Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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L'ORDRE DE DIEU


IV
Honore ton père et ta mère *
par Alfred de QUERVAIN

Honore ton père et ta mère afin que tes jours soient prolongés sur la terre que l'Éternel, ton Dieu, te donne.
Exode 20 / 12.

Notre but est de méditer les Saintes Écritures. Méditer un commandement, ce n'est pas traiter un sujet ; c'est écouter ce d'une actualité plus ou moins grande, que dit la Parole de Dieu.

Dans son Petit Catéchisme, Luther ramène le cinquième commandement à ces mots : « Honore ton père et ta mère ». Dans son commentaire sur ce catéchisme, le théologien luthérien Theodosius Harnack (père d'Adolf Harnack) prétend que l'intérêt du chrétien se porte, non pas sur le texte biblique du vingtième chapitre de l'Exode, mais sur le texte simplifié, dépouillé des indications relatives à l'histoire d'Israël. Nos catéchismes réformés ne sont pas de cet avis. Ils nous forcent à étudier la Bible au lieu d'élaborer des théories morales et religieuses. Nous restons donc dans la tradition de notre Église en méditant le texte complet du cinquième commandement.

Dans les quatre premiers commandements, il est question du Dieu qui s'est formé Lin peuple, qui l'a sanctifié, et qui, dans son incompréhensible bonté, réclame le service de ces hommes. Ils lui appartiennent à lui seul ; ils n'appartiennent à personne d'autre. Ils n'auront pas d'autres dieux devant sa face. Ils le connaissent, ils le servent selon sa propre parole. C'est pourquoi ils ne se feront pas d'image de leur Dieu. Ils osent confesser son nom, l'invoquer; c'est pourquoi ils n'emploieront pas en vain ce saint nom. Ils se réjouissent de la gloire de son règne, de son salut; c'est pourquoi, le septième jour, ils interrompent leurs travaux. Voilà les commandements de la première table. Chaque fois, il est tenu compte du prologue : « Je suis l'Éternel ton Dieu... » Ce Dieu qui sera servi est le Dieu d'Israël, le Dieu qui fait des membres de son peuple un peuple de frères. Le cinquième commandement est, d'après une très ancienne tradition, le premier de la seconde table. Cette table parle du service que nous devons à nos frères. Telle est la définition de nos catéchismes. Une certaine tradition juive - Philon d'Alexandrie - place ce commandement dans la première table. Vilmar, le grand théologien luthérien du dix-neuvième siècle, est du même avis: il s'agit ici des parents comme représentants de Dieu. Mais les cinq commandements qui suivent ne témoignent-ils pas, eux aussi, de l'autorité, de la dignité, de la sainteté, que Dieu confère à ceux qui sont ses enfants ou appelés à être ses enfants. Le cinquième commandement est placé au centre des commandements qui tous proclament la paternité de Dieu et la fraternité de ses enfants. Dieu est le père d'Israël, le père des croyants, qui forment son peuple. Car il est le père de Jésus-Christ, fils d'Abraham et fils de David. Par la grâce de ce père, le père de Jésus-Christ le fils unique, (représenté sous l'ancienne alliance par le peuple unique), par la charité de notre frère Jésus-Christ, nous sommes frères.

Lorsqu'on n'a plus compris que les commandements sont le témoignage de la paternité divine et de la fraternité des saints, on a vu dans les commandements une loi morale, un ordre. Ce malentendu s'est produit très tôt déjà, il a contribué à faire de l'Église du Christ l'Église romaine. Il s'est reproduit, dans une certaine mesure, dans les Églises issues de la Réformation. Ce malentendu a persisté avec une grande obstination parmi les chrétiens de notre siècle. Si nous tenons compte du cadre des commandements, des passages qui les précèdent et qui les suivent, nous ne pouvons nous méprendre sur leur véritable sens. Ils sont l'expression de l'alliance de Dieu avec Israël. « Israël est mon fils, mon premier né » (Exode 4/22). « Tu as vu que l'Éternel, ton Dieu, t'a porté comme un homme porte son fils, pendant toute la route que vous avez faite jusqu'à votre arrivée en ce lieu » (Deut. 1/31). « N'est-il pas ton père, ton créateur ? N'est-ce pas lui qui t'a formé et qui t'a affermi ? » (32/6). C'est aussi le message des prophètes (Jér. 3/19b, Osée 11/1). Dieu prodigue à son peuple les soins d'une mère (Esaïe 66/13). Dieu attend de son peuple l'obéissance d'un fils (Esaïe 30/1, 9). L'histoire du peuple de Dieu est une histoire de continuelles désobéissances et de jugements paternels (Deut. 8/5). L'homme n'a aucun droit d'appeler Dieu son père et les hommes ses frères. C'est une grâce. Car Dieu n'est pas le père de tous les hommes, mais de ceux qu'il a élus en Christ. Nous sommes frères à cause de l'alliance divine, parce que nous appartenons au corps du Christ. C'est ainsi que le cinquième commandement nous rappelle le mystère du père céleste, tandis que le septième témoigne du mystère de l'union conjugale entre le Christ et l'Église.

1. LE DON DE DIEU

Une certaine théologie nous dit qu'en parlant de Dieu comme de notre père, nous parlons improprement, nous nous servons d'une image adaptée à la faiblesse humaine. Elle prétend que l'enfant conçoit Dieu à l'image de ses parents. La conséquence n'est-elle pas que l'adulte cultivé se verra forcé de renoncer à cette image pour en choisir une autre plus adaptée à sa mentalité ? Le message de la Bible est différent. Le cinquième commandement honore la vocation du père et de la mère parce qu'elle rend témoignage à celui qui est en vérité le père, le père par excellence, la lumière qui rejaillit sur toute paternité (Eph. 3/15). Dieu lui-même, Dieu seul, confère la grâce d'être père, d'être mère. C'est donc à sa parole souveraine, créatrice, que nous nous tenons lorsque nous pensons à ceux que Dieu a élevés à cette vocation contre toute attente. C'est cette parole souveraine qui est le fondement des relations entre parents et enfants.

Nous ne pouvons faire cause commune avec ceux qui voudraient conserver ou reconstruire un ordre de la famille au service de la nation, et qui méprisent la Parole de Dieu en la mettant au service de l'homme. La Réformation ne parle pas de la famille comme d'un ordre neutre, indépendant de la promesse divine. Nos catéchismes parlent de l'oeuvre des parents comme d'un acte de reconnaissance découlant de la promesse divine.
Le mystère de la paternité n'est pas le mystère du sang.
C'est le mystère de la grâce, de cette grâce dont vivent les parents. Ils obéissent aux ordres de Dieu, et Dieu les console. Remarquons bien qu'il ne s'agit pas d'une idée religieuse des parents qui viendrait s'ajouter à la conception fondamentale, biologique et sociologique de la famille. Beaucoup parmi nous pensent : « L'idéal, ce serait des parents chrétiens; mais il faut savoir se contenter de moins, de parents qui accomplissent leurs devoirs les plus primitifs, ce que leur ordonne la voix de la nature, l'instinct de leur sang ». Le cinquième commandement déclare aux parents que ce n'est pas la nature, mais le commandement divin qui leur montre ce qu'ils ont à faire.

Si nous séparons la vocation des parents du commandement et de la promesse de Dieu, pour rester sur le terrain soi-disant ferme et neutre de la biologie et de la sociologie, il n'est plus question du père, mais de celui qu'on appelle en allemand : «mein Alter» (« Le vieux»). Cette expression dénote d'ailleurs une familiarité déplacée à l'égard de celui qui donne la vie et fournit à son enfant tout ce dont il a besoin et l'on sait bien que livré à la loi de la nature, l'enfant s'émancipe insensiblement de son père. Il n'est pas question de nier le côté biologique des relations entre parents et enfants. Mais pour pouvoir en parler et agir dans la liberté des enfants de Dieu, il faut être un élève de la Parole. La notion de « père en Israël » est éclairée par la promesse divine. Abraham n'est le père du peuple élu que par la grâce de Dieu.

Les Pharisiens, par contre, qui se réclament d'Abraham selon la chair, reçoivent la réponse que Dieu peut faire naître, de ces pierres, des enfants à Abraham. En Israël, il y a aussi des docteurs, des théologiens qui,par leur piété, par leur science et leur zèle missionnaire, veulent jouer le rôle de pères spirituels. Mais jamais l'homme n'est maître, ni comme père, de sa maison et de ses enfants, ni comme docteur de la loi, de l'Église et des croyants. Il n'est toujours que le serviteur de Dieu, le serviteur de la Parole. Sa vocation, si profane soit-elle, lui vient de la Parole de Dieu.

2. LE MINISTÈRE DES PARENTS

Les livres de la loi nous donnent une définition très claire du ministère du père : « Lorsque ton fils te demandera un jour : Que signifie ces préceptes, ces lois et ces ordonnances que l'Éternel, notre Dieu, nous a prescrits ? Tu diras à ton fils : Nous étions esclaves de Pharaon en Égypte, et l'Éternel nous a fait sortir de l'Égypte par sa main puissante » (Deut. 6/20).

Le père est celui à qui une question est posée. Il répond à cette question avec une autorité qui vient de Dieu. Le fils, par contre, est celui qui ose poser les questions décisives, et qui reçoit une réponse qui console : « Interroge ton père, et il te l'apprendra, Les vieillards, et il te le diront » (Deut. 32/7). C'est le père ou les vieillards ou, suivant le texte grec, les anciens, qui rendent témoignage des miracles et des grâces divines. Le père selon le sang figure à côté des pères spirituels, des confesseurs. Ce n'est pas une exception. Le Deutéronome ne parle pas du père idéal qui, à côté de ses préoccupations au sujet du bien-être de ses enfants, pense aussi et surtout à leur éducation religieuse et morale. Il nous parle du père sans restriction, de celui qui est père selon la promesse divine, par la grâce de Dieu. La désobéissance envers un commandement ne consiste pas seulement à ignorer le côté religieux et moral de l'autorité paternelle. Elle est là lorsque le père veut servir deux maîtres : le Christ et l'argent, le Christ et la nature. Nous connaissons cette tentation de servir deux maîtres, d'être notre propre maître, dans certains domaines.

Il ne s'agit aucunement d'idéaliser la tâche, le travail des parents. Ils agissent selon le commandement divin : le père, qui gagne péniblement le pain de ses enfants ; la mère, qui lave les langes de son nouveau-né, qui s'ingénie à préparer un modeste repas, à remettre à neuf un vêtement usagé. Ils travaillent en demandant à leur Père céleste : « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ! » Donne-nous le pain que, dans ta bonté paternelle, tu as préparé pour nous et pour nos enfants, qui sommes tes enfants.

Le Deutéronome s'adresse aux pères des enfants de Dieu, à des membres de son Église. N'oublions pas, d'ailleurs, le ministère des mères : la prière d'Anne, le don de son fils Samuel à l'Éternel. Le cinquième commandement est placé, comme tous les autres, sous l'inspiration de cette parole: « Je suis l'Éternel, ton Dieu... » Il ne peut donc être le point de départ de ce qu'on appelle le droit naturel des parents. Nous avons mieux à opposer aux puissances qui veulent s'emparer de nos enfants qu'un prétendu droit naturel. Nous leur résistons, non pas au nom de la nature, mais au nom du Père de Jésus-Christ, au nom de celui qui n'est pas seulement notre Créateur, mais aussi notre Sauveur et notre Libérateur. La foi dans le droit de l'homme est si répandue aujourd'hui qu'on nous répond d'un air triomphant : « Eh bien, ces millions de parents incrédules, indifférents ou païens, ne sont-ils pas, eux aussi, des parents, quelquefois de meilleurs parents que ceux qui ont été baptisés et sont des membres actifs de l'Église ? » - Il ne s'agit pas, pour nous, d'abaisser les uns - les indifférents ou les païens - et d'élever les autres - les croyants.
Nous n'entendons pas dire par là qu'ils soient chrétiens sans le savoir et nous refusons l'affirmation : le coeur peut être chrétien, et la pensée rester païenne. Il existe des parents païens, comme il existe des médecins, des juges, des princes païens, des hommes qui ne se sont pas encore joints à l'Église pour rendre grâces à Dieu. Et nous devons, par la grâce de Christ, nous réjouir de leur service, de leur ministère, accepter le bien que Dieu nous fait par eux. Celui qui croit, non pas en la bonté de la nature humaine, mais en la bonté du Père de Jésus-Christ, est libre d'accepter le service de parents pécheurs, faibles et païens. Car la liberté chrétienne met fin à cette manifestation de crainte qu'est l'étroitesse, et qui est le fruit de l'incrédulité. Le ministère des parents - même celui de parents qui passent pour être « mondains », « incrédules » - a son fondement dans la bonté et dans la patience divines. En respectant ce ministère, nous n'admirons pas l'homme païen; nous magnifions Dieu qui veut se servir de nous, pécheurs, chrétiens ou païens, pour la gloire de son saint nom. Nous ne connaissons pas d'autre fondement au ministère des parents que celui de la volonté de notre Père céleste, manifesté par l'alliance de grâce conclue en vue de Jésus-Christ, scellée par Jésus-Christ.

3. L'HONNEUR DÛ AUX PARENTS

L'obéissance au cinquième commandement n'est pas naturelle au coeur humain. Ce n'est une question ni de piété filiale, ni d'éducation. Ne citons donc pas les Chinois comme des modèles de fidélité à la volonté divine. Honorer son père et sa mère est un acte de foi, d'obéissance, de reconnaissance envers la fidélité divine. Un acte de foi. Toujours à nouveau, la question se pose : comment Dieu peut-il confier des enfants à des êtres pécheurs, d'horizon si borné ? Platon déclare qu'on doit enlever les enfants à leurs parents; et le philosophe Fichte, dont la femme était pourtant chrétienne, est du même avis. Pestalozzi comprend, au contraire, le rôle des parents, parce qu'il a saisi la promesse divine, parce qu'il a cru à la Parole de Dieu (malgré sa théologie quelque peu rationaliste).

L'enfant - quel que soit son âge - qui condamne ses parents selon un idéal de moralité ou de piété, ou qui les admire parce qu'ils correspondent à cet idéal, n'a pas compris ce commandement. Il veut voir, alors qu'il devrait croire. N'est-ce pas la source de tant de conflits au sein même d'une jeunesse sérieuse ?

En Israël, on interprétait le commandement en donnant plus d'honneur au père spirituel qu'au père selon le sang. Nous connaissons, nous aussi, cette tentation des enfants zélés pour la cause de Dieu, de reprocher à leurs parents leur tiédeur, leur attachement aux choses de ce monde, à l'argent, au bien-être, au succès, aux honneurs, à une position assurée et de ne considérer comme leur « père » que l'homme dont ils ont subi l'influence spirituelle. Jésus-Christ accuse les pharisiens, les zélés, les piétistes de son siècle, d'avoir faussé le commandement (Marc 7/10-13), en usurpant l'honneur dû au chef de la famille.
Cet acte de foi est nécessaire à l'enfant qui doute pour la première fois de la sagesse de ses parents ; à l'adolescent, particulièrement sujet à la rébellion; à l'homme d'âge mûr qui, ayant conquis son indépendance, a maintenant voix au chapitre. Il s'agit, dans chaque cas, d'un acte de foi, et non pas d'une attitude de soumission générale. C'est pourquoi il n'y a jamais identité entre la volonté de Dieu et la volonté des parents. « Les parents sont les mains de Dieu », dit Kohlbrügge. Et Vilmar, nous l'avons dit, voit en eux les représentants de Dieu. Serait-ce déjà du « papalisme » ? Un certain conservatisme chrétien a succombé à cette tentation. Hâtons-nous de le dire : le cinquième commandement n'est pas une théorie conservatrice. La Parole de Dieu ne lie pas toujours les parents aux enfants. Là où les parents refusent de se soumettre à cette parole et cherchent à l'utiliser à leur profit pour régner sur leurs enfants au lieu de laisser régner Dieu, elle sépare les enfants des parents (Matth. 10/34-39). La Bible n'admet pas de soumission sans foi. C'est pourquoi l'apôtre Paul écrit: « Enfants, obéissez à vos parents, selon le Seigneur, car cela est juste. Obéissez à ceux qui sont, comme vous, membres et serviteurs du Christ. Faites-le dans la joie et dans la liberté qui convient à ceux qui sont les enfants du Père céleste, sans crainte, sans humiliation, sans protestation. I Pierre 5/5 souligne que l'humilité n'est pas l'attitude de l'enfant seulement, mais de tout membre du Christ, sans distinction de générations. Les anciens et les parents ont aussi à s'humilier sous la puissante main de Dieu.

Après avoir exhorté les enfants, l'apôtre s'adresse aux parents : « Et vous, pères, n'irritez pas vos enfants, mais élevez-les en les corrigeant et en les instruisant selon le Seigneur » (Eph. 6/4). Pour le verbe «corriger», le texte allemand emploie une expression très caractéristique : « Zurechtweisung » qui signifie : indiquer à quelqu'un son chemin, ou remettre quelqu'un à l'ordre. Ici, cela veut donc dire: rappeler l'enfant à l'ordre divin en lui montrant le chemin qui n'est pas le nôtre, mais celui de la Parole de Dieu. « Ta Parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier ». Il ne s'agit pas d'user du droit de la force, ou de celui que parait nous conférer le nombre des années et le poids de nos expériences. Le point de vue, de l'autorité naturelle du père, cette notion païenne de l'autorité, engendre l'émancipation des jeunes. Le culte de la sagesse, de l'expérience des vieillards, engendre le culte de l'insouciance juvénile et, en politique, la révolution. Mais, remarquez-le bien, nous n'opposons pas l'autorité fondée sur des qualités intellectuelles et morales à l'autorité basée seulement sur la force biologique. L'autorité dont nous parlons est fondée sur la foi en celui qui nous confie nos enfants. Si nous croyons être les « mains de Dieu », nous croyons aussi que ces mains n'agissent pas pour -elles-mêmes, mais sont au service de celui à qui seul revient toute autorité. Nous ne méprisons nullement tout ce qui se fait pour souligner l'autorité des parents, pour les aider dans l'éducation de leurs enfants. Usages, coutumes, lois, rien ne peut laisser le chrétien indifférent, à condition d'en user dans la liberté chrétienne sans oublier l'autorité suprême du commandement lui-même.

4. LA PORTÉE DU COMMANDEMENT À QUI REVIENT CET HONNEUR?

Les catéchismes de la Réformation ont donné une grande ampleur à ce commandement. Ils ne traitent pas seulement de l'honneur dû aux parents, mais du respect que le chrétien doit à toutes les autorités. Le catéchisme de Heidelberg a même été cité par un réformé très convaincu pour prouver que le pasteur doit à l'État totalitaire honneur, amour et fidélité ! Le catéchisme de Genève contient le passage suivant

... Est-ce là tout le commandement ?
Combien qu'il ne soit parlé que de père et de mère: toutefois il faut entendre tous supérieurs : puis qu'il y a une mesme raison.
- Et quelle ?
- C'est que Dieu leur a donné la prééminence. Car, il n'y a authorité ni de pères, ni de princes, ni de tous autres supérieurs, sinon comme Dieu l'a ordonné.» (1553).

Le catéchisme de Heidelberg ne peut être mis au service de l'Etat moderne d'une façon aussi superficielle. « Dass ich meinen Vater und meine Mutter und allen, die mir vorgesetz sind ... » (Que je témoigne honneur, amour et fidélité, à mon père et à ma mère, et à tous ceux qui sont mes supérieurs... »). Ces paroles visent une autorité concrète et ne se prêtent pas aux théories de l'État moderne qui esquive toute responsabilité et ne vent être que l'organe d'une masse anonyme à laquelle on donne le nom de nation. Où sont mes supérieurs ? Le supérieur de l'État païen refuse de porter lui-même la responsabilité de ses actes. Il prétend accomplir la volonté de la nation, de la race, de la classe. Il ne saurait donc représenter à nos yeux le «père», le supérieur dont parle le commandement. On le voit, il est inadmissible d'exploiter certaines expressions de nos catéchismes au profit d'une théorie totalitaire.

Il reste encore à examiner si l'interprétation biblique du cinquième commandement 'inclut toutes les autorités comme les Réformateurs l'ont compris. Dans la première épître de Pierre (2/17), nous lisons : « Honorez le roi ». C'est l'expression dont se sert la traduction grecque pour le cinquième commandement. Mais, dans le même verset, nous lisons aussi : « Honorez tout le monde ». Rom. 13/1 et 1 Pierre 2/13, qui ordonnent la soumission aux autorités, se servent du mot « hypotassein ». Cette expression se trouve aussi dans Luc 2/51 où Jésus est soumis à ses parents. 1 Cor. 16/15 signale une famille dévouée au service des saints. L'apôtre conclut en disant : « ... que vous leur soyez soumis... » Eph. 5/21 mentionne de nouveau une soumission mutuelle dans la crainte du Christ, comme auparavant il s'agissait de l'honneur mutuel et, dans le verset suivant, de la soumission des femmes à leur mari.

Pierre demande la soumission aux anciens (I Pierre 5/5). Jugez maintenant vous-mêmes si les textes bibliques justifient l'interprétation des Réformateurs.

Le chrétien risque d'oublier le caractère concret du commandement. En voulant dire trop, il dit trop peu, en voulant embrasser le tout, il risque d'oublier cette parole si concrète : la bonne nouvelle que Dieu est notre Père, que par son amour nous sommes frères, que dans un monde qui nous paraît dominé par des puissances infernales, Dieu nous donne des pères et des mères. Il nous donne aussi des autorités qui sont des défenseurs du droit et de la justice. Cela n'est pas quantité négligeable. C'est un effet de sa bonté. Nous voyons ainsi jaillir la lumière du commandement dans les diverses relations humaines.

5. LA PROMESSE DU CINQUIÈME COMMANDEMENT

L'interprétation de ce commandement, comme parole donnée au peuple de Dieu, est justifiée par la promesse, dont nous avons encore à parler. L'apôtre Paul la souligne dans l'épître aux Ephésiens. Elle a tourmenté déjà bien des générations de théologiens et de pasteurs. Le catholicisme romain y trouve la preuve qu'il s'agit d'un peuple qui devait être gagné par une espérance terrestre, le peuple d'Israël n'aurait pas encore été capable de se laisser guider simplement par l'espérance de la vie éternelle. Le catéchisme du Concile de Trente manifeste cette tendance morale qui subsiste encore dans certains milieux protestants : « Ceux donc qui honorent leurs parents et qui leur témoignent une vive reconnaissance pour le bienfait de la vie et de la lumière qu'ils ont reçues d'eux, ont droit de jouir de la vie jusqu'à une grande vieillesse » (1). Luther nous donne, dans son grand catéchisme, une interprétation très populaire (2). Pour l'Écriture, avoir une longue vie signifie non seulement vivre longtemps, mais tout avoir de ce qui appartient à la vie, en particulier santé, femme et enfant, nourriture, paix, bonne compagnie, etc., toutes choses sans lesquelles on ne peut jouir gaiement de la vie, ni subir sa longueur. Si tu ne veux pas obéir à père et mère et te laisser mener, ce sera la faim et la mort ».

Si Luther avait compris l'introduction aux commandements : « Je suis l'Éternel, ton Dieu », peut-être aurait-il été moins populaire, mais plus consolant et plus biblique. Car, il ne s'agit pas de n'importe quelle terre, de n'importe quelle vie. Le commandement parle de la terre promise, des jours qui se prolongeront sur cette terre, gage du Règne du Christ. Calvin l'a fort bien exprimé dans l'institution: «Honore père et mère, afin qu'en vivant longuement, tu puisses jouir longtemps de la terre, laquelle te sera pour tesmoignage de ma grâce » (2. VIII. 37). Il n'est pas question d'une promesse qui chercherait à séduire l'homme naturel, car cette récompense ne peut être comprise que par la foi; elle n'a de valeur que pour le croyant. Quelle valeur a Canaan pour celui qui reste en dehors de la promesse divine, et n'appartient pas au peuple de Dieu ? Pourquoi y prolonger ses jours ? Une mort glorieuse, héroïque, dans la force de l'âge n'est-elle pas préférable ? Canaan est le pays qui, par la grâce de Dieu, est sanctifié avec le peuple d'Israël qui l'habite. C'est le pays OÙ le nom de Dieu est glorifié, où les autels des faux-dieux sont détruits. Les enfants qui ont accepté le service de leurs parents, qui ont honoré en eux les «mains de Dieu», qui ont appris de leur bouche ce que Dieu a fait pour son peuple, loueront Dieu avec leurs enfants.

C'est la bonne nouvelle du Psaume 128. La liturgiedes Églises réformées du Bas-Rhin, en introduisant ce Psaume dans la formule du mariage, reconnaît que Jésus-Christ n'a pas aboli la promesse, du cinquième commandement, mais l'a accomplie, ratifiée pour nous, pour cette Église dont les portes sont ouvertes à toutes les nations. Le Psaume 128 parle du père qui glorifie Dieu avec ses enfants et petits-enfants. Il n'est pas question du nombre des années, mais de leur contenu: « Ne m'abandonne pas, ô Dieu ! même dans la vieillesse, afin que j'annonce ta force à la génération présente, ta puissance à la génération future » (Ps. 71/18).

Cependant, dans Matthieu 10, ne nous est-il pas parlé de séparation entre parents et enfants, de la foi qui n'est pas mie simple tradition de famille ? Serait-ce là ce qui différencie l'Ancien du Nouveau Testament ? Non, certes ! Pour la Bible, toute entière, de la Genèse à l'Apocalypse, la foi reste un mystère, le don libre de Dieu. Israël vit non pas de sa propre vitalité religieuse, mais de la grâce et de la fidélité de Dieu. C'est pourquoi l'Ancien Testament nous parle de séparation entre parents et enfants, de défection dans le peuple même de Dieu, de renouveaux miraculeux. Rahab se sépare des païens de Jéricho pour être reçue cri Israël, pour avoir part à la promesse; Ruth quitte son peuple pour appartenir au peuple de Naomi, et servir Dieu avec elle, dans la terre promise. Voyez l'histoire des enfants de David ! Lui, le père, il a dû tout subir : leurs haines mutuelles, leurs violences et leurs rebellions. L'Ancien Testament nous montre déjà que Dieu accomplit ses promesses, non pas selon notre mesure, selon nos mérites, mais selon sa grâce et sa fidélité (Il Sam. 7/11 b - 14). Comme Jésus-Christ a mis mi terme au culte d'Israël en l'accomplissant, il a aussi mis fin à la gloire de Canaan. Il a pris possession de toute la terre, comme il l'avait proclamé, à la suite de l'Ancien Testament. « Heureux les débonnaires, car ils posséderont la terre ». Nous osons prier, non pour la grâce d'une longue vie, nous qui demandons : « Que ton règne vienne ! » et qui attendons la venue glorieuse du Christ, mais pour la grâce de louer Dieu avec les nôtres, de le servir avec notre maison. Par la promesse du cinquième commandement, Dieu ne lie pas sa cause (qui est notre salut) à une famille, à une maison. C'est toujours grâce pure que de pouvoir le servir; ce n'est jamais le privilège exclusif d'une famille. Mais Dieu tient parole. Christ répond à ses disciples : « Je vous le dis, en vérité, il n'est personne qui, ayant quitté à cause du Royaume de Dieu, sa maison, ou sa femme, ou ses frères, ou ses parents, ou ses enfants, ne reçoive beaucoup plus dans ce siècle-ci et, dans le siècle à venir, la vie éternelle » (Luc 18/29, 30).

Le commandement, qui nous ordonne d'honorer notre père, ne va-t-il pas plus loin ? Ne nous montre-t-il pas la patrie, la terre des Pères, et ne nous apprend-il pas à l'aimer ? C'est après avoir entendu la promesse du commandement que nous pouvons répondre à cette question. Il n'y a qu'une terre sainte : la terre promise à Abraham, la patrie du peuple de Dieu, jusqu'au moment où le Christ a pris possession de tous les royaumes, de tous les pays (Ps. 24/1; Apoc. 1/5; 5/10). C'est pourquoi le Christ dit à ses disciples : « Tout pouvoir m'a été donné, dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples » (Matth. 28/18, 19). Notre patrie n'est pas une terre sainte, un peuple élu; c'est la terre que nos pères nous ont préparée dans la prière et la confession du nom de Christ. Cette terre nous parle de victoires de la foi, de jugements divins. Elle nous rappelle la miséricorde, la patience, la bonté de Dieu qui nous accorde, avec le don de Christ, la nourriture, la paix, les bienfaits du droit, de la justice et de la vie en commun. Nous aimons notre patrie, tout en confessant : « Nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir ».

Cet amour de la patrie, nous ne le partageons pas tel quel avec tous ceux qui sont de notre sang, parlent notre langue, ont le même certificat d'origine, Pour le chrétien, l'amour de la patrie n'unit pas seulement; il sépare aussi. C'est l'expérience douloureuse de ces années décisives. L'amour de la patrie ne nous unit pas au-delà de toutes les confessions de foi. On le voit bien dans les pays où l'Église glorifie son seul Seigneur par son combat et sa souffrance : ce qui sépare les confesseurs du Christ de leurs concitoyens, n'est-ce pas aussi bien la politique, l'amour du pays, que le dogme, que la question de l'Église ? Cette situation est nouvelle pour nous. Comme du temps de la Réformation, nous apprenons que la foi est au centre de toutes les préoccupations. Le champ d'épreuve c'est, pour nous plus encore que pour les réformateurs, la politique, le service de la patrie. Là, nous avons à prouver que nous avons entendu le commandement divin, que nous l'avons reçu comme membres du Christ. Que Dieu nous préserve d'amoindrir la puissance de ce message de libération ! Qu'il nous fasse la grâce de devenir des élèves de sa Parole, dans toute la plénitude de ce terme !


Table des matières

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* Texte rédigé par les éditeurs, d'après les notes du Prof. Alfred de Quervain.
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(1) Catéchisme du Concile de Trente.
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(2) Langes Leben haben heisst die Schrift nicht allein wohlbetaget werden, sondern ailes haben, so zu langem Leben gehöret, ais nämlich Gesundheit, Weib und Kind, Nahrung, Friede, gut Regiment, etc., ohne welche dies Leben nicht mag fröhlich genossen werden noch die Länge bestehen kann. Willst du nicht Vater und Mutter gehorchen und dich lassen ziehen, so gehorche dem Hunger, gehorchest Du dem nicht, so gehorche dem Streckebein, das ist der Tod.

 

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