Un Gagneur
d'Âmes:
CÉSAR
MALAN
DEUXIÈME PARTIE:
L'ACTIVITÉ PUBLIQUE DE MALAN APRÈS
1830
CHAPITRE
X
CÉSAR MALAN INTIME
Le secret
des ministères féconds
« Comment pouvait-on prêcher
de manière si terrible et laisser glisser
son troupeau en d'autres mains pour l'oeuvre
décisive? » demandait un jeune pasteur
à un serviteur de Dieu
expérimenté en brandissant le recueil
de sermons d'un prédicateur disparu... Et le
vénérable pasteur répondit
à son cadet avec un fin sourire : «
Peut-être le feu et la flamme de la chaire et
la passion pour les âmes
s'évanouissaient-ils dans la douceur
capitonnée d'un confortable
presbytère !... Les âmes ne s'y
trompaient pas : elles écoutaient les
prédications terribles et s'en allaient
ailleurs goûter la joie salutaire
d'être vraiment aimées. »
Page vivante de théologie
pastorale qui donne le secret des ministères
féconds et des témoignages durables.
Il n'y a pas deux plans dans la vie du serviteur de
Dieu laïque ou consacré : l'un
où l'on accomplit sa tâche ; l'autre,
où l'on s'en délasse. Le
ministère, pas plus que le témoignage
chrétien, ne « s'exerce » ni ne se
« joue », à certaines heures,
comme un métier ou un rôle. Il se vit
: et la vie prend tout un homme, son être,
son foyer,
Unité de vie
Il convient de s'asseoir au foyer de
César Malan, dans cette intimité qui
le ravit aux foules, pour y voir vivre un seul' et
unique Malan, semblable, en tous points, au
missionnaire qui s'en allait à la recherche
des brebis perdues.
L'atmosphère du foyer
Malan
Quel magnifique témoignage lui
rendait un de ses fils et qui résume sans
doute l'impression que Malan laissa partout sur son
passage : « Hors même que nous devrions
perdre tout ce que notre père nous a
laissé de grands et beaux souvenirs, il est
un trésor que nous avons tous reçu de
lui, et qui seul suffirait à nous rendre sa
mémoire, chose sainte et sacrée :
c'est ce sentiment qu'il a imprimé dans nos
coeurs d'enfants, que Dieu est, non pas une
idée, mais une réalité
vivante; non pas un Être plus ou moins
étranger aux détails de notre vie
quotidienne, mais l'Etre vivant, présent
partout, témoin actuel de notre
pensée elle-même, et avec lequel il
nous faut tous compter chaque jour et à
chaque instant du jour. » Malan ne se
contentait pas d'enseigner cela; il le vivait.
« Notre père ne s'est pas
contenté de nous dire cela, ajoutait le
même ; il a fait beaucoup plus et beaucoup
mieux ! Il nous en a convaincus par la vue de sa
vie elle-même ! Il a marché, lui,
chaque jour sous nos yeux, et cela jusqu'au bout,
comme voyant Celui qui est invisible !
»
Et un autre de ses fils, qui rapporte
les propos précédents, confirmait :
« Mon père m'avait honoré, et
cela de fort bonne heure, d'une intimité,
grâce à laquelle il me laissait,
librement, voir chacune de ses impressions. Eh !
bien, pendant les longues années où
j'ai vécu sous son toit, comme ensuite
pendant celles où il ne se passait
guère de semaine sans que je le visitasse
plus d'une fois, jamais je n'ai rien vu chez lui
qui ne produisît toujours de nouveau
l'impression dont témoignait mon
frère. Jamais je n'ai été
témoin d'un geste, jamais je n'ai entendu un
mot à l'égard duquel je dusse sentir
que cela deviendrait, plus tard, pour lui l'objet
de regrets sérieux. »
En la
présence de Dieu
À l'instar des hommes de foi dont
la Bible nous narre la vie, César Malan
marchait « devant la face du Dieu vivant
». Et l'émouvant témoignage des
fils s'explique par ces lignes du père
à une de ses filles (en 1850) : « Il
n'y a rien de petit pour une âme qui voit
tout en grand, c'est-à-dire dans la
présence et la dispensation de Dieu. Et
combien de fois le secours actuel du Saint-Esprit
se montre plus évidemment dans la petite
circonstance que dans l'action
héroïque! Il ne faut pas une grosse
masse de charbon pour faire fumer une lampe. Aussi
le Seigneur nous dit-il que les nôtres soient
bien apprêtées, autant que bien
fournies d'huile. Mais ce n'est ni à la
précipitée, ni avec distraction, et
encore moins avec impatience qu'une mèche de
lampe se nettoie et s'arrange. » Ce souci de
fidélité dans les petites choses ne
pouvait qu'imprimer à la vie de César
Malan cet admirable caractère d'unité
qui harmonisait l'homme « intérieur
», l'homme « du foyer » avec l'homme
« public ».
Pré
Béni
Malan avait acheté, en 1829, une
campagne mitoyenne de sa propriété;
il la réunit au jardin qu'il avait
habité jusque-là et clans lequel se
trouvait la chapelle. Il échangea ainsi une
petite maison sur la route, contre une habitation
beaucoup plus commode, placée au milieu d'un
grand enclos entouré de murs. C'est
là que, pendant 35 ans, il vécut
à l'écart avec sa nombreuse famille.
Les parterres de fleurs, les vergers, les
tranquilles et frais ombrages de ce jardin du
Pré-Béni offraient à cette
bruyante ruche juvénile, tout ce qui pouvait
le mieux convenir à ses ébats : plein
air, exercice et même solitude. « Ce
jardin du Pré-Béni, dit son fils,
avec sa chapelle et son école, a
été comme un monde à part,
dans lequel se sont écoulées les
années de l'enfance et de la jeunesse des
plus jeunes d'entre nous, et dans lequel se
renferma toujours plus exclusivement la vie de
notre père dans Genève. »
Entouré de ses douze enfants, sentant se
raffermir une santé qui, jusqu'alors avait
été souvent ébranlée,
Malan voyait affluer chez lui des étrangers
que distinguait alors leur piété ou
leur place dans le monde religieux.
Il n'est pas inutile que nous imposions
silence, quelques instants, aux voix de la famille
pour recueillir l'impression que laissait à
un étranger le foyer où nous avons
pénétré. On y eût
rencontré, à côté de
Darby, Tholück, et d'autres de toutes nations.
Un jour, à table, on dut converser en latin,
à cause d'un visiteur hongrois. C'est
à l'un de ces hôtes, le Dr Ostertag,
d'Allemagne, que nous empruntons les notes qui
suivent :
Témoignage d'un
visiteur
« Mon premier soin, en arrivant
à Genève (j'étais alors
candidat en théologie), fut de rendre visite
à Malan... Lorsque j'entrai dans la
campagne, on ne dit que Malan y tenait justement
une assemblée du soir. Après avoir,
debout sous les fenêtres,
écouté le culte jusqu'à la
fin, je vis sortir cet homme
vénérable en compagnie d'un
étranger écossais. Il me salua de la
façon la plus affectueuse, avec la
grâce et la dignité qui le
caractérisaient.
MALAN ARTISE: PORTRAIT DE SES
ENFANTS
La
personnalité de Malan
« La première impression que
produisait la vue de Malan était celle d'une
noble et imposante personnalité. D'une
taille un peu au-dessus de la moyenne, il
était bien pris et vigoureux de corps, et,
quoiqu'il eût, dans son maintien, quelque
chose de militaire, il ne s'en montrait pas moins
parfaitement naturel, rien chez lui ne trahissant
de la gêne ou de l'affectation. Les larges
épaules supportaient une tête superbe.
Son front ouvert, élevé, donnait
l'idée de la puissance. Il avait les yeux
pleins d'esprit et de feu, en même temps que
l'expression affectueuse de son regard vous gagnait
tout aussitôt et vous retenait
forcément...
L'accueil
« Après m'avoir salué
comme une vieille connaissance, Malan me conduisit
dans une pièce qui donnait sur le jardin,
où il me présenta à
quelques-unes de ses filles, ainsi qu'à sa
femme, d'un abord simple et distingué.
« Et qu'est-ce qui vous amène ici ?...
» me demanda-t-il; puis, il interrompit ma
réponse en ces mots : « Où
logez-vous ?... Allez, ajouta-t-il lorsque je lui
eus nommé mon hôtel, faites apporter
ici vos effets et accommodez-vous de mon toit.
»
Rendez-vous
international
Le soir, en venant s'établir chez
Malan, Ostertag y trouva bien d'autres hôtes.
« On peut dire que la maison accueillante de
Malan était un rendez-vous international. Il
se consacrait à ses hôtes avec un
grand oubli de soi ; or, comme il n'était
pas seulement homme de société, mais
qu'il savait aussi tirer de son trésor des
choses vieilles et des choses nouvelles, la
conversation prenait, tout de suite, un
caractère sinon toujours sérieux, en
tout cas toujours instructif. Quand il invitait
ceux qui venaient le voir à prendre le
thé (cela arrivait souvent), il prenait sa
place au centre de la grande table; ses hôtes
se plaçaient à côté ou
vis-à-vis de lui, et sa nombreuse famille
à droite et à gauche, en sorte qu'il
pouvait tout embrasser d'un coup d'oeil. Un seul
regard lui suffisait pour tenir dans de sages
limites, ses fils ou ses filles, ou pour leur faire
apercevoir quelque oubli imprévu.
Le culte
domestique
« Il n'y avait pas, dans la vie de
famille, de plus beaux moments que ceux du culte
domestique du matin et du soir. C'étaient de
précieuses heures de
bénédiction et de recueillement. Il
va sans dire que tous ceux qui faisaient partie de
la maison y devaient prendre part, même les
hôtes et les domestiques. Un des enfants
disposait un guéridon avec la grande Bible
de famille et le livre des cantiques de Malan,
devant la chaise destinée au père de
famille. L'aînée des filles se mettait
au piano, tandis que les assistants s'asseyaient en
cercle, tout autour, avec leurs bibles à la
main. Malan commençait par une très
courte prière qu'il prononçait assis,
puis il indiquait un cantique que les gens de la
maison chantaient le plus souvent de
mémoire. Il lisait alors, avec beaucoup de
solennité, un chapitre de la Bible, en y
mettant une expression qui pouvait souvent tenir
lieu d'explication. L'allocution qui suivait ne
perdait jamais de vue les besoins individuels des
âmes présentes. Enfin venait la
prière, qu'on faisait à genoux, et
qui consistait surtout en la louange de Dieu et en
des actions de grâces pour les grandes
oeuvres du salut. Il avait aussi coutume, dans la
prière proprement dite, de recommander au
Seigneur les grands et les petits, l'individuel et
le général, l'Eglise de
Jésus-Christ, les membres comme les
hôtes de sa maison.
Tout cela était mis devant le
Seigneur avec tant de confiance et
d'humilité, qu'en se relevant d'une
semblable prière, on se sentait toujours
rafraîchi et fortifié.
Esprit
de prière
« Je compris, dès lors,
d'où provenait cette bonne humeur toujours
la même, cette fraîcheur d'esprit, qui
distinguait ce père de famille; quelle
était la source de l'affection cordiale et
de la bienveillance réciproque qui
régnaient entre tous ses enfants; où
était le secret de ce ton de
gaîté et de cet esprit joyeux, qui
faisaient une impression si favorable sur chaque
étranger appelé à
pénétrer dans cette maison. Du reste,
il me fut bientôt évident que l'esprit
de prière régnait dans toute la vie
de la famille. »
« Dans la maison de Malan, le
dimanche était gardé avec toute la
sévérité du puritanisme
écossais... »
La
bataille autour d'une âme
Ostertag raconte ensuite, dans ses
feuillets, avec quel zèle et quelle
charité Malan livra, autour de sa propre
âme, une bataille pour le Seigneur, avec des
questions aussi directes que celle-ci : «
Êtes-vous un des élus ? » ou
bien, pour parer à toute retraite : «
Est-ce nous qui gardons le salut, ou bien le salut
qui nous garde ?
« Un jour où je lui exposais
un projet de m'engager comme précepteur d'un
jeune homme de famille, il renversa sans
pitié tout l'échafaudage de mes
rêves et de mes objections : « Illusion
! Illusion !... Allez en France, en
Amérique, en Afrique, où vous voudrez
! pourvu que vous prêchiez Jésus !
Gagnez des âmes au Seigneur ! C'est là
votre tâche. Allez !
Évangélisez ! Sonnez la trompette de
l'Évangile ! » Pendant toute ma vie, ce
cri a mille fois retenti, depuis lors, à mon
oreille, et jamais, lorsque je l'ai
fidèlement suivi, je n'ai eu à m'en
repentir. »
Après un autre de ces assauts
terribles, Ostertag s'était retiré
dans sa chambre pour feuilleter un livre. Malan,
tout à coup, l'appela. « Il m'invita
à le suivre dans sa chambre d'étude
où était un harmonium. Il posa sur
l'instrument une feuille sur laquelle était
une belle mélodie de cantique avec un texte
français, et me pria de la jouer. Je le fis
aussitôt, en même temps que,
lui-même, d'une superbe voix de ténor,
au timbre métallique, chantait les trois
strophes du cantique. Paroles et musique
m'étaient tout à fait inconnues.
C'était un hymne sur la communion des
saints, sur les douceurs de la fraternité,
et sur le bienheureux espoir qu'il viendra un jour
où tous les enfants de Dieu, parvenus en
Christ à la perfection d'une même
connaissance, s'uniront pour louer ensemble
l'Agneau. J'étais ravi, et je finis par
demander s'il me serait permis de copier les
paroles et la mélodie. « Cette feuille
est à vous, me dit Malan avec une expression
joyeuse sur sa belle figure. C'est mon salut
d'adieu pour vous. » Et je remarquai alors que
la feuille portait une espèce de
dédicace à mon nom. Ce n'est
là qu'un trait de peu d'importance, mais il
nous fait voir de prés l'admirable vie de
charité qui animait l'âme de cet
excellent homme. »
« ...Au jour où je dus
prendre congé de cette excellente famille,
Malan me prit sous le bras et me mena dans le
jardin. Il m'y fit voir encore toute son affection,
mit sous mes yeux, en quelques traits bien clairs,
les jours que nous avions passés ensemble,
puis me donna d'excellents conseils et de
précieuses adresses pour le voyage que
j'allais entreprendre en France. Cependant, il
était près de minuit et je voulais
lui dire adieu : Non, non ! me dit-il, demain je
vous accompagne à la poste. - Le lendemain
matin, il était à ma porte à 4
heures. « Votre bagage est-il prêt ?
» me demanda-t-il après un amical
bonjour. Il aida au domestique à le
descendre, et l'accompagna lui-même
jusqu'à l'entrée du jardin. Ce ne fut
qu'alors qu'il vint me prendre. La ville
était encore enveloppée de silence;
pas un bruit dans les rues. Au bord de l'horizon,
une bande du ciel, faiblement
éclairée, annonçait l'approche
du jour. Que sera-ce, disait Malan, quand le Jour
de Christ apparaîtra, et qu'Il viendra tout
à coup réveiller ceux qui dorment !
En causant ainsi, nous arrivâmes à la
poste. La voiture et les chevaux étaient
prêts. Malan m'embrassa, invoqua sur moi la
bénédiction de Dieu, et la diligence
se mit à rouler bruyamment... Je n'ai plus
revu Malan depuis lors ; il est dans son repos ;
mais sa mémoire demeure une
bénédiction, et cela d'une
façon ineffaçable, et chez moi et
chez beaucoup d'autres. »
Un
gagneur d'âmes
Pour laisser à ceux qu'on
approche une telle impression, il fallait
être plus qu'un hôte accueillant, un
causeur disert, un partenaire aimable. Il fallait
être un gagneur d'âmes, et ce fut
essentiellement la vocation de César
Malan.
« Je n'ai rencontré
personne, écrit son fils, dont la
conversation fût plus constamment
variée, témoignât de plus
d'intelligence, fût plus facile, et
s'animât à l'occasion d'une plus
franche bonhomie et d'une gaieté de meilleur
aloi. Mais, dès que survenait un appel au
ministre de l'Évangile, dès qu'il se
trouvait, par exemple, en face de quelqu'un qu'il
craignait de ne plus rencontrer, il se sentait
aussitôt saisi par sa passion
d'évangéliser»
Un
intercesseur
Âmes conquérantes,
âmes « orantes » ! Malan
était un homme de prière : sa vie
intérieure en était nourrie. Il
était rare qu'il quittât une personne
sans avoir prié avec elle.
« Jamais il n'est parti de la
maison, dit son fils, jamais il n'a laissé
partir l'un de nous, ou même un ami, sans
rassembler toute la famille, pour recommander au
Maître suprême ceux qui « en se
séparant les uns des autres pour ce monde,
demeuraient cependant réunis sous son regard
». La première chose qu'il faisait en
revenant de voyage, c'était aussi,
après nous avoir embrassés, de rendre
grâces à Dieu avec nous tous, à
genoux, pour sa protection sur lui et sur nous, et
pour le bonheur qu'Il nous accordait de nous
retrouver ensemble. Jamais il ne se mettait
à table sans rendre grâces, qu'il
fût chez lui, chez des étrangers ou
même à une table d'hôte; jamais
je ne l'ai vu prendre un simple bouillon,
fût-ce même dans son lit, sans
qu'auparavant il ne fît sa prière.
»
Les
signes d'une vraie
spiritualité
Il ne faudrait, certes pas, en conclure
que Malan oubliait, dans les manifestations de
cette piété intense, ces mille petits
riens par lesquels s'exprime ici-bas, dans les
rapports avec autrui, une vraie
spiritualité. Ce n'est pas de lui qu'on
eût pu dire « trop pieux pour être
spirituel ! ». Il fallait le voir, par
exemple, à son retour de voyage. Quelle
fête mutuelle dans la famille que ces revoirs
! Malan sortait toujours de sa valise, pour ses
plus jeunes enfants, quelques petits cadeaux qui
les émerveillaient : coquillages, jouets
étrangers, livres d'enfants...
Il faut
aller à Dieu d'abord
Mais quand il s'agenouillait avec eux,
il illustrait puissamment, par son exemple, ce
qu'il ne cessait d'enseigner aux autres : l'honneur
dû à Dieu et la reconnaissance de sa
souveraineté. En toute chose, Malan
recherchait la bénédiction de ce Dieu
de la souveraine grâce. « Il faut aller
à Dieu d'abord, disait-il sans cesse
à ses enfants, et non pas en
désespoir de cause, et quand on se voit
à bout d'expédients. »
Également, il disait souvent : « Il
faut, avant de se décider à
entreprendre quoi que ce soit, avoir soin de
consulter l'Éternel. »
Malan et
ses enfants
C'est un témoin discret de cette
vie de famille qui déclarait : « Je pus
m'apercevoir que, dès qu'un des enfants ou
des membres de la maison se trouvait agité
ou troublé par quoi que ce soit, le
père de famille, ou bien lui recommandait
avec affection de chercher Dieu dans la
prière, en l'assurant que lui-même
allait intercéder pour lui, ou bien que, le
prenant dans son cabinet d'étude, il priait
là avec lui, après lui avoir
parlé intimement. » Et quand ce
même témoin, à propos de la
doctrine favorite de Malan (la
prédestination) ,se laisse aller à
dire : « Tous les membres de la famille
la professaient avec une obstination de fer »,
il s'attire d'un des enfants de Malan cette
rectification : « Sans doute, nous subissions,
comme enfants, la seule influence dogmatique
à laquelle nous étions
exposés, je veux dire celle de
l'enseignement public de notre père. Et
c'est à dessein que je dis : de son
enseignement public. En effet, notre père
avait trop de tact pour faire de son dogme
théologique le sujet spécial de ses
conversations avec ses enfants. Je crois pouvoir
dire que l'influence définitive qu'il a
exercée sur nous tous, a été,
avant tout, non pas celle de son dogme
spécial, mais celle de sa foi vivante et de
sa piété
sincère.»
Celui qui édita le recueil
périodique : « le Véritable ami
des enfants », fut pour les siens un ami dans
toute la forte acception du terme. Il n'interposait
pas, entre ses enfants et lui, cette
autorité glaciale ou non
compréhensive qui paralyse si souvent les
élans confiants des fils envers leurs
pères. Ses fils affirmaient au contraire que
« dans leur jeunesse, ils ne se
trouvèrent nulle part aussi à l'aise
qu'auprès de leur père, certains
d'être, sinon toujours approuvés, du
moins toujours compris ! » Il savait se mettre
à leur place, attirer leurs confidences et
leur faire partager ses scrupules personnels de
conscience, sans les imposer par une
autorité extérieure et
intraitable.
Malan s'occupait de l'éducation
de ses enfants avec une persévérance
et un dévouement remarquables. C'est pour
faciliter à son fils aîné
l'étude du latin qu'il s'astreignit,
dès les premiers jours, à ne lui
parler qu'en latin ; plus tard, pour lui apprendre
à lire, il prépara lui-même un
livre illustré de sa main et enrichi de
petites histoires en latin.
C'est à ce petit garçon de
6 ans qu'on avait, un jour, annoncé la
visite de deux messieurs américains.
Dès qu'il les vit paraître, il
s'écria : Américains ? Non sunt cum
plmnis !... Ne se représentant, en effet,
les américains qu'à travers ses
livres d'images, il s'imaginait tout naturellement
les voir apparaître avec la coiffure de
plumes et le costume conventionnel des
Indiens !...
Malan
précepteur
Malan recevait chaque soir, à une
certaine heure, ses fils et filles pour leur
expliquer « la Logique de Port-Royal »,
les éléments de la
géométrie ou de la physique. Il avait
construit lui-même dans ce but des «
machines électriques » avec divers
appareils en usage à l'époque. Tandis
qu'aux beaux soirs d'été, il groupait
ses aînés autour de son grand
télescope pour leur faire admirer
l'infiniment grand, il les réunissait
d'autres fois autour du microscope pour leur
montrer l'infiniment petit. Alors la Gloire du Dieu
vivant n'était point négligée!
Dans les conversations des enfants, il pourchassait
les expressions incorrectes. Et lorsqu'un point
douteux surgissait, en grammaire ou en histoire, il
recourait sans tarder au Dictionnaire ou à
la grammaire, désireux de l'éclaircir
tout de suite. Satisfait, il concluait alors :
« Voilà une erreur de moins !
»
Dimanche
en famille
Nous avons parlé des pieux et
austères dimanches de la famille Malan.
Cependant recueillons ici le témoignage d'un
des enfants : « Ce qui m'a laissé, de
nos années d'enfance, le souvenir le plus
vivant, ce sont les soirées d'hiver
où mon père nous recevait dans sa
chambre, pour nous conter des histoires.
C'était le dimanche, après le repas
du soir. Nous le trouvions alors dans un fauteuil,
devant son feu. Mes frères et soeurs
s'asseyaient sur des chaises, à sa droite et
à sa gauche, tandis que moi, alors tout
petit garçon, j'avais ma place entre les
pieds de mon père, sur une épaisse
toison qui garnissait le devant de la
cheminée. C'est là, en regardant la
flamme osciller sur les tisons d'un feu qui se
ralentissait et l'ombre danser sur les
faïences historiées des parois du
foyer, que je l'entendais nous raconter «
Raoul » ou bien « La chaîne de
montre » ou « Théobald le coeur de
fer » ou tant d'autres récits qu'il
composait alors, et qui vinrent s'ajouter, dans son
Véritable ami des Enfants, à ceux de
« Didier le vagabond » ou de « Jean
des Raquettes, marchand d'amadou. »
C'est assez dire que, dans les
procédés pédagogiques de
Malan, l'agréable allait de pair avec
l'utile et l'édifiant ! De bonne heure, il
donna des leçons de dessin à ses
enfants et inspira particulièrement à
ses fils le goût des arts manuels. «
Lorsqu'il faisait mauvais temps, les jours
où nous étions libres, notre
père nous ouvrait « l'atelier ».
L'atelier
C'était une vaste pièce,
dans laquelle se trouvaient un grand tour pour son
usage, un plus petit pour nous autres, la forge
avec l'établi de serrurier, le banc de
menuisier et une collection fort nombreuse d'outils
de tout genre, dont plusieurs avaient
été fabriqués par
lui-même. Là, il nous apprenait
à reconnaître et apprécier les
bois, à construire et à employer les
outils, ou bien nous l'aidions dans quelque
travail. Notre père joignait à une
grande force musculaire une sûreté et
une légèreté de main
exceptionnelles. »
Rappelons ici l'origine du petit
guéridon « que l'on plaçait au
culte du soir devant le chef de famille ».
César Malan y tenait beaucoup : il l'avait
fait lui-même pour l'offrir à sa femme
le jour de leur mariage, avec quelques autres
objets fabriqués de sa main. C'est que sa
position ne lui permettait pas de faire de
dépense et il n'était pas homme
à vouloir offrir un présent qu'il
n'eût pas payé !
Dans cet atelier, César Malan
suivait de près ses fils : il tenait
à voir par lui-même de quel
côté les portaient leurs aptitudes. Il
veillait beaucoup à ce qu'on fit bien ce
qu'on avait commencé et ne négligeait
aucun moyen d'y aider. Ainsi, il avait monté
pour son fils aîné, un atelier complet
de reliure. Plus tard, il avait stimulé le
zèle qu'un autre fils mettait à se
servir d'une imprimerie d'enfant, en lui
construisant lui-même une petite presse en
fer, avec tous les accessoires. Ce fut l'origine de
cette « imprimerie du Pré-Béni
» d'où sortaient les premiers
écrits de Malan.
On pourrait s'étonner qu'un homme
si actif, si habile et tellement ami de la
campagne, n'ait jamais éprouvé de
goût pour les travaux du jardin. C'est que
Malan n'aimait pas beaucoup l'incertain et
l'imprévu : il préférait les
activités que suivaient les résultats
immédiats et sûrs !
Ennemi
du gaspillage
Généreux, il avait horreur
du gaspillage. Il ne laissait rien perdre. En
promenade, il s'arrêtait parfois pour
ramasser un clou, une épingle, un objet
quelconque qui, disait-il, « trouverait un
jour son emploi ». C'est qu'il savait
ingénieusement tirer parti de tout. Un jour,
il apporta à l'un de ses fils un canif, dont
il avait lui-même forgé la lame et
fabriqué le manche avec un morceau d'acier
et un vieil os blanchi par le soleil qu'il avait,
quelques jours avant, ramassé sur la route
!
Ami de
l'ordre et de la ponctualité
Ami de la régularité et de
l'ordre, il en imprimait le sceau ! toute la vie de
sa maison. Il tenait beaucoup à ce que les
membres de la famille fussent ponctuels soit aux
cultes, soit aux repas, dont le signal se donnait
par une cloche, et toujours à l'heure
précise. Les fils étaient
habitués à se lever tôt : la
première leçon, en été,
était à six heures. Et chaque enfant
était exercé à dresser, pour
la saison nouvelle, son emploi du temps
hebdomadaire.
Cette ponctualité, Malan
lui-même en donnait l'exemple. En
été il était d'ordinaire
debout à quatre heures et quand la famille
se rassemblait à huit heures pour le
déjeuner, il rentrait déjà de
sa promenade. Son activité était
intense sans être jamais fébrile. Ni
rêveur, ni causeur, il se délassait en
travaillant de ses mains. Il serait difficile
d'énumérer tous les travaux auxquels
il s'appliquait alors. On le trouvait tantôt
avec le burin du graveur, les fers à souder
du ferblantier, tantôt occupé à
fabriquer son encre ou sa cire à cacheter.
Il était toujours tout entier à son
ouvrage, et quand il avait réussi, il
accourait avec une joie juvénile vers les
siens pour les associer à sa
satisfaction.
Nous avons eu le privilège de
voir réunis, dans un salon familial,
quelques souvenirs de César Malan,
témoins de son habileté manuelle :
l'ivoire, le buis avaient pris entre ses mains
expertes les formes les plus diverses et les plus
gracieuses; ce n'est pas du travail de brocanteur,
comme les amateurs en produisent souvent : c'est de
la ciselure, une finesse d'orfèvre
!...
Malan
vitrailleur
Quand il disposait de quelques heures,
il se mettait à peindre ou à
dessiner. C'est ainsi qu'il peignit sur verre toute
une riche collection de tableaux d'histoire
naturelle, de joyeuses scènes de famille,
d'histoires morales, de paraboles de Jésus.
On les projetait certains soirs, à l'aide
d'une « lanterne optique » qu'il avait
construite lui-même. Lanterne optique,
avons-nous dit à la manière de Malan
qui défendait d'employer le terme «
lanterne magique ». Comme on aimait « les
soirs de la lanterne » dans la famille et avec
quelle joie la troupe joyeuse accourait-elle dans
la chambre obscure au premier son de trompe
donné du haut de l'escalier !...
Dans une charmante soirée
passée chez les descendants de César
Malan, on voulut bien reproduire pour nous «
un soir de la lanterne ». Et nous avons vu
défiler, avec émotion, ces verres
peints où le même souci du
détail que Malan apportait dans toutes ses
oeuvres, se reflétait dans les dessins et
les couleurs. Là, encore, Malan a fait
preuve d'un vrai génie de vitrailleur, de
miniaturiste. Quand on a ainsi saisi, sur le vif,
ce souci de la minutie, on comprend mieux la
précision de sa position
théologique !!!...
Les
soirées d'hiver
Les longues soirées d'hiver
étaient ainsi particulièrement
appréciées des petits : c'est alors
que Malan tenait le plus de place dans leur vie
d'enfants. « Dans ces soirées,
écrit C. Malan fils, chacun devait avoir une
occupation. Tandis que mes soeurs travaillaient de
l'aiguille, je dessinais ou bien je leur lisais
à haute voix. Souvent on faisait de la
musique. Un de mes frères accompagnait avec
la flûte le piano de mes soeurs, et l'on
finissait assez souvent par chanter en choeur
quelque cantique de mon père ou d'Ami Bost.
»
La
fête de Nouvel An
Mais le grand événement de
leurs hivers, c'était la fête du
Nouvel An. « C'était là surtout
que notre père mettait à nu tous les
trésors de son coeur aimant, aimable et
dévoué. À force de soins et de
sacrifices personnels, il avait, pendant toute
l'année, réuni les moyens de nous
fêter tous, et la manière toujours
variée dont il arrangeait, le soir du 31
décembre, « la montre des
étrennes », la part qu'il y prenait
lui-même en associant sa joie de père
à notre bruyante joie, et les quelques
paroles de coeur et de piété qu'il
finissait toujours par nous adresser avant de se
mettre à genoux avec nous et notre bonne
mère pour rendre grâce « à
notre bon Dieu et Père Céleste
»; tout cela demeure gravé en traits
indélébiles dans notre souvenir
à tous. »
Le lendemain matin, à
déjeuner les enfants recevaient les cadeaux
qui leur avaient été «
montrés » la veille. Puis, toute la
famille assistait au culte de la Chapelle.
Sitôt après, elle allait rendre visite
aux grands-parents paternels. «Mon père
marchait en tête avec notre mère
à son bras, et nous suivions tous, deux
à deux. Il n'oubliait pas, en passant, de
donner ses petites étrennes, avec quelques
mots de piété et de sympathie,
à l'employé d'octroi et au soldat du
poste. Plus d'un passant s'arrêtait pour le
saluer, et pour regarder défiler cette
nombreuse famille. »
Les
promenades familiales
Aux beaux jours, Malan organisait
souvent des promenades et des excursions en famille
où il se montrait le plus aimable des
compagnons de route, prenant part à toutes
les joies de ses enfants et s'associant à
tous leurs enthousiasmes. Lorsque, dans une de ces
sorties, les plus jeunes s'étaient
suffisamment fatigués à courir de
côté et d'autre, Malan les
réunissait tous autour de lui, soit pour
leur parler des moeurs de tel animal des champs,
soit pour leur nommer quelques-unes des fleurs
qu'ils lui rapportaient. Il leur montrait en toutes
choses la sagesse et la bonté de ce Dieu
dont la présence éclairait
constamment son âme.
Telle fut l'atmosphère lumineuse
dans laquelle se déroula la vie de cette
touchante famille.
La
discipline au foyer
La discipline en était-elle donc
absente ? En général, César
Malan évitait de reprendre et de gronder. Il
avait comme du respect pour la liberté
individuelle même de ses petits enfants. Il
s'appliquait avant tout à graver de bonne
heure dans leur coeur et leur esprit des «
principes ». Il possédait d'ailleurs le
talent de les exprimer sous une forme frappante.
« Une vérité bien
exprimée et bien comprise, disait-il
lui-même, est comme un clou bien
planté. C'est une fort petite barre, mais
elle est de fer et solide. On peut v rattacher
beaucoup de choses. »
Principes de
conduite
Les règles de morale visaient
plutôt la volonté et la conscience que
les actes et la mémoire. « N'allez pas,
disait-il, là où le Sauveur ne peut
vous suivre ! Évitez, dans vos projets, vos
lectures, tout ce sur quoi vous ne pouvez implorer
de tout votre coeur la bénédiction de
Dieu. » Même quand il était
obligé de sévir, il
s'efforçait de faire comprendre à ses
enfants les raisons, les principes qui l'avaient
guidé. D'ailleurs, il ne punissait que
très rarement, et toujours à regret.
Il n'y avait qu'un seul cas où il
était intransigeant : quand il s'agissait
d'une faute contre la « véracité
».
Horreur
du mensonge
Il répétait souvent
à ses enfants que « le mensonge est du
diable », que « le menteur n'habiterait
pas chez lui »; que c'était là
le seul crime dont leur âge fut capable et
que la médisance et la calomnie sont les
avenues qui conduisent à cet
abîme.
À table, où il aimait que
ses enfants prissent part à la conversation,
il dirigeait toujours celle-ci en l'aiguillant avec
tact sur des sujets gais ou instructifs et en y
mêlant, à bon escient, quelques
sérieuses paroles du coeur.
L'ingéniosité d'un
père
César Malan ne négligea
donc rien pour donner à sa nombreuse famille
une éducation aussi soignée, aussi
complète et aussi virile que possible.
Sentant lui-même très vivement
l'isolement où se trouvaient placés
les siens, il s'efforça d'y remédier
par tous les moyens en son pouvoir. Il favorisa le
développement de leurs talents ou de leurs
aptitudes et leur accorda, dans les limites de la
vie de famille, toutes les jouissances et les
distractions que lui permettaient ses moyens et ses
principes. Ce fut toujours au prix d'un total oubli
de soi ! « je me souviens, écrit son
fils César, que jeune homme encore je
découvris, grâce à une
circonstance fortuite, que mon père
était obligé d'y regarder de
très près pour sa dépense, et
il me permit de lui en parler. Après
quelques mots à ce sujet, il me recommanda
de n'y plus penser moi-même : et surtout de
n'en rien dire à ma mère. « Ce
sont là des choses dont je n'ai jamais
voulu' fatiguer ta bonne mère; il ne faut
pas qu'elle en sache rien », me dit-il. «
Quant à moi, mon enfant, je sais depuis
longtemps que mon Dieu et Père
Céleste possède tout l'or et l'argent
de la terre et qu'Il ne nous laissera jamais
manquer du nécessaire. »
Éducation virile, avons-nous dit
plus haut : certes, le chrétien qui pouvait
ainsi ouvrir son coeur à l'un de ses fils,
et lui révéler l'armature
cachée de sa vie, était bien
qualifié pour guider les siens dans ces
rudes sentiers ! Dans la vie pratique comme dans la
vie religieuse, Malan fut l'adversaire
acharné de la fausse sentimentalité.
S'il aimait mettre entre les mains de ses jeunes
enfants des Bibles de gravures, il en
éloignait toute représentation de
Dieu, du diable, du Seigneur Jésus. «
Pour moi, écrivait-il plus tard à
l'un d'eux, en 1850, je n'aime pas à voir
les représentations du Seigneur
Jésus. Il s'est montré à saint
Jean, et l'apôtre en fut renversé. On
ne le représente jamais tel qu'il est, et
même on ne le fait point voir tel qu'il fut ;
car il est Dieu et Dieu ne se représente
pas. Que sa douceur et sa bonté merveilleuse
nous soient donc de plus en plus
démontrées et dépeintes, mais
que ce soit par le Saint-Esprit, dans le coeur, et
non point par notre imagination, à la vue de
l'oeuvre de l'homme»
Ce n'est donc pas seulement sur la vie
de César Malan missionnaire de Dieu qu'on
peut mettre en exergue la parole biblique : «
C'est par la foi... » C'est aussi sur son beau
ministère de chef de famille qui sut faire
de son foyer un lieu béni où ses
enfants aimaient vivre et se retrouver.
Une
ombre au foyer: la maladie incurable de Jocelyn,
l'un des enfants
Tout y était vie et
lumière : une ombre cependant vint
douloureusement assombrir cet asile paisible et
joyeux. Un des enfants, Jocelyn, commença,
à l'âge de 7 ans et probablement
à la suite d'une chute très grave
qu'il fit alors, à montrer les premiers
symptômes d'une terrible maladie nerveuse. Le
mal s'aggrava peu à peu et bientôt on
dut perdre tout espoir de guérison. Tandis
que toute la famille et les docteurs
eux-mêmes s'effrayaient à la vue de
ses indicibles souffrances, le jeune garçon
se mit, après une période de
dépression morale, à déployer
une patience, une douceur et une résignation
émouvantes. Et cette épreuve dura g
ans !... Vers ses derniers jours, il disait
à sa mère : « Que Dieu est bon
pour moi ! Il me fait la grâce de se
tenir avec moi dans mon coeur ! Je le sens tout
près, bonne mère ! et pense que je
puis Lui parler comme à toi ! »... Et
encore : « Ah ! maman ! que je désire
être patient et soumis envers mon Dieu !
»... « Je le puis, car ce n'est pas moi
qui suis obéissant : c'est bien Sa force en
moi ! »
Le 26 janvier 1846, il s'endormit dans
la paix de Dieu.
Le
combat d'un père
Pendant cette longue maladie,
César Malan mena, dans l'angoisse et la
prière, un bien rude combat. « Je le
voyais, écrit son fils, lutter avec l'ange
que Dieu avait envoyé traverser son chemin ;
je sentais que, comme pour le patriarche des
anciens jours, c'était là pour lui
aussi une lutte solitaire, un combat dans les
ténèbres, et que, s'il devait sans
doute finir par être victorieux, il n'en
sortirait cependant que blessé et meurtri.
Quand l'heure de la délivrance eut enfin
sonné, mon père fut comme
frappé de silence. »
Ce fut en effet une époque
décisive dans la vie de la maison. Pour la
plupart des frères et des soeurs, elle
marqua la fin des jours de soleil et de
gaîté de leur enfance.
Madame Malan avait entrevu, dès
le début, l'issue terrible de
l'épreuve. César Malan eût cru
manquer de foi. Tout en combattant le mal avec
énergie et persévérance, il
répétait aux siens que Dieu est
puissant pour exaucer la prière. Et il
priait avec véhémence. Mais ces
longues années de luttes ne se
terminèrent pas par une éclipse de sa
foi. Il ne savait pas encore que Dieu voulait aussi
fui apprendre la longue et douloureuse leçon
du sacrifice et de la soumission
silencieuse.
Après la mort de ce cher enfant,
qu'avaient précédé celles du
père et du frère de Malan (1840;
1844), la mort de sa mère, survenue en 1848,
le dépouilla de tous ceux qui avaient
entouré son enfance, « J'ai perdu,
écrivait-il peu de jours après, celle
qui, pendant plus de soixante années, a
été ma première et ma
constante amie et bienfaitrice. »
Désormais, l'ombre du soir
descend sur cette vie ardente.
CESAR
MALAN AU SOIR DE SA VIE
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