LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE VIII
LA VIE PRIVÉE
LA MORT ET LES FUNÉRAILLES
Un des évangélistes nous raconte
que Jésus rencontra un jour un convoi
funèbre qui. sortait d'un village. « On
portait en terre un jeune homme, fils unique de sa
mère qui était veuve
(1).
Les Juifs, en effet, avaient horreur de
la crémation. L'usage de brûler les
corps, si répandu dans l'antiquité,
leur était en abomination. Ils
ensevelissaient et l'Eglise chrétiennes a
toujours suivi cette coutume. La croyance à
la résurrection du corps s'opposait à
sa destruction par le feu ; elle s'y oppose encore
aujourd'hui aux yeux de la grande majorité
des chrétiens. Ils préfèrent
confier la dépouille des leurs à la
terre; là elle se consumera lentement, il en
restera toujours quelque chose, et la pensée
d'un anéantissement possible de celui
qui a disparu, ne viendra pas
les hanter et les troubler avec la même
insistance que s'il ne restait plus rien de son
être physique.
Les Arabes de nos jours ne brûlent
pas non plus les corps; le Coran s'y oppose et
leurs cérémonies funèbres, en
Palestine du moins, ressemblent à s'y
méprendre à celles des Juifs telles
que la Bible nous les décrit. Voici quels
étaient les usages des Palestiniens au
premier siècle. Aussitôt après
le décès le corps était
placé dans « la chambre haute
(2) » ;
là, les mains et les pieds étaient
entourés de bandes et la tête couverte
d'un suaire (3).
Le corps entier était ensuite
enveloppé d'un linceul et était
parfumé avec de la myrrhe et de
l'aloès
(4). Ces parfums
seront aussi plus tard déposés
près du corps dans le tombeau. On agira
surtout ainsi lorsque l'ensevelissement aura
été précipité, et que
cette espèce d'embaumement n'aura pas
été possible avant les
funérailles. Le corps ainsi
préparé était placé,
les mains croisées, dans un cercueil ouvert
ou plutôt sur une bière appelée
Mittah (lit) (5).
Aujourd'hui les indigènes arabes
de Palestine observent les mêmes coutumes au
pied de la lettre. Après la mort ils ferment
les yeux du défunt
(6) ; ils
attachent les pieds et les mains avec des
bandelettes et enveloppent le corps dans un
linceul. Tous les assistants baisent le mort une
dernière fois. Puis il est
déposé dans une bière ouverte
par en, haut pour qu'on puisse voir encore son
visage (7).
L'ensevelissement se fait huit heures au plus
après le décès. Il en
était certainement ainsi autrefois ; dans
les pays chauds on est obligé de hâter
l'enterrement. Les Juifs n'avaient pas de porteurs
attitrés ; des amis se chargeaient de porter
le corps (8). Ils
tenaient à donner au défunt ce
dernier témoignage
d'affection, et ils se relayaient quand ils
étaient nombreux. « Un enfant qui meurt
avant le trentième jour de son âge est
porté dans les bras et il est enseveli par
une femme et deux hommes. Un enfant de trente jours
est porté dans une bière, non une
bière que l'on place sur les épaules,
mais une bière que l'on porte dans les bras.
Un enfant de trois ans est porté dans un lit
et il en est de même pour les autres
âges (9)
».
Les porteurs chargeaient donc la Mittah
sur les épaules
(10). Les
parents et amis suivaient avec les
démonstrations bruyantes de douleur et les
lamentations dont les Juifs étaient toujours
si prodigues
(11). Ils
poussaient des cris affreux, se roulaient par
terre, déchiraient leurs vêtements et
se jetaient de la poussière sur la
tête. On faisait plus, on ne se bornait pas
à ces manifestations qui pouvaient
être sincères chez les amis et les
parents du mort, on louait des pleureuses de
profession qui versaient des larmes en jetant des
cris aigus
(12). En outre,
on louait des musiciens qui jouaient de la
flûte sur un ton lugubre
(13). Le plus
pauvre Israélite était. obligé
par les convenances à avoir à la mort
de sa femme au moins deux joueurs de flûte et
une pleureuse
(14). S'il
était riche, dit Maïmonide, il faisait
tout selon « ce qui était le plus digne
».
Les Arabes, nos contemporains, n'ont pas
de joueurs de flûte aux funérailles.
Sur ce point seul leurs cérémonies
différent de celles des Juifs et encore si
le défunt est un grand dignitaire ils ont
des musiciens. Les femmes arabes poussent les
mêmes cris
désespérés
que les Juives jetaient il y a tant de
siècles. Elles s'arrachent les cheveux
(15) et
chantent sur un ton lamentable
(16).
Il n'y avait pas plus de
cérémonie religieuse aux enterrements
qu'aux mariages. Quelquefois on prononçait
un discours sur la vie du défunt
(17) ou un
prêtre improvisait une complainte
(18).
Les tombeaux étaient toujours
hors des villes.
Il est remarquable que cette mesure
hygiénique, qui passe pour moderne, soit
formellement exigée par la Mischna
(19). Le
sépulcre le plus rapproché du mur
d'enceinte devait en être encore
éloigné d'au moins cinquante
coudées (22 m. 50).
Les cimetières communs
étaient rares ; il n'y en avait guère
que pour les pauvres et les étrangers
(20). Les
familles riches avaient leurs tombes dans leurs
propriétés particulières. La
description d'un sépulcre de ce genre nous
est minutieusement faite par les Talmuds
(21). Elle nous
intéresse au plus haut point : c'est un
tombeau semblable à celui de Joseph
d'Arimathée qui nous est ici décrit.
Le sépulcre était une caverne ou
chambre taillée dans un rocher. On y entrait
de plein pied comme dans une grotte. L'ouverture en
était carrée et fermée par une
énorme pierre qui s'engageait dans une
feuillure. L'intérieur de l'une des tombes
qui nous sont décrites avait quatre
coudées sur six (1 m. 80 sur 2 m. 70) et on
y avait fait huit sépultures ; trois de
chaque côté et deux au fond. Une autre
avait quatre coudées de longueur (1 m. 80)
et sept de hauteur (3 m. 15). Le caveau proprement
dit était précédé d'une
sorte de vestibule où s'arrêtaient les
porteurs, puis « ils se baissaient vers le
sépulcre
(22) », et
là se trouvaient les
excavations où l'on
mettait les corps. Leurs places étaient
marquées par des sortes de couchettes
pratiquées dans la paroi.
L'emplacement du tombeau était
indiqué soit par un monument, soit par un
monceau de pierres. De nos jours on
élève ces tas de pierres avec grand
soin pour garantir les tombes des hyènes.
Or, elles étaient plus nombreuses encore
autrefois qu'aujourd'hui
(23). Tous les
ans, en Adar, le dernier mois de l'année, on
blanchissait l'extérieur du monument avec de
la chaux (24)
macérée et mélangée
d'eau (25); nous
en savons la raison. « Pourquoi, dit un des
Talmuds, blanchit-on les sépulcres au mois
d'Adar ? parce que de même que le
lépreux crie : « le souillé, le
souillé », de même par cette
couleur blanche on le dit : « n'approche pas
(26) ». En
effet, le contact d'un sépulcre était
une souillure. Jésus compare les Scribes et
les Pharisiens tantôt à ces tombeaux
blanchis « qui paraissent beaux au dehors
(27) »,
tantôt aux sépulcres abandonnés
dont on ne distingue plus l'emplacement
(28).
La famille dans le deuil se
réunissait au retour des funérailles,
et on prenait un repas en commun. Il était
offert aux parents du mort par leurs amis.
C'était « le pain de deuil
(29). » Le
nombre des coupes bues à la ronde et
à certains moments fixes était
réglé comme dans le repas pascal. Il
y en avait dix : cieux avant qu'on se mit à
table, cinq pendant le festin et trois après
(30). A la mort
de Rabbi Siméon, fils de Gamaliel, on en
ajouta trois, mais on s'enivra et le
Sanhédrin interdit de dépasser
à l'avenir le nombre réglementaire
(31). Ce repas
n'était pas le seul rite pratiqué le
jour même de l'enterrement. On venait aussi
consoler les affligés comme le firent les
amis de Lazare entourant ses
soeurs Marthe et Marie pendant les premiers jours
de leur deuil (32). « Quand
on revient du sépulcre on entoure
l'affligé et on le console
(33). » Dans les visites de
condoléances on observait un
cérémonial fixé d'avance.
« Quand on revient du sépulcre on
s'avance et on s'assied les tins pour consoler, les
autres pour pleurer, les autres pour méditer
sur la mortalité. Puis on se lève, on
s'approche un peu et on s'assied, et ainsi de suite
sept fois (34) ». On ne
pouvait ouvrir la bouche pour consoler que si
l'affligé avait parlé le premier
(35).
Le deuil durait trente jours. Le premier
jour on ne pouvait porter ses phylactères;
les trois premiers on ne devait se livrer à
aucun travail et ne pas répondre à
une salutation. Les sept premiers on ne pouvait ni
mettre de sandales, ni se laver
(36), ni s'oindre d'huile, ni
lire la Loi, la Mischna ou les Talmuds, ni se
voiler la tête. Pendant les trente jours il
était interdit de se raser, de mettre des
vêtements neufs ou récemment blanchis,
de recoudre une robe déchirée
(37). En général,
on prenait « le sac et la cendre. » Le
sac était une sorte de robe
grossière, cou. verte de poils,
étroite, sans manches et sans plis. Une
corde servait de ceinture (38).
Pour la mort de son père ou de sa
mère on portait le sac pendant les trente
premiers jours. Les veuves le gardaient toute leur
vie (39). Tous les parents
étaient tenus de le porter au moins les sept
premiers jours.
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