LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE X
LA VIE PUBLIQUE
Les poids. - Les mesures pour
les liquides, - pour les solides. Mesures
de longueur. - La coudée. - Les
monnaies. - La division de l'année,
du mois, - de la journée. - Les
dites des grandes fêtes. - Les
impôts directs et indirects. - Les
publicains. - Les péagers. -
L'impôt pour le Temple. - Les
impôts payés aux
Hérodes.
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La vie publique se passait tout entière
en plein air dans les rues, sur les placés,
et, dans les petites villes, près des
portes, là où se trouvait le puits et
où se tenait le marché. On s'y
réunissait de grand matin ou le soir,
après le coucher du soleil. Dans la
journée la chaleur était trop forte,
du moins pendant la plus grande partie de
l'année. Entrons dans une des grandes villes
du pays, à Jérusalem par exemple. Le
marché s'y tient le matin dans les rues
larges, qui sont les moins nombreuses. Nous l'avons
remarqué en décrivant la Ville
sainte, les boutiques sont en plein air, ce sont
des étalages. Les métiers aussi sont
installés à ciel ouvert. L'atelier
moderne n'existe pas; tout le monde travaille
dehors. Les maisons sont trop petites, trop
inconfortables, trop chaudes pour qu'on s'y tienne
dans la journée. Les anciens même
à Rome et surtout en Grèce et en
Orient, vivaient hors de chez eux. Chacun porte sur
soi le signe distinctif de sa profession. Les
changeurs, ceux par exemple qui se tiennent dans le
parvis du Temple et dont Jésus a
renversé les petites tables,
ont un denier suspendu à
l'oreille (1),
les teinturiers un échantillon
d'étoffe, les écrivains publics une
plume, les tailleurs une aiguille
(2).
Les Juifs ont toujours été
commerçants ; ils avaient le génie
des affaires au premier siècle comme
aujourd'hui. Il suffit, pour s'en convaincre, de
remarquer la place considérable que
Jésus a donnée dans ses paraboles
à la banque, aux talents
(3), aux
économes, aux questions
d'intérêt, de capital, de revenu. Le
Christ se servait de telles comparaisons parce
qu'il savait combien elles étaient
familières à ses auditeurs, et les
Pères nous ont conservé un mot de lui
qui n'est pas dans les Évangiles, mais qui
se rattache au même ordre de pensées :
« Soyez de bons banquiers », disait-il un
jour (4).
Le procédé employé
par les Juifs dans leurs achats nous est
révélé par un passage de la
Genèse
(5). Abraham veut
acheter d'un certain Ephron la caverne de
Macpélah pour y ensevelir sa femme Sarah.
Ephron lui dit « Je te la donne. »
Abraham refuse ce présent et veut payer la
caverne son prix. Ephron refuse encore, mais en
s'écriant « Qu'est-ce que cela ? quatre
cents sicles d'argent. » Abraham comprend ;
Ephron ne refuse que par politesse ; il vient
d'articuler un chiffre. Le patriarche lui compte
les quatre cents sicles et, il les accepte. Eli
bien, aujourd'hui, en plein dix-neuvième
siècle, les Arabes n'agissent pas autrement
dans leurs achats. Ce refus poli, cette indication
du prix donnée par le vendeur qui
s'écrie : « Qu'est-ce que cela ? »
cette prétention qu'il élève
d'abord de livrer sa marchandise pour rien, tout
cela existe de nos jours et se pratiquait
certainement au dernier siècle
(6).
Les poids étaient en pierre et
les marchands les portaient sur eux dans un sac
suspendu à leur ceinture
(7) comme cela se
fait encore en Orient. Des agents de police, sorte
de licteurs (virgiferi),
délégués par le
Sanhédrin, les vérifiaient de temps
autre.
Énumérons les poids et
mesures qui sont mentionnés dans le Nouveau
Testament et commençons par les
liquides.
Il nous est parlé du bath dans
l'Evangile (8)
(en grec Cette mesure fort ancienne, valait
exactement trente-huit litres quatre-vingt-huit
centilitres. C'était le
métrète attique que nomme saint Jean
(9). Les anciens
Hébreux le divisaient en six hin ; le hin
valait donc six litres quarante-huit centilitres ;
il se divisait lui-même en douze
hog, et le hog n'était
autre chose que le des Grecs dont parle saint Marc
(10). (En
latin, sextarius ; en français, setier). Il
valait cinquante-quatre centilitres, un peu plus
d'un demi-litre et se trouvait être la
soixante-douzième partie du bath
(11).
Les Romains se servaient d'une mesure
qui était la moitié du hin des
Hébreux et qu'ils appelaient le conge. Elle
valait trois litres vingt-quatre centilitres et ils
divisaient le conge en six setiers
(12).
Cependant, malgré les assertions de
Josèphe et le mot dans saint Marc, il paraît
évident, d'après de récentes
recherches, que le hin et par suite le setier,
n'étaient plus usités en Palestine au
premier siècle
(13). Cette
mesure (en grec) était
égyptienne.
Les Juifs du temps de
Jésus-Christ avaient adopté une sorte
de système décimal, car ils
divisaient le bath (appelé aussi Epha) en
dix orner (14),
et, pour les mesures supérieures, ils
avaient le chomer qui valait dix baths et le
lethech qui n'en valait que cinq.
Telles étaient leurs mesures pour
les liquides. Quant aux solides, le Nouveau
Testament ne mentionne que le
(15). On n'est
pas d'accord sur la valeur véritable de
cette mesure. D'après des données qui
paraissent exactes, ce corus se divisait en trente
modius valant chacun deux litres vingt-quatre
centilitres environ. Le corus aurait donc
été de soixante-sept litres vingt
centilitres. Mais Josèphe
(16) donne au
corus la valeur de dix médimnes attiques ;
et le médimne. mesure des solides chez les
Grecs, valant cinquante et un litres
soixante-dix-neuf centilitres, le corus aurait
été de cinq cent dix-sept litres
quatre-vingt-dix centilitres. Il y a tout lieu de
croire que c'est Josèphe qui commet ici une
inexactitude dans le désir d'assimiler
entièrement les usages juifs aux usages
grecs.
Pour les longueurs on se servait de la
coudée.
L'ancienne coudée
hébraïque valait cinquante-quatre
centimètres
(17) mais,
pendant la captivité, les Juifs
s'habituèrent à celle de Babylone qui
n'avait que quarante-cinq centimètres. Cette
longueur de la coudée au premier
siècle est généralement
adoptée par tous les critiques et c'est sur
cette base que nous avons calculé en
mètres et centimètres toutes les
mesures données par Josèphe
(18). Il va
sans dire que ce chiffre est
approximatif et que la longueur
exacte à deux ou trois centimètres
près est difficile à
apprécier. Elle l'est d'autant plus que
chaque peuple avait sa coudée :
l'égyptienne valait aussi 450 mill., la
royale 525, l'olympique 402, etc. Chaque
coudée se divisait en deux empans, chaque
empan en six palmes et chaque palme en vingt-quatre
doigts. - La brasse valait quatre coudées.
Les vingt brasses dont parle le livre des Actes des
apôtres représentent donc trente-six
mètres et les quinze brasses trouvées
un peu plus loin par les naufragés
Vingt-sept mètres
(19).
Le chemin sabbatique
(20), qui
était de deux milles coudées, avait
par conséquent neuf cents mètres ou
près d'un kilomètre. Pour les mesures
plus étendues, on avait le stade qui valait,
croit-on, cent quatre-vingt-dix mètres
environ. Emmaüs, qui était à
soixante stades de Jérusalem
(21), en
était donc distant de onze kilomètres
quatre cents mètres.
Sur les monnaies, nous avons des
données talmudiques assez précises.
Comme nous ne parlons que de l'époque
même de Jésus, nous n'avons rien
à dire des monnaies si nombreuses et si
curieuses frappées par les Juifs pendant la
guerre de 66 à 70. Au commencement du
premier siècle, les monnaies proprement
hébraïques dataient du temps des
Macchabées. En outre, on se servait des
monnaies grecques et des monnaies romaines
(22). Mais
l'argent juif pouvait seul être
employé dans le Temple; de là, la
nécessité absolue de changeurs ;
ceux-ci, au lieu de se tenir
hors des portes, s'installaient sans aucun droit
dans la première cour.
Le denier valait quatre-vingt-huit
centimes, c'était le prix de la
journée de travail comme le prouve la
parabole des ouvriers de la onzième heure
(23). La
drachme (24),
monnaie grecque, avait exactement la même
valeur. Elle est appelée zouz dans les
Talmuds (au pluriel zouzim). Ainsi les mots zouz,
denier, drachme, désignent la même
pièce de monnaie; cinquante zouz valaient
deux-cent-trois gr. d'argent
(25). Le stater
(appelé aussi traphik)
(26),
était de toutes les monnaies la plus
répandue, il valait quatre drachmes,
c'est-à-dire trois francs cinquante centimes
environ, on l'appelait aussi sicle d'argent
(27).
Deux drachmes formaient la
didrachme ou demi-sicle (1 fr. 75) et
représentaient l'impôt que tout
Israélite payait chaque année au
Temple (28). Le
sicle d'or avait beaucoup plus de valeur (39 fr.
75). Le denier d'argent
(29)
montré à Jésus-Christ
(30)
était une pièce romaine, car le zouz
juif ne portait pas l'image de l'empereur.
Les monnaies divisionnaires du denier
étaient très nombreuses, La plus
petite était le lèpte
(31) (prutah en
hébreu). Elle ne valait pas même la
moitié d'un centime, mais exactement 0 c.
4575. L'Evangile de Marc dit :
(32) «
Deux lèptes font un
quadrant. » Celui-ci
représentait donc 0 c. 915, ou presque un un
centime de notre monnaie.
Voici comment nous dressons,
d'après les indications très exactes
des Talmuds
(33), la liste
de ces petites monnaies au premier siècle :
le denier : 0,88 cent.; le meah un sixième
de denier ou 14 c. 66; le pondion ou demi-meah 7 c.
33; l'as ou demi-pondion : 3 c. 66; le semisse ou
demi-as : 1 c. 83; le quadrant ou demi-semisse : 0
c. 915; le prutah ou lèpte, demi-quadrant: 0
c. 4575. Huit lèptes faisaient donc un as ;
seize lèptes un pondion; trente-deux
lèptes, un meah ; et six meahs, un denier
qui représentait 192 lèptes ou 96
quadrants.
Le talent
(34)
était une monnaie énorme qui pesait
trente-neuf kilogrammes et valait 5280 francs, ou
soixante mines
(35). La mine,
cent drachmes, ou quatre-vingt-huit francs, et la
drachme, six oboles, etc.
Un grand nombre de monnaies
macchabéennes, celles-là même
que les contemporains de Jésus avaient entre
les mains, sont conservées à la
Bibliothèque nationale, à Paris. De
leur nombre se trouve un sicle d'argent semblable
à l'un des trente sicles que Judas
reçut pour prix de sa trahison
(36). D'un
côté se voit un lis avec l'exergue :
la sainte Jérusalem : de l'autre, un vase
qui représente sans doute une coupe à
parfum ou un encensoir. Au-dessus de ce vase, la
lettre alèph, la première de
l'alphabet hébreu et qui signifie ici an I
(de la délivrance Macchabéenne);
cette pièce a donc été
frappée en 142 ou 141 avant l'ère
chrétienne. Autour du vase on lit ces mots :
sicle d'Israël. Trente de ces sicles valaient
cent cinq francs, puisque le sicle était de
trois francs cinquante centimes. M. Reuss fait
observer (37)
que ce chiffre est trop fort et que, d'après
le poids du métal, trente
sicles ne devaient pas représenter beaucoup
plus de quatre-vingts francs de notre monnaie au
titre actuel. Mais il faut tenir compte de la
valeur relativement élevée de
l'argent à cette époque et,
d'après ce savant, le prix auquel Judas
vendit Jésus équivalait à une
somme de cinq à six cents francs.
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