L'ORDRE DE
DIEU
VIII
Tu ne
déroberas point.
(suite)
- par Charles BRÜTSCH
Ill ème PARTIE
QUI EST LE VOLEUR?
1. QUELQUES EXEMPLES BIBLIQUES
C'est sur le fond lumineux de cette loi divine
que se détache nettement la silhouette du
voleur, convaincu de péché par le
Saint-Esprit. Nous interrogeons la Bible
Ce voleur, qui est-il ?
Ce voleur, est-ce seulement cet Acan,
dont il est dit dans Josué 7 qu'il
déroba des choses dévouées par
interdit : un beau manteau, deux cents sicles
d'argent et un lingot d'or du poids de cinquante
sicles ... ? On sait qu'il fut ensuite
lapidé avec tous les siens.
Ce voleur, est-ce seulement
Guéhazi, serviteur d'Élisée,
dont vous connaissez la tromperie : courant
après Naaman le Syrien, il sut lui soutirer
de riches présents, et l'Eternel le punit en
le frappant de la lèpre ?
Ce voleur, est-ce seulement David, qui
vola la femme d'Urie, ou Achab et Jézabel
qui ravirent le champ de Naboth ?
Ces derniers exemples, où
l'adultère, le mensonge et le meurtre se
mêlent au vol, sont significatifs ils
montrent comment les transgressions de
commandements s'engendrent l'une l'autre. Le vol,
qu'il soit d'ordre
matériel, moral ou spirituel, n'est-il pas
à la base des autres péchés ?
N'est-ce pas voler Dieu que de lui substituer des
idoles, que de prendre son nom en vain et de
soustraire à son ordre précis
l'emploi des six jours ouvrables et du sabbat ?
N'est-ce pas frustrer son prochain de ce qui lui
revient que de ne pas honorer ses parents, de tuer
ou de commettre adultère, de calomnier ou de
convoiter dans son coeur?
Le voleur, est-ce seulement dans le
Nouveau Testament, ce Zachée qui
reconnaît avoir fait tort à d'autres
et parmi les douze, ce Judas Iscariot qui tient la
bourse
(Jean 12/6) ? S'agit-il seulement
d'Ananias et de Saphira, qui cachent leur recette,
ou enfin de cette Babylone de l'Apocalypse,
métropole du commerce international, du vol
organisé ?
Assurément, il faut prolonger les
lignes bibliques. Il faut stigmatiser les
malhonnêtetés ouvertes des faussaires
sans vergogne, mais également celles que,
selon le catéchisme de Roland de Pury,
« les braves gens pratiquent impunément
: trucs de foire, bénéfices
exagérés, contrebande, mouillage du
lait, fausses mesures, fausses déclarations
d'impôts, usure, etc. »
Les voleurs ce sont certes les
conquérants politiques et ceux qui les
suivent ou les admirent (ce qui est une
façon de les suivre sans risques), les
pillards, qu'ils soient sauvages ou corrects,
roturiers ou gentilshommes, les parasites, les
chasseurs d'héritages, les gourmands, les
accapareurs, les joueurs et les amateurs de loterie
(ou l'on éprouve aussi le besoin de payer
des dîmes pour les bonnes oeuvres !). La
liste est loin d'être complète, vous
en conviendrez.
Certes le vol dépasse le domaine
matériel; le voleur se
ment tout aussi bien dans les domaines
intellectuel, moral, esthétique ...
Surtout n'oublions pas, ainsi que
l'écrivait St. Cyprien à
Cécile, que « lorsque quelqu'un
dérobe le sens de la vérité
évangélique au sujet des paroles et
des faits de notre Seigneur Jésus-Christ,
corrompt et falsifie les divins commandements, il
commet des larcins et des adultères
spirituels ».
Ici le sol devient plus brûlant
sous nos pieds; quel chrétien pourrait se
glorifier de n'avoir jamais altéré la
Parole de Dieu, de n'en avoir jamais
dérobé le témoignage dû
au prochain ? Qui a tout fait pour annoncer la
bonne nouvelle du Royaume des cieux à toute
créature, selon l'ordre explicite du
Seigneur ?
Le voleur dont la silhouette se
détache sur le fond lumineux du
huitième commandement, qui est-il donc,
sinon nous-mêmes ?
2. JÉSUS-CHRIST ET LE JEUNE
HOMME RICHE
Si curieux que cela puisse paraître, cet
interrogatoire serré ne suffit pas pour
convaincre totalement de
péché.
Voici le jeune homme riche. Ce n'est pas
un hypocrite, mais un sincère. C'est un
assoiffé de vie éternelle. Sur la
demande expresse de Jésus-Christ qui
énumère les commandements, il
répond en toute loyauté :
«Maître, j'ai observé toutes ces
choses dès ma jeunesse »
(Marc 10,/20). « Il te manque
-une chose, lui réplique le Seigneur, va,
vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et
tu auras un trésor dans le ciel », et
il ajoute ces paroles, qui sont plus
décisives encore: « Puis, viens, et
suis-moi » !
Le jeune homme riche, zélé
observateur de la loi, n'a pas seulement
refusé de livrer ses biens; il s'est
refusé lui-même à l'appel.
C'est devant Jésus-Christ en personne
qu'éclate tout le péché du
scrupuleux observateur des commandements. Le jeune
homme riche que Jésus a aimé, c'est
le voleur. Il a dérobé en
réalité tout ce qu'il a. Il s'est
dérobé en vérité
lui-même.
Seule la rencontre avec
Jésus-Christ fait éclater notre
transgression totale; et cette douloureuse
confrontation avec Jésus-Christ qui nous
regarde et nous aime profondément, se
consomme devant la Croix.
3. JÉSUS-CHRIST
CRUCIFIÉ
La croix de Jésus-Christ 'n'est pas autre
chose que le dernier dépouillement du Fils
de Dieu. Lui, seul entre les fils des femmes,
« n'a pas regardé comme une proie
à arracher d'être égal à
Dieu ».
(Phil. 2/6). Lui, seul d'entre les
humains, n'a pas repris à son compte le vol
sacrilège d'Adam, qui a dérobé
le fruit défendu pour se dérober
lui-même à la souveraineté de
Dieu. Adam a revendiqué son autonomie
complète et a voulu être comme Dieu;
Adam a volé Dieu, et nous marchons tous les
jours sur ses traces. Nous ne comprenons le
récit de la Genèse en profondeur que
devant la Croix. Car là, Jésus-Christ
a fait exactement le chemin inverse. Adam a voulu
être Dieu. Jésus-Christ, Fils unique
de Dieu, la Parole éternelle, qui est Dieu
dans l'ineffable mystère trinitaire, «
s'est dépouillé lui-même, en
prenant une forme de serviteur, en devenant
semblable aux hommes; et ayant paru comme un simple
homme, il s'est humilié lui-même se
rendant obéissant jusqu'à la mort,
même jusqu'à la mort de la
Croix »
(Phil. 2/7-8).
L'abaissement du Fils de Dieu, qui a voulu
être pareil à l'homme, a
racheté l'orgueil de l'homme, qui a voulu
être semblable à Dieu.
Jésus-Christ a expié par sa mort
notre péché, par son complet
dépouillement notre vol total. Il a pris
notre place misérable sous la colère
de Dieu. Il est devenu le Guéhazi couvert de
lèpre et l'Acan lapidé; il est devenu
l'Adam condamné à mort pour sa
révolte et foudroyé par Dieu,
à l'heure de l'exécution de la
sentence. Il est devenu notre péché
et notre malédiction. Il nous a
rachetés, nous les dérobés qui
ne pouvions plus nous restituer à notre
Dieu. Il a véritablement
pardonné.
La Croix nous révèle,
jusque dans toutes les profondeurs infernales, ce
qu'est notre vol; mais elle manifeste aussi, jusque
dans toutes les profondeurs du ciel, que nous
sommes sauvés, restitués à
Dieu au centuple, fils prodigues rentrés
dans la grâce du Père et revêtus
de la plus belle robe, vagabonds glanés le
long des haies d'épines et ramassés
sur les routes poudreuses, devant qui s'ouvre toute
grande la porte du Royaume, et qui tombent dans les
bras paternels.
4. JÉSUS-CHRIST ET L'AUTRE
JEUNE HOMME RICHE
Un autre jeune homme riche qui a
également observé tous les
commandements, pourvu lui aussi de grands biens
(d'ordre spirituel en tout cas), a
été touché par la grâce.
Estimant que tous ses biens étaient «
une perte », « de la boue », «
des balayures », il a troqué sa propre
justice, « celle qui vient de la loi »
avec la justice qui vient de Dieu par la foi, afin
de connaître Christ et la puissance de sa
résurrection, et la
communion de ses souffrances
» ...
(Phil. 3/9-10).
Ce jeune homme riche, qui ne s'en est pas
allé tout triste, a connu la joie de voir
les écailles tomber de ses yeux et de suivre
le Christ partout, proclamant hardiment
l'Évangile du Crucifié le long des
routes impériales. C'est lui, Paul, qui dans
la dernière partie de cette étude,
nous montrera quelle est la vie chrétienne.
IV ème PARTIE
L'ACCOMPLISSEMENT DU HUITIÈME
COMMANDEMENT CHEZ LE CHRÉTIEN
Saul de Tarse, le pharisien,
irréprochable à l'égard de la
justice de la loi »
(Phil. 3/6), s'est reconnu voleur
devant le Christ. Brisé devant la croix, il
a été rendu au Père et il est
devenu Paul, l'apôtre. Il a marché
vers le Royaume des cieux, dans la cohorte de
l'Église chrétienne, dans la «
communion des saints » qui, selon le mot de
Luther, « sont tous des pécheurs »
tous des voleurs restitués à
Dieu.
Certes nous voyons Paul se
défendre scrupuleusement d'avoir
convoité et ravi le bien d'autrui
(Actes 20/33 : « Je n'ai
désiré ni l'argent, ni l'or, ni les
vêtements de personne ». (Même
note dans
I Thess. 2/5).
En maintes occasions, Paul a
préféré renoncer à ses
droits et travailler manuellement, alors qu'il
aurait pu demander d'être
hébergé gratuitement
(2 Thess. 3/8-9).
Surtout, il a proclamé
l'Évangile, insistant en temps et hors de
temps, « car, dit-il, la
nécessité m'en est imposée; et
malheur à moi si je
n'évangélise ».
(I Cor. 9/16). Il a pu dire aux
anciens d'Éphèse : « Je suis pur
du sang de vous tous, car je vous ai annoncé
tout le conseil de Dieu, sans en rien cacher »
(Actes 20/ 26-27).
Mais Paul avoue n'avoir aucun
mérite en tout cela; il ne cesse de rendre
grâces à Dieu; surtout il ne
prétend pas avoir atteint la perfection; le
« vase de terre » n'est pas devenu
transparent. Mais il sait et il proclame qu'il a
été « saisi par
Jésus-Christ » qui a mis fin à
toutes ses faites pieuses, à son
péché orthodoxe et légaliste,
il sait et il proclame que la puissance du Christ
triomphe toujours à nouveau de son
péché.
Paul a été rendu au
Père par Jésus-Christ, - et c'est
ainsi qu'il accomplit la loi, ou plutôt qu'il
rentre dans la loi déjà
accomplie.
Je voudrais montrer en terminant,
comment l'attitude de Paul reflète
l'accomplissement de la loi divine, et
particulièrement du huitième
commandement. Prenons pour nous en rendre compte,
la dernière et la plus courte de ses
épîtres, celle qu'il a adressée
à Philémon. Vous en connaissez
l'argument : Paul, captif à Rome,
écrit à Philémon au sujet de
son esclave Onésime. Ce dernier s'est
évadé de chez son maître en le
volant. Il a échoué à Rome,
où il a rencontré Paul.
L'apôtre prisonnier a lutté pour
sauver cette âme misérable; et
maintenant il peut renvoyer l'ancien voleur
auprès de son maître, en
l'accompagnant de cette
épître.
Quelle éloquente requête !
« Je te prie pour mon enfant, que j'ai
engendré étant dans les
chaînes, Onésime, qui autrefois t'a
été inutile, mais qui maintenant est
utile et à toi et à moi. Je te le
renvoie, lui, mes propres entrailles ... »
(v. 10-11).
« Si donc tu me tiens pour ton ami,
reçois-le comme
moi-même. Et s'il t'a fait
quelque tort, ou s'il te doit quelque chose,
mets-le sur mon compte !...
(V. 18). Paul supplie Philémon
de reprendre l'ancien esclave, de lui pardonner et
de ne plus le considérer comme
Onésime, mais comme s'il était Paul
en personne.
Écoutez ce commentaire de Luther
qui nous révèle le sens profond de
l'épître :
« Nous voyons comment Paul s'occupe
du pauvre Onésime et le défend
vis-à-vis de son maître, par tous les
moyens à sa disposition; il le fait, comme
s'il était lui-même cet Onésime
qui a commis le péché. Mais il ne le
fait pas avec violence ou par contrainte, quelque
droit qu'il puisse invoquer; au contraire, il se
dépouille de tout son droit, pour que
Philémon fasse de même. C'est
justement ce que Christ a fait vis-à-vis de
Dieu son Père; c'est exactement ainsi que
Paul agit vis-à-vis de Philémon
à propos d'Onésime. Car Christ s'est
également dépouillé de son
droit; il a fléchi son Père par
l'amour et par l'humilité, afin qu'il
dépose sa colère et sa vengeance et
qu'il nous reçoive en grâce à
cause de Jésus-Christ; c'est lui qui nous
représente devant Dieu et qui s'occupe de
nous de tout son coeur; car nous sommes tous ses
Onésime, si nous le reconnaissons par la foi
».
Oui, nous sommes les Onésime de
Dieu, tous des créatures qui ont
dérobé à leur Maître et
(lui se sont dérobées à lui.
Mais, à l'instar de l'esclave larron et
déserteur, à l'instar de Saul de
Tarse lui-même devant Damas, nous avons
été arrêtés par Christ
dans notre fuite; et Jésus-Christ, luttant
pour notre salut jusqu'à la mort, s'offrant
à tout payer à notre place, nous rend
à notre Père, munis de l'acte de
grâce, après que l'acte de
condamnation ait été cloué au
bois
(Col. 2/14).
Celui qui est sur le chemin du retour,
avec toute l'Église, toute la caravane des
Onésime rachetés, est ainsi
marqué dans toute son attitude, dans ses
faits et gestes, et jusque dans ses lettres les
plus brèves, par le signe de
Jésus-Christ. Il est encore tenaillé
par bien des tentations et même par celle du
vol dans tous les domaines; il y a des luttes
quotidiennes et des insistances douloureuses de la
part du péché, qui enveloppe encore
si facilement les croyants eux-mêmes. Mais
voilà que la grâce du Christ fait
irruption au milieu des tentations et des luttes
quotidiennes. Et le chrétien ayant obtenu
grâce, ne se dérobe plus à
Dieu, il ne se dérobe plus au prochain; il
ne prend plus ce qui est à Dieu et il ne
prend plus le bien de son frère. Il donne et
il se donne, parce que Christ l'a rendu avec tout
ce qu'il a, à son Père dans les cieux
et à ses frères sur la terre. Ainsi
s'accomplit le huitième commandement
ici-bas, dans la marche de l'Église
chrétienne, avant qu'il le soit pleinement
dans le Royaume des cieux, où toutes les
créatures rachetées, revêtues
de robes blanches, rendent gloire, honneur,
louanges, actions de grâces à Celui
qui est assis sur le trône et à
l'agneau, i Dieu qui est « tout en tous
».
Charles BRUTSCH.
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