Un Gagneur
d'Âmes:
CÉSAR
MALAN
PREMIÈRE PARTIE: CÉSAR
MALAN ET L'EGLISE DU TÉMOIGNAGE
CHAPITRE II
ENFANCE ET JEUNESSE (1787-1812)
Henri-Abraham-César Malan naquit
à Genève le 7 juillet 1787. Il
descendait d'une famille de Vaudois du
Piémont établie de longue date dans
la commune de Saint-Jean. Une branche de cette
famille s'était fixée assez tôt
en France, à Mérindol (Vaucluse),
où elle paraît avoir acquis certaine
notoriété. Si quelques vestiges
tangibles de ce passage subsistent sous le nom de
« Quartier Malan », plus encore demeure
le souvenir historique des martyrs de la foi et de
la liberté de conscience que fournit cette
famille. C. Malan considéra toujours comme
un vrai titre de noblesse d'appartenir à ce
petit peuple d'héroïques confesseurs du
pur Évangile. Au souffle de la tempête
qui suivit la révocation de l'Édit de
Nantes, les Malan de Mérindol se
dispersèrent, préférant tout
quitter pour garder leur foi. Les uns
abordèrent aux terres ingrates du Cap de
Bonne-Espérance.
L'aïeul vaudois: Pierre
Malan
Parmi les autres, Pierre Malan, le
chef de la famille,
l'arrière-grand-père de César
Malan, s'enfuit de Mérindol en 1714,
après le martyre de sa propre soeur.
Réfugié en 1722 à
Genève, il fut admis au nombre des «
habitants ». Sans sou ni maille, il fut
reçu comme sergent dans la garnison et
épousa bientôt une Bessau,
Française du Vivarais,
réfugiée comme lui.
Les
parents de César Malan
C'est de cette branche que
descendait Jacques-Imbert Malan, le père de
notre héros, qui épousa une
petite-fille de réfugiés originaires
de Nîmes (Gard), les Prestreau. Détail
à noter : celle-ci avait été
baptisée par un de ses parents, pasteur
à Vandoeuvres, le marquis de Fougereux, qui
compta parmi « les prédicants du
désert ».
J.-I. Malan, promu de rang de «
natif » à celui de « bourgeois
», à la suite de l'influence
exercée dans Genève par la
Révolution française, remplit
longtemps les fonctions de régent de la 4e
classe du Collège. Il unissait aux
qualités de l'esprit : vivacité et
grâce, celles, plus précieuses encore,
du coeur : bienveillance, charité active,
désintéressement. De ceci, il donna
une preuve émouvante lors de la domination
française. S'il l'eût voulu, il
eût pu recouvrer alors les biens
considérables dont la persécution
religieuse avait dépouillé son
aïeul; mais plusieurs familles eussent
dû être
dépossédées. Il refusa et,
à une allusion que le magistrat
français fit à l'avenir de ses deux
fils, J.-I. Malan répondit qu'il comptait
leur inculquer des principes tels que, devenus
hommes, ils approuveraient pleinement son
renoncement !
Mais J.-I. Malan était le
fils de ce XVIIIe siècle où
l'Encyclopédie supplantait la Bible dans la
Bibliothèque d'un homme raisonnable et
où « le bon sens » souriait avec
un certain scepticisme aux élans d'un coeur
pieux. Ce ne fut que plus tard, à l'heure
des révisions calmes ou inquiètes de
la vieillesse, qu'il donna à la foi et
à la piété l'importance
refusée jusqu'alors.
La force d'inertie, opposée
dans le domaine religieux aux élans de son
fils cadet, contribua à replier le jeune
César Malan vers sa mère, ses
enseignements et sa piété. C'est
à cette influence qu'il reportera les
premiers germes de sa foi.
L'influence d'une
mère
La mère de C. Malan
appartenait, par sa naissance, à un milieu
social assez fortuné et où
s'étaient fidèlement
conservées les traditions religieuses des
anciens huguenots. Élevée au vieux
manoir de la Clavelière (à 30 km. de
Genève, sur les pentes du Jura), elle y
avait puisé, avec les vertus du foyer, le
principe des études sérieuses que
compléta un séjour de plusieurs
années dans un des principaux pensionnats de
Neuchâtel. La simplicité d'une
piété sincère s'alliait chez
elle au charme de ses manières, à la
douceur de son accueil, à l'agrément
de sa conversation. Une surdité
précoce et une vue très faible
privèrent cette femme excellente de mille
activités extérieures ; elle les
compensa par une application minutieuse aux soins
de sa maison et une culture personnelle
persévérante.
Enfance
L'enfance de César Malan
s'écoula donc entre ces deux êtres et
un frère aîné, dans une maison
de la rue Verdaine c'était une heureuse vie
de famille. On n'y connaissait pas la gêne,
quoique le train de vie fût assez
sévère et assuré souvent par
les dispositions ingénieuses de la
maîtresse de maison.
César Malan avait une
affection toute spéciale pour sa mère
et son frère aîné. C'est pour
éviter à celui-ci une punition qu'il
se hâta un jour de boire lui-même une
potion que son aîné ne pouvait se
résoudre à avaler.
Cette même
générosité, il la manifestait
d'ailleurs à l'égard des malheureux
qu'il rencontrait sur sa route. Un jour, il donna
sans hésiter à un mendiant, dans la
rue, le morceau de pain qu'il avait emporté
avec lui pour son déjeuner. Une autre fois,
au cours d'un hiver rigoureux, il revint du
Collège, sans ses gants do laine. Il avoua
bientôt à sa mère qu'il les
avait donnés « à un pauvre petit
garçon qui avait les mains gelées
». - « Vois-tu, maman, ajoutait-il, je
puis, moi, rentrer les mains dans les manches de
mon habit ; le sien n'était pas chaud comme
le mien. » L'enfant fut, certes, loué
de sa charité; mais on ne tempéra pas
ce renoncement, et cela dépeint d'un trait
toute l'atmosphère familiale et les
principes qui présidèrent à
son éducation. La tendre mère ne lui
racheta pas d'autres gants cet hiver-là,
bien qu'elle souffrît parfois de voir ses
petites mains rougies par le froid. « Non
seulement cela m'eût été
onéreux, racontait-elle à son
petit-fils, mais surtout il fallait que mon fils
apprît, par expérience, que l'on ne
saurait avoir le droit et le bonheur de donner que
ce dont on est bien résolu à se
priver définitivement soi-même. »
Cette mère était la digne compagne du
descendant de réfugiés spoliés
qui refusa la réparation d'une injustice au
prix de souffrances nouvelles.
Dès sa première
enfance, César Malan se fit remarquer par
une précocité extraordinaire.
À l'âge de 3 ans et demi, assis aux
pieds de sa mère, il lui avait lu l'histoire
de la scène de Gethsémané,
dans l'Évangile; et plus tard, lorsqu'il la
voyait triste, il lui disait : « Maman, je
vais te lire la Montagne des
Oliviers».
Un autre trait de son enfance montre
déjà chez lui ce souci de
l'obéissance qui passe avant toute autre
considération de personnes ou de formes.
À 4 ans, il avait, au Collège,
reçu le prix de lecture : la distribution
des prix donnait lieu à une
cérémonie solennelle. Le petit
César figura dans le cortège. Son
père lui avait bien recommandé de
faire les trois salutations d'usage devant le
premier Syndic, lorsque son nom serait
appelé, et de les renouveler, après
avoir reçu le prix, en reculant et non pas
en tournant le dos. L'enfant fut donc
appelé, s'approcha, fit les trois saluts et
reçu le prix des mains du magistrat. Au
moment de se retirer, oubliant toute autre
recommandation, il renouvela les trois saluts, mais
en tournant le dos aux graves Syndics qui ne purent
que sourire.
L'empreinte du collège de
Genève
Ce séjour au Collège
mit son empreinte sur la première
éducation de C. Malan. L'Académie,
qui avait marqué le couronnement de l'oeuvre
de Calvin à Genève, était
encore à cette époque, dans son
ensemble, ce que Calvin l'avait faite.
Complément indispensable de l'Eglise, elle
contribuait à tisser, entre hommes du
même âge, ces liens qui faisaient, de
la vieille Genève protestante, une
véritable famille. Elle devait
insérer dans l'âme de Malan ce
sentiment de la communauté qui l'attacha si
profondément à son pays et à
son Eglise, même quand il en fut
chassé.
L'empreinte du
foyer
Mais, quelle que soit la valeur de
ces influences extérieures, c'est encore par
celles tout intimes du foyer que la
personnalité de Malan fut le plus
modelée. Les souvenirs des séjours au
vieux manoir de la Clavelière
restèrent toujours vivaces en son esprit. Il
y apprit le secret de cette familiarité
pleine de grâce qui ne
dégénéra jamais chez lui en
laisser-aller ou en oubli de soi. La distinction de
manières et la parfaite réserve dont
sa mère lui offrait le vivant modèle,
devinrent pour lui comme une seconde nature. De son
grand-père maternel, il acquit le goût
pour les arts manuels, qui demeurèrent toute
sa vie sa récréation favorite. Enfin,
dans un délicieux cadre naturel, où
l'âme se repose de la contemplation des
grandes fresques alpestres par la halte sur les
coteaux ensoleillés et les rives paisibles
du lac, Malan aviva ce sentiment des beautés
de la nature qui fit de lui un dessinateur, un
peintre, un poète.
Séjour à
Marseille
À l'âge de 17 ans,
étant « en Belles Lettres », il
nourrissait le projet d'être
négociant, afin de soulager ses
parents.
Il alla passer une année
à Marseille, dans une maison de commerce. Il
ne négligea pas ses études de latin
et de grec : il se levait d'ordinaire à 4
heures et même 3 heures du matin, pour
étudier et lire ces langues avant de
rejoindre son comptoir. Après le travail du
bureau, il donnait, dans la soirée, des
leçons d'histoire et de
littérature.
Un événement de ce
séjour devait orienter sa vie dans une voie
nouvelle. «Le pasteur de Marseille ayant
dû s'absenter, écrit C. Malan, je fus
demandé, par le Comité de son Eglise,
pour lire chaque dimanche un sermon, du haut de la
chaire. Je le fis, je crois, pendant 2 mois, et je
rapporte à cette circonstance le premier
désir que j'eus d'entrer en théologie
et d'être ministre de l'Évangile.
» Son père approuva ce désir. C.
Malan revint donc à Genève où
il obtint de reprendre sa place parmi ses anciens
camarades, alors en « philosophie
».
L'étudiant
Le jeune étudiant prolongeait
les traits de caractère de l'enfant. Plus
d'un soir d'hiver, il allait, à l'insu de
ses parents, acheter des fagots qu'il portait
lui-même à telle ou telle famille
pauvre. On l'avait vu, un autre jour, arrêter
avec promptitude et courage des chevaux
emballés, ou bien soigner avec
dévouement, dans les fossés de la
ville, de pauvres blessés
autrichiens.
Cette charité active et
dévouée, jointe à la
régularité de ses moeurs, le
faisaient citer comme « un saint ».
Durant ses 4 années de théologie, et
surtout pendant les 2 dernières, il
prêcha très souvent, soit dans les
chaires de campagne, soit à 1
'étranger, Qu'étaient donc, à
cette époque, les convictions religieuses de
ce jeune apprenti-prédicateur ?...
Interrogeons-le lui-même :
«J'étais alors tout à fait
ignorant de l'Évangile de la grâce,
et, quoique je fusse un jeune homme honnête
et même rigide dans mes habitudes, jamais je
n'avais eu même la pensée d'une autre
voie de salut que celle des oeuvres et des
mérites de l'homme. »
« J'avais bien eu, dans mon
enfance, et par l'instruction de nia mère,
la croyance à la divinité
éternelle du Sauveur, et même je me
rappelle qu'à l'âge de 14 ans, je
soutins, contre mes camarades de Collège et
dans la classe, que Jésus est Dieu. Mais
cette croyance demeura comme morte dans mon esprit,
et pendant mes 4 années de théologie,
jamais je n'entendis, de la bouche de mes
professeurs, un seul mot qui pût la ranimer.
Avec cela, je me croyais très religieux, et
j'étais considéré comme tel.
Mes moeurs étaient irréprochables et
mes discours ordinairement sérieux.
»
Ami Bost, un de ses condisciples,
disait de son côté, à propos de
ces études théologiques : « On
ne nous entretenait que des dogmes de la religion
naturelle. Le Nouveau Testament n'était pas
au nombre des livres exigibles pour achever nos
études pour le saint ministère
(1). » C.
Malan avouait lui-même n'avoir lu le Nouveau
Testament assidûment que longtemps
après voir terminé ses
études.
Telle était
l'atmosphère religieuse qui entourait notre
étudiant : à la manière de
Rousseau, on reconnaissait « la majesté
des Écritures », on entourait « la
lettre » de la Bible d'un respect
exagéré, mais on ensevelissait, dans
le silence, les faits scripturaires. On
considérait comme une prétention fort
exagérée la pensée de prendre
le témoignage de la Bible et son
autorité pour la seule règle de la
foi et de la vie. Formé à une telle
école, nous ne serons point surpris que
César Malan nous confesse que, même
après sa consécration officielle, il
ne trouva point de goût à la lecture
de la Bible; et qu'ayant voulu la lire pour se
distraire en voyage, « il en trouva le style
ancien et le langage vulgaire » au point de la
mettre de côté pour un ouvrage de
littérature.
Régent au
Collège
En 1809, C. Malan, qui état
alors précepteur des fils d'un banquier de
Genève, fut nommé, à la suite
de brillants examens, régent de la 5e Classe
du Collège. Il devait occuper ce poste
jusqu'en 1818 et mériter l'approbation et
les éloges de ses supérieurs. Plein
d'ardeur pour ses nouveaux devoirs, il introduisit
dans sa classe, l'un des premiers à
Genève, la méthode d'enseignement de
Bell et Lancaster, dont le caractère
essentiel était l'utilisation des moniteurs.
Il était allé l'étudier dans
la propre école de Pestalozzi à
Yverdon. Il s'appropria aussitôt le
système intellectuel de ce pédagogue
et ces habitudes de raisonnement et d'analyse qui
répondaient si bien à la tournure de
son esprit. Bientôt ses succès furent
cités même en dehors de Genève,
et plus d'une fois sa classe reçut la visite
de professeurs étrangers curieux
d'étudier cette expérience. Ce fut
pour ses écoliers du Collège qu'il
fit paraître, en 1812, un choix des fables de
Phèdre, accompagné de notes, et, en
1818, la 1re partie d'un poème latin de sa
composition où se discernent les indices
d'une foi évangélique.
Consécration au
ministère
En octobre 1810, C. Malan fut
consacré à 23 ans au
Saint-Ministère dans l'Eglise de
Genève, par M. Picot, doyen de la Compagnie
des pasteurs. Il dut, à cette occasion,
répondre solennellement à
l'engagement ainsi formulé : « Vous
promettez, devant Dieu et sur les Saintes
Écritures ouvertes devant vous, de
prêcher purement l'Évangile de notre
Seigneur Jésus-Christ; de reconnaître
pour seule règle infaillible de foi et de
conduite la parole de Dieu telle qu'elle est
contenue dans les livres sacrés de l'Ancien
et du Nouveau Testament; de vous abstenir de tout
esprit de secte; d'éviter tout ce qui
pourrait faire naître quelque schisme et
rompre l'union de l'Eglise, etc...
»
C. Malan prêta serment devant
l'Eglise et devant cette Bible qui était
encore pour lui comme un Livre scellé.
L'Esprit de Dieu allait bientôt en illuminer
les pages, y faire retentir la Parole Vivante et
faire, de ce serment du jeune pasteur, une
barrière en deçà de laquelle
il ne voulut plus revenir.
Mariage, 1811
Le 25 avril 1811, C. Malan
épousa Mlle Schoenenberger, fille
aînée d'un négociant de
Genève. Celui qui franchissait cette
nouvelle étape de sa vie répondait
alors au portrait véridique que de Goltz,
l'historien du Réveil genevois,
traçait de lui en ces termes : « Malan
était doué de qualités et de
dons si remarquables que tous attendaient beaucoup
de lui pour l'avenir. D'un extérieur digne,
et qui, tout d'abord, prévenait en sa
faveur, il était poète et musicien;
il avait une belle voix, peignait avec talent, et
réunissait les aptitudes les plus diverses.
Son imagination était riche et
féconde, sa pensée logique,
pénétrante, et à une
éloquence entraînante, il joignait
l'énergie d'un caractère plein de
feu. Le sérieux tout viril de sa
pensée assignait à une puissance de
travail qui ne connaissait pas de repos un but
toujours clairement défini. Grâce
à la puissance de l'Évangile, ce but
devint bientôt le salut des
âmes. »
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