Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Un Gagneur d'Âmes:
CÉSAR MALAN

PREMIÈRE PARTIE: CÉSAR MALAN ET L'EGLISE DU TÉMOIGNAGE

CHAPITRE PREMIER
ITINÉRAIRE SPIRITUEL DE CÉSAR MALAN

Le cadre d'une vie 
Une visite à la Genève protestante s'imposait à l'auteur de cet ouvrage : on comprend mieux une vie lorsqu'on peut la situer dans son cadre; l'histoire s'anime et le lointain passé devient un vivant présent, Notre itinéraire nous ménageait une halte sur la promenade de la Treille, antique rempart qui s'accote à la vieille cité et d'où le regard domine toute la douce plaine où la Suisse rejoint la France. « C'est ici, me dit alors mon aimable guide, un pasteur de Genève, que les Genevois venaient attendre et accueillir les réfugiés huguenots. »...

La cité du Reguge
Je vis alors, en esprit, les vagues successives de ces huguenots traqués à cause de leur foi et qui, fuyant leur patrie charnelle, venaient s'abriter dans la patrie spirituelle qui s'offrait généreusement à eux... Et dans l'une de ces vagues, j'imaginais Pierre Malan, chef de la famille et arrière-grand-père de César Malan, venu de Mérindol; sa femme, une Bessau, jeune fille réfugiée du Vivarais; les Prestreau, réfugiés du Gard, dont une fille devint la mère de César Malan... Et derrière eux, dans la brume des plaines et du passé, j'entrevoyais les routes diverses par où ces trois branches de huguenots français convergèrent vers un point commun : la terre du Refuge,

Ancêtres vaudois de provence
Là-bas, au sud, au pays où chantent les cigales, au pied des derniers contreforts alpestres du Lubéron, s'accrochent les vieux villages témoins du martyre des Vaudois, Mérindol, Cabrières, vingt autres bourgs : c'est la Provence, mais une Provence à lame joyeuse et sérieuse à la fois, tendre dans sa gaîté à cause de ses souffrances passées, et dont les fils affirment des qualités de ressort, d'élasticité, d'imagination. Sur ce fond provençal, s'étaient greffées ces qualités d'endurance et de simplicité qui caractérisaient les Vaudois émigrés dans cette vallée.

Gens paisibles, artisans, bergers, agriculteurs, ils étaient établis dans cette partie de la Provence depuis le XIIIe siècle.
« Étrangers à toute spéculation mystique ou philosophique, nous dit d'eux l'historien Schmidt, ne songeant qu'à pratiquer le christianisme dans sa plus sévère simplicité, ne connaissant d'autre autorité que celle de l'Écriture, mais ne se hâtant pas de rejeter ce qu'ils n'avaient pas suffisamment examiné, les Vaudois, seuls de tous les hérétiques de ces siècles, ont possédé des principes de progrès et de durée. »

Ces principes s'incarnèrent dans la formation de leur littérature religieuse. Ils furent ainsi les initiateurs de traités en vers et en prose, du premier catéchisme pour enfants par demandes et réponses.
« Longtemps ignorés, ils n'excitaient ni la cupidité des prêtres, ni la colère des grands, et les gentilshommes dont ils augmentaient les revenus les couvraient de leur protection. » Mais, lorsqu'en 1530, ils entrèrent en relation avec les Réformés et reconnurent en la Réforme une soeur de leur propre communion, ils attirèrent sur eux la haine du haut clergé romain. Et un arrêt impitoyable du Parlement d'Aix les livra, en 1535, aux plus féroces persécutions. Surpris dans leurs travaux paisibles, ils furent traqués comme des bêtes fauves, massacrés sans pitié, leurs maisons brûlées, leurs moissons arrachées. Un aussi grand nombre périrent dans leurs retraites des bois et des montagnes. Les plus jeunes furent envoyés aux galères. Quelques-uns parvinrent à gagner les frontières de la Suisse.

Le nom des Vaudois disparut presque entièrement de la Provence. Pas assez cependant pour empêcher les Réformés d'y reparaître au XVIIe siècle et d'y célébrer leur culte sur les terres des seigneurs ecclésiastiques. Une réaction nouvelle s'exerça en 1663 par la destruction des temples de Mérindol, Lourmarin, Cabrières et autres lieux de Provence. Bientôt, les dragons du Comte de Grignan, gendre de la légère et spirituelle marquise de Sévigné, provoquèrent, dans ce faible reste de réformés, ou l'apostasie des lèvres, ou la fuite pleine de périls. Ceux qui n'échappaient pas par ces deux avenues aboutissaient aux galères ou à la réclusion.

Ancêtres Vivarais
C'est par une voie identique que la jeune Vivaraise qui devint la femme de l'ancêtre Pierre Malan avait été conduite des montagnes du Vivarais au bord du lac de Genève. Sur la rive droite du Rhône, faisant presque face au paysage évoqué plus haut, se groupaient, sur les pentes des Cévennes du Haut-Languedoc, d'importants centres huguenots : peuples de montagnards, endurcis aux fatigues et aux privations, prompts aux élévations mystiques et aux explosions de prophétisme, mais qui surent aussi combattre vaillamment pour leur foi ou souffrir pour elle avec constance : le Vivarais, qui connut les rigueurs sans pitié des armées du pouvoir royal persécuteur, avait à son honneur fourni les plus forts contingents de martyrs, de prisonniers et de galériens protestants. C'est tout cet héroïsme et toutes ces souffrances qu'exprimait ce verset de la Complainte de l'Eglise affligée (écrite en 1698 par un inconnu) (1) :

Nos filles dans les monastères,
Nos prisonniers dans les cachots,
Nos martyrs dont le sang se répand à grands flots,
Nos confesseurs dans les galères,
Nos malades persécutés,
Nos mourants exposés à plus d une furie,
Nos morts traînés à la voirie,
Te disent nos calamités…..

Ceux ou celles qui avaient réussi à s'échapper ou qu'on avait, enfants, soustraits à ces douleurs par l'exil, portaient la marque indélébile des souffrances d'une longue lignée d'aïeux indomptables.

Ancêtres Languedociens
De semblables caractères avaient mis leur empreinte sur les Prestreau, dont une descendante devait épouser le père de César Malan. Ils étaient venus de Nîmes, capitale protestante et protestataire, point de jonction du Haut et du Bas-Languedoc, dans ce passage de larges plaines où la Provence vient s'insérer par-delà le Rhône, au franc Midi. Nîmes, « ville tourmentée de théologie et obsédée de mistral », qui commande les plaines où les Camisards cévenols infligèrent souvent de cuisantes défaites aux armées du Roi persécuteur. Tête de pont de ce Languedoc remuant dont un écrivain catholique, descendant d'un héroïque pasteur du désert, a pu dire : « C'est la gloire du Languedoc d'avoir exalté les grossières querelles jusqu'à la métaphysique. Ici, comme partout, le sang a coulé. Mais l'holocauste n'était pas pour le vin, la laine, la viande, mais pour l'esprit. » (2). La lumière y est aveuglante et oppose sans pitié les ombres à la clarté : de même, dans l'âme du Languedocien huguenot, il n'y avait pas de repli secret pour quelque demi-teinte, quelque réticence à la foi : l'on était pour une pleine acceptation ou un plein refus, l'acceptation équivalant parfois à un arrêt de mort prononcé sur soi-même. Attitude ainsi définie par une lettre du pasteur Antoine Court : « Quand je parle de l'esprit du Désert, j'entends par là un esprit de mortification, un esprit de réflexion, d'une grande sagesse et surtout de martyre, qui, nous apprenant à mourir tous les jours à nous-mêmes, à vaincre et à surmonter nos passions avec leur concupiscence, nous prépare et nous dispose à perdre courageusement la vie dans les tourments et sur un gibet, si la Providence nous y appelle. »

Cette sévérité envers soi comportait parfois l'intransigeance envers les autres, et, à beaucoup de temporisateurs, ce comportement donnait le frisson que cause une lame tranchante à l'épiderme qu'elle approche.
Mais, dans ces âmes aux vives arêtes, aux confessions bourrues, aux aspects austères, se cachaient des trésors de tendresse, de délicatesse de sentiments. Et s'il est vrai de dire de ce terroir « qu'il est de son destin de nourrir à la fois l'olive et le laurier, de donner l'huile la plus douce à cillé du laurier le plus amer », on peut dire des âmes huguenotes qui le peuplaient, qu'elles savaient offrir, à côté d'une certaine violence dans la profession de leur foi, une surprenante douceur dans l'exercice de leur charité. Quelque chose de ce contraste avait donc émigré avec l'âme des Prestreau exilés. Ajoutons à cela une certaine intelligence pratique, un regard avisé sur les situations et les hommes qui les gardaient de se perdre dans les nuages du mysticisme ou de s'abandonner à la légère au cours des choses ou au gré des êtres.

C'est de cette convergence de trois tempéraments divers que devaient jaillir les traits caractéristiques de la personnalité de César Malan.
Mais, avant de nous arrêter devant elle, disons un mot du lieu où ces trois lignées avaient abouti : la Genève du refuge, le creuset où allait s'opérer l'amalgame.

Genève au XVIIIe siècle
La Genève du XVIIe siècle finissant avait été le théâtre de bien des luttes intérieures : querelles entre les citoyens et les bourgeois, membres de l'État, et les natifs tenus en dehors et revendiquant des droits; querelles du haut et du bas, de patriciens et de plébéiens, renouvelées des Grecs et des Romains. C'était là les secousses normales d'une Cité républicaine fondée sur une aristocratie orthodoxe et bourgeoise jusqu'au moment où la Révolution française l'engloba. Et dans l'Eglise de Genève même, on retrouve trace de ces luttes. Réaction de la masse populaire contre les tendances aristocratiques de la Compagnie des Pasteurs et les manières hautaines d'une certaine société.

Au début de ce siècle, le climat théologique s'était adouci sous l'influence du professeur et prédicateur Jean-Alphonse Turrettini que ses nombreux voyages en Europe avaient incliné à la modération, à la tolérance : « Il sut, dit Sainte-Beuve, intervertir habilement l'ordre calviniste, en faisant passer la morale avant le dogme, en posant en principe qu'on ne doit jamais porter en chaire ces questions qui sont controversées entre les protestants d'une cité, parce qu'elles surpassent la portée du peuple, et de l'autre, parce qu'elles ne contribuent en rien à avancer la sanctification des âmes. » Et le même observateur psychologique ajoute : « Il contribua à fixer pour un long temps cette température religieuse et morale dans laquelle on respira désormais plus librement... » Mais cette tentative de réformation, qui se concrétisa surtout dans l'abandon de la confession de foi et du catéchisme de Calvin, portait plus sur l'extérieur que sur l'intérieur. Elle visait plus les formes que la vie intérieure; elle était plus « affaire de raisonnement que réveil de la piété » (Doyen Maury).

Le passage des deux météores sceptiques du XVII° siècle, Voltaire et Rousseau, ajouta bientôt à la perturbation de cette Genève qui, jusque-là, ne s'affranchissait qu'avec timidité et crainte de la vieille emprise calviniste. Tandis que la Compagnie des pasteurs rejetait le Catéchisme de Calvin, la haute société adoptait l'ironique scepticisme de Voltaire, la bourgeoisie et le peuple se grisaient du catéchisme « savoyard » de J.-J. Rousseau.

Les réactions extérieures du corps pastoral contre les jugements de d'Alembert ou les écrits de Rousseau étaient pratiquement annihilés par le vide des prédications, la stérilité du christianisme raisonnable, du rationalisme qui est l'aboutissement négatif d'une réformation sans l'Esprit. Ainsi, se présentait l'atmosphère religieuse de Genève quand apparurent, au début du XIX° siècle, les premiers symptômes de ce Réveil auquel César Malan devait bientôt prendre une part active.

Genève de toujours
Sans doute, cette physionomie passagère de Genève, ces traits momentanés que lui imprimait le XVIII° siècle, ne suffisent pas à dépeindre l'atmosphère propre à la Cité du Refuge, à définir l'esprit de la patrie d'emprunt des ancêtres de Malan.

La Genève calviniste
Cité-creuset, avons-nous dit : quels sont donc les courants qui y maintiennent le climat propre aux amalgames ? « La Citadelle mystique accueille les proscrits de la foi, quels que soient leur idiome et leur origine, elle les adopte, elle les éduque par le temple et par l'école, et elle les prépare à évangéliser le monde... Évadés de Lucques ou de Florence, de Provence, du Languedoc... elle les entasse dans ses ruelles montantes, dans ses hautes maisons surélevées d'étage en étage, elle les met à l'imprimerie - des centaines de typographes multiplient les traités en toutes langues -... ; elle rassemble leurs ferveurs en une doctrine, elle les discipline et les exalte, leur inculque, non un patriotisme de clocher, niais un message universel. » (3).

Politiquement, c'est une patrie charnelle que la dictature théocratique de Calvin a accoutumée à penser et agir en fonction de la Jérusalem céleste, de la patrie spirituelle qui domine toutes les patries d'ici-bas. La notion du temporel y prend donc un caractère très marqué de relativité. C'est le Conseil de cette Cité qui a inscrit en 1512, au Registre de ses délibérations, cette fière déclaration :« Il vaut mieux vivre libres et pauvres que riches et assujettis au joug de la servitude. »

Indépendance et discipline; spiritualité et sens du réel ; recueillement et expansion ; soif de connaître et soif de propager. La vieille Cité calviniste ignore le mysticisme figé dans la contemplation passive : elle a habitué les siens à l'action et à la responsabilité. « Par un de ces fréquents paradoxes spirituels, de même que la thèse écrasante de la prédestination a suscité à Genève des énergies sans défaillance..., de même la doctrine de la justification par la foi y a été féconde en oeuvres (4).

Quand les proscrits de la foi franchissent ses portes, ils respirent une atmosphère qui, tout en apaisant leurs douleurs, les sollicite irrésistiblement à reprendre leur tâche de témoins, de soldats de Dieu sur la terre. Le combat, rompu sur le plan charnel, doit reprendre sur le plan de l'esprit ;«la Cité de Refuge demeure « une forteresse pleine de missionnaires ».

Des réfugiés à la cité de Refuge, nous avons ainsi parcouru l'itinéraire spirituel dont la ligne traversera l'âme de César Malan

L'apport des pères...
Qu'on ne nous accuse pas de déterminisme, de donner aux hérédités ou au milieu une influence exagérée ou fausse sur une personnalité. Le chrétien ne se fait pas tout seul et le Saint-Esprit, en s'emparant d'une âme pour y instaurer la royauté de Christ, ne saccage pas ou ne méprise pas arbitrairement les avenues qui mènent du centre d'une personnalité aux limites de l'être et de ses possibilités. Ôtez l'école de Tarse et le rabbinat de la vie de saint Paul, et le Saint-Esprit vous donnera la simple et bienfaisante Épître de Pierre, mais non l'éloquente et démonstrative Épître aux Romains.

Supprimez, chez César Malan, tous les traits qu'imprimeront à son caractère les trois lignées de proscrits de la foi dont il dérive. Vous aurez, sans doute, à l'heure de sa conversion, le même racheté de Jésus-Christ, mais vous ne le verrez plus agir de la même manière. Peut-être même ne surgira-t-il pas de la foule anonyme !

La milice des témoins de Jésus-Christ n'est pas un agrégat d'individualités amorphes, reproduisant en série un modèle banal. Le Saint-Esprit ne travaille pas « à la chaîne ». Quand Il fait irruption dans le chaos d'une âme, c'est pour y faire resplendir la Lumière et la Vie avec toutes les richesses diverses qu'elles suscitent ou qu'elles raniment. Il opère une résurrection : Il restitue... Il rédime. Il relève « d'entre les morts », mais le mort qui se lève au contact de cette Puissance retrouve tout ce qui, en lui, le distinguait d'un autre... Il marche, mais avec son propre corps ; il pense, agit, mais à travers sa propre âme... et la Sagesse infiniment variée de Dieu réalise ses buts saints et éternels, en respectant cette originalité. Celui qui a donné à l'étoile un éclat différent d'une autre étoile n'imprime pas aux âmes et aux ministères une décevante et lassante uniformité : les émondages disciplinaires que Sa sagesse opère parfois, l'inutilisation qu'elle impose, à certains de nos dons n'infirme point ce respect de l'individualité. Membre d'une race, descendant d'une famille, le chrétien garde, hormis ce qui ressortit du péché, les traits essentiels de ceux dont il dérive.

Nous aurons l'occasion de relever, au cours de ce travail, la dynamique nouvelle, les directions imprévisibles, les oeuvres inattendues que le Seigneur a fait surgir dans la carrière de notre héros. Mais nous y relèverons aussi les traits sédimentaires, l'apport de race et de famille qu'Il a respectés en lui, comme aussi ce modelé qu'imprima à son âme l'atmosphère spéciale de Genève.

De l'apport des Vaudois de Provence, nous retrouverons chez notre héros les traces dans cette simplicité de foi et de vie qui marquera son christianisme, son foyer, son abord, cette passion d'apostolat par le traité, ce souci de l'âme enfantine.

L'apport languedocien s'affirmera par une endurance indomptable devant les luttes, les fatigues et la sévérité des conditions matérielles. La sagesse équilibrée de cette branche d'aïeux fera contrepoids aux explosions mystiques des aïeux du Vivarais et le prophétisme désordonné se disciplinera en César Malan pour faire de lui « le chantre du Réveil ». L'intransigeance doctrinale, roc d'une pratique chrétienne austère et fidèle, n'empêchera pas chez lui ces tendres effusions du coeur qui rendaient l'âme à âme si prenant et l'accueil de son foyer si réconfortant.

L'emprise calviniste de Genève ne pourra, chez ce petit-fils de proscrits, qu'accentuer la valeur de la conscience individuelle, le prix d'une foi qui mérite jusqu'au sacrifice de sa propre vie, en même temps qu'elle aggravera en lui ce double sens de l'universel et de l'éternel, qui est à la base de toute action missionnaire.

Tout cela était déposé dans l'âme de César Malan comme des minerais précieux sont enfouis au sein d'une montagne. Lorsque la grâce fera irruption dans sa vie et la soumettra au baptême de feu de l'Esprit, ces trésors cachés se mettront en fusion et leur richesse s'exprimera à la plus haute puissance et avec le plus intense rayonnement.
Ainsi m'apparaissaient, du haut des remparts de la vieille Cité, les étapes formatrices de la personnalité de César Malan.

Perspectives d'une vie
Mais, loin de ces lieux historiques, j'allai m'asseoir au pied du grand saule qui, au cimetière de Vandoeuvres, couvre de son ombre la tombe de César Malan. C'était un soir de juillet, au terme d'un orage dans lequel s'étaient résorbées toutes les menaces d'une insupportable atmosphère. La nature semblait heureuse d'être délivrée de l'oppression : les oiseaux recommençaient à chanter. Dans ce calme libérateur, tout invitait à méditer.

Dressé au milieu de la concession familiale, le granit funéraire de César Malan apparaissait comme une borne indicatrice sur la route de l'Éternité. Et comme le site de la vieille Genève m'invitait à suivre l'itinéraire spirituel de César Malan dans sa parenté lointaine, avant qu'il fût !..., ici le site paisible de Vandoeuvres m'incitait à jeter un regard sur ce qu'avait été la ligne propre de notre héros, son itinéraire personnel, les sentiers foulés par lui sous l'impulsion de l'Esprit.

Les fils inquiets de l'Eglise Réformée
Et c'est ici l'occasion de dire pourquoi cette personnalité du Réveil du XIX° siècle m'a passionné, C'est qu'il a incarné douloureusement l'angoisse qui tourmente parfois les fils de l'Eglise Réformée calviniste quand ils ne sentent plus cette Église fidèle à son glorieux passé, fidèle à la Parole Divine qui la fit surgir, fidèle aux plans de Dieu pour le monde. Il nous plaît d'écrire cela en pensant à cette Genève où, il y a une dizaine d'années, de jeunes membres soucieux de l'avenir de leur Eglise, se groupaient sous le vocable de « fils inquiets de l'Eglise ». Cette inquiétude, quels sont les chrétiens réformés conséquents qui ne l'aient, un jour, éprouvée ?... On n'a pas résolu le problème que posent, à des jeunes ou à des âmes nouvellement réveillés à la vie spirituelle, l'écart entre un beau passé et un tiède présent, la dissonance entre les belles déclarations de foi et les laideurs pratiques des protestants, - en exhumant des vieilles armoires officielles une Discipline dictatoriale, ou en extrayant péniblement de vieux papiers et d'antiques coutumes, une Tradition niveleuse qui tiendrait lieu d'Inspiration céleste... On n'a pas assuré sa propre et indolente tranquillité en murmurant devant les audaces d'âmes ou de ministères en Réveil : « C'est leur jeunesse... Cela leur passera avec le temps » et en inventant une nouvelle théologie de cabinet faite à la mesure de ses échecs, de son enthousiasme perdu ou de sa paresse installée dans un christianisme confortable. Quand on s'obstine dans cette position, et que l'on s'abrite derrière le rempart des majorités écrasantes, on oblige des personnalités courageuses, conséquentes, qui ne prennent pas parti de l'infidélité, à se détacher en francs-tireurs...

Dissident malgré lui
Un franc-tireur du Réveil, ainsi m'apparut César Malan... Mais franc-tireur parce qu'il ne voulut pas se résoudre à la lâcheté, au compromis, au défaitisme spirituel. Et cela, il l'eut de commun avec la plupart des hommes de Réveil qui illustrèrent cette époque.

Mais au contraire de beaucoup d'autres, César Malan ne prit jamais son parti d'avoir été ainsi détaché par les impulsions de l'Esprit, puis séparé par l'obstination des hommes, de ce qu'il considérait comme sa vraie famille spirituelle. César Malan fut un dissident, mais un dissident « malgré lui » et qui ne s'en consola jamais. Sa « Chapelle du Témoignage » fut construite de planches, comme le tabernacle dans le désert : elle ne se mua jamais en institution de pierre, en Temple; et sur son lit de mort, il en ordonna la destruction ! C'est qu'au fond, Malan se tint toujours en disponibilité, en position d'attente : il n'aurait pas eu de plus grande joie que de rejoindre une Église qui l'aurait laissé annoncer librement l'Évangile. Il était dissident, mais avec tristesse : d'autres en éprouvent de la délectation et quand même un ange du Ciel ou quelqu'un ressuscité d'entre les morts viendrait leur dire que l'Esprit a tout changé et qu'il en est 7.000 qui n'ont pas fléchi les genoux devant Baal, ces amoureux, ces idolâtres de la dissidence ne les écouteraient point.

Une dissidence qui s'était imposée à certaines consciences nobles' et respectables, comme un accident, une solution au pire et momentanée, apparaissait à d'autres comme un état normal, délectable, permanent. Cette position de dissidence - que sa fidélité aux ordres d'En-Haut ne lui permit pas de rompre - fut toujours une plaie au coeur de Malan. Et plus encore que les divergences ecclésiastiques ou théologiques, cette souffrance secrète explique l'inharmonie qui marqua si souvent ses rapports avec l'Eglise dissidente et darbysante du Bourg de Four.

Pour un chrétien loyal de l'Église Protestante historique (dite Réformée en France ou Nationale en Suisse), certains affaissements spirituels de son Eglise et certaine obstination dans la léthargie posent à sa conscience ce redoutable problème : ou rester dans les cadres historiques en violentant sa propre conscience ; ou sortir des cadres en reniant, au nom d'une crise présente, toute la fidélité passée et tous les liens qui unissent les générations entre elles. C'est la douleur secrète de bien des fils inquiets de notre Eglise : c'est un véritable écartèlement d'âme et ceux qui en souffrent le plus sont ceux qui, sans éclat ni tapage, répandent leur coeur meurtri devant Dieu, en demeurant au sein de leur Église malade ! J'aime César Malan parce que, sous la contrainte d'une décision majoritaire sans appel qui le chassa de l'Eglise, il ne cessa d'être un de ces écartelés de la conscience chrétienne.

Aigle en cage
Et puis, il faut bien l'avouer, ce géant n'eut pas, à vues humaines, un ministère à sa taille, à la mesure des dons que Dieu lui avait départis. Il nous apparaît, tout au long de sa vie et de son activité, comme un aigle en cage. Des possibilités immenses : des réalisations limitées. Une consécration au pastorat des multitudes : un ministère à quelques passion anonymement et passagèrement groupées. - Une passion et des aptitudes à évangéliser les foules : en fait, le tête à tête, le témoignage individuel ou l'action silencieuse par l'imprimé. - Une vie débordante d'entrain, un besoin irrésistible de se donner, mais qui se replie sur de longues années de souffrance silencieuse et soumise. Ce fut une âme ardente, apte aux larges envols, mais constamment mise à l'étroit. Il plane malgré tout, sur cette vie, un mystère : celui d'une Volonté divine qui la ramène sans cesse à des limites hors de proportion avec l'envergure qu'elle aurait pu atteindre, C'est ici qu'il convient de répéter le mot de César Malan lui-même : « Pour le croyant, il n'y a pas hasard ». Ce qui est mystère de ce côté est sagesse et amour de l'autre et cela suffit.

Gagneurs d'âmes
Mais cette Volonté divine, qui a refusé à César Malan une grande paroisse ou un imposant auditoire permanent, ne lui a pas refusé des âmes à gagner au Sauveur, mort et ressuscité pour elles. Dans ses rencontres au carrefour des chemins, par les pages éparses de ses innombrables traités, par ses cantiques empoignants, César Malan fut le héraut de la Grâce divine : par lui, Dieu donna convocation à plus d'une âme pour le grand festin que sa Grâce offre aux pécheurs. À défaut de titre officiel et de ministère accrédité par les hommes, Malan mérite bien le beau titre de « gagneur d'âmes à Jésus-Christ». Comme beaucoup d'hommes du Réveil du XIX° siècle, - à un degré plus intense encore, - il eut cette passion des âmes; les conduire au Dieu qui les avait aimées jusqu'à donner Son Fils pour elles, leur déclarer cet Amour, fut l'inextinguible passion de sa vie. Quelques réserves que certains puissent formuler sur ses méthodes, c'est cette trace permanente que l'on retrouve tout au long de l'itinéraire de sa vie et de son apostolat. Dans un monde où tant d'êtres, même dans nos milieux religieux, sont dévorés par la soif des réussites, des succès, des honneurs, il est réconfortant de s'arrêter devant un homme qui ne connut d'autre soif que celle d'amener des âmes à la Source de la Vie.

Pèlerin de l'Eternité
Homme de foi, allant comme s'il voyait Celui qui est invisible, César Malan a vécu et marché ici-bas en Pèlerin de l'éternité : il accordait son heure à l'horloge d'En-Haut. Les réalités du Ciel étaient, à sa vivante foi, aussi réelles et sensibles que la terre qu'il foulait de ses pas. Quand un homme a ainsi vécu, aimé, souffert, lutté en vue de l'Éternité, l'oeuvre qu'il a accomplie, aussi modeste que les hommes la jugent, peut-elle périr ? « Non, dit l'Esprit, leurs oeuvres les suivent. » Qu'importe si les traces visibles se sont effacées ici-bas dans la grisaille des siècles ! Par-delà les granits des tombes, l'itinéraire des témoins de Jésus-Christ se poursuit, lumineux, dans la Présence même de Dieu.

LE QUARTIER MALAN A MERINDOL (VAUCLUSE)

Table des matières

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(1) Cité dans Isabeau Menet, prisonnière et Galériens pour la Foi, par le Pr S. Mouds (chez l'auteur, à Gilhoc, Ardèche).
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(2) J. J. BROUSSON.
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(3) Robert de Traz : Esprit de Genève
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(4) Robert de Traz : Esprit de Genève.

 

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