L'ORDRE DE
DIEU
IV
- Honore ton
père et ta mère
*
par Alfred de QUERVAIN
Honore ton père et ta
mère afin que tes jours soient
prolongés sur la terre que
l'Éternel, ton Dieu, te
donne.
Exode 20 / 12.
|
Notre but est de méditer les Saintes
Écritures. Méditer un commandement,
ce n'est pas traiter un sujet ; c'est
écouter ce d'une actualité plus ou
moins grande, que dit la Parole de Dieu.
Dans son Petit Catéchisme, Luther
ramène le cinquième commandement
à ces mots : « Honore ton père
et ta mère ». Dans son commentaire sur
ce catéchisme, le théologien
luthérien Theodosius Harnack (père
d'Adolf Harnack) prétend que
l'intérêt du chrétien se porte,
non pas sur le texte biblique du vingtième
chapitre de l'Exode, mais sur le texte
simplifié, dépouillé des
indications relatives à l'histoire
d'Israël. Nos catéchismes
réformés ne sont pas de cet avis. Ils
nous forcent à étudier la Bible au
lieu d'élaborer des théories morales
et religieuses. Nous restons donc dans la tradition
de notre Église en méditant le texte
complet du cinquième commandement.
Dans les quatre premiers commandements,
il est question du Dieu qui s'est formé Lin
peuple, qui l'a sanctifié,
et qui, dans son incompréhensible
bonté, réclame le service de ces
hommes. Ils lui appartiennent à lui seul ;
ils n'appartiennent à personne d'autre. Ils
n'auront pas d'autres dieux devant sa face. Ils le
connaissent, ils le servent selon sa propre parole.
C'est pourquoi ils ne se feront pas d'image de leur
Dieu. Ils osent confesser son nom, l'invoquer;
c'est pourquoi ils n'emploieront pas en vain ce
saint nom. Ils se réjouissent de la gloire
de son règne, de son salut; c'est pourquoi,
le septième jour, ils interrompent leurs
travaux. Voilà les commandements de la
première table. Chaque fois, il est tenu
compte du prologue : « Je suis
l'Éternel ton Dieu... » Ce Dieu qui
sera servi est le Dieu d'Israël, le Dieu qui
fait des membres de son peuple un peuple de
frères. Le cinquième commandement
est, d'après une très ancienne
tradition, le premier de la seconde table. Cette
table parle du service que nous devons à nos
frères. Telle est la définition de
nos catéchismes. Une certaine tradition
juive - Philon d'Alexandrie - place ce commandement
dans la première table. Vilmar, le grand
théologien luthérien du
dix-neuvième siècle, est du
même avis: il s'agit ici des parents comme
représentants de Dieu. Mais les cinq
commandements qui suivent ne témoignent-ils
pas, eux aussi, de l'autorité, de la
dignité, de la sainteté, que Dieu
confère à ceux qui sont ses enfants
ou appelés à être ses enfants.
Le cinquième commandement est placé
au centre des commandements qui tous proclament la
paternité de Dieu et la fraternité de
ses enfants. Dieu est le père d'Israël,
le père des croyants, qui forment son
peuple. Car il est le père de
Jésus-Christ, fils d'Abraham et fils de
David. Par la grâce de ce père, le
père de Jésus-Christ le fils unique,
(représenté sous l'ancienne alliance
par le peuple unique), par la
charité de notre frère
Jésus-Christ, nous sommes
frères.
Lorsqu'on n'a plus compris que les
commandements sont le témoignage de la
paternité divine et de la fraternité
des saints, on a vu dans les commandements une loi
morale, un ordre. Ce malentendu s'est produit
très tôt déjà, il a
contribué à faire de l'Église
du Christ l'Église romaine. Il s'est
reproduit, dans une certaine mesure, dans les
Églises issues de la Réformation. Ce
malentendu a persisté avec une grande
obstination parmi les chrétiens de notre
siècle. Si nous tenons compte du cadre des
commandements, des passages qui les
précèdent et qui les suivent, nous ne
pouvons nous méprendre sur leur
véritable sens. Ils sont l'expression de
l'alliance de Dieu avec Israël. «
Israël est mon fils, mon premier né
»
(Exode 4/22). « Tu as vu que
l'Éternel, ton Dieu, t'a porté comme
un homme porte son fils, pendant toute la route que
vous avez faite jusqu'à votre arrivée
en ce lieu »
(Deut. 1/31). « N'est-il pas ton
père, ton créateur ? N'est-ce pas lui
qui t'a formé et qui t'a affermi ? »
(32/6). C'est aussi le message des
prophètes
(Jér. 3/19b,
Osée 11/1). Dieu prodigue
à son peuple les soins d'une mère
(Esaïe 66/13). Dieu attend de
son peuple l'obéissance d'un fils
(Esaïe 30/1, 9). L'histoire du
peuple de Dieu est une histoire de continuelles
désobéissances et de jugements
paternels
(Deut. 8/5). L'homme n'a aucun droit
d'appeler Dieu son père et les hommes ses
frères. C'est une grâce. Car Dieu
n'est pas le père de tous les hommes, mais
de ceux qu'il a élus en Christ. Nous sommes
frères à cause de l'alliance divine,
parce que nous appartenons au corps du Christ.
C'est ainsi que le cinquième commandement
nous rappelle le mystère du
père céleste,
tandis que le septième témoigne du
mystère de l'union conjugale entre le Christ
et l'Église.
1. LE DON DE DIEU
Une certaine théologie nous dit qu'en
parlant de Dieu comme de notre père, nous
parlons improprement, nous nous servons d'une image
adaptée à la faiblesse humaine. Elle
prétend que l'enfant conçoit Dieu
à l'image de ses parents. La
conséquence n'est-elle pas que l'adulte
cultivé se verra forcé de renoncer
à cette image pour en choisir une autre plus
adaptée à sa mentalité ? Le
message de la Bible est différent. Le
cinquième commandement honore la vocation du
père et de la mère parce qu'elle rend
témoignage à celui qui est en
vérité le père, le père
par excellence, la lumière qui rejaillit sur
toute paternité
(Eph. 3/15). Dieu lui-même,
Dieu seul, confère la grâce
d'être père, d'être mère.
C'est donc à sa parole souveraine,
créatrice, que nous nous tenons lorsque nous
pensons à ceux que Dieu a
élevés à cette vocation contre
toute attente. C'est cette parole souveraine qui
est le fondement des relations entre parents et
enfants.
Nous ne pouvons faire cause commune avec
ceux qui voudraient conserver ou reconstruire un
ordre de la famille au service de la nation, et qui
méprisent la Parole de Dieu en la mettant au
service de l'homme. La Réformation ne parle
pas de la famille comme d'un ordre neutre,
indépendant de la promesse divine. Nos
catéchismes parlent de l'oeuvre des parents
comme d'un acte de reconnaissance découlant
de la promesse divine.
Le mystère de la paternité
n'est pas le mystère du
sang.
C'est le mystère de la
grâce, de cette grâce dont vivent les
parents. Ils obéissent aux ordres de Dieu,
et Dieu les console. Remarquons bien qu'il ne
s'agit pas d'une idée religieuse des parents
qui viendrait s'ajouter à la conception
fondamentale, biologique et sociologique de la
famille. Beaucoup parmi nous pensent : «
L'idéal, ce serait des parents
chrétiens; mais il faut savoir se contenter
de moins, de parents qui accomplissent leurs
devoirs les plus primitifs, ce que leur ordonne la
voix de la nature, l'instinct de leur sang ».
Le cinquième commandement déclare aux
parents que ce n'est pas la nature, mais le
commandement divin qui leur montre ce qu'ils ont
à faire.
Si nous séparons la vocation des
parents du commandement et de la promesse de Dieu,
pour rester sur le terrain soi-disant ferme et
neutre de la biologie et de la sociologie, il n'est
plus question du père, mais de celui qu'on
appelle en allemand : «mein Alter»
(« Le vieux»). Cette expression
dénote d'ailleurs une familiarité
déplacée à l'égard de
celui qui donne la vie et fournit à son
enfant tout ce dont il a besoin et l'on sait bien
que livré à la loi de la nature,
l'enfant s'émancipe insensiblement de son
père. Il n'est pas question de nier le
côté biologique des relations entre
parents et enfants. Mais pour pouvoir en parler et
agir dans la liberté des enfants de Dieu, il
faut être un élève de la
Parole. La notion de « père en
Israël » est éclairée par
la promesse divine. Abraham n'est le père du
peuple élu que par la grâce de
Dieu.
Les Pharisiens, par contre, qui se
réclament d'Abraham selon la chair,
reçoivent la réponse que Dieu peut
faire naître, de ces pierres, des enfants
à Abraham. En Israël, il y a aussi des
docteurs, des théologiens
qui,par leur piété,
par leur science et leur zèle missionnaire,
veulent jouer le rôle de pères
spirituels. Mais jamais l'homme n'est maître,
ni comme père, de sa maison et de ses
enfants, ni comme docteur de la loi, de
l'Église et des croyants. Il n'est toujours
que le serviteur de Dieu, le serviteur de la
Parole. Sa vocation, si profane soit-elle, lui
vient de la Parole de Dieu.
2. LE MINISTÈRE DES
PARENTS
Les livres de la loi nous donnent une
définition très claire du
ministère du père : « Lorsque
ton fils te demandera un jour : Que signifie ces
préceptes, ces lois et ces ordonnances que
l'Éternel, notre Dieu, nous a prescrits ? Tu
diras à ton fils : Nous étions
esclaves de Pharaon en Égypte, et
l'Éternel nous a fait sortir de
l'Égypte par sa main puissante »
(Deut. 6/20).
Le père est celui à qui
une question est posée. Il répond
à cette question avec une autorité
qui vient de Dieu. Le fils, par contre, est celui
qui ose poser les questions décisives, et
qui reçoit une réponse qui console :
« Interroge ton père, et il te
l'apprendra, Les vieillards, et il te le diront
»
(Deut. 32/7). C'est le père ou
les vieillards ou, suivant le texte grec, les
anciens, qui rendent témoignage des miracles
et des grâces divines. Le père selon
le sang figure à côté des
pères spirituels, des confesseurs. Ce n'est
pas une exception. Le Deutéronome ne parle
pas du père idéal qui, à
côté de ses préoccupations au
sujet du bien-être de ses enfants, pense
aussi et surtout à leur éducation
religieuse et morale. Il nous parle du père
sans restriction, de celui qui est père
selon la promesse divine, par la grâce de
Dieu. La
désobéissance envers un commandement
ne consiste pas seulement à ignorer le
côté religieux et moral de
l'autorité paternelle. Elle est là
lorsque le père veut servir deux
maîtres : le Christ et l'argent, le Christ et
la nature. Nous connaissons cette tentation de
servir deux maîtres, d'être notre
propre maître, dans certains
domaines.
Il ne s'agit aucunement
d'idéaliser la tâche, le travail des
parents. Ils agissent selon le commandement divin :
le père, qui gagne péniblement le
pain de ses enfants ; la mère, qui lave les
langes de son nouveau-né, qui
s'ingénie à préparer un
modeste repas, à remettre à neuf un
vêtement usagé. Ils travaillent en
demandant à leur Père céleste
: « Donne-nous aujourd'hui notre pain
quotidien ! » Donne-nous le pain que, dans ta
bonté paternelle, tu as
préparé pour nous et pour nos
enfants, qui sommes tes enfants.
Le Deutéronome s'adresse aux
pères des enfants de Dieu, à des
membres de son Église. N'oublions pas,
d'ailleurs, le ministère des mères :
la prière d'Anne, le don de son fils Samuel
à l'Éternel. Le cinquième
commandement est placé, comme tous les
autres, sous l'inspiration de cette parole: «
Je suis l'Éternel, ton Dieu... » Il ne
peut donc être le point de départ de
ce qu'on appelle le droit naturel des parents. Nous
avons mieux à opposer aux puissances qui
veulent s'emparer de nos enfants qu'un
prétendu droit naturel. Nous leur
résistons, non pas au nom de la nature, mais
au nom du Père de Jésus-Christ, au
nom de celui qui n'est pas seulement notre
Créateur, mais aussi notre Sauveur et notre
Libérateur. La foi dans le droit de l'homme
est si répandue aujourd'hui qu'on nous
répond d'un air triomphant : « Eh bien,
ces millions de parents
incrédules,
indifférents ou païens, ne sont-ils
pas, eux aussi, des parents, quelquefois de
meilleurs parents que ceux qui ont
été baptisés et sont des
membres actifs de l'Église ? » - Il ne
s'agit pas, pour nous, d'abaisser les uns - les
indifférents ou les païens - et
d'élever les autres - les croyants.
Nous n'entendons pas dire par là
qu'ils soient chrétiens sans le savoir et
nous refusons l'affirmation : le coeur peut
être chrétien, et la pensée
rester païenne. Il existe des parents
païens, comme il existe des médecins,
des juges, des princes païens, des hommes qui
ne se sont pas encore joints à
l'Église pour rendre grâces à
Dieu. Et nous devons, par la grâce de Christ,
nous réjouir de leur service, de leur
ministère, accepter le bien que Dieu nous
fait par eux. Celui qui croit, non pas en la
bonté de la nature humaine, mais en la
bonté du Père de Jésus-Christ,
est libre d'accepter le service de parents
pécheurs, faibles et païens. Car la
liberté chrétienne met fin à
cette manifestation de crainte qu'est
l'étroitesse, et qui est le fruit de
l'incrédulité. Le ministère
des parents - même celui de parents qui
passent pour être « mondains »,
« incrédules » - a son fondement
dans la bonté et dans la patience divines.
En respectant ce ministère, nous n'admirons
pas l'homme païen; nous magnifions Dieu qui
veut se servir de nous, pécheurs,
chrétiens ou païens, pour la gloire de
son saint nom. Nous ne connaissons pas d'autre
fondement au ministère des parents que celui
de la volonté de notre Père
céleste, manifesté par l'alliance de
grâce conclue en vue de Jésus-Christ,
scellée par Jésus-Christ.
3. L'HONNEUR DÛ AUX PARENTS
L'obéissance au cinquième
commandement n'est pas naturelle au coeur humain.
Ce n'est une question ni de piété
filiale, ni d'éducation. Ne citons donc pas
les Chinois comme des modèles de
fidélité à la volonté
divine. Honorer son père et sa mère
est un acte de foi, d'obéissance, de
reconnaissance envers la fidélité
divine. Un acte de foi. Toujours à nouveau,
la question se pose : comment Dieu peut-il confier
des enfants à des êtres
pécheurs, d'horizon si borné ? Platon
déclare qu'on doit enlever les enfants
à leurs parents; et le philosophe Fichte,
dont la femme était pourtant
chrétienne, est du même avis.
Pestalozzi comprend, au contraire, le rôle
des parents, parce qu'il a saisi la promesse
divine, parce qu'il a cru à la Parole de
Dieu (malgré sa théologie quelque peu
rationaliste).
L'enfant - quel que soit son âge -
qui condamne ses parents selon un idéal de
moralité ou de piété, ou qui
les admire parce qu'ils correspondent à cet
idéal, n'a pas compris ce commandement. Il
veut voir, alors qu'il devrait croire. N'est-ce pas
la source de tant de conflits au sein même
d'une jeunesse sérieuse ?
En Israël, on interprétait
le commandement en donnant plus d'honneur au
père spirituel qu'au père selon le
sang. Nous connaissons, nous aussi, cette tentation
des enfants zélés pour la cause de
Dieu, de reprocher à leurs parents leur
tiédeur, leur attachement aux choses de ce
monde, à l'argent, au bien-être, au
succès, aux honneurs, à une position
assurée et de ne considérer comme
leur « père » que l'homme dont ils
ont subi l'influence spirituelle.
Jésus-Christ accuse les pharisiens, les
zélés, les piétistes de son
siècle, d'avoir faussé le
commandement
(Marc 7/10-13), en usurpant l'honneur
dû au chef de la famille.
Cet acte de foi est nécessaire
à l'enfant qui doute pour la première
fois de la sagesse de ses parents ; à
l'adolescent, particulièrement sujet
à la rébellion; à l'homme
d'âge mûr qui, ayant conquis son
indépendance, a maintenant voix au chapitre.
Il s'agit, dans chaque cas, d'un acte de foi, et
non pas d'une attitude de soumission
générale. C'est pourquoi il n'y a
jamais identité entre la volonté de
Dieu et la volonté des parents. « Les
parents sont les mains de Dieu », dit
Kohlbrügge. Et Vilmar, nous l'avons dit, voit
en eux les représentants de Dieu. Serait-ce
déjà du « papalisme » ? Un
certain conservatisme chrétien a
succombé à cette tentation.
Hâtons-nous de le dire : le cinquième
commandement n'est pas une théorie
conservatrice. La Parole de Dieu ne lie pas
toujours les parents aux enfants. Là
où les parents refusent de se soumettre
à cette parole et cherchent à
l'utiliser à leur profit pour régner
sur leurs enfants au lieu de laisser régner
Dieu, elle sépare les enfants des parents
(Matth. 10/34-39). La Bible n'admet
pas de soumission sans foi. C'est pourquoi
l'apôtre Paul écrit: « Enfants,
obéissez à vos parents, selon le
Seigneur, car cela est juste. Obéissez
à ceux qui sont, comme vous, membres et
serviteurs du Christ. Faites-le dans la joie et
dans la liberté qui convient à ceux
qui sont les enfants du Père céleste,
sans crainte, sans humiliation, sans protestation.
I Pierre 5/5 souligne que
l'humilité n'est pas l'attitude de l'enfant
seulement, mais de tout membre du Christ, sans
distinction de générations. Les
anciens et les parents ont aussi à
s'humilier sous la puissante main
de Dieu.
Après avoir exhorté les
enfants, l'apôtre s'adresse aux parents :
« Et vous, pères, n'irritez pas vos
enfants, mais élevez-les en les corrigeant
et en les instruisant selon le Seigneur »
(Eph. 6/4). Pour le verbe
«corriger», le texte allemand emploie une
expression très caractéristique :
« Zurechtweisung » qui signifie :
indiquer à quelqu'un son chemin, ou remettre
quelqu'un à l'ordre. Ici, cela veut donc
dire: rappeler l'enfant à l'ordre divin en
lui montrant le chemin qui n'est pas le
nôtre, mais celui de la Parole de Dieu.
« Ta Parole est une lampe à mes pieds
et une lumière sur mon sentier ». Il ne
s'agit pas d'user du droit de la force, ou de celui
que parait nous conférer le nombre des
années et le poids de nos
expériences. Le point de vue, de
l'autorité naturelle du père, cette
notion païenne de l'autorité, engendre
l'émancipation des jeunes. Le culte de la
sagesse, de l'expérience des vieillards,
engendre le culte de l'insouciance juvénile
et, en politique, la révolution. Mais,
remarquez-le bien, nous n'opposons pas
l'autorité fondée sur des
qualités intellectuelles et morales à
l'autorité basée seulement sur la
force biologique. L'autorité dont nous
parlons est fondée sur la foi en celui qui
nous confie nos enfants. Si nous croyons être
les « mains de Dieu », nous croyons aussi
que ces mains n'agissent pas pour
-elles-mêmes, mais sont au service de celui
à qui seul revient toute autorité.
Nous ne méprisons nullement tout ce qui se
fait pour souligner l'autorité des parents,
pour les aider dans l'éducation de leurs
enfants. Usages, coutumes, lois, rien ne peut
laisser le chrétien indifférent,
à condition d'en user dans la liberté
chrétienne sans oublier l'autorité
suprême du commandement lui-même.
4. LA PORTÉE DU COMMANDEMENT
À QUI REVIENT CET HONNEUR?
Les catéchismes de la Réformation
ont donné une grande ampleur à ce
commandement. Ils ne traitent pas seulement de
l'honneur dû aux parents, mais du respect que
le chrétien doit à toutes les
autorités. Le catéchisme de
Heidelberg a même été
cité par un réformé
très convaincu pour prouver que le pasteur
doit à l'État totalitaire honneur,
amour et fidélité ! Le
catéchisme de Genève contient le
passage suivant
... Est-ce là tout le
commandement ?
Combien qu'il ne soit parlé que
de père et de mère: toutefois il faut
entendre tous supérieurs : puis qu'il y a
une mesme raison.
- Et quelle ?
- C'est que Dieu leur a donné la
prééminence. Car, il n'y a
authorité ni de pères, ni de princes,
ni de tous autres supérieurs, sinon comme
Dieu l'a ordonné.» (1553).
Le catéchisme de Heidelberg ne
peut être mis au service de l'Etat moderne
d'une façon aussi superficielle. « Dass
ich meinen Vater und meine Mutter und allen, die
mir vorgesetz sind ... » (Que je
témoigne honneur, amour et
fidélité, à mon père et
à ma mère, et à tous ceux qui
sont mes supérieurs... »). Ces paroles
visent une autorité concrète et ne se
prêtent pas aux théories de
l'État moderne qui esquive toute
responsabilité et ne vent être que
l'organe d'une masse anonyme à laquelle on
donne le nom de nation. Où sont mes
supérieurs ? Le supérieur de
l'État païen refuse de porter
lui-même la responsabilité de ses
actes. Il prétend accomplir la
volonté de la nation, de
la race, de la classe. Il ne saurait donc
représenter à nos yeux le
«père», le supérieur dont
parle le commandement. On le voit, il est
inadmissible d'exploiter certaines expressions de
nos catéchismes au profit d'une
théorie totalitaire.
Il reste encore à examiner si
l'interprétation biblique du
cinquième commandement 'inclut toutes les
autorités comme les Réformateurs
l'ont compris. Dans la première
épître de Pierre
(2/17), nous lisons : « Honorez
le roi ». C'est l'expression dont se sert la
traduction grecque pour le cinquième
commandement. Mais, dans le même verset, nous
lisons aussi : « Honorez tout le monde ».
Rom. 13/1 et
1 Pierre 2/13, qui ordonnent la
soumission aux autorités, se servent du mot
« hypotassein ». Cette expression se
trouve aussi dans
Luc 2/51 où Jésus est
soumis à ses parents.
1 Cor. 16/15 signale une famille
dévouée au service des saints.
L'apôtre conclut en disant : « ... que
vous leur soyez soumis... »
Eph. 5/21 mentionne de nouveau une
soumission mutuelle dans la crainte du Christ,
comme auparavant il s'agissait de l'honneur mutuel
et, dans le verset suivant, de la soumission des
femmes à leur mari.
Pierre demande la soumission aux anciens
(I Pierre 5/5). Jugez maintenant
vous-mêmes si les textes bibliques justifient
l'interprétation des
Réformateurs.
Le chrétien risque d'oublier le
caractère concret du commandement. En
voulant dire trop, il dit trop peu, en voulant
embrasser le tout, il risque d'oublier cette parole
si concrète : la bonne nouvelle que Dieu est
notre Père, que par son amour nous sommes
frères, que dans un monde qui nous
paraît dominé par des puissances
infernales, Dieu nous donne des pères et des
mères. Il nous donne aussi des
autorités qui sont des défenseurs
du droit et de la justice. Cela
n'est pas quantité négligeable. C'est
un effet de sa bonté. Nous voyons ainsi
jaillir la lumière du commandement dans les
diverses relations humaines.
5. LA PROMESSE DU CINQUIÈME
COMMANDEMENT
L'interprétation de ce commandement,
comme parole donnée au peuple de Dieu, est
justifiée par la promesse, dont nous avons
encore à parler. L'apôtre Paul la
souligne dans l'épître aux
Ephésiens. Elle a tourmenté
déjà bien des
générations de théologiens et
de pasteurs. Le catholicisme romain y trouve la
preuve qu'il s'agit d'un peuple qui devait
être gagné par une espérance
terrestre, le peuple d'Israël n'aurait pas
encore été capable de se laisser
guider simplement par l'espérance de la vie
éternelle. Le catéchisme du Concile
de Trente manifeste cette tendance morale qui
subsiste encore dans certains milieux protestants :
« Ceux donc qui honorent leurs parents et qui
leur témoignent une vive reconnaissance pour
le bienfait de la vie et de la lumière
qu'ils ont reçues d'eux, ont droit de jouir
de la vie jusqu'à une grande vieillesse
» (1).
Luther nous donne, dans son grand
catéchisme, une interprétation
très populaire
(2). Pour
l'Écriture, avoir une longue vie
signifie non seulement vivre
longtemps, mais tout avoir de ce qui appartient
à la vie, en particulier santé, femme
et enfant, nourriture, paix, bonne compagnie, etc.,
toutes choses sans lesquelles on ne peut jouir
gaiement de la vie, ni subir sa longueur. Si tu ne
veux pas obéir à père et
mère et te laisser mener, ce sera la faim et
la mort ».
Si Luther avait compris l'introduction
aux commandements : « Je suis
l'Éternel, ton Dieu », peut-être
aurait-il été moins populaire, mais
plus consolant et plus biblique. Car, il ne s'agit
pas de n'importe quelle terre, de n'importe quelle
vie. Le commandement parle de la terre promise, des
jours qui se prolongeront sur cette terre, gage du
Règne du Christ. Calvin l'a fort bien
exprimé dans l'institution: «Honore
père et mère, afin qu'en vivant
longuement, tu puisses jouir longtemps de la terre,
laquelle te sera pour tesmoignage de ma grâce
» (2. VIII. 37). Il n'est pas question d'une
promesse qui chercherait à séduire
l'homme naturel, car cette récompense ne
peut être comprise que par la foi; elle n'a
de valeur que pour le croyant. Quelle valeur a
Canaan pour celui qui reste en dehors de la
promesse divine, et n'appartient pas au peuple de
Dieu ? Pourquoi y prolonger ses jours ? Une mort
glorieuse, héroïque, dans la force de
l'âge n'est-elle pas préférable
? Canaan est le pays qui, par la grâce de
Dieu, est sanctifié avec le peuple
d'Israël qui l'habite. C'est le pays OÙ
le nom de Dieu est glorifié, où les
autels des faux-dieux sont détruits. Les
enfants qui ont accepté le service de leurs
parents, qui ont honoré en eux les
«mains de Dieu», qui ont appris de leur
bouche ce que Dieu a fait pour son peuple, loueront
Dieu avec leurs enfants.
C'est la bonne nouvelle du
Psaume 128. La
liturgiedes Églises
réformées du Bas-Rhin, en
introduisant ce Psaume dans la formule du mariage,
reconnaît que Jésus-Christ n'a pas
aboli la promesse, du cinquième
commandement, mais l'a accomplie, ratifiée
pour nous, pour cette Église dont les portes
sont ouvertes à toutes les nations. Le
Psaume 128 parle du père qui
glorifie Dieu avec ses enfants et petits-enfants.
Il n'est pas question du nombre des années,
mais de leur contenu: « Ne m'abandonne pas,
ô Dieu ! même dans la vieillesse, afin
que j'annonce ta force à la
génération présente, ta
puissance à la génération
future »
(Ps. 71/18).
Cependant, dans
Matthieu 10, ne nous est-il pas
parlé de séparation entre parents et
enfants, de la foi qui n'est pas mie simple
tradition de famille ? Serait-ce là ce qui
différencie l'Ancien du Nouveau Testament ?
Non, certes ! Pour la Bible, toute entière,
de la Genèse à l'Apocalypse, la foi
reste un mystère, le don libre de Dieu.
Israël vit non pas de sa propre
vitalité religieuse, mais de la grâce
et de la fidélité de Dieu. C'est
pourquoi l'Ancien Testament nous parle de
séparation entre parents et enfants, de
défection dans le peuple même de Dieu,
de renouveaux miraculeux. Rahab se sépare
des païens de Jéricho pour être
reçue cri Israël, pour avoir part
à la promesse; Ruth quitte son peuple pour
appartenir au peuple de Naomi, et servir Dieu avec
elle, dans la terre promise. Voyez l'histoire des
enfants de David ! Lui, le père, il a
dû tout subir : leurs haines mutuelles, leurs
violences et leurs rebellions. L'Ancien Testament
nous montre déjà que Dieu accomplit
ses promesses, non pas selon notre mesure, selon
nos mérites, mais selon sa grâce et sa
fidélité
(Il Sam. 7/11 b - 14). Comme
Jésus-Christ a mis mi terme au culte
d'Israël en l'accomplissant, il a aussi
mis fin à la gloire de
Canaan. Il a pris possession de toute la terre,
comme il l'avait proclamé, à la suite
de l'Ancien Testament. « Heureux les
débonnaires, car ils posséderont la
terre ». Nous osons prier, non pour la
grâce d'une longue vie, nous qui demandons :
« Que ton règne vienne ! » et qui
attendons la venue glorieuse du Christ, mais pour
la grâce de louer Dieu avec les nôtres,
de le servir avec notre maison. Par la promesse du
cinquième commandement, Dieu ne lie pas sa
cause (qui est notre salut) à une famille,
à une maison. C'est toujours grâce
pure que de pouvoir le servir; ce n'est jamais le
privilège exclusif d'une famille. Mais Dieu
tient parole. Christ répond à ses
disciples : « Je vous le dis, en
vérité, il n'est personne qui, ayant
quitté à cause du Royaume de Dieu, sa
maison, ou sa femme, ou ses frères, ou ses
parents, ou ses enfants, ne reçoive beaucoup
plus dans ce siècle-ci et, dans le
siècle à venir, la vie
éternelle »
(Luc 18/29, 30).
Le commandement, qui nous ordonne
d'honorer notre père, ne va-t-il pas plus
loin ? Ne nous montre-t-il pas la patrie, la terre
des Pères, et ne nous apprend-il pas
à l'aimer ? C'est après avoir entendu
la promesse du commandement que nous pouvons
répondre à cette question. Il n'y a
qu'une terre sainte : la terre promise à
Abraham, la patrie du peuple de Dieu, jusqu'au
moment où le Christ a pris possession de
tous les royaumes, de tous les pays
(Ps. 24/1;
Apoc. 1/5;
5/10). C'est pourquoi le Christ dit
à ses disciples : « Tout pouvoir m'a
été donné, dans le ciel et sur
la terre. Allez, faites de toutes les nations des
disciples »
(Matth. 28/18, 19). Notre patrie
n'est pas une terre sainte, un peuple élu;
c'est la terre que nos pères nous ont
préparée dans la prière et la
confession du nom de Christ. Cette terre
nous parle de victoires de la
foi, de jugements divins. Elle nous rappelle la
miséricorde, la patience, la bonté de
Dieu qui nous accorde, avec le don de Christ, la
nourriture, la paix, les bienfaits du droit, de la
justice et de la vie en commun. Nous aimons notre
patrie, tout en confessant : « Nous n'avons
point ici-bas de cité permanente, mais nous
cherchons celle qui est à venir
».
Cet amour de la patrie, nous ne le
partageons pas tel quel avec tous ceux qui sont de
notre sang, parlent notre langue, ont le même
certificat d'origine, Pour le chrétien,
l'amour de la patrie n'unit pas seulement; il
sépare aussi. C'est l'expérience
douloureuse de ces années décisives.
L'amour de la patrie ne nous unit pas
au-delà de toutes les confessions de foi. On
le voit bien dans les pays où
l'Église glorifie son seul Seigneur par son
combat et sa souffrance : ce qui sépare les
confesseurs du Christ de leurs concitoyens,
n'est-ce pas aussi bien la politique, l'amour du
pays, que le dogme, que la question de
l'Église ? Cette situation est nouvelle pour
nous. Comme du temps de la Réformation, nous
apprenons que la foi est au centre de toutes les
préoccupations. Le champ d'épreuve
c'est, pour nous plus encore que pour les
réformateurs, la politique, le service de la
patrie. Là, nous avons à prouver que
nous avons entendu le commandement divin, que nous
l'avons reçu comme membres du Christ. Que
Dieu nous préserve d'amoindrir la puissance
de ce message de libération ! Qu'il nous
fasse la grâce de devenir des
élèves de sa Parole, dans toute la
plénitude de ce terme !
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