Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



L'ORDRE DE DIEU


VI

Tu ne tueras point.
par J.-L. LEUBA

Tu ne tueras point.
Exode 20/13.

 Pour savoir ce qu'est un meurtre et, par conséquent, ce qui nous est ici défendu et ordonné, il nous faut consulter l'Écriture sainte. C'est d'ailleurs toujours ainsi qu'il faut faire, chaque fois que nous désirons définir les mots dont nous nous servons. Trop souvent, nous parlons d'amour, de vérité, de fraternité, d'esprit, de bonheur, de malheur, de vie, de mort, d'ordre (à « droite ») et de justice (à « gauche ») sans savoir ce que nous disons. Qui sait si la justice dont nous parlons et que nous désirons n'est pas, en fin de compte, une injustice ? Qui sait s'il ne fera pas notre malheur, ce bonheur précis que réclament, croyons-nous, toutes les fibres de notre être ? Qui sait si l'amour que nous portons à telle ou telle personne et que nous nous figurons sincère, idéal, absolu, n'est pas au contraire une forme subtile et d'autant plus réelle d'égoïsme et de haine ? Qui sait si la vie que nous croyons découvrir dans les multiples manifestations de l'ambition, de l'orgueil et du désir humain n'est pas l'expression de la mort ? Qui sait si l'esprit dont on parle bien souvent depuis quelques années n'est pas, en dernière analyse, un simple vocable dont nous couvrons les craintes de nos estomacs, les appréhensions de nos muscles et les défaillances de nos courages ? Qui sait, en un mot, si nous ne nous trompons pas sur les choses les plus élémentaires, les plus courantes, les plus banales de notre existence quotidienne ? Et qui le saurait, si ce n'est Dieu lui-même, dont la Parole prétend examiner, juger, racheter et conduire nos paroles ?

Nous ne nous imaginerons donc pas savoir d'emblée ce qu'est le meurtre. Mais nous irons d'abord apprendre de la Parole de Dieu les rudiments mêmes de notre langage.

Dès que nous approchons de la Bible, nous parvient l'immense rumeur des meurtres, des assassinats, des exécutions et des guerres qui s'y déroulent. Depuis l'histoire de Caïn et d'Abel jusqu'à celle des massacres de l'Apocalypse où « moururent de mort violente tous ceux qui n'adorèrent pas l'image de la Bête », pas un livre qui ne mentionne des tueurs et des tués. Mais, au-dessus de toutes ces histoires, les dominant, les éclairant, les résumant, les annonçant et les récapitulant à la fois, il y a une histoire unique, modèle de toutes les autres, il y a un meurtre unique, image de tous les autres, il y a un assassinat unique, clef de tous les autres, il y a une guerre unique, essence de toutes les autres, il y a une tuerie centrale et unique, qui est à la fois la manifestation éclatante et le secret de toutes les autres tueries. Plus fort que les cris de toutes les guerres et de tous les meurtres, il y a les cris de la foule de Jérusalem : Qu'il soit crucifié ! Voici le centre de toute la Bible, de toutes les guerres et de toutes les histoires humaines. Voici l'Homme, récapitulant et annonçant toute l'histoire humaine. Voici Jésus-Christ.

Dirigeons donc nos regards vers la Croix, vers le meurtre par excellence. La Croix est un immense événement. Ce que nous allons en dire ne sera pas toute la Croix : notre faiblesse ne peut recevoir d'un seul coup toute sa force, et notre pauvreté ne peut accepter d'emblée toute sa richesse. Mais, indéfiniment, nous pouvons puiser dans le trésor de la Croix. Nous pourrions y trouver le vrai amour, la vraie souffrance, le vrai et complet pardon, nous pourrions y apprendre ce qu'est Dieu et ce qu'est l'homme, ce qu'est la vie et ce qu'est la mort, ce qu'est la justice et ce qu'est l'injustice. Pour aujourd'hui, nous n'y apprendrons qu'une seule chose : ce qu'est le meurtre.

Sur la Croix, il y a un homme, un homme comme vous et moi. Mais, en même temps qu'il est homme comme vous et moi, cet homme est Dieu. Il est Dieu avec nous, il est Emmanuel. À la fois Dieu et homme, il est le premier représentant de l'humanité nouvelle, de l'humanité selon Dieu. Il est l'homme tel que Dieu l'a voulu, il est la vraie image de Dieu.

Dieu avait créé l'homme - et tous les hommes, et nous autres - à son image, parce qu'il ne voulait pas rester seul, qu'il ne voulait pas garder pour lui ses trésors d'amour, de vie et de gloire, mais qu'il voulait se manifester dans le monde et avoir des témoins de cette manifestation. Mais l'homme, appelé à témoigner de la gloire de Dieu, bien plus, appelé à être spécialement et spécifiquement le miroir de Dieu, a refusé sa vocation. Créé pour la gloire de Dieu, il a préféré vivre à sa propre gloire; orienté naturellement sur la volonté de Dieu, il s'est désorienté en préférant suivre sa propre volonté; miroir de Dieu, il a voulu se refléter lui-même et son humanité est devenue aussi étrange qu'un jeu de glaces.

Alors, voyant que l'homme ne répondait plus à sa destination, Dieu a voulu montrer aux hommes ce que c'est vraiment qu'un homme et il est devenu lui-même homme en Jésus-Christ. Jésus-Christ est donc l'homme selon Dieu, l'homme tel qu'il aurait dû être : un miroir de Dieu. C'est en ce sens que l'apôtre Paul l'appelle le second Adam. Il est parmi nous le seul qui soit « un vrai homme » si bien que Pilate, sans le savoir, a dit vrai lorsqu'il l'a présenté au peuple : Voici l'homme. Voici le miroir et l'image de Dieu, la manifestation et le témoin de la puissance et de l'amour de Dieu.

Mais cet homme, qui est l'homme selon Dieu, n'est pas seulement un modèle qui nous écraserait en nous disant : Voilà ce que vous devriez être ! Il est en même temps un Sauveur. Il nous dit: « Je veux être ton guide. Où j'ai passé, tu pourras passer. Ce que j'ai fait, tu pourras le faire. Ce que je suis, tu pourras l'être. Jusqu'ici, tu as été un homme qui n'a pas répondu à la destination que Dieu lui avait assignée. Maintenant, tu as la possibilité de redevenir ce que Dieu L'avait voulu, de toute éternité : son miroir. Au lieu d'être celui que tu as été, tu peux devenir celui que Dieu, de toute éternité t'a appelé à être». C'est là le pardon de Christ: Christ n'est pas devenu homme pour lui, mais pour nous, afin que nous le revêtions. En ce sens l'on peut bien dire, avec Charles Wagner : Tout homme est une espérance de Dieu. Tout homme peut devenir, en Jésus-Christ, ce que Dieu l'a voulu de toute éternité, ce qu'il « est », au fond de toute éternité et ce que, par conséquent, il est appelé à être.

Et, par l'homme, la création tout entière est appelée à devenir ce chant de louange à la gloire de Dieu que, de toute éternité, elle avait été destinée à être. Perdue par l'homme et avec l'homme, la création renaît par l'Homme Jésus-Christ et avec lui.

Ce que nous venons de voir, pour sommaire que cela soit, suffit à nous permettre de définir le meurtre, en puisant notre définition dans le meurtre de Jésus-Christ : le meurtre, c'est l'anéantissement de l'image de Dieu telle qu'il nous l'a donnée en Jésus-Christ et telle que toute la création, et principalement l'homme, est appelée, en Jésus-Christ, à redevenir. Dans les trois paragraphes qui suivent, nous donnons quelques précisions sur cette définition.

La première chose à remarquer, c'est la place centrale de Jésus-Christ. Il est important de bien le remarquer, en vue de la seconde partie de notre exposé : nulle part, la Bible ne parle du meurtre en soi, abstraitement, mais elle mentionne toujours et aussitôt la personne qui est tuée. C'est sur Abel qu'elle concentre notre attention, sur Urie, le vaillant capitaine que David fit tuer pour obtenir sa femme, sur Zacharie, fils de Barachie, tué entre le temple et l'autel, sur les prophètes massacrés par les Juifs, sur Étienne, le premier martyr chrétien. Tous ces gens ont avec Dieu un rapport spécial. Ils sont des exemples d'une humanité selon Dieu, ils sont déjà - même ceux de l'Ancien Testament - « en Jésus-Christ », ils sont des témoins de la grâce de Dieu, des messagers de la bonne nouvelle de son Règne, des porteurs de sa miséricorde. C'est donc uniquement par rapport à Jésus-Christ « en qui » ils sont, que leur meurtre est un meurtre. On le voit très clairement dans l'histoire d'Abel, par exemple: Abel est tué parce que Dieu avait accepté son offrande et lui avait donné sa grâce. C'est contre la grâce de Dieu que Caïn s'élève, c'est sa manifestation, cet Abel qui témoigne de la gloire de Dieu qu'il anéantit. Tous ces meurtres n'ont leur sens que dans le meurtre de Jésus-Christ dont ils sont comme l'explicitation, comme la galerie imagée. Il nous faut donc nous sortir de la tête cette définition « humanitaire », centrée sur l'homme que nous avons trop souvent acceptée et donnée : le meurtre, c'est tuer toutes les valeurs physiques, intellectuelles et sentimentales d'un homme comme tel. Non point. Il y a meurtre parce que et quand l'homme est à la gloire de Dieu, parce que et quand il est la manifestation de la puissance de Dieu et de son amour, parce que et quand il est l'image de Dieu, répond à sa destination et reflète la gloire de son Créateur. Ce n'est donc pas parce que l'homme est homme que son meurtre est un meurtre, mais parce que Jésus-Christ est homme et permet à tous les hommes de le devenir. On ne saurait assez insister sur cette définition - « christocentrique » - du meurtre humain qui nous permettra de comprendre, à la fin de cet exposé, les « guerres de Dieu », le « bras vengeur » de l'Éternel et les nombreux cas où, sans être meurtrier, Dieu fit mourir les hommes.

La seconde chose à remarquer, c'est que toute la création est appelée à manifester la gloire du Créateur. En ce sens, le meurtre s'applique à tout ce qui détourne la création de ce but unique : témoigner de la puissance et de l'amour de Dieu. La création tout entière est, comme le disent si souvent les Psaumes, un hymne de gloire au Créateur. Meurtre donc tout ce qui interrompt cet hymne de gloire. Meurtre, le fait de regarder les étoiles sans penser à Dieu dont elles témoignent; meurtre, le fait de ne point comprendre l'hymne de gloire de Monseigneur le soleil, de soeur lune et des étoiles, des frères vent, air et nuage, de soeur eau, de frère feu, de soeur terre. Oh, quel meurtre nous avons accompli pour que cet univers où éclate la gloire de Dieu soit devenu à nos yeux et à nos oreilles complètement débarrassé de Dieu, au point que Dieu doive nous réapprendre ce qu'est sa création en recréant le monde entier en Jésus-Christ ! Il en est de même des végétaux et des animaux. Eux aussi chantent le Créateur, sa puissance et sa bonté, dans un langage que nous ne comprenons plus parce qu'il y a longtemps que nous les avons fait taire.

Et la troisième chose à remarquer, c'est que la question suivante se pose : sera-ce un meurtre que de tuer les hommes qui n'ont pas répondu à cette vocation d'être l'image de Dieu ? La Bible répond : Oui, car tout homme est une espérance de Dieu, il peut encore revêtir Jésus-Christ, il peut encore devenir cette pleine manifestation de la gloire de Dieu, de sa puissance et de son amour. Ceux qui sont « en Jésus-Christ » ne sont donc pas les seuls à être visés par la définition que nous avons donnée. Mais encore tous les hommes, car tous sont appelés à être en Jésus-Christ.

Le meurtre consistera donc aussi à empêcher toute manifestation possible de la gloire de Dieu, à faire taire toute louange possible que toute créature peut un jour faire retentir à la gloire de Dieu. Pour chaque créature humaine est valable la promesse du psalmiste. Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je raconterai les oeuvres du Seigneur.

Nous pouvons maintenant définir plus précisément le sens du commandement. Tu ne tueras point signifie :
Tu n'anéantiras pas la création de Dieu qui, en Jésus-Christ, est appelée à témoigner de la gloire de Dieu, de sa puissance et de son amour.

D'une manière générale, ce commandement signifie qu'il ne nous appartient pas de faire taire le chant de louange que le Créateur a voulu en créant le monde, de détruire, soit par l'action, soit même par la pensée, les merveilleuses créatures appelées à chanter Dieu. Le commandement s'applique donc à toute créature inanimée ou animée. Tuer les étoiles, c'est ne pas rapporter leur gloire a la gloire de Dieu dont elles témoignent, témoignage incompris des hommes, mais qui leur est redonné en Jésus-Christ. Il en va de même de l'ensemble de la création, minéraux, végétaux et animaux. Nous n'avons point le droit d'y porter la main ou la pensée arbitrairement, d'effacer ou d'interpréter abusivement le dessin par lequel Dieu s'est glorifié, de faire taire le cantique par lequel il veut être loué. J'ai dit: arbitrairement. En effet, l'ordonnance de Dieu a voulu que l'homme fût le roi de la création, qu'il domine sur la terre et la soumette, qu'il se nourrisse des créatures inférieures, qui sont la gloire de Dieu. L'homme peut donc manger les végétaux et les animaux, il peut utiliser les richesses du monde. Mais qu'il se souvienne que tout cela est la manifestation de la gloire de Dieu, qu'il ne méprise pas cette gloire de Dieu, qu'il ne joue pas avec elle, qu'il n'arrache pas de plantes sans nécessité, qu'il ne tue pas d'animaux par amusement coupable ou par curiosité malsaine (1). Qu'il ne s'imagine pas pouvoir dominer le monde sans rester soumis à Dieu.

Mais ce commandement s'applique centralement à l'homme dont nous avons vu plus haut qu'il est la créature spécifiquement destinée à être l'image de Dieu. L'homme, créé à l'image de Dieu, déchu de cette image et appelé, en Jésus-Christ, à la recouvrer, est, plus que toute autre partie de la création, « tabou » pourrait-on dire. Car il est la créature par excellence où Dieu a daigné consigner sa gloire. Par là même, nous voyons que ce commandement est une grâce. Laisser vivre la création, laisser vivre l'homme, c'est laisser Dieu nous rencontrer, c'est laisser son image nous apparaître. Nous touchons ici le centre de notre commandement. Les hommes qui nous entourent sont tous, pour nous, quels qu'ils soient, les porteurs de la miséricorde de Dieu à notre égard puisqu'ils sont tous son image. S'ils sont en Jésus-Christ, ils nous apportent clairement le message de Dieu, ils nous donnent, par leurs paroles et par leur exemple, l'image de ce qu'est Dieu, de ce qu'il fait, de ce qu'il donne, de ce qu'il veut de nous. Ils sont pour nous des guides, nous conduisant vers l'espérance d'une vie renouvelée, libérée de toute autre puissance que celle de Dieu.
S'ils ne sont pas encore en Jésus-Christ, ils nous apportent tout autant le message de Dieu, message de jugement, d'avertissement et d'égale miséricorde. Ils nous disent: Voilà ce qu'est l'homme sans Dieu, voilà ce que tu es lorsque tu veux être ton propre miroir. Leur orgueil, leurs illusions, leur tristesse, leur désespoir confirment et chantent à leur manière la gloire du Dieu tout-puissant. Ils la chantent à rebours, mais ils la chantent tout de même, nous montrant la misère de l'homme sans Dieu et nous révélant le « négatif » de l'image de Dieu. Quel qu'il soit, où qu'il soit, quoi qu'il soit, le prochain est ainsi le porteur de la révélation de Dieu, dans sa grâce ou dans son jugement. La parabole du Bon Samaritain l'indique de manière étonnamment claire ; l'homme est tombé aux mains des brigands, le prêtre et le lévite passent sans s'arrêter, le Samaritain soigne le blessé. Jésus ne demande pas: lequel de ces trois te semble avoir compris que le blessé était son prochain ? Mais il demande : lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands ? Le prochain n'est donc pas d'abord celui qui a besoin de nous, mais celui dont nous avons besoin, celui qui, pour nous, est porteur de la miséricorde de Dieu. Il y aurait beaucoup d'orgueil à vouloir d'abord aider. Non, mes amis, nous avons besoin d'abord d'être aidés. Ensuite, mais ensuite seulement, nous pourrons aider et nous devrons le faire :
Va et fais de même.

Laissons le prochain vivre, recevons-le, accueillons-nous les uns les autres : voilà le sens profond et directeur du commandement. Les ordres particuliers en découlent : N'amoindris pas ton prochain en diminuant sa vie, en l'exploitant comme un esclave, en le volant lorsqu'il est plus faible que toi, cri le méprisant dans son existence, en l'écartant de ton chemin. Car c'est Dieu lui-même que tu écartes. « Tout ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ». Tout ceci a des conséquences très concrètes : accorde-lui un salaire qui lui permette de vivre, ne lui impose pas La volonté personnelle, mais laisse-le t'apporter ce qu'il est, ce qu'il a reçu mission de t'apporter, même si cela devait t'être désagréable. Gardons sans cesse en mémoire que tout homme a quelque chose à nous apporter, même le plus bas tombé. En conséquence : favorisons sa vie (2), n'écrasons pas sa vie, approuvons qu'il vive, aidons-lui à vivre.

Approuvons qu'il vive... Ceci nous conduit à une conséquence particulière de notre commandement : les enfants à naître, signe de l'union mystérieuse et bénie des sexes, parabole de la vie jaillissante entre l'homme et la femme comme entre Christ et l'Église. Laissons-les donc venir et naître, ces enfants qui témoignent de la gloire de Dieu, ce prochain si émouvant, né de nous-mêmes, distinct pourtant de nous-mêmes, qui, de la part de Dieu, nous apporte sa grâce et son jugement.

De même que le prochain est une grâce pour nous, il nous est permis et demandé d'être pour lui une grâce, de ne point nous refuser à lui. Tu ne tueras point signifie aussi : tu ne te tueras point. Tu n'auras Point la pécheresse modestie de t'imaginer que La vie n'a rien à apporter aux autres. En conséquence, tu vivras. Le suicide est le refus de vivre à la gloire de Dieu et d'être ainsi le porteur de la miséricorde de Dieu envers les autres. Une fois que nous avons compris tout ce qu'est le prochain à notre égard, nous savons aussi tout ce que nous pouvons être à son égard et nous comprenons pourquoi nous devons vivre. Il ne s'agit pas seulement de ne pas nous tuer avec un pistolet, une poudre ou une piqûre, mais encore de faire attention à notre santé pour ne pas la galvauder par une vie déréglée, pour ne pas l'exposer stupidement dans des performances sportives ou des actes inutilement héroïques, pour ne pas la détruire dans des plaisirs égoïstes et coupables. Bien plus, nous devons ne pas refuser notre vie aux autres, mais la leur donner avec abondance, vivre avec eux et pour eux, et laisser passer à travers nous, autant que nous avons revêtu Christ, la splendide image de Dieu.
Mais l'Écriture nous conduit plus loin encore, elle ouvre à nos yeux une grave perspective devant laquelle notre fidélité ne nous permet pas de reculer. Il y a pour chaque créature, même pour celles qui ne sont pas encore en Jésus-Christ, une espérance. Mais beaucoup d'hommes ne sont encore l'image de Dieu qu'en espérance et nul ne possède l'image de Dieu de telle sorte qu'il puisse être assuré de la garder en soi. En d'autres termes, il y a jusqu'à la fin du monde, cette possibilité monstrueuse que des hommes cherchent à anéantir l'image de Dieu qui est en eux et dans les autres.

Possédé par une autre puissance que celle de Dieu, l'homme cherchera à tuer l'image de Dieu. Qu'en adviendrait-il si Dieu le laissait faire ? Comment y aurait-il l'espérance d'une vie nouvelle en Jésus-Christ si toute trace de l'image de Dieu était effacée dans la création ? Comment y aurait-il une espérance pour l'humanité et la création tout entière si Jésus-Christ était définitivement mort ? Mais Jésus-Christ est ressuscité. Dieu défend son image sur la terre, il sauve.garde sa création. C'est le Dieu vengeur, qui ne tient pas le coupable pour innocent, qui punit l'iniquité des pères sur les enfants, qui sauvegarde son image en faisant mourir Onan, la totalité des habitants de la terre - moins Noé et sa famille -, tous les premiers-nés d'Égypte, Ananias et Saphira, et tous ceux qui, dans l'Apocalypse, furent citoyens de la grande Babylone. C'est le Dieu qui, pour maintenir son image parmi les hommes, contient et réprime les violences de tous ceux qui commettent contre elle le crime de lèse-majesté. Les guerres de Dieu, dans la Bible, n'ont jamais pour but la destruction de l'image de Dieu, mais la préservation de cette image. Si Dieu tue, il ne fait pas oeuvre de mort, au contraire, il sauvegarde la vie. Quand l'homme compromet par trop l'image de Dieu qui lui a été donnée, par Jésus-Christ, dans la personne de son prochain, Dieu, dans l'intérêt même de sa gloire et de la vraie destination de l'homme, intervient et défend son image, sa vérité, sa justice, son amour. C'est ainsi que Dieu, lors même qu'il tue, ne contrevient point à son commandement. Car c'est pour garantir la vie qu'il tue.

De même qu'il n'érige pas seul son image en Jésus-Christ, mais qu'il nous invite à revêtir cette image, de même il ne sauvegarde pas seul son image, mais il nous invite à collaborer à cette tâche. Nous sommes donc appelés, par Dieu, à défendre, autant qu'il est en notre pouvoir, son image parmi les hommes et à nous opposer avec la sainte violence d'un serviteur de Dieu aux violences de tous ceux qui anéantissent l'image de Dieu en l'homme, soit qu'ils le privent de sa vie présente, espérance d'une vie nouvelle, soit qu'ils lui ravissent l'Évangile de Jésus-Christ. Dieu connaît notre faiblesse. Il ne laisse pas t'homme à la solde des puissances mauvaises déployer ses effets de manière illimitée sur la terre, il ne nous permet pas d'assister sans mot dire à l'oeuvre diabolique. S'il nous donne et nous ordonne de laisser vivre le prochain quel qu'il soit, et d'y découvrir son jugement et sa miséricorde, il nous donne et nous ordonne également de nous opposer à lui lorsque ce prochain menace par trop l'image de Dieu qui est en lui et en ceux qui l'entourent. Et voilà pourquoi ni le juge', ni le gendarme, ni le geôlier, ni le bourreau, ni le soldat ne sont nécessairement des meurtriers. Certes, il faut que la violence dont ils usent soit cette violence sacrée, qu'elle serve à sauvegarder l'image de Dieu et cela dans l'intérêt même de ceux contre lesquels elle s'exerce. Tout autre guerre, toute autre condamnation, toute autre privation de liberté, toute autre discipline, tout autre emprisonnement est un meurtre. C'est ici qu'il faut distinguer les esprits. C'est ici que se pose la grande question à l'Église et aux chrétiens : la condamnation que je porte, même la plus petite et même la plus grande, la violence que je déploie, la guerre que je fais, ou même, de manière plus générale, la discipline que j'impose à mon prochain est-elle vraiment inspirée par le seul souci de sauvegarder l'image de Dieu ? N'est-elle dictée par aucun souci personnel, aucun égoïsme, aucun intérêt particulier, aucune rivalité individuelle ou collective, aucune ambition, aucun désir de puissance, de domination, de gloire personnelle ? Si, devant Dieu, nous pouvons répondre : Oui, je fais ceci parce que je veux, je dois et je peux, pour ma part, sauvegarder l'image de Dieu sur la terre, alors nous ne contrevenons pas au commandement, mais nous l'accomplissons.

Il faut ici préciser encore un point, peu clair pour beaucoup de chrétiens. L'on fait parfois à ce que nous venons de dire l'objection suivante : À Dieu seul appartient la rétribution. À nous, il ne nous demande que l'amour. Retirons donc nos mains de toute oeuvre de violence ». Une telle idée méconnaît l'essence même de cette défense de l'image de Dieu qui nous est confiée.
Nous n'exerçons point le jugement dernier de Dieu, nous ne sommes point les artisans de sa dernière rétribution. Nous ne faisons que contribuer, dans l'intérêt même des hommes, à la sauvegarde de l'Homme. Et Dieu ne veut faire aucune de ses oeuvres seul. Il nous associe à toutes ses oeuvres. Et cette oeuvre n'est point la destruction dernière. Elle est l'acte d'amour par lequel Dieu maintient et impose an monde l'espérance.

Pour nous aider à accomplir cette tâche de discipline, de sauvegarde pendant le temps qui s'écoule entre la venue de Jésus-Christ et l'établissement glorieux du règne de Dieu, Dieu nous a donné l'État. L'État est institué par Dieu pour préserver la vie; pour permettre aux hommes - qui ne sont pas encore recréés à l'image de Dieu et qui même ne possèdent pas encore cette image - de ne pas s'entre-manger; pour permettre à la prédication de l'Évangile de répandre le mieux possible sa nouvelle et de recréer ainsi le plus possible ces images de Dieu à l'image de Christ. Sauf exception, nécessitée par le fait que l'État serait infidèle à sa tâche, c'est à l'État seul qu'appartiendra la violence, la puissance de police et la force militaire. Il est chargé de l'exécution des volontés de Dieu relatives à la sauvegarde de son image contre les violences excessives des hommes. C'est en ce sens que l'apôtre Paul écrit : « Le magistrat est ministre de Dieu pour tirer vengeance de celui qui fait le mal et le punir; ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée. Que chacun soit donc soumis, non seulement par crainte, mais aussi par motif de conscience »

Un mot encore en ce qui concerne la guerre. J'entends déjà l'objection si courante : « Nous voulons bien admettre qu'il soit possible de faire la guerre au nom de Dieu et nous croyons qu'il y a des cas où il faille sauvegarder par les armes la liberté de la prédication de l'Évangile et, en conséquence, l'image de Dieu en l'homme. Mais les soldats de l'armée ennemie, sur lesquels nous tirons, ne sont pourtant pas tous des diables. Plusieurs sont chrétiens, meilleurs chrétiens peut-être que moi. Alors, n'est-ce pas un meurtre que de les tuer ? » Ici, il faut se souvenir qu'un chrétien qui participe à des bénéfices injustes est coupable, de même qu'un chrétien qui participe à une guerre injuste. Par sa participation, il contribue à soutenir la cause du mal. Nous n'avons donc aucun scrupule à user envers lui de la même violence que Dieu nous ordonne d'avoir contre ceux qui tentent d'anéantir son image.

Il faudra d'ailleurs se garder de toute sentimentalité et de toute précipitation dans la décision que nous aurons à prendre, comme juges, comme gendarmes, comme soldats. Nous aurons à nous poser très sérieusement et devant Dieu les deux questions : Suis-je sans haine ? Mon seul objet est-il de défendre l'image de Dieu ? Et ensuite : Mon seul but est-il de rendre le vrai service et à Dieu et à mon prochain, même à celui contre lequel je dois sévir, en exerçant la sauvegarde de l'image de Dieu ? Si nous pouvons répondre affirmativement à ces deux questions, nous aurons le droit de prendre l'épée. Car si « celui qui a pris l'épée périra par l'épée », il faut qu'il y ait quelqu'un qui tire la seconde épée !

Les hommes, appelés à être à l'image de Dieu, ne le sont point encore tous ni absolument. Nous ne sommes point encore dans le Royaume de Dieu. Mais ce Royaume vient. Certains hommes peuvent avoir la vocation particulière de témoigner de ce Royaume où tout sera à l'image de Dieu. Ce sont des prophètes particuliers. Ils refuseront tout concours à toute violence, ils se mettront au ban de la société, leur prédication, aussi inactuelle que le péché est actuel, sera semblable à ces premières pousses de printemps au coeur de l'hiver. Il serait coupable de semer sur la neige parce qu'est apparue la perce-neige. L'État ne tolérera qu'avec infiniment de précautions les objecteurs de conscience. L'Église n'enseignera pas leurs commandements prématurés. Mais pourtant elle les honorera, elle priera pour eux, elle les reconnaîtra comme prophètes annonciateurs du Royaume qui vient, où l'image de Dieu n'aura plus besoin d'être défendue, où il n'y aura plus ni cris, ni larmes. Car les premières choses auront passé.

Deux dangers menacent l'Église : tenir tellement compte du péché qu'aucune grâce ne puisse être exercée. En tenir si peu compte qu'il puisse opérer librement ses ravages. En d'autres termes, oublier que nous vivons dans un temps particulier : celui où, dans le péché, est apparue la grâce en Jésus-Christ et où maintenant péché et grâce combattent jusqu'à la victoire certainement déclarée mais non encore manifestée de notre glorieux Seigneur. Recevons l'image de Dieu, mais aussi défendons l'image de Dieu. Défendons-la, mais surtout recevons-la. Et, de ces deux manières, laissons-la vivre.

Jean-Louis LEUBA.


Table des matières

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(1) Ici est fondée chrétiennement la protection de la nature et. en particulier, des animaux.
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(2) Ici sont fondés chrétiennement l'exercice de la médecine et l'assistance sociale.

 

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