L'ORDRE DE
DIEU
VII
Tu ne commettras point d'adultère.
- par R. de PURY
Comme on vous l'aura dit et
répété, il s'agit, dans ces
commandements, des choses que Dieu veut sauver,
veut restaurer, veut recréer. Ces dix
commandements sont comme
l'énumération de toutes les parties
de la grande délivrance, c'est l'indication
précise de la portée et de la
réalité concrète du salut qui
nous est révélé le jour de
Pâques, de la grande restauration entreprise
par Dieu de son domaine dévasté et
pillé, par le péché des
hommes.
Qu'est-ce que Dieu veut, au juste,
sauver dans ce septième commandement ? Ou
mieux : Qu'est-ce que Dieu déclare au
croyant qu'il a sauvé, qu'il a
restauré, quand il lui fait cette promesse :
« Si tu crois en Jésus-Christ, si tu es
ressuscité avec Jésus-Christ, tu ne
commettras pas d'adultère » ... ?
Qu'avions-nous donc perdu, qui nous est là
rendu et qui veut là nous être
conservé?
L'émerveillement d'Adam, aux
premiers jours de la Création, lorsqu'il se
réveille et découvre à ses
côtés celle qui est chair de sa chair
et sa compagne pour tous les instants ! L'unique
chose qui n'était pas bonne dans la
Création, la solitude de l'homme (« Il
n'est pas bon que l'homme soit
seul») est balayée par cette
présence de la femme; ce seul vide encore
dans l'univers tout neuf est maintenant
comblé. Ils sont ensemble une seule chair.
Ils font ensemble la découverte de ce que
Dieu leur a donné d'être. Ils
deviennent ce qu'ils sont l'un par l'autre et l'un
pour l'autre. Adam n'est un homme que par Eve, Eve
une femme que par Adam. Dans la différence
de leur sexe, ils se découvrent
merveilleusement semblables, et dans leurs
ressemblances merveilleusement divers. C'est leur
dissemblance d'homme et de femme, leur dissemblance
de corps et de sentiment, qui rend leur
unité tellement pleine, indissoluble et
inépuisable. Adam et Eve sont ensemble la
Créature à laquelle Dieu soumet la
Création, ensemble ils sont le roi de
l'univers, ensemble ils ne sont devant leur
Créateur qu'un cri d'amour et de
reconnaissance.
L'adultère, ce mot n'a absolument
aucun sens. Nul ne songe, dans le paradis de Dieu,
sur la terre sainte du septième jour, qu'il
puisse exister quoi que ce soit d'autre de bon et
de désirable que ce que Dieu veut et donne.
Adam et Eve sont sans péché,
c'est-à-dire que tout ce qu'ils
reçoivent de Dieu l'un avec l'autre et l'un
par l'autre, comble absolument leur attente. La
Parole de Dieu est l'unique mesure de leur
existence commune et de leur joie. C'était
là le mariage, l'union conjugale primitive,
dont aucun rêve aujourd'hui ne pourrait
seulement approcher, et dont toutes les lunes de
miel ne sont que les plus tristes caricatures. Car
un abîme insondable, l'abîme de la
chute, sépare tous les époux de cette
union première.
En effet, tandis que la Création
entière, durant le septième jour qui
ne devait jamais finir, chantait la louange du
Seigneur, un être, dans les replis de sa
pensée obscure,
découvrait le néant,
découvrait le mensonge, découvrait la
convoitise - c'était le serpent - et qui ne
vivrait plus que pour faire part à l'homme
de sa découverte et lui faire croire son
mensonge : « Est-ce que tu vas rester une
créature ? Tu ne comprends pas que tu
pourrais être plus que cela. Dieu, lui, ne
dépend de personne. Toi, pourquoi
dépendrais-tu de lui ? Il est plus beau de
ne dépendre que de soi-même... ! Moi,
je connais un meilleur Dieu qui ne t'aurait pas
défendu... »
Avec cette pensée qu'ils
accueillent, avec ce mensonge qu'ils croient :
« être autre chose que ce que Dieu a
voulu, être plus qu'une créature
», et par le poids même de cette
pensée, Adam et Eve sont
précipités dans l'abîme et dans
la malédiction, et la distance qu'ils ont
voulu supprimer en voulant être plus qu'une
créature, en convoitant la place de Dieu,
cette distance que Dieu, dans sa
miséricorde, leur tenait cachée,
voici maintenant qu'ils ont dû la mesurer par
une chute effroyable; cette distance de la
créature au Créateur, elle est
maintenant là, terrifiante,
irréductible, infranchissable. Les voici
projetés jusqu'au fond de l'enfer par cette
pensée qui décompose leur existence
comme un venin : être plus que des
créatures, ne dépendre que de
soi.
Cette pensée les sépare
à jamais de Dieu. Elle les tient tout au
bout de la distance qu'ils ont voulu supprimer. Ils
sont, maintenant, l'homme et la femme que nous
connaissons, dans ce monde que nous connaissons.
Ils sont ensemble encore, liés sans doute,
mais non plus par l'amour et la louange,
liés par la complicité du grand
mensonge, par la convoitise commune. Ensemble, ils
ont convoité la place de Dieu. Ensemble, ils
sont tombés dans le gouffre de la mort,
où, semblables à Dieu, ils ne
dépendent plus que d'eux-mêmes.
Adam et Eve se retrouvent,
chassés du paradis, ayant perdu leur
Créateur. Ils sont là toujours mari
et femme. Mais voici que leur union conjugale est
perdue. Voici que les dégâts ne
peuvent être limités. Voici que
chassés de la terre sainte, ils ne peuvent
emporter avec eux les valeurs divines de cette
terre. Ils se retrouvent ensemble, mais voici, que
cette pensée même qui les avait
précipités loin de Dieu, est
là, maintenant, entre les deux
(1).
Cette pensée de convoitise qui
leur avait fait dire nous voulons être plus
que ce que Dieu nous a faits, nous voulons autre
chose, nous voulons un Dieu meilleur, cette
pensée est là, qui dissout leur union
conjugale. De même qu'Adam, dans un
éclair satanique, avait entrevu la
possibilité d'un Dieu meilleur que celui qui
l'avait créé, il entrevoit maintenant
tout d'un coup la possibilité d'une femme
meilleure que celle qui lui a été
donnée. La convoitise religieuse, la
convoitise originelle, enfante la convoitise
sexuelle. Le germe de l'adultère est
semé avec cette pensée : je serais
plus heureux avec une autre femme. Et dans le
même instant, la femme pense : j'aurais plus
de plaisir avec un autre homme. Et l'homme pense:
une autre femme me comprendrait mieux. Et la femme
pense : avec un autre homme, je
m'épanouirais. Et l'homme pense : ma femme
pourrait bien... Et la femme pense : si au moins
mon mari... Et chacun se fabrique le conjoint de
ses rêves,
c'est-à-dire le conjoint de sa convoitise,
comme il se fabrique le Dieu de ses rêves, le
Dieu de sa convoitise. Le cycle infernal est
déclenché. Rien ne pourra
l'arrêter. Celui qui a voulu autre chose que
la seule Parole du seul vrai Dieu et l'existence
qu'il recevrait de cette Parole, celui-là
s'est condamné lui-même à
vouloir éternellement posséder autre
chose que ce qu'il a, et être autre chose que
ce qu'il est. Il s'est destiné
lui-même au pain qui ne nourrit pas et
à l'eau qui ne désaltère
pas.
Avec la convoitise, le germe de
l'adultère est semé entre Adam et
Eve, le germe de l'infidélité.
Certes, la convoitise va germer dans tous les
domaines de la vie humaine, mais dans le domaine
qui nous occupe, dans le domaine des relations de
l'homme et de la femme, elle va se servir de la
puissance du désir sexuel pour causer des
dégâts incalculables. Bien entendu, ce
n'est pas le désir sexuel par lui-même
qui est un mal, au contraire. Il est un des plus
grands bienfaits de Dieu, dans la limite du service
que Dieu réclame de lui comme puissance
d'unité entre les sexes. Mais la convoitise
à laquelle l'homme est livré depuis
sa chute, s'empare de cette puissance, et
l'enfourchant, va semer la ruine dans les familles
et dans les peuples : soit que le moment arrive
où l'on découvre la femme avec
laquelle on prétend être plus heureux
qu'avec la sienne et que l'adultère alors se
consomme, soit que l'occasion ne se présente
pas ou que la peur de l'opinion, des ennuis ou de
l'enfer maintienne entre les époux
l'adultère à l'état de
convoitise, de rêverie littéraire on
cinématographique, l'union conjugale n'en
est pas moins dissoute devant Dieu, et la famille
et l'éducation des enfants et le sort de
l'humanité compromis.
Dès lors il faut bien voir qu'on
ne peut se limiter à la famille seulement,
si l'on vent mesurer le champ d'action de
l'adultère. Car, on sait que la convoitise
et la déception sexuelles finissent par
colorer et orienter la vie entière des
individus et des peuples. Et nous sommes loin
d'imaginer jusqu'où cette convoitise va
pousser ses ramifications. La manière dont
un homme subjugue et tyrannise sa femme n'est pas
étrangère à la façon
dont un dictateur tyrannise et subjugue l'opinion
publique. La rupture d'une parole donnée
à son épouse ou à son
époux n'est pas sans rapport avec les
parjurations dont est tissée l'histoire de
ces dernières années. Quand la
famille est détraquée, la nation est
détraquée. Et le mouvement qui porte
un homme vers la femme de son voisin n'est pas
étranger au mouvement qui porte un peuple
vers une province de son voisin. Il y a
l'adultère familial et il y a
l'adultère national. Il y a la prostitution
individuelle et il y a la prostitution collective.
Les événements de ces derniers temps
donnent à ce sujet pas mal à
réfléchir. Bernanos n'avait certes
pas tort d'écrire, en parlant de la guerre
que nous préparaient les États
totalitaires : « Quand le soir tombe, la
journée faite, le coeur nous manque pour
aller danser autour du feu sacré, comme des
nègres, en évoquant le grand esprit
totalitaire, au roulement de mille tambours. La
communion avec la force obscure de la race, que
voulez-vous, c'est très joli, mais nous
savons trop bien comment finissent ces sortes de
messes. Car si les pauvres hommes disposent d'un
grand nombre de moyens pour atteindre au paroxysme
nerveux, il n'y a qu'une sorte de spasmes pour les
détendre... Tôt ou Lard, nous
retrouverons ces gens-là couchés dans
le sang et la boue, ronflant pêle-mêle
avec les oriflammes et les
guirlandes... » (Nous autres Français,
p. 9).
On a constaté avec raison que la
guerre ou plutôt le goût de la guerre
était une déviation sexuelle
monstrueuse, faisant apparaître en tout
honnête homme un goût secret du carnage
et du viol, qui n'est autre que
l'exaspération d'une convoitise
insatisfaite. « Il y a dans tout homme, disait
Ivan Karamazov, un tigre qui jouit des cris de sa
victime »
(2).
Il fallait noter cela, car il est
certain que les dégâts de
l'adultère, de tant de vies familiales et la
tolérance dont jouissent certains
trafiquants de chair humaine, tout cela
dépasse le cadre familial, tout cela est en
rapport direct avec l'incendie du monde, tout cela
porte des fruits dont nous goûtons
l'amertume. (Comme le disait un garçon dans
un chantier : « Ma contribution au
désastre de la France, elle s'appelle
Émilienne ».)
C'est pourquoi aujourd'hui le
septième commandement atteint les peuples
entiers dans leur vie nationale. De sorte que le
grand problème, presque l'unique
problème demeure : les peuples vont-ils
abandonner leur gouvernement, pécheur
assurément, mais légitime, vont-ils
se parjurer ? vont-ils tous, les uns après
les autres, se laisser séduire et commettre
le grand adultère politique ou se faire tuer
plutôt que de se coucher dans le lit de
l'infamie ?
Juqu'ici nous avons tâché
d'indiquer les proportions du désastre et la
portée universelle de ce commandement. Nous
avons jeté un regard sur notre monde
adultère. Il nous faut revenir d'une
manière plus précise au ménage
d'Adam et d'Eve, au ménage que nous sommes
tous, et constater nos réactions devant ce
commandement. L'homme et la femme dans leur
convoitise sont maintenant confrontés avec
la volonté de Dieu, placés sous la
loi, loi qui nous apparaît de prime abord
comme une dure barrière autour de notre
convoitise, loi qui veut nous priver de la femme de
nos rêves, nous empêcher de
réaliser le bonheur parfait avec un autre
homme, loi qui nous enchaîne l'un à
l'autre. Mais, pourquoi donc
n'oserions-nous pas ? Pourquoi ne sommes-nous pas
libres d'assouvir nos rêves à notre
guise ? Nous ne dépendons que de
nous-mêmes, cependant ! Que vient faire cette
barrière, ce gendarme ? Pourquoi Dieu se
mêle-t-il de nos affaires ? Ainsi nous
apparaît la loi, tout d'abord, loi maudite
parce qu'elle révèle notre
malédiction, nous fait mesurer la
catastrophe et ce que nous avons fait des dons de
Dieu.
Être ensemble, être
attachés l'un à l'autre,
c'était pour Adam et Eve, dans le repos du
septième jour, la bénédiction
suprême que Dieu leur accordait, la plus
grande joie parmi toutes celles de la
Création. EL voici que cette
bénédiction, leur convoitise l'a
transformée en une malédiction. Cette
joie, leur péché l'a
transformé en une corvée. Tout ce
qu'ils recevaient de Dieu comme un don merveilleux
et un sujet de louange, maintenant qu'ils ne le
reçoivent plus que d'eux-mêmes, a vite
fait de les ennuyer et de se corrompre dans les
mains de leur envie. Etre ensemble, voilà,
ô ironie ! que c'est devenu une obligation.
S'appartenir l'un à l'autre
irrévocablement, cela fait peur, car on
pourrait un jour avoir assez l'un de l'autre.
L'homme pécheur est livré à la
quantité, obligé de faire des
comptes. Il ne sait plus qu'un être humain,
une personne humaine créée à
l'image de Dieu est un mystère à
jamais inépuisable, une présence
infinie et non pas une denrée qui
s'épuise. C'est pourquoi l'ordre de Dieu ne
peut pas ne pas lui apparaître comme une
obligation, une restriction, un empêchement.
L'accomplissement de la loi devient
forcément une corvée pour notre
nature corrompue. Nous admettons sans doute qu'une
telle loi puisse avoir son utilité, voire
même sa nécessité pour diverses
raisons pratiques, sociales et patriotiques, comme
les cartes de sucre sont utiles
et nécessaires. Mais enfin, ce sont
là réglementations et restrictions
dont on se passerait bien volontiers et qu'on
observe à regret, quand on les
observe.
C'est ainsi que nous sommes sous ce que
Paul appelle la malédiction de la loi, aussi
longtemps que notre coeur n'est pas changé,
aussi longtemps que notre convoitise n'a pas
expiré avec Jésus sur la Croix. Je ne
dis pas que la loi n'ait pas, de cette
manière aussi, son utilité, et que,
par exemple, la moralité des
Égyptiens n'ait pas gagné à
connaître les tables de la loi du Sinaï
et à vouloir les appliquer. Il peut
être nécessaire que la loi de Dieu
fasse office de gendarme, mette une barrière
au débordement de l'homme pécheur et
que le septième commandement soit pris pour
une carte de femme. Mais ce n'est point là
son office propre. Et nous avons, nous, peuple
d'Israël, nous les rachetés de la
malédiction de la loi, nous les
délivrés de l'esclavage, autre chose
à découvrir dans ce commandement.
Nous avons à y découvrir le don que,
dans sa miséricorde, Dieu veut nous faire
à nouveau de cette union conjugale perdue,
la restauration de ce mariage dissous par la
convoitise et cela non par quelques
préceptes ou encouragements, mais par la
révélation et le don de sa propre
fidélité. En sorte que nous puissions
dire là aussi, avec le Psaume 119 : «
combien j'aime tes commandements, c'est par eux que
tu m'as fait revivre ! ».
Tout ce que Dieu fait pour son peuple
est un miracle de fidélité. La
brèche taillée dans la maison de
servitude, la trouée du jour de
Pâques, puis la subsistance quotidienne de
l'Église dans le monde, sont la
révélation d'une
fidélité qui surpasse toute
compréhension. « Celui qui a fait la
promesse est fidèle » ... « Celui
qui vous a appelés est fidèle »,
répète l'Écriture. Même
au long d'effrayantes parenthèses, durant
des servitudes de quatre cents ans, ou de
soixante-dix ans, durant des « moyen-âge
» où toute fidélité
humaine peut être éteinte, durant des
épreuves infinies où il paraît
que Dieu a oublié le monde, sa
fidélité veille sans relâche,
elle est le fil qui relie le jour où Il nous
a donné sa Parole, à cet autre jour
où Il tiendra Parole.
Dieu est fidèle, Dieu tient la
Parole qu'il nous a donnée dans son amour,
il garde envers et contre tout, l'alliance qu'il a
conclue avec son peuple. Si la foi consiste
à croire Dieu sur Parole, la foi n'est donc
possible qu'avec la certitude, non seulement que
Dieu a parlé, mais encore qu'il tient
Parole, qu'il est fidèle à ses
engagements. Une parole qui n'est pas tenue n'est
rien de plus qu'un mensonge. Le Diable peut bien
nous faire toutes les promesses de Dieu, s'il le
veut, mais il ne peut pas les tenir, il ne peut pas
les rendre vraies. La fidélité de
Dieu n'est donc rien d'autre que la
vérité de sa Parole. Elle est
là au centre de tout ce qu'il nous dit. Elle
est la raison de notre foi, de notre
obéissance, de notre espérance. La
seule idée que Dieu pourrait ne pas tenir
parole, nous jette aussitôt dans le royaume
du père du mensonge.
En arrachant son peuple au pays
d'Égypte, Dieu a tenu la promesse qu'il
avait faite à Abraham. Il n'a cessé
de montrer sa fidélité, de Moïse
à Daniel, de Jérémie à
Jean-Baptiste; et finalement, de Noël à
Vendredi-Saint, il a vécu cette
fidélité. « Je suis le Seigneur
ton Dieu, un Dieu fidèle, un Dieu qui ne t'a
pas lâché quand tout s'en allait et
quand toi-même tu voulais
t'en aller, et quand même
tu m'avais déjà lâché
depuis longtemps ». Nous apprenons en
Jésus-Christ ce qu'est la
fidélité de Dieu, une
fidélité absolue, une
fidélité jusqu'à la mort, un
engagement sans aucune réserve. Le but que
Dieu poursuit, il le poursuit jusqu'au bout. La
brebis infidèle, il la cherche
jusqu'à ce qu'il l'ait trouvée. Et
quand elle s'en va de nouveau, il ne se lasse pas
de la rechercher sans cesse. Cette
fidélité est à base de
miséricorde et de patience, car Dieu aurait
chaque jour cent raisons de nous expulser de sa
maison. Il nous supporte pourtant et nous garde son
alliance. Où serions-nous, si Dieu
raisonnait une seule minute comme il nous arrive
sans cesse de raisonner à l'égard de
notre mari (ou de notre femme) quand nous trouvons
qu'il n'est pas ce que nous voudrions et quand les
reproches s'accumulent dans notre coeur ? La
fidélité de Dieu est une
fidélité qui supporte, qui recouvre
et qui pardonne notre
infidélité.
C'est ce Dieu-là, et pas un
autre, n'est-ce pas, c'est ce Dieu-là et non
pas une convention, et non pas une morale, et non
pas une religion, qui nous dit : « Tu ne
commettras pas d'adultère ! » C'est ce
Dieu qui nous a donné sa Parole, qui s'est
lié à nous, qui a conclu avec nous
cette alliance irrévocable, c'est le Dieu
qui a été pour nous comme un
époux, qui déclare : « Tu ne
commettras pas d'adultère ». Autrement
dit : « Tu auras pour ta femme, tu auras pour
ton mari, la fidélité que j'ai pour
toi ».
Ainsi, la révélation de la
fidélité de Dieu est aussi celle de
la puissance du mariage (comme la
révélation que nous sommes la
propriété de Dieu est aussi celle de
la puissance du droit de
propriété).
Aimez vos femmes comme Christ a
aimé son Église,
ayez pour elles là
fidélité que Dieu a pour son peuple.
« Soyez parfaits comme il est parfait »
se traduit ici : Soyez fidèles comme il est
fidèle ! Que votre parole, une fois
donnée, vous ne puissiez pas plus la
reprendre que Dieu ne peut reprendre la sienne.
Pour tenir parole, pour garder son alliance, il a
été jusqu'à se livrer
lui-même.
C'est à l'intérieur de
cette fidélité miséricordieuse
et gardé par elle, que repose le mariage
chrétien. C'est dans la mesure où les
époux se savent liés à Dieu et
liés entre eux par cette
fidélité, que leur vie conjugale
correspond à la promesse : «Tu ne
commettras pas d'adultère », et
retrouve quelque chose de sa profondeur et de son
intensité premières.
Oh, je ne voudrais surtout pas faire
montre d'optimisme. Quoi de plus ridicule et de
plus illusoire que cette réclame que l'on
est toujours plus ou moins amené à
faire pour les mariages chrétiens, dans ce
genre de conférences. La volonté de
Dieu n'est pas une recette de bonheur conjugal,
bien qu'en un certain sens elle puisse
l'être. Les époux chrétiens ne
sont pas des anges. Les ménages
chrétiens ne sont pas des idylles. 0
justement pas ! Je craindrais même de dire
qu'ils sont plus facile ou plus heureux que les
ménages païens. Ce serait
peut-être faux, en tous cas mal
compris.
Je dirais plutôt que le grand
avantage des époux chrétiens est
d'avoir été, une fois pour toutes,
débarrassés, par la foi en
Jésus-Christ, de l'illusion païenne du
caractère idyllique du mariage. La foi donne
à l'homme la connaissance de lui-même.
Il sait à quoi s'en tenir. Il sait ce qu'il
est. Il sait aussi ce que Dieu est. Il y aura entre
époux chrétiens les mêmes
chutes, les mêmes difficultés, les
mêmes douloureuses barrières qu'entre
les époux païens.
Mais, il n'y aura pas de mauvaises surprises, pas
de déceptions et d'amertume, parce qu'il n'y
avait pas d'illusion. Rien, dans aucun domaine, ne
peut plus vraiment surprendre et
désespérer celui qui a
été une fois pour toutes et
définitivement surpris par la Croix de
Jésus-Christ.
La Croix est plantée au milieu
des nations, au milieu des familles. Les peuples
souffrent effroyablement les uns par les autres,
l'homme et la femme souffrent l'un par l'autre
peut-être davantage encore que des peuples
qui se font la guerre. Mais, tout cela n'est que
l'ombre de ce que les hommes ont fait et continuent
de faire souffrir à leur Seigneur. Les
époux chrétiens le savent, et c'est
énorme. Certes, ils se font souffrir
mutuellement autant que les autres, car ils sont
des hommes et des femmes pareils aux autres et, sur
le plan humain, leur union est aussi compromise.
Oui, leurs difficultés et leurs
misères conjugales sont les mêmes,
mais le résultat n'est point le même.
Alors que cette souffrance déprime et
déçoit le ménage païen,
et finit par tuer la vie conjugale, à tel
point qu'un moment vient où tout est perdu,
elle ne peut tuer la vie conjugale des
chrétiens; rien n'est jamais perdu pour eux,
au contraire, elle ne peut être qu'un rappel
incessant de la perdition dont ils ont
été sauvés par la
fidélité de Dieu. - Bien ne va plus,
voici qu'on ne parvient plus à se rejoindre,
à s'entendre, et que tout ce qu'on essaye de
dire ou d'entreprendre tourne mal ! Rien ne va plus
et le péché triomphe ! Christ est
mort entre nous. C'est affreux. Il semble que tout
soit perdu. Et tout le serait, en effet, pour des
incrédules. Mais, rien n'est perdu, car
Christ est ressuscité, et les époux
qui tombent, tombent ensemble dans la
fidélité de Dieu et s'y retrouvent,
et tout recommence, et tout est de
nouveau possible par le miracle
de la grâce et du pardon. Non, rien n'est
perdu, rien ne peut mourir, quand Dieu est
là. L'amère souffrance de tout
à l'heure, et qui sera celle de bien
d'autres jours encore, car ils traîneront
leur égoïsme jusqu'à la tombe,
cette souffrance conjugale, cette espèce de
haine qui vient de s'infiltrer entre eux, n'a fait
que les replacer devant l'immense
nécessité du pardon de Dieu et dans
l'attente du jour où ils seront à
jamais délivrés de leur
péché et n'auront plus à
lutter pour obéir.
Si l'on voulait indiquer en quoi
consiste de façon précise la
grâce du septième commandement et
donner une image de la différence qui existe
certainement entre le ménage croyant et le
ménage incrédule, on pourrait
comparer la vie conjugale à un couple de
danseurs de corde. Qu'il s'agisse d'un couple
chrétien ou d'un couple païen, je veux
dire d'un couple converti ou d'un couple
inconverti, ils se trouvent l'un et l'autre en face
des mêmes dangers, du même travail pour
conserver leur équilibre. Il peut même
fort bien arriver que le ménage païen
le conserve plus longtemps et que son harmonie
semble plus grande. La différence n'est pas
dans la façon dont ils parviennent à
se maintenir et à se ressaisir. La
différence éclate le jour de la
chute, le jour où l'équilibre est
perdu. Quand le couple païen tombe, il tombe
sans que rien puisse le retenir, il s'écrase
au sol par le poids de son double
égoïsme, et l'union conjugale s'y tue.
Le ménage croyant tombe aussi. Le
péché qui habite en nous lui fait
à maintes reprises perdre l'équilibre
de la vie commune. Mais, il tombe alors dans le
filet de la fidélité de Dieu. Il y
est infailliblement retenu. Il peut s'y faire mal,
mais non pas s'y faire du mal. L'abîme est
comblé et le ménage peut reprendre sa
vie conjugale, avec un coeur
brisé et nouveau. Non, le septième
commandement n'est pas la promesse du parfait
bonheur. Il est celle de la fidélité
de Dieu qui sauve jour après jour des
pécheurs de l'adultère, qui
élève autour d'eux le rempart de sa
miséricorde et réunit sans cesse
à nouveau par son pardon cet homme et cette
femme que leur convoitise, et leur humeur mauvaise
ont séparés.
Mais aussi, la grâce du
commandement fait plus que de protéger, de
garder, de réconcilier sans cesse les
époux que le Malin ouvertement ou
secrètement divise. Elle les éduque,
elle les rapproche de plus en plus, elle les adapte
l'un à l'autre. Elle fait que, lentement et
progressivement, à travers bien des chutes
et côtoyant l'abîme, grâce
à une intimité corporelle et
spirituelle toujours plus profonde, les
époux fidèles deviennent ce qu'ils
sont dans la Parole de Dieu : « une seule
chair,,, et acquièrent toujours mieux cette
unité promise, qui déborde sur toute
leur vie. On peut bien en noter quelques signes et
sans vouloir faire de la propagande au
septième commandement et vanter le bonheur
qu'il peut réserver aux époux,
remarquer pourtant cette sorte d'assimilation
mutuelle qui s'accomplit. Leur manière de
penser se rapproche, ainsi que leur façon
d'envisager les problèmes de l'existence.
Leurs écritures viennent à se
ressembler. Ils savent l'un de l'autre ce que
personne d'autre ne sait. Ils deviennent comme des
amis intimes. Unité réelle,
unité concrète. La vie leur est de
moins en moins possible l'un sans l'autre. Dans
tous les domaines et avec toutes leurs
différences d'homme et de femme, ils sont
un, ils sont ensemble. Séparés l'un
de l'autre par les circonstances, ils ont
l'impression quasi physique d'être
partagés en deux, de
n'être que la moitié
d'eux-mêmes, de ne penser plus qu'à
moitié, de ne regarder plus qu'à
moitié ...
Cependant la Bible est
singulièrement discrète à ce
sujet. On dirait que la grave question du bonheur
conjugal, comme celle du malheur conjugal, ne se
pose pas pour elle. À part le Cantique des
Cantiques, l'éblouissante
célébration du ravissement de l'homme
et de la femme, à peine trouve-t-on
ça et là quelques notations furtives
sur le bonheur de la vie. « Ta femme
bien-aimée... ton mari bien-aimé...
» mentionne le Deutéronome qui, par
ailleurs, accorde une année entière
de répit aux jeunes mariés : «
Quand un homme sera nouvellement marié, il
n'ira point à la guerre, et on ne lui
imposera aucune charge; pendant un an, il sera
libre de rester dans sa famille et il
réjouira la femme qu'il aura
épousée »
(24/5). (Pareillement
Eccles. 9/9).
Mais, le plus fort des signes de l'unité
conjugale et du bonheur de la
fidélité, c'est sans doute
l'émerveillement qui grandit et qu'aucune
habitude ne lasse : d'être ensemble,
d'être l'un avec l'autre, ceux que Dieu
associe au mystère de sa création,
ceux que Dieu utilise pour semer le grand champ de
sa création et pour multiplier les
créatures auxquelles le salut sera offert,
et continuer jusqu'à son terme l'histoire du
monde, d'être, dans la grande joie du moment
des semailles, ceux qui préparent la
récolte finale. Une telle connaissance porte
à sa plénitude la joie de la
conception et donne tout son sens à
l'enfantement.
« De tous les champs, écrit
Landry dans Baragne, Nicolas guettait le plus
petit, celui qui donnerait un sens à tous
les autres. Il suivait d'un oeil attentif les
gestes ronds, les hanches
solides, le plus petit des champs de l'homme,
là, entre les bras, entre les jambes,
protégé et en même temps bien
exposé au bon de la chaleur. Le plus petit
des champs, et qui se sème et qui rapporte
mille fois et mille fois son grain » (p.
248).
Quand le grain a levé, quand la
récolte est mûre, quand après
les soucis et les tourments de l'éducation,
le père et la mère discernent pour la
première fois dans leurs enfants les traces
de la grâce de Dieu, et qu'ils' constatent
que leur union a porté un fruit
éternel, un homme que Christ a
racheté de sa convoitise, une voix de plus
dans la foule immense des bienheureux, alors ils
touchent du doigt le sens dernier du
septième commandement et de cette
fidélité qui leur était
commandée. « Le père fera
connaître à ses enfants La
fidélité, »
(Es. 38/19), chante
Ézéchias. La fidélité
de Dieu a sauvé l'union conjugale de la
convoitise et de l'adultère, pour pouvoir
sauver ensuite les fruits de cette union. Ainsi,
l'homme et la femme, dans l'union de leur corps,
sont associés au miracle de la
création, pour être par la suite,
quand ils élèveront leurs enfants,
dans la connaissance de Jésus-Christ,
associés au miracle de la
rédemption.
Tu ne commettras point d'adultère
! veut donc dire : Tu feras connaître
à tes enfants ma fidélité -
cette fidélité dont tu as vécu
comme membre de l'Église, cette
fidélité dont votre union conjugale a
vécu, qui fut son fondement et son rempart
et qui est aujourd'hui sa raison d'être. Car,
ce n'est point seulement notre bonheur
d'époux et notre salut qui sont
engagés dans ce commandement, ce n'est pas
notre seule existence temporelle et
éternelle, c'est aussi l'existence
temporelle et éternelle des enfants qui
naissent de cette union - et des
générations
futures. Ce n'est pas ici le lieu d'aborder la
question de la vie de famille et le problème
de l'éducation. Il suffira de noter que la
présence des enfants entre les époux
fait éclater avec une force sans pareille
l'impossibilité, la monstruosité de
l'adultère. Car, s'il est grave d'être
infidèle à sa femme ou à son
mari, il l'est peut-être encore davantage de
l'être à ses enfants, et l'on ne peut
l'un sans l'autre. Si donc la convoitise et
l'infidélité sexuelles ont dans
l'espace des répercussions universelles et
finissent par la guerre mondiale - ce qui
déjà n'est pas si mal - elles ont
dans le temps des conséquences aussi
funestes. Notre iniquité retombe sur nos
enfants. La fidélité de Dieu qui
manque au père et à la mère
manque alors à leurs enfants.
Ici encore, c'est à peine si nous
soupçonnons, si nous entrevoyons,
l'étendue du mal que cause notre
désobéissance et les raisons
péremptoires, absolues, que Dieu a dans sa
bienveillance de nous commander telle et telle
attitude. De temps à autre une secousse
comme un divorce ou une guerre nous y rendent
attentifs pour un petit moment et justifient
à nos yeux d'incrédules la
volonté de Dieu. Prenons garde, cependant,
de vouloir chercher toujours des justifications,
des raisons humaines, à ce que Dieu nous
demande. C'est par la foi que Dieu veut être
obéi et non par la vue, et non parce que
nous avons peur de certains résultats
constatés de la méchanceté
humaine. Nous n'avons pas à fonder notre
obéissance sur de bonnes raisons et à
savoir toujours pourquoi telle chose nous est
demandée. Si nous le comprenons parfois, si
nous voyons parfois les résultats de
l'obéissance, c'est tant mieux, mais si nous
ne les voyons pas, cela est tout à fait
normal, car la foi seule, la foi pure en la
fidélité de Dieu et en sa
toute-puissante sagesse, doit
nous faire obéir. Il est certainement des
cas où la fidélité conjugale,
où la fidélité politique
semblent absurdes et ne pas pouvoir être
demandées. Il y a des situations
inextricables où l'obéissance peut
paraître un non-sens et une catastrophe.
C'est ici alors qu'il faudra rappeler la
portée eschatologique, la portée
finale de la loi divine. Car il s'agit de
l'obéissance de la foi et cela veut dire :
Nous ne voyons pas aujourd'hui, nous ne verrons
qu'au jour du jugement, l'étendue des
désastres que nous avons causés,
comme aussi tout ce que la volonté de Dieu
avait pour nous de «bon, d'agréable et
de parfait». Nous ne saisirons qu'alors toute
sa nécessité. Il faut accepter
aujourd'hui d'obéir sans la saisir toute, et
dans l'espérance du jour où nous
comprendrons pleinement. Le jugement dernier
n'apportera aucun élément nouveau, il
fera simplement apparaître tout ce qu'a de
mauvais la désobéissance, et de bon,
d'éternellement bon, l'obéissance de
la foi. Dans le jour de la Justice, tout acte de
révolte, tout acte d'orgueil, de mensonge,
d'infidélité, apparaîtra pour
ce qu'il est : un irréparable malheur.
Et tout acte d'obéissance, de
vérité et de fidélité,
apparaîtra pour ce qu'il est : un
incomparable, un irrévocable bonheur.
L'enfer et le paradis sont aujourd'hui
cachés comme une petite graine dans notre
infidélité et dans notre
fidélité. Le jugement dernier fera
éclater cette graine et nous verrons le
grand arbre qui est sorti d'elle. Et « vous
verrez alors, dit Malachie, la différence
qu'il y a entre celui qui sert Dieu et celui qui ne
le sert pas ». Nous verrons alors l'absolue
bonté et nécessité de ce que
Dieu nous demandait. Ce sera notre joie parfaite.
Nous serons dans le Royaume où cette
volonté sera faite exclusivement. Ce que
Dieu nous accorde et nous
demande dans sa loi n'est pas autre chose que la
vie que nous vivrons éternellement dans son
Royaume.
Roland de Pury.
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