Un Gagneur
d'Âmes:
CÉSAR
MALAN
DEUXIÈME PARTIE:
L'ACTIVITÉ PUBLIQUE DE MALAN APRÈS
1830
CHAPITRE
IX
CÉSAR MALAN ET LE PROBLÈME
DE L'EGLISE
Nous avons déjà
constaté l'heureuse diversion qu'apportaient
à son isolement les nombreuses missions que
Malan fit à l'étranger. De
même, l'exercice de son génial
apostolat par la plume compensait, au retour, la
tristesse d'une solitude toujours plus sensible.
Ceci nous amène à considérer
quelle position Malan prenait, vers la fin de sa
vie, à l'égard des
Églises.
Sa séparation de
l'Église Nationale avait été
un acte essentiellement religieux : ce fut le
résultat direct du besoin qu'il avait de
témoigner hautement de la foi de son coeur.
Cette foi vivante le préserva, dans le
ministère aux affirmations précises
que lui imposa une opposition tenace, à la
fois de l'étroitesse du coeur et de la
sécheresse de l'âme. Ni orthodoxe
mort, ni sectaire : l'Esprit le garda de ces deux
écueils et le maintint dans un sain
équilibre chrétien.
On n'est pas un orthodoxe mort quand
on a pour les âmes cette passion que nous
avons constatée chez César
Malan.
On n'est pas un sectaire intraitable
quand on maintient vivante et nette, bien au-dessus
du fait humain et passager de l'Eglise visible, la
vision céleste et éternelle de
l'Eglise invisible. C'est en cette position
constamment maintenue quant au problème de
l'Eglise que se prouve la supériorité
de pensées et la largeur de sentiments de
Malan.
L'Eglise visible ne l'a jamais
beaucoup préoccupé et l'on trouve,
dans ses nombreux écrits, peu d'allusions
à ce sujet : à peine un discours dans
lequel il affirma publiquement (en 1843)
l'indépendance essentielle de l'Eglise
à l'endroit du pouvoir civil. Et même
alors, était-il plus soucieux de
préciser la liberté spirituelle du
vrai croyant que les droits historiques d'une
Église.
L'Oecuménisme de
Malan
Au moment où venait de se
constituer « l'Eglise libre d'Écosse
», Malan fut invité en Écosse
(1843). Il s'y borna à témoigner de
sa sympathie pour tous les vrais fidèles
sans distinction de parti et il déçut
ainsi les amis qui désiraient le voir se
ranger sous le drapeau spécial de l'Eglise
libre. « Ma visite dans votre pays,
écrivait-il à un ami, a
été, bien que fort courte, pleine de
consolation pour mon coeur. J'ai joui de la
société de plusieurs ministres de
Christ appartenant soit à l'Église
officielle, soit à l'Eglise libre. J'ai donc
réellement éprouvé qu'il n'y a
point de division en Christ, et que c'est le
même Esprit qui demeure le docteur et le
consolateur de tous les serviteurs d'un même
Sauveur. Si, ici et là, j'ai
été le témoin de
manifestations passagères de jugement et de
blâme, j'ai cependant toujours vu la
charité préférée
à ce qui ne serait qu'une satisfaction
personnelle, et les droits de Christ passer avant
ceux de toute Eglise et de toute discipline
spéciale. »
Et dans les pages où il
résumait les prédications
données au cours de ce voyage, Malan donnait
sa pensée profonde : « Mon désir
n'était pas tant de parler du pouvoir que
notre Seigneur possède comme Roi de Son
Eglise, que des droits qu'il a à
l'obéissance de nous tous... ». «
Même aux jours du Réveil en Suisse,
plusieurs étaient animés de motifs
charnels ! Tout en criant : liberté!
séparation ! Eglise Libre ! ils ne savaient
rien ni de cette conversion qui seule rend
véritablement libre, ni de cette voix douce
et subtile de l'Esprit qui est l'enseignement du
Seigneur; aussi ont-ils été
bientôt scandalisés... », «
Il peut arriver, et cela arrive fréquemment,
que nous nous trompions sur nos intentions et que,
parce que notre coeur n'a pas été
renouvelé, nous ne fassions, en confessant
l'Évangile ou en prononçant des
paroles de vérité et de
tolérance, que satisfaire à un besoin
intellectuel de notre esprit.
La
marque d'un vrai Réveil:
l'obéissance!
Mais suivre l'exemple de Christ, se
tenir de son côté, en face du monde,
en portant sa croix et en nous soumettant à
l'opprobre. Ah ! chrétiens, là-dedans
il n'y a pas de déception !
L'obéissance nous fait alors toucher
à ce qui seul est réel, et notre
souffrance est alors le garant de la
vérité de notre dévouement...
». « Si du mysticisme, si une certaine
sentimentalité religieuse est l'erreur
à laquelle sont exposés les
chrétiens en Allemagne, est-ce que l'orgueil
de l'intelligence, la prétention de vouloir
comprendre Dieu et ses mystères n'est pas
celui qui menace les croyants en Écosse ?
»
Ainsi, ce qui apparaît alors
en Malan, c'est une décision absolue quant
à la nécessité de la vie
nouvelle du coeur; et une largeur et une
tolérance entière pour les
manifestations extérieures et
passagères de cette vie. Et tout
événement qui présagera des
jours meilleurs pour la diffusion de la Bonne
Nouvelle recueillera toujours chez lui une
chaleureuse approbation et un
généreux enthousiasme.
Le
critère du problème
ecclésiastique
Cependant, cet accueil, tout ardent
qu'il fût, n'allait jamais au-delà de
certaines limites que fixait la nature « de la
doctrine, crue, professée et
enseignée », seul élément
qui lui servit de critère à
l'égard d'une Église
quelconque.
En cela il s'était
distingué des premiers dissidents d'avant
1830. Ce motif seul l'empêcha, en 1849, de se
réunir, lui et son Eglise, à
l'Église nouvelle qui se forma alors
à Genève par la fusion des deux
congrégations dissidentes de l'Oratoire et
de la Pélisserie (anciennement du
Bourg-de-Four). Cette attitude lui valut les
qualificatifs de « personnel, orgueilleux,
étroit », et l'isola, plus que jamais,
dans le petit monde religieux de Genève.
Comment Malan renonça-t-il à une
union qui semblait réaliser le rêve de
sa vie entière ? Apprenons-le à
travers une lettre écrite à l'une de
ses filles aînées : «
Genève, 24 février 1849: ...Tu me
demandes quels sont les motifs qui m'ont,
jusqu'à présent, empêché
d'adhérer au plan de l'Eglise nouvelle, et
je n'en connais aucun autre que la crainte que
j'ai, en entrant dans cette fusion, de
légitimer ce que je considère comme
des erreurs. Voici toute ma pensée à
cet égard :
On a coutume de distinguer, dans les
vérités de la Parole, entre celles
qui sont indispensables au salut, et que l'on
nomme, pour cela, essentielles, et celles qui ne
semblent pas s'y rapporter directement, et qu'on
appelle secondaires.
Mais, parmi celles-ci, je pense
qu'un ministre de la Vérité,
chargé de garder le dépôt, et
même d'enseigner l'observation des petits
commandements (1 Tim. 6-20; Matth. 5-10), ne peut
pas tracer de ligne absolue, et dire de tel ou tel
point qu'il doit le laisser passer, vu que ce
point-là est peut-être
précisément celui qu'il doit
maintenir dans un temps avec le plus de
soin.
C'est pourquoi, si je sens mon coeur
rempli de tolérance pour ceux de mes
frères qui sont ou baptistes, ou chiliastes,
ou telle autre chose de ce genre, et si, avec eux,
je puis prier le Seigneur et prendre la
Cène, je suis loin, comme ministre,
d'acquiescer à leurs erreurs...
Fusion: confsusion. Union:
communion.
Or, ma persuasion étant telle, je
puis bien former, avec les diverses Églises
fidèles, une union, et ainsi soutenir avec
elles les relations vivantes et affectueuses de la
foi au Sauveur et de la charité; mais je ne
pourrais former avec ces Églises une fusion,
un mélange, si je vois en elles les erreurs
que j'ai indiquées, ou telle autre doctrine
que j'estime opposée à la
Vérité divine, comme aussi à
la discipline. Je craindrais, en fondant ainsi le
ministère de la Vérité pure
avec de l'erreur, d'un côté
d'altérer ce ministère, et de l'autre
de fournir un appui, une apparence d'approbation
à cette erreur.
« Certes, si dans le plan qui
vient de s'accomplir il m'eût
été possible de ne voir que la
jalousie pour la Vérité, je me fusse
hâté d'y adhérer, moi qui, tu
le sais et tu l'as vu ! depuis plus de 25
années, n'ai eu toujours en vue que l'union
des diverses Églises en une seule Eglise
presbytérienne, et où les troupeaux,
demeurés distincts, eussent conservé
leur liberté respective et leur
spécialité de marche, principalement
quant à la discipline ecclésiastique.
»
Après avoir dit combien, au
point de vue de sa sphère d'action et
même des relations sociales de lui et des
siens, cette fusion « lui eût
été profitable », il ajoute :
« Mais qu'était tout cela,
auprès de la fidélité à
ce que j'ai cru, comme ministre, être de mon
devoir ? Qu'étaient les avantages temporels
et l'approbation de mes frères, au prix de
la paix de ma conscience de serviteur devant mon
Maître ?.., Tout ce qui est de moi est trop
précaire pour que j'en eusse fait aucun cas;
et de fait je n'y pensai jamais. Nul motif non
plus, à moi connu du moins, n'est provenu de
quelque amour-propre blessé, ou de quelque
dignité méconnue. Je n'eus jamais ce
sentiment-là !... Non ! chère fille,
je n'ai eu aucun autre motif que celui que je t'ai
exposé, et si Dieu me montrait que j'ai
été outré en cela (ce que je
ne puis supposer !), il me donnerait aussi la vue
d'un devoir autre que celui que j'ai voulu remplir.
Je suis son serviteur, et je ne veux faire que ce
que le Seigneur me commandera.
« Tu peux comprendre tout ce
que j'ai souffert, de toutes manières, au
dehors et au-dedans.., Mon troupeau presque entier
m'a abandonné, et de tous côtés
il n'y a que plaintes et blâmes. Mais que
puis-je faire pour empêcher ces maux,
puisqu'il me serait impossible de varier en quoi
que ce soit de ce que j'estime être le droit
de Dieu? »
Ainsi, Malan entrevoyait une
confédération
d'éléments libres, dont chacun aurait
conservé son individualité propre. Il
exprimait sa pensée dans la formule :
Fusion, confusion; union, communion. Lorsqu'en
1814, il fit, de lui-même, une
démarche pour être admis dans «
l'Eglise Évangélique », tout en
conservant son caractère de pasteur des
quelques âmes qui le suivaient encore, sa
pensée ne fut pas mieux comprise qu'en 1849
et Malan resta à l'écart.
Son attitude lui valut, de plusieurs
frères, le reproche d'indifférentisme
ecclésiastique.
Malan et les querelles
ecclésiastiques
Intransigeant quant à la
pureté de la doctrine, Malan ne voulut
jamais et ne crut jamais possible de lier l'action
libre de l'Esprit divin à des institutions
quelconques. De tout temps il n'avait
attaché que peu d'importance aux luttes de
parti autour des divisions ecclésiastiques.
Et, à la fin de sa vie, il se
réjouissait même d'avoir
été « placé en dehors de
tout cela ».
À un ami qui l'abandonnait
parce qu'il avait accueilli chez lui, un professeur
de l'Eglise établie d'Écosse, il
écrivait : « J'ai toujours reçu
à ma table, ainsi qu'à la table du
Seigneur, tous les disciples de
Jésus-Christ. Quelle que fût la forme
d'Eglise à laquelle ils appartinssent, je
leur « ai toujours témoigné mon
estime et pion amour. Bien que je sois
moi-même dissident par le fait, je suis loin
de supposer que je ne possède des
frères que dans une Église
dissidente. Non, non ! le Seigneur Jésus n'a
pas abandonné ses brebis, parce que le parc
dans lequel elles paissent est sous le sceptre et
la garde des puissants de ce
monde.»
Malan et l'Eglise
Nationale
Dans une brochure intitulée :
« L'Eglise du Témoignage dans ses
rapports de doctrine et de discipline avec
l'ancienne Eglise de Genève », Malan
fut amené, en 1855, il préciser sa
position à l'égard de l'Eglise
Nationale. Il y présentait sa petite
Église « comme dissidente de fait, nais
non pas séparatiste ». Sa seule raison
d'être avait été et demeurait
« la prédication de la doctrine
orthodoxe des Églises
Réformées et le maintien de leur
ancienne discipline ».
Malan et les Confession de
foi
Puisque nous venons de parler de
doctrine et de discipline, il convient de citer ici
l'opinion de Malan sur les Confessions de Foi,
telle qu'elle ressort d'une de ses lettres (1862) :
« Pour moi, j'ai toujours regardé les
Confessions de Foi de l'Eglise de Christ, non pas
sans doute comme des formules obligatoires et des
règles de penser, de croire et de parler ;
mais, telles qu'elles sont, comme de solennelles
évidences de la croyance, et (en quelque
sorte) comme ces indicateurs de routes, ces piliers
qui sont placés à la divergence des
chemins. Le poteau indicateur fit-il jamais la
route ?... La science des sciences doit, elle
aussi, cependant, dire et déclarer ce
qu'elle est, non pas pour se constituer ce qu'elle
est déjà, mais pour se faire
connaître. - Ce qui assurément ne
signifie pas que le ministre de Dieu soit assujetti
à la forme prescrite à sa foi, mais
bien que c'est à lui d'abord à ne pas
présumer de lui-même, comme s'il
était infaillible; puis à
vérifier, pour sa propre âme, que la
Confession de Foi de ses frères et de ses
pères est bien ce que le Saint-Esprit
révélé. »
Un
désir inexaucé
Malan n'avait jamais cessé de
nourrir le désir de remonter encore une
fois, en vertu de son caractère de ministre
du Saint Évangile, dans les chaires d'une
Église qu'il ne cessa jamais d'aimer et qui
lui avaient été interdites par le
règlement de mai 1817. Ce règlement
était tombé en
désuétude, puis déclaré
sans vigueur par l'Eglise officielle
elle-même. Malan avait, depuis longtemps,
conquis de nombreux amis dans les rangs du pastorat
de Genève ; tous attendaient l'heure
où l'indestructible désir de Malan
serait enfin réalisé et où la
qualité de ministre de l'Évangile lui
serait reconnue de façon publique et
officielle. C'était en 1859. « Je vois
encore mon père, écrit C. Malan fils,
au moment où je fus parvenu à le
convaincre qu'il s'agissait d'une
possibilité sérieuse. L'oeil du
vieillard s'illumina soudain comme d'un
éclair que voilèrent bientôt
les marquas d'une émotion profonde.
Après m'avoir regardé un instant en
silence : « Serait-ce bien possible,
s'écria tout à coup le vieux
serviteur de l'ancienne Eglise de Genève,
que je prêchasse encore une fois dans
Saint-Pierre avant d'aller vers mon Dieu ! »
Le Consistoire cependant, rejeta la requête
qui lui fut présentée, demandant que
Malan retirât la lettre par laquelle il avait
déclaré lui-même, en 1823
« ne plus vouloir faire partie de
l'Église Nationale ». L'ami qui avait
fait la demande, n'insista plus et Malan regarda,
peu à peu, l'affaire comme terminée.
Ce ne fut que 2 ans plus tard, en 1861, que Malan
écrivant à cet ami, résuma
ainsi son opinion sur cette affaire : « Pour
que je retire aujourd'hui ma déclaration du
14 août 1823, il faut, tout d'abord, que le
Consistoire me fasse savoir qu'il a, lui,
retiré la cause de ma sortie de l'Eglise
Nationale de Genève. Ma protestation tombera
d'elle-même, dés qu'aura cessé
la cause de son existence. Qu'il plaise à
Dieu d'opérer cette oeuvre !... Je l'attends
avec le plus grand désir, en repoussant
même la pensée que moi, ministre du
Seigneur Jésus, je me sois retiré
d'une Église fidèle au Fils de Dieu.
»
Il était en effet
évident que la lettre dont on lui demandait
le retrait préalable avait été
la conséquence forcée, mais non la
cause, d'une interdiction des chaires qui avait
précédé cette lettre de plus
de 5 années.
Isolement
irrémédiable
Ce grand acte de justice
réparatrice ne fut pas accompli :
l'isolement de Malan fut ainsi maintenu. Il devait
recevoir de mains plus hautes la couronne de
Justice que le SEIGNEUR réserve à
ceux qui L'aiment sans faiblir.
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