LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE X
LA VIE PUBLIQUE (Suite)
L'année des Israélites avait deux
commencements principaux. L'année
ecclésiastique débutait au printemps;
l'année civile en automne
(38).
Voici ce double tableau
ANNÉE
ECCLÉSIASTIQUE
| ANNÉE
CIVILE
| NOMS
DES
MOIS
| |
1er mois
|
7e mois
|
Nisan
|
Mars-Avril
|
2e mois
|
8e mois
|
Ijar
|
Avril-Mai
|
3e mois
|
9e mois
|
Sivan
|
Mai-juin
|
4e mois
|
10e mois
|
Tammous
|
Juin-Juillet
|
5e mois
|
11e mois
|
Ab
|
Juillet-Août
|
6e mois
|
12e mois
|
Elul
|
Août-Septembre
|
7e mois
|
1er mois
|
Tischri
|
Septembre-Octobre
|
8e mois
|
2e mois
|
Marcheschvan
|
Octobre-Novembre
|
9e mois
|
3e mois
|
Kisleu
|
Novembre-Décembre
|
10e mois
|
4e mois
|
Tebêth
|
Décembre -Janvier
|
11e mois
|
5e mois
|
Schebât
|
Janvier -Février
|
12e mois
|
6e mois
|
Adar
|
Février-Mars
|
Le mois de Nisan était
donc le premier de l'année
ecclésiastique et le mois de Tischri le
premier de l'année civile.
On voit que les mois ne correspondaient
pas exactement aux nôtres. Nisan, par exemple
commençait vers le milieu de mars pour se
terminer vers le milieu d'avril; Ijar, vers le
milieu d'avril pour se terminer vers le milieu de
mai, et ainsi des autres.
De plus ces mois étaient
lunaires, c'est-à-dire que les Juifs
calculaient leur longueur sur la durée de la
révolution de la lune autour de la terre.
et, par conséquent, ils étaient plus
courts que les nôtres, cette
révolution se faisant en vingt-neuf jours
douze heures quarante-quatre minutes trois
secondes, ou vingt-neuf jours et demi à
trois quarts d'heure près.
Le premier jour du mois était
celui où l'on voyait pour la première
fois la nouvelle lune dans les rayons du soleil
couchant. Ceux qui l'avaient aperçue
venaient immédiatement le déclarer au
Sanhédrin qui proclamait le nouveau mois
commencé. C'était ordinairement le
soir du vingt-neuvième jour du mois qui
finissait que ce fait se produisait. Si, par
hasard, le soir de ce vingt-neuvième jour la
lune n'avait pas été vue, alors le
mois durait un jour de plus, soit trente
jours, et, le lendemain soir,
commençait de droit le nouveau mois, car au
bout de trente jours, l'observation était
inutile; on était certain que la lune
était nouvelle. Les mois se trouvaient donc
ainsi tantôt de vingt-neuf jours,
tantôt de trente, suivant que l'observation
était faite ou non le soir dit
vingt-neuvième. Les mois de vingt-neuf jours
étaient appelés mois
caves; ceux de trente jours
étaient des mois pleins. Le mois nouveau, on
le voit, commençait en tout cas le soir
à la nuit tombante, et, de là, venait
l'usage invariable des Juifs de compter les
vingt-quatre heures d'une journée d'un
coucher de soleil à l'autre et non pas,
comme nous, de minuit à minuit
(39). Le
premier jour du nouveau mois, on
célébrait la néoménie,
fête de la nouvelle lune
(40).
L'année se composait donc de mois
tantôt de vingt-neuf jours, tantôt de
trente jours, en nombres inégaux. Quand elle
était finie, on était, en tout cas,
en retard, même en supposant une
majorité de mois de trente jours, car il en
faut de trente et un, et il n'y en avait pas Lin
seul. Voici comment on complétait
l'année : Les fêtes de la Pâque,
de la Pentecôte, des Tabernacles, etc., outre
les faits religieux qu'elles commémoraient,
se rattachaient aussi à certains
phénomènes agricoles. La Pâque
devait concorder avec le début de la
moisson; la Pentecôte avec la fin; les
Tabernacles se célébraient à
la clôture de toutes les récoltes.
Moïse avait dit : « le mois de la
Pâque, qui sera le premier de l'année
(41), sera
aussi le mois des épis (Abib)
(42) »; et
dans les Talmuds nous lisons ceci :
(43) « La
moitié de Tischri, tout le mois de
Marschechvan et la moitié de Kisleu se font
les semailles; la moitié de Kisleu, tout le
mois de Thebéth et la moitié de
Schebat c'est l'hiver; la moitié de Schebat,
tout le mois d'Adar et la moitié
de Nisan c'est la fin de
l'hiver; la moitié de Nisan, tout le mois de
Ijar et la moitié de Sivan on fait la
moisson, la moitié de Sivan, tout le mois de
Tamouz et la moitié d'Ab c'est
l'été; la moitié d'Ab, tout le
mois d'Elul et la moitié de Tischri c'est la
canicule. » - Le Sanhédrin, quand
l'année ecclésiastique était
finie, se rendait compte approximativement des
erreurs commises par l'état des
récoltes et par la température. Les
orges devaient être les premiers épis
mûrs, et il fallait que la lune de Nisan
coïncidât avec leur maturité. Si,
à la fin du mois d'Adar, la
végétation était
retardée, s'il faisait froid, et si la
maturité des orges demandait encore un mois
environ, le Sanhédrin ajournait d'un mois le
commencement de Nisan, et il créait un mois
intercalaire qui suivait le mois d'Adar et que l'on
appelait Veadar (second Adar). L'année se
trouvait être alors de treize mois et
comptait environ trois cent quatre-vingt-quatre
jours.
Le mois de Nisan ainsi fixé, la
Pâque commençait le quinze et durait
jusqu'au vingt et un. La Pentecôte se
célébrait juste le
cinquantième jour après le seize
Nisan. Si Nisan et Ijar étaient, tous les
deux, mois caves, la Pentecôte tombait le
sept de Sivan; si, au contraire, ils étaient
tous les deux pleins, la Pentecôte se
célébrait dès le cinq; et le
six, si de ces mois l'un était cave et
l'autre plein. Le doute qui subsiste toujours
à cet égard oblige les chronologistes
à ne jamais fixer les dates qu'à un
ou deux jours près. Nous enverrons des
exemples quand nous essayerons de donner la
chronologie de la vie de Jésus
(44).
Le grand jour des expiations ou le
Jeûne se célébrait le 10 de
Thischri; le 15 de ce même mois
commençait la fête des Tabernacles qui
durait sept jours. Ajoutons-y la Dédicace ou
commémoration de la Restauration du Temple
par Judas Macchabée, qui était
fêtée le 25 Kisleu, et les Purim ou
souvenir de la délivrance des Juifs au temps
d'Esther, qui était fixé au
14 ou au 15 d'Adar. Nous
reparlerons plus loin de ces fêtes
(45).
Quant à la journée, elle
était divisée en heures comme la
nôtre et on se servait probablement de
sabliers et de clepsydres, quoique ni
Josèphe ni les Talmuds ne nous en parlent.
Elle commençait, avons-nous dit, le soir au
coucher du soleil, ou plus exactement à -
six heures. La nuit était divisée en
quatre parties ou veilles; de six heures à
neuf heures, c'était le soir; de neuf heures à minuit, le
milieu de la nuit ; de minuit à trois heures, le
chant du coq de trois heures à six heures du
matin, le matin (46).
Les heures se comptaient à partir de six
heures, soit du matin, soit du soir; sept heures du
soir était la première heure de la
nuit; sept heures du matin la première heure
du jour; neuf heures du matin était la
troisième heure du jour
(47); midi, la
sixième
(48) trois
heures de l'après-midi
(49), la
neuvième, etc.
Nous terminerons ce chapitre par
quelques détails sur les impôts. Ils
étaient de deux sortes : l'impôt
dû à l'étranger et
l'impôt pour le culte. Celui que
l'étranger exigeait et dont
l'établissement était récent,
jouait un rôle important dans la vie du Juif.
Il soulevait en lui un sentiment profond de
révolte ; il entretenait sa haine, car il
était la preuve palpable de sa servitude.
« Devons-nous payer le tribut à
César, oui ou non? » Celte question,
sans cesse posée, équivalait à
celle-ci: devons-nous nous soulever? Pourquoi donc
l'étranger, après s'être
emparé de notre pays, nous demande-t-il de
l'argent ? Payer, c'est reconnaître son droit
; c'est être infidèle à la
cause de Jéhovah. Nous sommes le peuple
élu, nous devons être libres. - Nous
avons dit quelle haine de l'étranger animait
les Juifs, l'horreur que leur inspiraient les
légionnaires qu'on
rencontrait partout, l'effervescence des
esprits.
Le secret de ces passions s'explique par
l'impopularité de l'impôt. Un bon
patriote ne le donnait qu'en protestant. Judas le
Gaulonite se souleva pour ne pas le payer, et l'un
des reproches faits à Jésus-Christ
était celui-ci : il va avec les publicains,
avec les receveurs d'impôts
(50), il
consent donc à payer le tribut. «Votre
maître ne paie-t-il pas le tribut? »
demanda-t-on un jour à un des apôtres
(51), Cette
question est des plus naturelles, on supposait
Jésus opposé à
l'impôt.
Il avait pour base le recensement de la
population ; aussi ces dénombrements
étaient-ils détestés, et quant
aux « publicains », aux receveurs, ils
formaient une classe de parias abhorrés. On
appelait publicain Lin employé de bas
étage chargé de recueillir l'argent
de l'impôt. Il était au service des
fermiers généraux, gros personnages
qui vivaient de leurs déprédations,
après que les publicains avaient
eux-mêmes retenu sur leurs perceptions un
droit exorbitant. Les Talmuds se font souvent
l'écho du mépris inspiré par
les publicains. On n'acceptait pas leur
témoignage en justice. «Quand les
Rabbins virent que les publicains exigeaient trop,
ils les repoussèrent »
(52),
c'est-à-dire ils ne furent plus admis
à porter témoignage. « Parmi
ceux qui ne peuvent pas juger et dont le
témoignage ne peut être entendu, il
faut compter les exacteurs et les publicains
(53). » Le
traité Nedarim
(54) met sur le
même rang les publicains, les sicaires et les
voleurs.
Dans les Évangiles, les
publicains sont souvent nommés à
côté des pécheurs et des
païens. « Qu'il soit pour toi comme un
publicain et un païen »
(55), dit un
jour Jésus, et ailleurs nous lisons : «
Les publicains et les pécheurs
s'approchaient de lui
(56). » Il
faut entendre ici par pécheurs non pas ceux dont la vie était
immorale, mais simplement ceux qui n'acceptaient
pas les règles pharisiennes et
n'accomplissaient pas exactement tous les rites.
Ils étaient considérés comme
païens ; ils vivaient à la
païenne, ils étaient «
pécheurs comme les païens
(57). » Il
est probable que les publicains n'avaient pas plus
de droits que les païens et que le parvis des
Gentils leur était seul accessible. La
parabole du Pharisien et du publicain ne nous
fournit aucune indication à cet
égard, car si celui-ci se tient « loin
», c'est plutôt par humilité que
par nécessité.
Les impôts étaient de deux
sortes comme les nôtres, directs et
indirects.
L'impôt direct était
payé aux agents du fisc impérial et
ne passait pas par les mains des publicains. Il y
en avait deux, l'impôt foncier et
l'impôt personnel
(58). Ce
dernier était probablement d'un denier par
tête
(59).
Les publicains touchaient les
impôts indirects, c'est-à-dire les
redevances perçues sur les marchandises
importées et en partie aussi sur les
marchandises exportées
(60).
Il y avait, bien entendu, une
hiérarchie entre les publicains.
Zachée était (61)
(chef des publicains). Nous pouvons donc distinguer
le fermier général, qui était
chevalier romain et auquel était
affermée la totalité des impôts
de la province pour un certain nombre
d'années (cinq d'ordinaire), au-dessous de
lui les publicani majores, chefs des
péagers, au nombre desquels était
Zachée. Ils touchaient les impôts pour
le peuple romain. Enfin, sous
leurs ordres, venaient les publicani minores, les
péagers proprement dits (exactores,
portitores, visitatores), dans le Nouveau Testament
(62)). Ils
visitaient les marchandises et touchaient les
péages sur les routes et les ponts.
Nous lisons dans Maïmonide : «
Il faut tenir le publicain pour un voleur, quand il
est païen. » Ce dernier trait montre que
les publicains n'étaient pas tous
païens et qu'il se trouvait des Juifs pour
accepter ces fonctions. Nous savons, du reste, que
Zacchée était Juif. Ces publicains
nationaux n'étaient pas toujours des
exacteurs et la tradition rabbinique parle de l'un
d'entre eux qui avait laissé un souvenir
bienfaisant. « Le père de R. Zeira fut
loué parce qu'il avait été
doux et honnête dans sa charge de publicain.
Il exerça le publicanat pendant treize ans
et, quand le fermier général arrivait
dans une ville, il avait coutume de dire : allez
dans vos chambres vous cacher, de peur qu'il ne
vous voie et que, remarquant votre grand nombre, il
n'augmente le cens annuel. »
L'impôt religieux payé pour
le culte et pour le service du Temple était
de deux drachmes
(63) (1fr. 75
c. environ). Il était dû par tout
Israélite qui avait atteint l'âge de
l'initiation religieuse (10 à 12 ans) ;
c'était le Sanhédrin qui avait
décidé que les dépenses du
sacrifice quotidien supportées par le
trésor du Temple seraient couvertes par un
impôt
(64).
Cette didrachme était
perçue en Palestine le 15 du mois d'Adar et,
dans les pays situés au delà du
Jourdain, un peu avant les Tabernacles ; partout
ailleurs, là où il y avait des Juifs,
à n'importe quelle époque.
Le mois d'Adar correspond en partie
à notre mois de Mars or, il est très
difficile de dater de ce moment le fait
rapporté par saint Matthieu
(65). Il se
placerait beaucoup plus aisément
entre Avril et Octobre
(66) ; mais il
faut remarquer que la réclamation est faite
à Jésus au retour de son voyage
à Césarée de Philippe ; il
était en retard pour l'acquittement du
tribut.
Nous avons parlé de l'impôt
direct payé aux agents du fisc
impérial. Il n'était perçu par
eux que là où le procurateur
gouvernait. Dans les tétrarchies il
était payé aux Hérodes. Nous
savons que sous Archélaüs la
Judée, l'Idumée et la Samarie
rapportaient six cents talents environ par an
(trois millions cent soixante-huit mille francs).
La Galilée et la Pérée
rapportaient sous Antipas deux cents talents (un
million cinquante-six mille francs). Enfin la
tétrarchie de Philippe ne rapportait que
cent talents (cinq cent vingt-huit mille francs).
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