LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE X
LA VIE PRIVÉE
LES VÊTEMENTS (suite)
Le fard était très
employé par les femmes
(47). Ce fard
(en hébreu Pouch, en latin Stibiwn, en arabe
Chol) servait à noircir les sourcils et les
cils (48).
C'était une poudre faite avec une
matière extraite du plomb. Il était
renfermé dans une corne et on le prenait
avec une aiguille d'argent, d'ivoire ou de bois. On
a trouvé du stibium en Egypte dans les
sarcophages et dans les urnes, ainsi que des
aiguilles d'argent d'ivoire et de bois pour
l'appliquer. Ce fard était certainement en
usage au premier siècle;
et nous savons par Josèphe
(49)
qu'Hérode le Grand se faisait teindre les
cheveux et la barbe et farder le visage. Les femmes
arabes se servent aujourd'hui de la feuille d'un
arbuste qu'elles appellent AI-Kenna (Cyprus en
latin), elles la font bouillir dans l'eau puis la
pulvérisent après l'avoir fait
sécher au soleil. Elles obtiennent ainsi une
poudre d'un jaune foncé qu'elles font
infuser dans l'eau chaude et avec laquelle elles se
teignent les ongles, les paumes des mains et les
cheveux. Il est remarquable que cet arbuste est
précisément nommé dans le
Cantique des cantiques
(50).
L'usage des parfums était
très répandu. Ils étaient
préparés par des parfumeurs ou des
parfumeuses
(51) qui se
servaient d'huiles et d'onguents
(52). Ceux
qu'on brûlait au Temple étaient
fabriqués par les prêtres
eux-mêmes. ils composaient une huile sainte,
dont la base était l'huile d'olive
combinée avec quatre sortes d'aromates :
- 1° la myrrhe franche (celle qui coule
d'elle-même et sans incision) ;
- 2° la cinamome ou cannelle ;
- 3° le roseau aromatique ;
- 4° la casse aromatique. Cette huile
sainte était interdite pour l'usage
ordinaire
(53).
Les parfumeurs employaient pour leurs
préparations l'aloès, le nard, le
safran, le baume
(54). Ces
essences venaient de l'Inde, de l'Arabie et surtout
de Séba, par les Phéniciens
(55). Le
Nouveau Testament parle du nard
(56) et Pline
l'ancien a connu cette racine aromatique
(57); elle
servait en particulier à parfumer le
vin.
On parfumait sa maison, ses
vêtements, son corps, ses cheveux
(58) ; les
femmes portaient habituellement sur elles des
flacons d'essence
(59).
C'était la transpiration et les bains
fréquents qui, en desséchant la peau,
rendaient ces parfums nécessaires. Nous
disons les bains fréquents, car nous n'avons
aucun motif de croire que l'usage des bains ne fut
pas aussi répandu en Palestine que dans le
reste de l'Empire. Sans doute la malpropreté
du Juif, proverbiale aujourd'hui, l'était
déjà au premier siècle
(60), mais il
ne faut pas trop se lier aux rapports des Romains,
toujours enclins à juger les Juifs
défavorablement. La Juiverie de Rome pouvait
être composée de misérables en
haillons, d'une malpropreté repoussante; ce
n'est pas un motif pour qu'il n'y eût pas de
bains publics en Judée, et que l'habitude de
se baigner ne fût pas répandue
à Jérusalem. Si la Bible ne mentionne
pas ces bains publics, les Talmuds en parlent
(61). Il
était interdit de se laver les jours de
jeûne
(62), ce qui
suppose bien qu'on se lavait tous les autres jours.
Le vent d'Est soulève en Palestine des
nuages de poussière et de sable
(63), et les
bains fréquents étaient
nécessités par la santé, sans
parler des lois religieuses qui les ont toujours
ordonnés aux peuples de l'Orient. Manou les
avait imposés aux Indiens. En Egypte, ils
étaient commandés
(64) et les
Musulmans se livrent, ou le sait, à de
fréquentes ablutions.
L'hygiène se rencontre ici avec
la foi religieuse et plusieurs des ordonnances de
Moïse ne sont autre chose que des
préceptes hygiéniques, ayant
revêtu à la longue un caractère
sacré. L'origine du baptême, nous
aurons l'occasion de le remarquer encore, ne doit
pas être cherchée ailleurs, Une
ablution fréquente, nécessitée
par la chaleur du climat, devint peu à peu
un acte de culte, un sacrement. Les
Esséniens ne prenaient-ils
pas des bains sacrés tous
les jours ? et l'Ancien Testament ne parle-t-il pas
souvent de bains pris dans des rivières ou
dans les bassins intérieurs des maisons
(65) ? On se
servait même de savon ou du moins d'un alcali
végétal qui le remplaçait. Le
nitre et la potasse étaient connus des
Hébreux
(66).
Nous ne parlons ici, bien entendu, que
des villes. La malpropreté du paysan arabe
est aujourd'hui effroyable et celle du paysan juif
ne devait pas être moindre ; surtout de celui
qui demeurait loin du lac, ou loin du Jourdain, en
un mot partout où l'eau était
rare.
Il nous reste à décrire
les coiffures. Les Juifs soignaient beaucoup leurs
cheveux. Les jeunes gens les portaient longs et
frisés
(67); les
cheveux touffus et abondants étaient
très estimés
(68). Les
hommes graves et les prêtres les
raccourcissaient de temps en temps, mais fort peu.
La tête chauve était
méprisée ; les enfants s'en moquaient
(69). Les
hommes portaient toute leur barbe et l'oignaient
d'huile. ils ne la taillaient jamais
(70). Les
femmes aimaient avoir, les cheveux frisés
(71) ou bien
les tressaient pour les retenir ensuite avec un
peigne et des épingles
(72). Cet usage
ne semble pas avoir été
général au premier siècle. En
tout cas, il était sévèrement
jugé par les premiers chrétiens qui
défendaient aux femmes de se tresser les
cheveux
(73).
En public, les femmes comme les hommes
portaient toujours et partout le turban. Il est
dangereux, en toute saison, de s'exposer la
tête nue aux rayons du soleil de Palestine et
le turban, coiffure épaisse faisant
plusieurs fois le tour de la tête, est
absolument nécessaire. On
l'appelait en hébreu Sudar
(73b) Sudarium, mouchoir). Il était
blanc, soit en lin, soit en coton. Les rois le.
portaient (74)
comme les hommes du peuple et le béret haut
et pointu que les prêtres s'attachaient sur
la tête
(75),
était une coiffure toute spéciale,
usitée dans le Temple seulement. La
nécessité d'avoir toujours la
tète couverte était telle, que peu
à peu on considéra comme inconvenant
de se la découvrir; ou priait la tête
couverte. Les prêtres, nous venons de le
dire, avaient la tête couverte dans le
Temple, et dans les synagogues les hommes ne se
découvraient jamais. Cet usage subsiste
encore aujourd'hui.
Nous n'avons point parlé du luxe
des vêtements d'hommes, car ce luxe
n'existait pour ainsi dire pas. Ils aimaient
seulement avoir un bâton et un anneau qui
portait un cachet
(76). Cet
anneau se mettait à un doigt de la main
droite et quelquefois on le suspendait à sa
poitrine (77)
avec un cordon ou une chaîne. Le sceau ou
cachet servait de signature
(78). Les
bâtons étaient de plusieurs sortes.
Hérodote parle de ceux des Hébreux de
Babylone et remarque qu'ils avaient tous un
ornement tel qu'une rose, une pomme, une fleur de
lis. C'était donc de véritables
cannes semblables aux nôtres. Elles
étaient indispensables premier siècle
contre les chiens, nombreux dans les campagnes et
toujours à demi-sauvages.
Indiquons ici les signes religieux que
portaient les Pharisiens dévots. Il y en
avait de deux sortes, les Tefillin et les
Tsitsith.
Les Tefillin en grec
(79),
phylactères) étaient de petites
boîtes de métal ou
des bandes de parchemin attachées par des
courroies sur les mains et sur la tête. Elles
renfermaient les passages de la mesusa
(80) et divers
autres encore
(81) sur la
Pâque et sur le rachat des
premiers-nés. Les Musulmans portent aussi
des passages du Coran, gravés sur des
plaques de métal et les Juifs de Palestine
ont encore des phylactères attachés
sur le front et sur les bras
(82).
Les Tsilsith (
83), houppes),
étaient des franges bleues ou blanches
placées aux quatre coins de la robe ou
manteau, d'après un commandement de la Loi
(84). Les
Pharisiens portaient de larges phylactères
et des franges très longues.
Essayons, en terminant ce chapitre, de
nous représenter comment Jésus-Christ
était habituellement vêtu. Il n'avait
ni « le fin lin » ni « les habits
précieux de ceux qui habitent dans les
maisons des rois » ; il n'avait pas non plus
« une robe traînante comme les Scribes
et certains Pharisiens. » Sur la tête,
il portait certainement le turban, la coiffure
nationale, celle de tous ses compatriotes sans
exception. Les peintres commettent une erreur quand
ils représentent le Christ tête nue;
nous l'avons dit, tout le monde avait la
tète couverte
(85). Le turban
du Christ devait être blanc
(86). Il
était retenu sous le menton par un cordon et
il descendait de côté jusque sur les
épaules et sur la tunique. Sous son turban
il portait les cheveux un peu longs et sa barbe
était entière. Sa tunique le vêtement de dessous,
était d'une seule pièce, sans couture
; elle devait donc avoir une certaine valeur
(87). Elle lui
avait sans doute été donnée
par une des personnes qui « l'assistaient de
leurs biens. » Par dessus
il portait le talith un peu large et flottant quand il
marchait (88).
Ce manteau n'était pas blanc, car il devint
blanc à la transfiguration
(89). Il
n'était pas rouge, cette couleur
étant réservée pour le manteau
militaire (90).
Il est possible qu'il fut bleu, le bleu
étant alors très commun, ou, plus
simplement encore, blanc à raies brunes. En
tout cas, Jésus avait, à ses quatre
coins, des tsitsith, ces franges bleues ou blanches
dont nous venons de parler
(91). Ses
chaussures étaient des sandales retenues par
des courroies, nous apprend Jean-Baptiste
(92) et quand il
était en voyage « allant de lieu en
lieu », il portait sans doute une ceinture qui
lui ceignait les reins et un bâton à
la main. Ses apôtres, vêtus comme lui,
l'accompagnaient; un peu plus loin venaient
quelques femmes : « Marie, dite de Magdala ;
Jeanne, femme de Chuza, intendant d'Hérode;
Suzanne et plusieurs autres
(93). »
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