LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE IX
LA VIE PRIVÉE
LA MAISON
La maison du pauvre. - La
maison du riche. - La terrasse. - La
chambre haute. - Le mobilier. -
L'intérieur d'une maison de
village, - Le chandelier. - Le boisseau. -
Le moulin.
La nourriture. - Les pains. -
Les gâteaux. - La cuisine. - Le
repas principal.
Les ablutions. - Les actions de
grâces. - Un repas du temps du roi
David. -
La nourriture des pauvres au
premier siècle. - Les sauterelles.
- Les boissons. - Le vin. - Les coupes. -
Le repas de midi a Jérusalem
à l'époque de
Jésus-Christ
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On se représente ordinairement là
maison antique comme occupant un grand espace; on y
place un atrium, une cour entourée de
portiques avec une fontaine au milieu, un jardin,
de vastes salles de réception. Elle serait
assez exactement reproduite par la maison mauresque
de nos jours. Il est certain que des habitations
semblables se voyaient à Rome et dans toutes
les grandes villes de l'empire ; à
Jérusalem il y en avait certainement ; mais
ces maisons étaient celles des riches, elles
étaient ce que nous appellerions aujourd'hui
des hôtels particuliers. Les auteurs anciens
nous les ont décrites
précisément à cause de leur
luxe et de leur confort. Les
privilégiés qui habitaient ces
demeures étaient peu nombreux. La foule,
l'immense majorité, composée de gens
de condition moyenne ou inférieure
habitait, à Rome par
exemple, de grandes maisons à étages
dont celles de nos grandes villes peuvent donner
une idée. Chaque famille y occupait un
appartement séparé; les artisans
étaient sous les toits
(1). Il n'est-pas
probable qu'à Jérusalem même il
y eût de ces grandes maisons si
élevées. En Orient, les constructions
ont toujours été basses et, saut les
monuments, les villes devaient avoir le même
aspect qu'aujourd'hui. En tout cas, dans les
villages, et c'est des villages que nous allons
parler d'abord, les maisons étaient des plus
simples, des plus primitives. Transportons-nous
à Nazareth et représentons-nous la
maison habitée par Joseph et Marie lorsque
Jésus était enfant.
Qu'on se figure un gros cube de forme
régulière et blanchi à la
chaux. A l'intérieur une seule pièce;
point de fenêtre, le jour entre par la porte
et la femme qui cherche une drachme perdue, doit
allumer sa lampe
(2). Aujourd'hui
le logement de toute une famille arabe se compose,
en Palestine, d'une grande chambre
voûtée sans fenêtre, Il en
était ainsi au premier siècle.
L'établi, la cuisine, la chambre à
coucher, tout devait être réuni dans
cette unique pièce de la maison du
charpentier de Nazareth. La maçonner le
était fort grossière; on peut en
juger par les ruines nombreuses dont le pays est
aujourd'hui couvert. Il était rare que la
pierre y fût employée; les plus
luxueuses maisons étaient en briques du
pays. On fabriquait ces briques en foulant la terre
grasse ou l'argile avec les pieds
(3) ; on y
mêlait de la paille
(4), puis on les
cuisait au four
(5). Ces maisons
de briques étaient très communes dans
les villes (6),
mais n'étaient habitées dans les
campagnes que par les personnes dans l'aisance
(7). Quant
aux maisons de terre, elles
donnaient asile aux agriculteurs et aux gens des
basses classes (8). Leurs murs n'étaient qu'un
grossier clayonnage revêtu d'argile
pétrie et séchée au soleil.
Sur cette terre poussait çà et
là une chétive
végétation et, à
l'intérieur le salpêtre, appelé
par les habitants la lèpre
(9), faisait
souvent invasion. Il est probable que la maison de
Joseph était une de ces pauvres demeures
bâties en terre et blanchies.
Les maisons des riches personnages
étaient différentes. La Palestine
abonde en pierres calcaires propres aux plus
somptueuses constructions, et leurs demeures
s'étendaient souvent sur un grand espace;
une cour intérieure le long de laquelle
régnait un portique, semblable au
cloître d'un couvent ou au patio espagnol,
était au centre. Le milieu de la cour
formait un impluvium
(10) ; il y
avait là un bassin où l'on pouvait se
baigner (11).
Autour et en dehors du carré formé
par le portique, se voyait une sorte d'avant-cour,
ce qu'on appelle en style de caserne un chemin de
ronde fermé par un mur d'enceinte. On
pénétrait dans la maison par une
porte en bois d'une seule pièce ou à
deux battants et qui tournait sur deux gonds
(12). Les
verrous, la serrure et les clefs étaient en
bois (13). Les
portes des villes avaient seules des verrous en
Métal
(14). La
fermeture était souvent plus simple encore,
et au lieu d'une serrure, on se contentait d'une
simple courroie
(15).
La maison, élevée sur les
colonnes du portique, pouvait avoir
plusieurs étages. Le
palais de Salomon en avait trois ; mais on ne
devait guère dépasser ce nombre. En
tout cas, elle renfermait plusieurs pièces.
Elles étaient parfois très vastes
(16), certaines
salles étaient exclusivement
consacrées aux festins
(17); d'autres
étaient des chambres de repos
(18). Le
splendide palais qu'Hérode le Grand se fit
bâtir à Jérusalem
(19),
était plus luxueux encore; mais de si
somptueuses demeures étaient l'exception. La
plupart des maisons, même dans les villes,
avaient une chétive apparence
(20). Les
fenêtres, absentes, nous l'avons dit, de la
maison du pauvre, étaient, dans les maisons
les plus riches, petites et peu nombreuses. Celles
qui donnaient sur la rue étaient garnies
d'épais grillages
(21) que l'on
ouvrait à volonté
(22).
Les pièces, sauf celle de
l'entrée, étaient très
petites. Les habitants ne s'y retiraient que pour
la nuit, et, sous ces climats brûlants,
l'homme vivait le plus souvent hors de chez lui,
dans les rues, sur la place publique. Le visiteur
de Pompéï est frappé de
l'exiguïté des chambres des maisons.
Aucune n'offrait de pièce où l'on
pût se retirer pour se recueillir. Il fallait
pour cela monter à l'étage
supérieur et jusque sur le toit. Celui ci,
presque plat, n'avait que juste l'inclinaison
suffisante à l'écoulement de l'eau de
pluie (23). Il
était entouré d'une balustrade
prescrite déjà par la Loi
(24). Il
formait donc une terrasse qui servait de refuge
(25). Le sol
était en briques
(26) ou en
chaux mêlée de sable et de petits
cailloux battus avec de la cendre. Le toit de la
maison du pauvre était fait de terre, et sur
cette couche de terre solide et
durcie, l'herbe poussait quelquefois
(27).
L'escalier qui menait à la terrasse
était extérieur, et lorsqu'on
était sur le, toit, on pouvait sortir de la
maison sans rentrer d'abord dans l'intérieur
(28).
Sur ces terrasses, on exposait à
l'air certains objets de travail
(29), on
prenait le frais, on dormait parfois dans la belle
saison (30),
sans doute pour éviter les insectes ; ce qui
se fait encore aujourd'hui.
L'habitude de loger en été
sous des tentes est toujours très
répandue. Les voyageurs y sont même
obligés dans la saison chaude à cause
des moustiques, et cet usage était
certainement le même autrefois. Pendant
quatre mois de l'année, des tentes
étaient dressées sur les terrasses
des maisons. On traitait aussi sur ces terrasses
les affaires secrètes; on s'y retirait dans
les moments de tristesse
(31) ; et
« être assis dans un coin du toit »
signifiait mener une vie triste
(32). Dans les
émeutes, on montait sur le toit pour voir ce
qui se passait
(33) pour se
sauver ou pour se défendre
(34); à
la fête des Tabernacles, on dressait encore
des tentes sur les toits
(35).
Jésus-Christ parle de « prêcher
sur les toits » et nous verrons que le Hazzan
annonçait du haut d'un toit, chaque vendredi
soir, que le sabbat commençait. Quand la
maison n'avait qu'un seul étage, la
terrasse, entourée d'une balustrade se
trouvait former une chaire du haut de laquelle il
était facile de haranguer la foule
réunie devant la maison. On se
représente aussi ce qu'était la
solitude sur cette terrasse quand, le soir, sous le
ciel splendide de l'Orient, Jésus,
fatigué des bruits du
jour, s'y retirait pour prier. Là, plus de
Scribes, plus de Pharisiens, plus de disputes ni de
haine, mais la présence du Dieu vivant et la
communion avec lui aussi certaine, aussi sensible
que sur la colline et les hauts lieux.
Souvent la terrasse était
couverte; elle formait alors une grande salle
spacieuse, commode les jours de pluie, et que l'on
appelait la chambre haute
(36) ou chambre
d'en haut (37).
Quand Jésus n'enseignait pas en plein air,
le seul endroit où il pût se tenir
était la chambre haute, et c'est là
qu'il se trouvait certainement le jour où on
lui amena un paralytique, et que la foule, qui se
pressait autour de lui, empêchait les
porteurs du brancard de passer
(38). On
comprend fort bien ce qui arriva ; le malade fut
monté par l'escalier extérieur de la
maison jusque sur le toit de la chambre haute,
d'une construction légère et facile
à percer. Un des Talmuds nous rapporte un
fait presque semblable
(39) : «
Quand Rabbi Honna mourut, la civière ne put
« passer par la porte qui était trop
étroite, et on dut découvrir «
le toit et le sortir par là. »
On se réunissait souvent dans la
chambre haute pour enseigner : « Rabbi
Jochanan et ses disciples montèrent dans la
chambre haute, et ils lurent et ils
commentèrent
(40).
»
Cet usage de couvrir au moins une partie
de la terrasse et de s'en faire une chambre
était très général.
Quand elle était entièrement
découverte, on ne pouvait s'y tenir que le
soir à cause du soleil, et c'est le
désir de s'y réunir en tout temps qui
y faisait construire cette sorte de pavillon
ajouté à la
maison, élevé sur
le toit et ou on se retirait pour se reposer, pour
prier ou pour être seul. On y logeait aussi
les étrangers auxquels on donnait
l'hospitalité
(41). La
chambre haute donne encore aujourd'hui son
caractère distinctif à la maison
syrienne (42).
C'est la chambre à donner, la chambre d'ami
; la vie privée étant murée,
l'hôte se trouve ainsi logé en dehors
de la partie de la maison habitée par le
maître et par les siens. Le pauvre se
contentait d'ordinaire de laisser sa terrasse
découverte, mais le premier luxe que l'on se
donnait était celui d'une chambre haute. La
riche Sunamite en fit une pour Elisée
(43).
C'était la pièce la plus commode de
la maison, parce qu'elle était grande,
comparée aux chambres de l'intérieur
et parce qu'elle était entièrement
indépendante du reste de la construction,
aussi le nombre des usages auxquels elle servait
était-il varié à l'infini. On
y déposait les corps avant l'ensevelissement
(44). C'est
dans une chambre haute que Jésus se
réunit avec ses apôtres pour leur
faire ses adieux, manger la Pâque juive une
dernière fois avec eux et instituer la
sainte Cène. Quant aux repas ordinaires, il
les prenait, sans doute, comme cela se fait encore
aujourd'hui, dans la cour de la maison et en
public. Après la mort de Jésus, les
apôtres logeaient dans une chambre haute
prêtée ou louée par des amis
(45). la
même peut-être que celle où
Jésus-Christ avait institué la
Cène, car ils étaient
étrangers à Jérusalem.
Le mobilier de la maison était
d'une extrême simplicité. Le confort
moderne était absolument inconnu des
orientaux. En général, celui-ci est
d'autant plus grand que le climat est plus
rigoureux; la nécessité de se
garantir du froid et de la pluie oblige l'homme
à construire des maisons solides; et comme
il doit les habiter souvent, il cherche à
s'y rendre la vie agréable.
Les peuples du Nord sont beaucoup plus
confortablement logés que ceux du Midi. En
Palestine, on vit en plein air et la maison de
l'homme du peuple était, au premier
siècle, aussi vide, aussi nue, que celle du
plus misérable Arabe de nos jours. Elle se
composait, avons-nous dit, d'une seule pièce
où tout était réuni : la
cuisine, les tapis sur lesquels on
s'étendait pour dormir, ou le lit, simple
couchette portative
(46), les
instruments de travail du père, sans parler
des bestiaux, qui, parfois, partageaient la chambre
commune. Des nattes et des coussins sur lesquels on
s'asseyait à la mode orientale, quelques
vases d'argile pour les besoins du ménage et
un coffre ou grande armoire complétaient le
mobilier. Dans cette armoire on mettait, durant la
saison chaude. les couvertures et le.; tapis qui
étaient toujours en laine et qu'il fallait
garantir des insectes. « Les vers et la teigne
gâtaient tout » pendant
l'été
(47). En hiver,
c'était à la rouille
(48) » qui
se développait facilement dans ces maisons
sans cave et rongeait les outils du père de
famille. Enfin il fallait se garder des voleurs qui
pouvaient facilement venir « la nuit »,
à. l'heure « où on ne les
attendait pas » et qui « perçaient
» sans difficultés les minces murailles
d'argile séchée
(49). La maison
n'avait point de cheminée, et, quand il
faisait froid, on se bornait à allumer au
milieu de la chambre un grand brasier
(50).
Outre ces objets, chaque maison avait
une lampe, un boisseau, des outres pour le vin, un
balai et un moulin. Il est à remarquer que
ces ustensiles divers sont toujours nommés
dans l'Evangile avec l'article : le chandelier, dit
le Christ, le boisseau
(51). Il n'y en
avait qu'un seul par demeure. Ce chandelier ou
plutôt cette lampe était très
élevée et on la posait à
terre.
Quelquefois on se servait, comme
aujourd'hui, d'une pierre faisant saillie dans le
mur et sur laquelle on la plaçait. La lampe
portait un ou plusieurs becs dans lesquels on
brûlait de l'huile. Celle du pauvre
était d'argile. Le boisseau était
aussi un objet essentiel dans l'humble demeure du
villageois. Il servait de mesure comme son nom
l'indique, mais aussi de tiroir et de sac.
Placé à terre et retourné, il
remplaçait la table absente, et on posait la
lampe « sur le boisseau et non pas dessous
(52). »
Les habitants, assis autour à l'orientale,
voyaient la lumière et « toute la
chambre était éclairée
(53). »
Aujourd'hui encore, le boisseau sert de table et
même de plat, car on y apporte le lait
caillé
(54). Le balai
servait à la femme qui « balayait toute
la maison (55)
», c'est-à-dire l'unique chambre dont
elle se composait, et les outres
(56) de peau de
chèvre servaient à conserver le vin
en lui communiquant ce goût affreux, mais
très apprécié des Orientaux,
et qu'elles lui donnent toujours partout où
on les emploie encore aujourd'hui.
Chaque maison avait un moulin à
bras (57). La
meule intérieure (Pelack) était
immobile et très dure
(58). La
supérieure (Pelach-Récheb)
(59)
était mise en mouvement par une manivelle
assez semblable à celle des moulins à
café de nos jours. Deux vases en pierre
servaient à conserver le grain. Ces usages
n'ont point varié; le moulin à bras
et les deux vases pour le grain font encore
aujourd'hui partie essentielle du mobilier chez
l'Arabe de Palestine.
Tourner la meule était fort
pénible. Parfois on avait une
« meule d'âne
(60) »,
mais, d'ordinaire, la meule était à
la main. Le soin de la tourner était
laissé aux femmes esclaves de la
dernière condition
(61) ou aux
prisonniers
(62). Les
femmes étaient toujours deux ensemble
à la meule, et travaillaient tour à
tour (63).
Souvent, dans la journée, le bruit du moulin
se faisait entendre; il égayait la maison,
et son interruption prolongée était
l'image de la désolation et de la mort
(64).
Il nous reste, pour terminer ce que nous
avons à dire du mobilier, à nommer la
mésusa, que nous décrirons en
détail en parlant de la prière
(65);
c'était une petite boîte
allongée suspendue aux portes des maisons et
des chambres contenant un rouleau de parchemin sur
lequel étaient écrits, en vingt-deux
lignes, deux fragments de la Loi
(Deut., VI, 4-9, et
XI, 13-21),
Nous n'avons point à parler ici
des maisons luxueuses habitées à
Jérusalem par les classes aisées.
L'inférieur de l'habitation du
grand-prêtre, par exemple, ressemblait sans
doute à la maison d'un patricien romain et
de telles demeures ont été souvent
décrites dans des ouvrages spéciaux.
Là il y avait des meubles magnifiques, de
splendides candélabres, des tapis d'Orient
plus beaux encore que ceux de nos jours, des lits
garnis de couvertures, de matelas, de coussins
(66). Ils
étaient en bois de cèdre
(67), et
parfumés
(68). Les sofas
sur lesquels on s'étendait pour les repas
étaient déjà employés
du temps des prophètes
(69). Au
premier siècle, on s'en servait partout
à Jérusalem ; nous allons les
décrire en traitant des repas chez les juifs
du premier siècle.
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