LA PALESTINE AU TEMPS DE
JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE XII
LES VOYAGES
Les Orientaux ne voyagent pas pour s'instruire ;
ils voyagent pour leurs affaires et presque
toujours dans un but intéressé. Les
Juifs du premier siècle se
déplaçaient souvent pour des motifs
exclusivement religieux, par exemple lorsqu'ils se
rendaient à Jérusalem pour y
célébrer les fêtes. Ils
formaient alors des caravanes et chantaient en
chemin les psaumes des pèlerinages (Psaumes
CXX à CXXXV).
Il est parlé de routes dans
l'Ancien Testament
(65) ; on les
appelle « Chemins du roi » ou «
Routes royales ». Du temps de Josèphe,
il y avait en Palestine des chaussées
très anciennes, pavées de. basalte ou
de pierres noires et dont on attribuait la
construction à Salomon. Le nombre de ces
grandes routes était sans
doute considérable. Nous en connaissons six.
Quatre d'entre elles partaient de Jérusalem
:l'une, vers le N.-E., allait en
Pérée en passant par le mont des
Oliviers, Béthanie, le désert,
Jéricho et le Jourdain. Il suffit d'indiquer
les localités qu'elle traversait pour
comprendre que Jésus l'a souvent suivie. Il
en est de même de la seconde au nord de la
ville et qui se dirigeait vers la Galilée en
passant par Sichem et Samarie; elle continuait
ensuite jusqu'à Damas et en Syrie. Cette
route, fort importante venait d'Egypte. Quiconque
n'avait pas d'objection à traverser la
Samarie, la suivait en partant de Jérusalem.
Jésus la prit certainement le jour où
il dut passer par cette province
(66).
C'était une voie romaine, pavée, que
les voyageurs suivent encore aujourd'hui et dont
les restes sont fort bien conservés, Il
suffisait d'une journée de marche pour aller
de Jérusalem à Sichem, aujourd'hui
Néapolis.
La troisième route n'était
que la première partie de celle que nous
venons d'indiquer. Au sud de la ville sainte, elle
venait d'Égypte en passant par Gaza et par
Hébron. Un embranchement de cette voie
importante partait d'Hébron et allait
directement vers le Midi par le désert
jusqu'au golfe Elanitique.
Enfin la quatrième route
était à l'Ouest et allait à
Joppé et, à la mer. Les deux autres
grandes voies qui nous sont connues étaient
celle d'Acco (Saint-Jean-d'Acre) à Damas,
elle traversait la plaine d'Esdrelon, le Jourdain
près du lac et l'Antiliban et celle qui
longeait la côte d'Acco à Gaza et de
là en Égypte.
Le Jourdain se traversait en bac aux
rares endroits où il n'était pas
encaissé entre deux falaises de rochers, par
exemple à Béthabara (maison de
passage), là où Jean baptisait
(67). On le
passait aussi à pied quand il était
guéable. Nous avons dit qu'un seul pont le
traversait, le pont des fils de Jacob, construit
par les Romains
(68).
Les chapitres de l'Évangile,
où il nous est raconté que
Jésus envoya ses disciples en mission, nous
donnent de précieux détails sur les
moeurs des Juifs en voyage, détails
confirmés par les Talmuds.
Le voyageur se servait d'une ceinture
(69), et cela
dans un double but, « ceindre ses reins »
(70), relever
les longs plis de sa robe flottante qui auraient
entravé sa marche, et porter son
argent.
On y mettait, en effet, de l'or, de
l'argent et de la menue monnaie
(71). Les
dévots ne parlaient pas sans emporter le
livre de lit Loi. « Quelques Lévites
partirent un jour de Zoar, la ville des palmes ;
l'un d'eux tomba malade en route et les autres le
menèrent à l'hôtellerie.
À leur retour, ils s'informèrent de
leur collègue. « Il est mort, leur
répondit l'hôtesse, et je l'ai
enseveli. » Puis elle leur apporta son
bâton, sa besace et le livre de la Loi qu'il
avait dans la main
(72).
»
La besace ou sac de voyage
(73)
ressemblait sans doute au sac que les bergers
d'aujourd'hui portent à leur cou et
où ils mettent leur nourriture
(74).
Les sandales que Jésus recommande
à ses apôtres de ne pas prendre
(75)
étaient des sandales de rechange, une
seconde paire dont on se munissait par
précaution. On prenait aussi souvent une
tunique de rechange.
L'huile et le vin, les
médicaments les plus employés,
faisaient toujours partie du bagage du voyageur et
il est probable que Jésus et, les
apôtres en portaient habituellement avec
eux.
Jésus ordonne à ses
disciples de ne saluer personne en chemin. Cet
ordre vient sans doute de la longueur
interminable des salutations en
Orient. Les apôtres y auraient passé
trop de temps et le mot de Jésus revenait
à dire : Ne perdez pas votre temps en
voyage.
Souvent on se prosternait jusqu'en
terre, parfois on vous embrassait les genoux ou les
pieds. « Un homme s'approchant., dit un des
Talmuds, baisa les pieds de Rabbi Jonathan
(76) ».
«Nous lisons encore ceci : « Quand Rabbi
Aquiba, absent depuis douze ans, revint près
de sa femme, celle-ci se jeta sur sa face et lui
baisa les genoux. Il entra dans la ville et, son
beau-père, qui ne le reconnaissait pas, mais
qui comprenait qu'il était un éminent
Rabbi, se jeta sur sa face et lui baisa les genoux
(77).
»
D'après le Nouveau Testament, on
disait (78)
(salut) ou (79)
(la paix soit avec vous, avec toi). Le premier de
ces mots correspond au : Marhaba (largeur, que
votre coeur soit au large) des Arabes modernes, et
le second au Schalôm ou au Selàm
Alèk des Talmuds (la paix sur toi)
(80). De plus,
on aimait beaucoup à se parler en voyage.
Rencontrait-on un Samaritain, un Païen, on lui
lançait immédiatement quelques
injures, quelques malédictions.
L'étranger était-il un ami, un
compatriote, on se faisait des compliments, «
on se bénissait. » Une phrase
très usitée était : «
Bénie soit ta mère » ou «
Maudite soit ta mère », suivant que
l'on avait affaire à un ami ou, à un
ennemi. C'est ainsi qu'une femme s'écrie un
jour devant Jésus : « Heureux le sein
qui t'a porté et les mamelles qui t'ont
allaité. »
(81)
Le Nouveau Testament parle
d'hôtellerie dans la parabole du Bon
Samaritain et les Talmuds aussi dans l'histoire du
Lévite malade que nous citions tout à
l'heure. Ces établissements
étaient très rares
et il n'y en avait que dans les endroits
écartés. D'ordinaire, le voyageur
logeait chez l'habitant et l'hospitalité, la
première des vertus antiques, était
largement pratiquée chez les Juifs. Nous
nous représentons Jésus dans ses
voyages reçu partout où il entre. Sur
le seuil de la porte, il prononce le Schalôm
ou Selâm, c'est-à-dire le souhait de
bonheur; on l'entoure, on l'écoute, on lui
donne de l'autorité même sans le
connaître, car l'hôte prenait parfois
plus d'autorité que le maître de la
maison lui-même. Cette habitation du village,
où l'étranger est descendu, attire
aussitôt l'attention; les enfants s'y rendent
par curiosité ; l'usage de répandre
un parfum sur les pieds de l'hôte pour lui
faire honneur et de briser le vase est partout
pratiqué
(82) ; les
portes restent ouvertes, chacun peut entrer,
assister au repas qui se prend d'ordinaire en plein
air et écouter l'enseignement de celui qui
reçoit l'hospitalité et que, pendant
son séjour, on appellera le Maître.
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