
les jours de ta vie.» Le travail reste la
caractéristique de la vie humaine, mais il
n'est plus un service spontané, il est une
tâche dure et un lourd fardeau. La Bible en
parle avec un réalisme déconcertant :
« Les jours de nos années
s'élèvent à soixante et dix
ans; et, pour les plus robustes à
quatre-vingt ans, et l'orgueil qu'ils en tirent
n'est que peine et misère ». «
Tout le travail de l'homme est pour sa bouche, et
cependant ses désirs ne sont jamais
satisfaits. »
C'est qu'après la chute, l'homme
ne comprend plus le sens du travail. Son travail
n'est plus un service rendu à Dieu, mais un
effort de créer son propre monde, un effort
de concurrence à l'égard de
Dieu.
Oh, comme ce travail de l'homme a besoin
d'être éclairé d'en haut !
Comme cette activité fiévreuse a
besoin d'être confrontée avec l'action
tranquille de Dieu ! C'est pourquoi Dieu dit :
Souviens-toi du jour du repos, souviens-toi de ce
que ce travail n'a pas le dernier mot. Souviens-toi
de ce qu'il y a une autre possibilité que
celle du salut par les oeuvres et par l'effort
humain. Laisse-moi changer ton travail
insensé en travail véritable,
c'est-à-dire en service rendu à ton
Seigneur.
M. de Quervain a écrit : «
La Bible souligne l'importance du jour du Seigneur,
parce que ce jour contient la promesse qui
éclaire les journées de travail
». Formule admirable. Quand
une fois nous avons écouté le message
du quatrième commandement, notre travail
change de caractère. Ce ne sera plus cet
effort stérile de faire mieux que Dieu
lui-même, mais plutôt un travail
d'obéissance. Ce ne sera plus ce travail
sans interruption qui devient une obsession, car
nous aurons appris la nécessité du
repos avec et devant Dieu. Nous ne serons plus
esclaves de notre travail et notre travail gagnera
en vraie profondeur.
Indiquons tout brièvement ce que
cela signifie pour le message de l'Église et
pour notre témoignage dans la situation
actuelle. Il semble bien que nous devrons surtout
dire les deux choses suivantes. Nous affirmerons
clairement que chaque homme doit travailler et que
chaque homme doit pouvoir travailler. En refusant
le travail à mon prochain, je lui
enlève en même temps la
possibilité de se réjouir de la
promesse du vrai repos. Le chômage est un mal
qui montre que notre société a
oublié la fin première de toute
communauté humaine qui n'est pas la
production ou la consommation de choses, mais
l'établissement d'un ordre dans lequel
chaque homme peut remplir les commandements de
Dieu. Le chômage est le grand signe que notre
société est malade. Et cette maladie
est si clairement de nature spirituelle que
l'Église ne peut pas se taire à cet
égard.
Mais en deuxième lieu,
l'Église doit se tourner contre ceux qui
prêchent l'évangile du travail, qui
glorifient le travail en soi et qui sont en train
de transformer l'humanité en une
fourmilière sans Dieu, sans joie, sans
liberté d'âme. Ce n'est pas le moindre
danger, parmi ceux qui nous menacent, que cette
nouvelle idéologie du travailleur qui doit
sacrifier sa vie au travail et qui
ne demande même plus
pourquoi, ou pour qui, il travaille. Je pense aux
idéologues des mouvements de masse qui
proclament que l'individu doit disparaître
pour que les peuples deviennent des peuples de
travailleurs dociles et qui voient dans l'usine
moderne le symbole de la civilisation de
demain.
Vis-à-vis de telles
falsifications du vrai sens du travail, nous aurons
a dire : Souviens-toi du jour du Seigneur.
Souviens-toi de ce que ce jour signifie.
Souviens-toi de ce que le seul travail qui compte
est son travail de création et de
re-création. Souviens-toi que ta place est
une place de serviteur, mais souviens-toi aussi
qu'en acceptant cette humble fonction tu
participeras à sa victoire.
Écoute donc la promesse : tu
travailleras tant que tu seras sur terre, mais il y
aura un jour du Seigneur, qui est le jour
définitif. Ce jour-là, le repos du
sabbat sera donné au peuple à qui il
est réservé. Celui qui entre dans le
repos de Dieu se reposera de ses oeuvres, comme
Dieu s'est reposé des siennes.
W. A. VISSER'T HOOFT.
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