L'ORDRE DE
DIEU
VIII
Tu ne
déroberas point.
- par Charles BRÜTSCH
INTRODUCTION
1. PREMIÈRE RÉACTION
« Le huitième commandement : Tu ne
déroberas point, est assez clair pour
n'avoir besoin d'aucune explication », dit
Alexandre Westphal. À première vue,
nous sommes tentés d'abonder dans son sens.
Plusieurs commentaires sur le Décalogue
traitent ce commandement plus brièvement que
les autres.
Il apparaît facile
d'échapper à l'accusation qu'il
pourrait porter sur nous : « En tout cas, cela
ne me concerne pas personnellement,
s'écriera l'un ou l'autre
spontanément. Moi, voler, fi donc ! J'ai des
principes et je ne les renierai jamais. Mon
père m'a toujours dit : « Sois
honnête, mon garçon, et tu
réussiras » ! Je
préférerais mourir de faim que de
prendre un morceau de pain à mon voisin. Mon
blason est sans tache. Ma probité est
reconnue de tous. Mon honorabilité est
sauve. Interrogez qui vous voudrez sur mon compte,
vous recevrez partout le même renseignement
».
Et de partir aussitôt à
l'attaque des malhonnêtes gens de tous
calibres, des petits voleurs qu'on
incarcère et des grands
qu'on laisse courir, quand on ne va pas
jusqu'à les favoriser et jusqu'à
admirer leurs exploits.
Dans le vieux quartier de Hanovre, on
peut lire sur une petite maison coquette,
flanquée d'une maison bourgeoise fort
cossue, ce distique aux allusions transparentes
:
Lieber klein, und ohne Schulden, Als
gross mit fremden Gulden !
(Je préfère être
petite, et sans dettes, que grande - sous-entendu :
comme ma voisine - moyennant l'argent
d'autrui).
Des déclarations analogues,
souvent moins poétiques, ne manquent pas de
fleurir nos propos. Nous sommes farouchement
prompts à dénoncer ceux qui
transgressent tous les jours et de plusieurs
manières ce saint commandement. Nous ne
sommes jamais plus éloquents que lorsqu'il
s'agit de prononcer des réquisitoires
indignés. « Il est étonnant de
constater, dit Hans Asmussen, à quel point
les hommes éprouvent le besoin d'anticiper
sur le jugement dernier. À nous voir
assembler aujourd'hui avec tant d'empressement des
griefs accablants contre autrui, il semble que Dieu
ait besoin de consulter nos dossiers pour effectuer
le jugement suprême ».
Les dénonciations pleuvent : les
voleurs, ce sont ceux-ci ou ceux-là, sur le
plan politique, ce sont les belligérants ou
les neutres, les ploutocrates ou les communistes,
les patrons ou les ouvriers, les employés
d'État ou les entrepreneurs privés,
les subventionnés ou les
indépendants... Et lorsque l'accusateur
farouche a terminé sa diatribe, il va se
remonter le moral en faisant une promenade au
temple, où l'on entend retentir la
prière satisfaite :
« 0 Dieu, je te rends grâces de ce que
je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont
ravisseurs... ».
2. DU VÉRITABLE USAGE DE LA
LOI.
a). La Loi, « pédagogue pour
conduire à Christ »
(Galates 3/24).
C'est justement à cet état
d'esprit pharisaïque que le huitième
commandement du Décalogue oppose son veto.
Armé d'un solide fouet, il fait
évacuer le temple, dont les honnêtes
gens ont fait, eux aussi, une « caverne de
voleurs ». Car c'est bien voler Dieu que de
professer le dogme de sa propre
infaillibilité en condamnant les autres :
« 0 homme, qui que tu sois, toi qui juges, tu
es donc inexcusable, car, en jugeant les autres, tu
te condamnes toi-même, puisque toi qui juges,
tu fais les mêmes choses ... Toi qui
prêches de ne pas dérober, tu
dérobes! ... »
(Romains 2/1, 21). Ainsi parle Dieu.
Comme son fouet cingle nos épaules ! Le
temple de Dieu n'est pas destiné à
notre propre édification morale aux
dépens d'autrui; ses voûtes ne doivent
pas résonner de l'orgueilleux monologue des
vertueux; le temple est le lieu saint où
s'échange le dialogue entre Dieu et
l'homme.
Dans ce dialogue unique, le Dieu vivant
a d'abord la parole : « Je suis
l'Éternel ton Dieu ... Tu ne
déroberas point ! ».
Le Dieu de la révélation
biblique, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob,
qui est le Dieu de Jésus-Christ, parle
à son peuple. Il ne s'agit donc pas ici
simplement de la voix anonyme de nos consciences ni
de la loi naturelle (quelles que
soient par ailleurs les relations secondaires qui
puissent exister entre la loi
révélée de Dieu et celles des
hommes). Dieu s'adresse au peuple qu'il a
élu d'entre tous les autres et qu'il a
arraché par sa main puissante à
l'esclavage de Pharaon.
Le Dieu qui parle est celui qui a
opéré la grande délivrance
dans le passé, mais aussi celui qui achemine
le peuple délivré et ingrat vers la
terre promise. La loi est donnée à
Israël à mi-chemin entre
l'Égypte et le pays de Canaan.
Il y a plus : le Dieu qui parle est
celui qui a fait grâce à Abraham, le
père des croyants, qui a conclu alliance
avec lui, qui l'a déraciné et qui l'a
transplanté, non sans le doter de la grande
promesse de bénédiction universelle.
Le Dieu qui parle est celui qui conduit son peuple,
élu et rebelle encore, libéré
et murmurant encore, vers la
révélation de son Fils unique. La loi
est donnée à Israël entre
Abraham et Jésus-Christ manifesté aux
hommes.
Cette loi divine tout entière, et
dans chaque commandement particulier, doit faire
connaître au peuple élu son
péché, pour qu'il accepte son Sauveur
et proclame le salut de Dieu jusqu'aux
extrémités du monde.
Cette loi est un escalier par lequel le
peuple de Dieu aura à descendre, de
degré en degré, de repentance en
repentance, jusqu'à l'heure bénie
où les temps seront accomplis et où
le Fils de Dieu apparaîtra comme un simple
homme, étant lui-même descendu du plus
haut des cieux jusqu'aux dernières
profondeurs de la terre
(Eph. 4/9). « C'est par la loi
que vient la connaissance du péché
»
(Romains 3/20). « La loi est
intervenue pour que l'offense abondât, ...
(Romains 5/20).
Au bas de cet escalier, sur la
dernière marche, il n'y a plus qu'un seul
cri possible, celui de l'apôtre Paul : «
Misérable que je suis ! »
(Romains 7/24). Et ce cri se
répercute à travers toute la Bible;
nous l'entendons résonner dans les Psaumes
et chez les Prophètes; il jaillit du coeur
du fils prodigue et nous le surprenons sur les
lèvres du larron crucifié. C'est la
confession du péager dans le temple : «
0 Dieu, sois apaisé envers moi qui suis un
pécheur ! »
Dans cette profondeur-là, le
peuple de Dieu est rendu à Christ par la
loi. Jésus-Christ vient rejoindre son peuple
là où il est frappé par la
condamnation irrévocable. Cette condamnation
qui est la nôtre, qui vaut pour le peuple de
Dieu autant que pour le monde entier,
Jésus-Christ la fait sienne.
Jésus-Christ porte notre
péché. Jésus-Christ en
reçoit lui-même le salaire, en mourant
à notre place.
La loi intervenant entre la promesse et
son accomplissement, la loi accompagnant le peuple
élu sur son chemin descendant, est donc
elle-même toute grâce. voie de Dieu
vers le salut manifesté en
Jésus-Christ.
Entre notre élection
éternelle en Christ et notre rencontre
décisive avec lui dans le temps, elle nous
garde tout en nous brisant, elle nous conduit tout
en nous contenant. Impératif
catégorique de la Parole de Dieu, elle est
pourtant déjà le bras de Christ qui
nous attire à lui.
b). La Loi, sanctification du corps
de Christ.
Est-ce à dire qu'ensuite, une
fois la rencontre avec Christ effectuée, une
fois notre nouvelle vie en Christ devenue
consciente, la loi ne signifie dorénavant
plus rien pour nous? Le
pédagogue qui a accompagné, l'enfant
jusqu'à l'école est-il
désormais congédié ?
La loi doit-elle s'effacer dans le
silence, comme le Maure de Shakespeare ? Autant
demander si, une fois que nous sommes convertis,
que nous avons reconnu notre appartenance
éternelle au Christ, le péché
s'est-il évanoui comme par enchantement dans
nos vies ? Ne sommes-nous plus tentés ?
Satan a-t-il renoncé à nous ?
Sommes-nous déjà arrivés dans
la plénitude du Royaume des cieux ? Non, le
peuple de Dieu na pas épuisé sa
mission dans l'ancienne alliance; il est
appelé à reprendre sa marche
obéissante pendant tout le temps de la
nouvelle alliance, c'est-à-dire tous les
jours jusqu'à la fin du monde.
Si la loi est intervenue dans l'Ancien
Testament entre la promesse et l'accomplissement,
entre Abraham et l'incarnation du Christ, la loi
divine reprend sa place intermédiaire dans
le Nouveau Testament. Elle s'insère
salutairement entre la première venue du
Christ dans l'humilité et sa deuxième
venue dans la gloire. La loi, pleinement accomplie
en Jésus-Christ, conduit l'Église
chrétienne, qui est au
bénéfice de cet accomplissement,
à la porte du Royaume des cieux. Jusque
là, « tant que le ciel et la terre ne
passeront point, il ne disparaîtra pas de la
loi un seul iota ou un seul trait de lettre »
(Matth. 5/18).
« L'homme avance sur un chemin, dit
Kart Barth; et à droite et à gauche
de ce chemin, les commandements sont dressés
et le regardent. Ils le suivent, l'accompagnent, de
sorte qu'il va son chemin entre eux, entouré
par eux, ne pouvant ignorer sa
responsabilité envers eux, comme leur
prisonnier »
Heureux prisonnier! Le chemin est
assurément l'Évangile, c'est
Jésus-Christ en personne; mais la
barrière des commandements le longe
utilement, étant donnée notre
capacité extraordinaire de nous
dérober. Et c'est ainsi que dans la nouvelle
alliance également, la loi est toute
grâce et que sa sévérité
même est un aspect de la vigilante
bonté de Dieu.
Dans l'Église du Seigneur
Jésus-Christ, la loi ne nous condamne plus,
mais souligne la libération de l'esclavage
du péché. Jésus-Christ
achemine son peuple, lui aussi
délivré et ingrat, vers les nouveaux
cieux et la nouvelle terre de l'éternelle
promesse. Dans cette marche du peuple de Dieu,
sauvé et chancelant encore, vers le Royaume
des cieux, la loi, dont Christ a ôté
la malédiction, est une loi de
bénédiction.
Ici de même, il s'agit d'un
escalier descendant. De degré en
degré, d'humiliation en humiliation, de
souffrance en souffrance et de tribulation en
tribulation, l'Église du Seigneur s'approche
du Royaume.
Voilà ce que nous aurons à
montrer au sujet du huitième commandement.
Il nous fait connaître que nous sommes
sauvés en Jésus-Christ et il nous
guide dans notre marche chrétienne, nous
maintenant dans l'ordre divin, en vue de la «
révélation des enfants de Dieu
».
3. DU FAUX USAGE DE LA LOI
Nous ne pouvons pas parler de ce que Dieu nous
donne dans sa loi sans indiquer l'étrange
prédilection que Satan nourrit pour cette
même loi. Là où Dieu
sème, Satan choisit le même champ pour
ses semailles. Là où Dieu parle,
Satan insinue son commentaire.
« Ceux que Dieu élit, Satan
les élit aussi » (Cuche), Le peuple de
Dieu, dans l'ancienne et dans la nouvelle alliance,
en est la singulière illustration.
Satan sait rendre la loi plus
séduisante, parce qu'il renchérit
constamment sur l'offre de Dieu. Un escalier
descendant ? Satan en fait un escalier montant. Il
fait croire aux pharisiens que, par elle, ils
s'élèveront plus haut. La loi sera
l'instrument de leur propre salut et leur donnera
des occasions multiples d'accumuler des
mérites. Dès lors, ils se passeront
du Sauveur; lorsque ce dernier se présentera
à eux, ils le crucifieront.
Lorsqu'en revanche Satan ne pourra pas
empêcher la rencontre décisive avec le
Fils de Dieu, il ne lâchera pas prise pour
autant. Il s'approchera des convertis; il
applaudira à leur belle confession des
péchés, les engagera à la
répéter aussi souvent que possible,
puis leur indiquera la possibilité de
s'épanouir spirituellement en se servant de
la loi, dont il fera un institut de beauté
chrétienne. Il persuadera les élus de
Dieu qu'ils ne seront pas sans aucun mérite,
lorsqu'ils entreront dans le Royaume des cieux et
qu'à la pure grâce de Dieu
s'ajouteront leurs vertus appréciables. Ils
seront certains d'avoir des places
réservées.
Dieu a créé la loi. Cette
loi est toute grâce, lorsque le Saint-Esprit
conduit dans toute la vérité. Toute
la vérité, c'est Jésus-Christ
qui sauve les pécheurs. Satan a fait de
cette loi le légalisme, qui est tout
perdition, parce qu'il conduit dans le mensonge,
à l'opposé du Christ.
Que le Seigneur nous délivre du
Malin et de son funeste usage de la loi, qu'il nous
donne de marcher dans sa loi accomplie, de
repentance en repentance et de dépouillement
en dépouillement, jusqu'au jour où,
par un miracle divin, nous
paraîtrons saints, purs,
irrépréhensibles devant Christ, notre
gloire
1re PARTIE
« JE SUIS L'ÉTERNEL...
» DIEU SOUVERAIN DU MONDE
1. DIEU SOUVERAIN DE LA TERRE
Si Dieu dit à son peuple tout entier et
à chacun de ses membres en particulier :
« Tu ne déroberas point ! », il
nous rappelle d'abord que tout lui appartient en
propre, comme l'affirme majestueusement
le Psaume 24 :
À l'Éternel la terre et ce
qu'elle renferme, Le monde et ceux qui l'habitent
... »
Cette appartenance totale de la terre au
Dieu créateur est spécifiée
par d'autres déclarations, comme celle-ci :
« Les terres ne se vendront pas à
perpétuité, car le pays est à
moi, car vous êtes chez moi comme
étrangers »
(Lév. 25/23).
Nous ne dirons donc pas avec J.-J.
Rousseau :
« Le premier qui, ayant enclos un
terrain, s'avisa de dire : ceci est à moi,
et trouva des gens assez simples pour le croire,
fut le vrai fondateur de la société
civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que
de misères et d'horreurs n'eût point
épargnés ait genre humain celui qui,
arrachant les pieux ou comblant le fossé,
eût crié à ses semblables :
« Gardez-vous d'écouter cet imposteur;
vous êtes perdus, si vous oubliez que les
fruits sont à tous et que la terre n'est
à personne ! »
(Discours sur l'origine de
l'inégalité).
D'après J.-J. Rousseau, le vol
commence par la déclaration de
propriété personnelle. L'individu
accapare ce qui appartient à tous.
Nous lui objecterons : le vol originel
est antérieur à ce geste
égoïste de l'individu. Dire que la
terre n'est à personne », c'est avouer
que les hommes ont volé en premier lieu la
terre à son vrai possesseur, à Dieu.
Il n'est pas étonnant que par la suite ils
se la disputent et se volent entre eux.
D'autre part, celui qui reconnaît
la souveraineté de Dieu sur la terre peut
fort bien avoir une propriété
particulière, grande ou petite. Même
les « latifundia », les grandes
propriétés seigneuriales, ne sont pas
nécessairement un vol vis-à-vis de la
communauté. Ce qui importe, c'est que le
possesseur de terres sache que celles-ci lui sont
prêtées par Dieu et qu'il doit en
répondre devant lui. Il ne peut
connaître cette responsabilité sans
cultiver ses terres en vue de l'utilité
publique.
Ce n'est donc pas en abolissant la
propriété privée ni en la
morcelant en petits lopins de terrain qu'on
remédiera à l'injustice sociale.
C'est seulement en situant la terre à sa
place exacte, sous la souveraineté de Dieu
et dans son plan, qu'on trouvera la vraie issue.
2. DIEU SOUVERAIN DE L'ARGENT
Dieu dit encore : « L'argent est à
moi et l'or est à moi ... »
(Aggée 2/8).
Dans la ligne tracée par J.-J.
Rousseau, on a pu dire par la suite : le capital,
voilà l'ennemi public numéro un. Il
faut en déposséder les individus, les
entreprises privées, et
le remettre entre les mains de l'État
tout-puissant. Ou bien, a-t-on pensé encore,
il faut l'abolir totalement ou encore le distribuer
à parts égales entre tous. Alors
l'injustice séculaire sera
réparée; une ère nouvelle
s'ouvrira pour les hommes ... !
Non, dit la Bible, L'argent appartient
à Dieu et nous est prêté.
Accepter la souveraineté de Dieu dans ses
finances, c'est l'unique vérité. Que
l'argent soit volé par les capitalistes
individuels, par des trusts importants, par des
États absolutistes ou par l'humanité
tout entière, que l'économie soit
privée, dirigée ou
étatisée, cela ne fait que
déplacer le vol. Le remplacement de l'argent
par un autre moyen d'échange commercial ne
résoudra pas davantage la question.
L'humanité se débat
éperdument, à l'intérieur du
grand vol collectif, entre diverses
catégories de vols secondaires: Vols de
petits ou de grands groupes, vols nationaux ou vols
de classes sociales ... Elle n'a jamais voulu
comprendre que seul le retour à l'ordre de
Dieu est la fin de son anarchie financière.
3. DIEU SOUVERAIN DE SON PEUPLE
Cette appartenance sacrée culmine dans
l'appel personnel de Dieu à son peuple :
« Je suis l'Éternel, ton Dieu ».
« Je t'appelle par ton nom, tu es à moi
»
(Esaïe 43/1).
Nous voici au centre du commandement..
L'homme est la propriété exclusive de
Dieu, créé à son image pour
être régi par la claire Parole de
Dieu, destiné à vivre devant sa face,
pour le glorifier en tout.
« Tu ne déroberas point !
» Cet ordre de Dieu n'a-t-il pas
déjà retenti au début de
l'histoire humaine :
« Tu pourras manger de tous les
arbres du jardin, mais tu ne mangeras pas de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car
le jour où tu en mangeras, tu mourras »
?
Dans cet ordre intimé à
Adam et Eve, Dieu ne s'est assurément pas
occupé de quelques pommes ! Il a interdit
aux hommes de porter atteinte à sa
souveraineté en s'arrogeant la connaissance
du bien et du mal, indépendamment de sa
Parole. Il a défendu aux hommes de disposer
eux-mêmes de leur vie comme bon leur
semblerait. En sorte que cet ordre : « Tu ne
déroberas point ! » signifie en
réalité : « Tu ne te
déroberas point ! »
La première question posée
par Dieu à l'homme: « Où es-tu ?
» prouve que d'abord l'homme s'est
dérobé lui-même à Dieu.
Il n'est question du fruit volé que dans la
deuxième question de Dieu : « Est-ce
que tu as mangé de l'arbre? »
Désormais, dans chaque vol, les hommes
prouveront qu'ils se sont dérobés
eux-mêmes à leur Dieu. Il en sera
ainsi pour Caïn qui, se dérobant
à Dieu, ôtera la vie à son
frère : « Où est ton
frère Abel ? » Il en sera de même
pour tout le peuple élu, lorsque,
s'émancipant totalement de son Dieu, il
portera une main sacrilège sur son Oint et
le retranchera de son sein.
II éme PARTIE
« TU NE DÉROBERAS POINT
»
1. LE VOL ET SA RÉPARATION
Au peuple élu que Dieu conduit à
la terre promise et prépare à la
rencontre de son Messie, il rappelle sans cesse
l'ordre irrévocable : « Je suis
l'Éternel ton Dieu, ... tu ne
déroberas point ! »
Israël devra répondre
à l'élection divine. Israël
marchera par la foi en ne portant pas atteinte aux
droits de Dieu, à l'ordre qu'il a
établi. « Car il nous faut estimer que
ce que chacun possède ne lui est point
advenu par cas fortuit, mais par la distribution de
celui qui est le souverain Maître et Seigneur
de tout; c'est bien pourquoi l'on ne peut frauder
personne de ces richesses que la dispensation de
Dieu ne soit violée » (Calvin,
Institution 2. VIII. 45).
Le huitième commandement est
détaillé dans toute une série
de préceptes. Ces derniers ne sont pas
destinés à diviser le commandement,
à le pulvériser en une
poussière d'observances
détachées; ils le multiplient au
contraire, le reflètent dans toutes les
circonstances, en répercutent incessamment
l'appel à la fidélité
unique.
Exode 21 parle déjà de vol
: « Celui qui dérobera un homme et qui
l'aura vendu ou retenu entre ses mains,
sera puni de mort »
(v. 16 , cf.
Deut. 24/7). Dieu seul dispose
totalement des, vies, des âmes et des corps;
se mettre à sa place en lui ravissant son
empire absolu sur une seule existence humaine,
c'est mériter la mort. Par là, toute
emprise totalitaire sur les hommes, tout
hypnotisme, tout anéantissement des
consciences sont stigmatisés.
Exode 22 parle de divers vols :
« Si un homme dérobe un boeuf ou un
agneau ... Si un homme fait du dégât
dans un champ on dans une vigne ... Si un homme
donne à un autre de l'argent ou des objets
à garder et qu'on le vole ... Dans toute
affaire frauduleuse concernant un boeuf, un
âne, un agneau, un vêtement ou un objet
perdu ... » Chaque fois, il est question des
modalités de restitution, celle-ci
étant souvent le double, une fois même
le quintuple de la valeur du larcin.
Le préjudice causé au
prochain ne doit pas seulement être reconnu,
mais également réparé, ce
à quoi la restitution pure et simple de
l'objet du délit ne saurait suffire. Il faut
en plus ce que le mot de « pardon »
signifie étymologiquement : un surplus, un
don pardessus le compte.
Ce n'est pas tout : l'affaire ne sera
pas seulement réglée devant les
hommes. Le peuple de Dieu sait que tout
péché est transgression de l'ordre
divin, et partant péché contre Dieu.
Le fils prodigue ne dira pas seulement à son
père : « J'ai péché
contre toi ... » ; il dira : « J'ai
péché contre le ciel et contre toi
». C'est bien pourquoi il est
déterminé dans
Lévitique 5/21 ss.(6:2) que
« lorsque quelqu'un péchera et
commettra une infidélité envers
l'Éternel, en mentant à son prochain
au sujet d'un dépôt, d'un objet
confié à sa garde, d'une chose
volée ou soustraite par fraude ... »,
il n'y aura pas seulement
restitution et réparation, mais que le
coupable « présentera au sacrificateur,
en sacrifice de culpabilité à
l'Éternel pour son péché, un
bélier sans défaut, pris du troupeau
... Et le sacrificateur fera pour lui l'expiation
devant l'Éternel, et il lui sera
pardonné, quelle que soit la faute dont il
se sera rendu coupable.
La loi ne dénonce pas seulement
le péché, mais elle cite le
pécheur devant Dieu. Il accomplira ce
sacrifice, dans lequel il sera doublement
remplacé : c'est d'abord un prêtre qui
représentera le transgresseur devant Dieu et
qui implorera le pardon à sa place; c'est en
deuxième lieu un bélier qui lui sera
substitué et qui sera immolé pour
expier sa faute.
Voilà comment, dans le langage
des signes et des figures rituelles, la loi conduit
le peuple élu à son Messie. Car
lorsque les temps seront accomplis, celui que tous
ces signes auront préfiguré,
Jésus-Christ, sera le véritable
souverain sacrificateur, demandant pardon pour son
peuple à son Père; et
Jésus-Christ sera en même temps la
victime expiatoire, immolée à la
place des coupables.
2. QUELQUES PRÉCEPTES
PARTICULIERS
Ce même chemin du peuple élu, qui
marche entre les commandements de Dieu vers la
croix de Jésus-Christ, se retrouve dans
plusieurs préceptes particuliers dont voici
les plus connus.
Il est parlé des poids et des
mesures
« Vous ne commettrez point
d'iniquité ni dans les jugements, ni dans
les mesures de dimension, ni dans les poids, ni
dans les mesures de capacité. Vous aurez des
balances justes, des poids justes, des épha
justes et des hin justes. Je
suis l'Eternel votre Dieu, qui vous ai fait sortir
du pays d'Égypte.»
(Lév. 19/35-36,
Deut. 25/15-16).
« La balance fausse est en horreur
à l'Eternel, mais le poids juste lui est
agréable », dira le livre des
Proverbes (11/1).
C'est dire que la mesure normale n'est
pas dans la main des hommes. Dieu seul la garantit.
Le peuple de Dieu ne peut pas avoir de doubles
mesures. Marchant devant la face de Dieu, il ne
peut se prêter aux fausses
appréciations, aux évaluations
mensongères; il reçoit de Dieu les
toises, les sicles et les boisseaux justes, de
même qu'il recevra le discernement clair des
valeurs spirituelles.
Il est parlé des bornes du
champ
« Tu ne reculeras point les bornes
de ton prochain, posées par les
ancêtres, dans l'héritage que tu auras
au pays dont l'Eternel ton Dieu te donnera la
possession «
(Deut. 19/14;
27/17;
Job 24/2;
Prov. 22/28). Le mot
d'héritage rappelle à Israël
qu'il doit à Dieu la possession de ses
terres. Le respect du champ d'autrui comme du sien
propre n'est réel que devant Dieu. Seul
l'homme qui respecte l'ordre divin, accepte les
limites qui lui sont imposées dans tous les
domaines. Comment ne pas penser en transposant sur
le plan moral, à la curiosité, qui
est une des marques essentielles de celui qui
soustrait sa vie au regard de Dieu ? Comment ne pas
penser à la curiosité religieuse, si
vive chez tous ceux qui se refusent aux
obéissances élémentaires
?
Il est parlé de finances, et
d'abord du salaire à payer:
« Tu ne retiendras point jusqu'au
lendemain le salaire du mercenaire »
(Lév. 19/13). « Sans
cela, ajoute le
Deutéronome (24/15), il
crierait à l'Eternel, et tu
te chargerais d'un
péché ».
Jérémie (22/13) et
Malachie (3/5) souligneront
particulièrement cette
iniquité.
Dans le peuple de Dieu, on ne soupire
pas toujours au sujet des finances, parce que Dieu
les a remises à leur place précise.
Devant le Dieu des justes rétributions, le
peuple de Dieu rétribue avec
équité. Les salaires ne sont pas
tronqués, ni enflés; le paiement des
factures n'est pas atermoyé sans raison, ni
échelonné arbitrairement.
Dans le même domaine des finances,
il est aussi parlé du prêt et de la
question délicate de
l'intérêt.
« Si tu prêtes de l'argent
à mon peuple, au pauvre qui est avec toi, tu
ne seras point à son égard comme un
créancier, tu n'exigeras de lui point
d'intérêt »
(Exode 22/25). Le
Lévitique (25/35) dit
pourquoi il en sera ainsi : « Si ton
frère devient pauvre, et que sa main
fléchisse près de toi, tu le
soutiendras; tu feras de même pour celui qui
est étranger et qui demeure dans le pays,
afin qu'il vive avec toi. Tu ne tireras de lui ni
intérêt ni usure, tu craindras ton
Dieu, et ton frère vivra avec toi. Tu ne lui
prêteras point ton argent à
intérêt et tu ne lui prêteras
point tes vivres à usure. Je suis l'Eternel
ton Dieu, qui vous ai fait sortir du pays
d'Égypte, pour vous donner le pays de
Canaan, pour être votre Dieu ».
Dieu rappelle à son peuple qu'il
a été le premier à lui
prêter le pays de Canaan; il est donc tout
naturel que l'Israélite prête à
son tour au pauvre, même étranger,
sans exiger d'intérêt. La question se
complique néanmoins du fait que le
Deutéronome (23/21) permet de
tirer un intérêt de l'étranger.
Il s'agit apparemment dans ce dernier cas de
l'étranger qui fait du commerce, alors qu'il
s'agissait d'abord du frère pauvre comme de
l'étranger pauvre. Autre
chose est de participer à une oeuvre
commerciale, que l'argent prêté sert
à développer; autre chose de secourir
un nécessiteux. Dans le premier cas
l'intérêt n'est pas injuste.
Placé devant le Dieu vivant,
compatissant à nos misères, l'homme
ne saurait plus exploiter la détresse du
prochain. Il n'est plus question, pour lui, de
tirer avantage de l'infériorité ou du
manque de compétence d'autrui.
Il serait aisé de multiplier les
exemples; le domaine est si vaste, et la Parole de
Dieu en connaît si bien les replis pleins
d'ombre ! Tout ce qui est larcin, rapine, fraude
quelconque, déprédation et même
négligence dans la gestion des biens
d'autrui et des siens propres, tout ce qui est
avarice ou gaspillage est maintenu à
l'écart du peuple de Dieu par l'incessant
rappel : « Je suis l'Eternel ton Dieu ».
Derrière le commandement, Dieu s'annonce
toujours lui-même; car chaque commandement
est rempli de sa présence. Dieu est
là, lui qui aime jalousement son peuple
souvent infidèle et qui veille sur sa marche
souvent incertaine.
3. «DIEU PREMIER SERVI»
Non seulement Israël ne dérobera pas
ce qui appartient au prochain (à part
quelques cas difficiles à expliquer,
où Dieu lui-même donne un ordre
semblable, par exemple lorsque les
Israélites emportent l'or et l'argent des
Égyptiens); mais Israël donnera
toujours à Dieu les prémices de tout
et lui consacrera en particulier les
premiers-nés des hommes et du bétail.
Cette offrande ne représente pas simplement
une portion attribuée à Dieu; elle
exprime que sa priorité
indiscutable en toutes choses
est reconnue. Si l'Israélite offre la
dîme, ce n'est pas parce que Dieu serait
satisfait de recevoir dix pour cent de commission
sur le chiffre d'affaires, de même que par la
circoncision Dieu ne veut pas seulement marquer une
partie du corps. Il s'agit toujours de
reconnaître la souveraineté totale de
Dieu et c'est pourquoi par exemple la
première gerbe lui est offerte.
Les pharisiens auront beau donner, par
la suite, la dîme de la menthe, de l'aneth et
du cumin
(Matth. 23/ 23), en s'acquittant
méticuleusement de leur devoir, ils n'auront
pas compris la justice de Dieu. Ils n'observeront
les commandements de Dieu à la lettre que
pour se dérober d'autant plus à
l'esprit de la loi. Ils donneront dix pour cent
pour en dérober quatre-vingt-dix, comme cela
se fait parfois dans les liquidations frauduleuses.
4. LE PARTAGE AVEC LE PROCHAIN
Après avoir reconnu la priorité
absolue de Dieu, après lui avoir offert les
premières gerbes et les premiers-nés
du troupeau, il ne sera pas question de garder
jalousement le reste pour soi. La place nous manque
ici pour indiquer à combien de reprises il
est question du frère nécessiteux, du
vieillard impotent, de l'étranger
miséreux, de la veuve et de l'orphelin. Nous
nous rappelons surtout des passages comme le
suivant : « Quand vous ferez la moisson dans
votre pays, tu laisseras un coin de ton champ sans
le moissonner et tu ne ramasseras pas ce qui reste
à glaner. Tu ne cueilleras pas non plus les
grappes restées dans ta vigne, et tu ne
ramasseras pas les grains qui en seront
tombés. Tu abandonneras
cela aux pauvres et à l'étranger. Je
suis l'Eternel, votre Dieu »
(Lév. 19/9;
23/22). Voilà la loi de Dieu,
qui est toute grâce, qui garde le peuple de
Dieu dans l'alliance de la foi.
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