Parcours féminins
SECOND ENTRETIEN
Il était plus de cinq heures du
soir quand, le dimanche suivant, les jeunes amies
de Mme Vivien se réunirent chez
elle.
- Jeunes filles, leur dit Anne-Laure
d'une voix émue, voici notre dernier moment
ensemble. J'ai essayé de vous guider dans le
choix d'un époux, maintenant discutons comme
si, mariées depuis peu de temps, vous veniez
chercher quelques conseils auprès de moi.
D'abord, j'espère que votre mariage a
été modeste, qu'on ne vous a pas vu
dépenser en cérémonie, en
robe, en achats de toutes sortes et en voyage de
noces plus qu'il n'en fallait. Et surtout, j'ose
espérer que vous n'avez pas
dépassé ce que vous pouviez
payer à deux. Commencer avec des
crédits 18 pour ces choses serait
déjà un mauvais départ, en
plus de vous donner l'impression que l'on peut
toujours s'en sortir avec des prêts.
Les jeunes filles sourirent, une
fois de plus à l'écoute des propos de
Mme Vivien, paroles d'un autre âge au
jugement de l'une ou l'autre d'entres elles.
- Il me souvient, poursuivit
Anne-Laure, des noces d'un jeune homme et d'une
jeune fille qui avaient de bonnes qualités,
qui s'aimaient, mais qui aimaient encore plus la
vanité et les plaisirs. Marie, après
cinq ans de travail, possédait une certaine
somme en guise d'économies. Jacques, ouvrier
maçon, avait amassé de son
côté quelque argent. Leur union
décidée, ils ne s'occupèrent
plus que des emplettes nécessaires à
leur entrée en ménage.
Marie, un peu fière, ne
trouvait jamais que son linge de maison fût
assez beau, que ses meubles fussent assez
soignés, que ses vêtements fussent
assez nombreux. Ceci manquait dans sa cuisine, cela
dans sa chambre, et toujours l'on retournait au
centre commercial et dans d'autres
magasins.
Jacques, imprévoyant, faible
de caractère, laissait faire sa
fiancée. Lorsque tout fut acheté, la
plus grande partie des économies des futurs
mariés avait disparu. Mais le jour de la
cérémonie arrivait, il fallait bien
faire admirer ses richesses, on s'attendait
à de belles noces. Qu'auraient dit les
compagnes de la mariée, les amis de
l'époux, tout le village, si après
tant d'achats qui annonçaient l'opulence, le
mariage s'était fait sans bruit, sans faste
?
Jacques aurait pris son parti d'une
telle humiliation, mais Marie ne pouvait supporter
cette idée. Alors, ils se dirent qu'avec un
peu de travail, qu'avec beaucoup d'ordre, ils
regagneraient vite l'argent dépensé.
Ils firent des invitations, convoquèrent le
traiteur pour commander un repas somptueux,
réservèrent la plus belle salle de la
région, et même un orchestre. Le jour
du mariage, on dansa, on mangea, on s'amusa. Et
dans ces moments si solennels où deux
époux devraient se recueillir, prier Dieu de
bénir leur union, prendre sous ses yeux des
résolutions sérieuses, on se livra
à toute la folie des plaisirs les plus
bruyants et les plus frivoles. Ce jour d'ivresse
passé, les nouveaux mariés se
retrouvèrent seuls, en face des dettes
qu'ils avaient voulu contracter pour soutenir
jusqu'au bout le rôle du ménage
opulent à qui rien ne manque. Supportant mal
leur nouvelle situation précaire, mal
disposés l'un envers l'autre, ils
s'adressèrent des reproches qui furent mal
reçus; les bouderies, les querelles
suivirent. Plus tard arrivèrent des enfants;
le travail suffisait à peine à la
nourriture de chaque jour, les dettes restaient.
Las d'attendre, les créanciers firent un
beau matin saisir le mobilier et les bibelots,
causes de tant de misères. Les souffrances
de la pauvreté furent accueillies sans
résignation, car ce mauvais commencement
avait tout gâté, et ni l'affection ni
la paix ne rentrèrent dans ce ménage,
d'où les avait chassées le
désir insensé de briller aux yeux des
voisins. Tout cela est le résultat de leur
vanité, qui n'est qu'apparences et jalousies
à l'égard des voisins.
Jeunes filles, veillez et priez
dès le commencement de la vie
conjugale.
Les débuts ont une grande
importance.
Si, dès le premier jour,
plaçant votre union sous la protection du
Seigneur, vous étudiez la Bible, vous
invoquez le Père céleste avec un
époux, tout ira bien. Si, au contraire, vous
pensez pouvoir vous passer des secours que Dieu
vous donne par le moyen de sa Parole; si vous
renvoyez à demain, et à demain
encore, pour sonder les Écritures avec votre
mari, pour unir vos coeurs dans la prière,
tout ira mal. Vos défauts et ceux de votre
mari briseront bientôt leur enveloppe, sous
laquelle ils se dissimulaient durant les
fiançailles, et comme ni l'un ni l'autre
vous ne chercherez la sanctification vers celui qui
la donne, vos mauvaises dispositions
s'accroîtront au lieu de s'effacer. Elles
amèneront le désordre,
l'éloignement et infailliblement le
malheur.
- Comment forcer un homme à
lire, à prier tous les jours avec sa femme ?
demanda Justine. Vous savez comment sont les
garçons lorsqu'on leur parle de la Bible.
Beaucoup disent que c'est pour les femmes, ces
choses là.
- Oh ! Justine, j'espère que
tu n'as pas épousé un homme «
comme sont ces garçons »,
c'est-à-dire, si je te comprends bien, un
homme indifférent, léger ou
incrédule ! Cependant, admettons que tu aies
fait cette erreur. Ton mari se soucie fort peu des
choses du ciel, il ne s'inquiète en aucune
façon de l'avenir de son âme. Il
nourrit de fausses idées, telles que
travailler c'est prier; que les femmes sont trop
sensibles à ces choses; qu'en fin de compte,
s'il y a réellement un enfer et un paradis,
le premier ne renfermera que les monstres tandis
que le second accueillera presque tout le monde.
Quoi ! Justine, tu connais son état
spirituel, tu en connais le danger pour son
âme, et tu te tairais ! Tu prendrais ton
parti de voir ton époux se perdre pour
toujours ! Tu t'accommoderais d'une vie
passée tout entière partagée
entre le Seigneur et ton mari qui ne veut rien
entendre à ta foi ! Tu t'établirais
à ton aise dans la passivité et la
permissivité, pour avoir la paix dans ton
couple !
- Non, murmura Justine;
j'essaierais... je m'efforcerais mais
...
- Mais sans avoir l'espérance
de réussir, n'est-ce pas, Justine
?
La jeune fille se tut.
- Je ne sais en effet si tu
réussirais, mais ce que je sais bien, c'est
que ton devoir le plus pressant serait de tout
tenter pour amener ton mari à la
vérité évangélique. Ce
que je sais encore, c'est que, sans une grande foi
en la fidélité de Jésus qui
bénit de tels efforts, tu n'aurais ni
zèle, ni persévérance, ni
charité.
- Oh ! Moi ! s'écria Melissa,
si j'étais assez malheureuse pour me trouver
unie à un mari sans religion, je ne
goûterais aucun bonheur, aucune paix
jusqu'à ce que son coeur fût
changé. Je ne négligerais rien pour
le convertir; le matin, le soir, je serais
près de lui avec ma Bible, je le supplierais
de l'ouvrir, je le fatiguerais peut-être,
mais je vaincrais !
- Tu le fatiguerais, chère
Melissa, c'est certain, quant à le vaincre
c'est moins sûr. Mes amies, c'est ici un des
plus dangereux écueils du zèle
chrétien. Oui, il faut que le désir
d'attirer un époux à Christ
brûle notre coeur, mais il ne faut pas que ce
désir nous incite à tyranniser,
à tourmenter notre mari. Il ne faut pas
surtout qu'il nous fasse oublier les plus
évidentes règles de la soumission
conjugale, de la douceur, de la prudence
évangéliques.
Votre mari ne veut pas prier avec
vous, il s'obstine à laisser sa Bible
fermée. Eh bien, priez pour lui ! Que votre
humble soumission et votre affection lui montrent
les effets de cette Parole de Dieu qu'il
méprise ! De temps à autre, lorsqu'il
est heureusement disposé, dites-lui
quelques-unes des admirables promesses que
contiennent les Saintes Écritures;
racontez-lui quelques-unes des instructives
histoires qu'elles renferment; s'il le permet,
lisez-lui un verset ou deux, mais n'imposez pas
votre foi. La faire aimer, voilà tout votre
droit, tout votre devoir.
- C'est clair ! dit Patricia, on
peut suivre sa religion sans étudier la
Bible du matin au soir. On n'a pas besoin de passer
des heures à genoux pour vivre dans la
présence de Dieu.
- Non, répliqua Anne-Laure,
profondément attristée par
l'endurcissement de Patricia, non, il n'est pas
nécessaire de lire la Bible du matin au soir
ou de passer des heures à genoux pour
apprendre à connaître Dieu, à
le servir. Mais vous savez que le Seigneur
Jésus nous a invités à sonder
les Écritures. Et il ne l'a pas dit pour
rien. Il a dit : « Veillez et priez
», et cet ordre signifie quelque chose. On
trouve la pensée du Seigneur dans sa Parole,
c'est donc dans sa Parole qu'il la faut chercher.
On obtient ses secours par la prière, c'est
donc la prière qu'il faut employer pour les
demander. Renoncer à se servir des moyens
qu'il nous indique lui-même, c'est renoncer
à recevoir ses grâces.
Quelle responsabilité
pèse sur l'épouse, mes chères
amies! Par son influence elle peut écarter
son mari du Seigneur; par son influence elle peut
l'amener à Dieu.
- Oh ! Est-ce qu'elle le peut
vraiment ? demanda Zoé avec l'accent du
doute. Je n'ai, pour ma part, jamais vu de femmes
qui agissent vraiment sur l'esprit d'un mari. Les
hommes s'occupent si rarement de ce que leurs
femmes pensent ou disent. Ils les écoutent
à peine, et n'en font qu'à leur
tête. C'est pourquoi on leur rend parfois la
vie dure, et pour moi, je crois que c'est ce qu'on
a de mieux à faire.
- Et moi, Zoé, je pense que
c'est ton coeur qui te donne un mauvais conseil. Ce
n'est pas avec ce genre de petites vengeances que
l'on consolide un couple. Une épouse pieuse
parle, et ses paroles, si elles sont
prononcées dans un esprit de douceur,
finissent un jour par atteindre le coeur de son
mari. Plusieurs, au contraire, blessent leur
époux par leurs paroles, et les expressions
d'une femme en colère réveillent les
passions violentes de son conjoint. Une
chrétienne fidèle, si elle ne
convertit pas le coeur de son mari, au moins elle
ne l'endurcit pas, elle lui inspire du respect pour
l'évangile. Tandis que celles qui se
laissent emporter par des dures réflexions
ou par de méchantes mesquineries finissent
par récolter ce qu'elles ont semé; la
discorde.
Il est commode de se dire qu'on ne
peut pas agir sur son mari, mais cela n'est pas
vrai. Pour travailler au bien de son mariage, il ne
faut pas seulement aimer le Seigneur, il faut
encore aimer l'époux qu'il nous a
donné.
- Cela n'est pas difficile !
s'écria Justine avec sa promptitude
ordinaire.
- Oui, s'il est aimable, mais s'il
ne l'est pas ? Si aux illusions qu'on se faisait
sur son compte succède la vue très
nette de défauts qui nous sont
insupportables ? S'il est brusque, s'il est
contredisant, s'il est despote, s'il vous cause de
vifs chagrins par son égoïsme
?
- Alors, jamais ! s'écria
Zoé. Non ! reprit-elle, jamais je
n'aimerai un homme qui n'aura pour moi ni respect
ni affection, un homme qui ne me rendra pas
heureuse !
- Que fais-tu de cet ordre du
Seigneur : « Aimez vos ennemis
» ?
- Mais le Seigneur parle ici du
prochain, et puis un mari n'est pas un
ennemi ! répliqua
Zoé.
- En es-tu sûr ? Il peut
le devenir. Et puis, dans tous les cas, votre mari
est aussi votre prochain.
Les jeunes filles se mirent à
rire.
- Ne riez pas. Cela peut
malheureusement arriver, reprit Anne-Laure.
Zoé a dit tout haut ce que pensent tout bas
beaucoup de femmes. Il y en a même plusieurs
qui, après d'heureuses années,
souffrent auprès d'un mari violent ou
très opposé à leur
foi.
L'amour que prescrit la Parole de
Dieu n'est pas un amour comme les autres, c'est un
amour désintéressé. Cet
amour-là, Dieu vous le donnera si vous le
lui demandez. Il vous soutiendra en dépit
des mauvais procédés d'un mari. Si
vous êtes vraiment chrétiennes, plus
vous le verrez pécheur, plus vous
éprouverez le besoin de prier pour lui. Les
sacrifices mêmes que vous imposeront ses
défauts ne vous paraîtront pas trop
cruels, parce que c'est à Christ que vous
les offrirez.
Avec l'amour doit marcher
l'obéissance. Et ce n'est pas facile !
Obéir à un mari qu'on aime n'est pas
toujours si facile qu'on le pense, surtout quand
l'amour propre, quand le caprice, quand
l'entêtement se mettent en travers de sa
volonté, et ils s'y mettent souvent. Mais
obéir à un mari fâcheux,
exigeant, obéir à un mari qu'on aime
peu, voilà qui est bien difficile, et
pourtant bien nécessaire.
- Il me semble que dans le mariage,
dit Patricia, chacun doit obéir à son
tour.
- La Bible affirme le contraire.
Tenez, voyez vous-même: «Ton
désir sera tourné vers ton mari, et
il dominera sur toi » (Genèse
3 :16), et ici : «Femmes, soyez soumises
à vos propres maris comme au Seigneur »
(Ephésiens 5 :22).
- Obéir ! reprit à son
tour Zoé, d'un ton hautain, mais si j'ai
raison et si mon mari a tort ?
- D'abord, il faut que la chose soit
bien prouvée; qu'elle le soit, non pas au
jugement de ta passion du moment, mais qu'elle le
soit au jugement de ta conscience. Et puis il faut
encore savoir si l'obéissance envers ton
mari, quand même il a tort, entraîne la
désobéissance envers Dieu, ou si elle
ne blesse que ton amour-propre; dans ce dernier
cas, ma chère amie, soumets-toi.
- Et dans le premier ?
- Dans le premier, la
résistance est un devoir, mais il y faut une
humilité, une mesure, une douceur plus
malaisées, crois-moi, à obtenir de
notre coeur que la soumission toute
simple.
- Je vous le répète,
continua Anne-Laure, cherchez le Seigneur, fuyez
tout ce qui pourrait vous familiariser avec le
vice, et Dieu vous gardera d'un mauvais mari. Au
contraire, il vous accordera un époux
bienveillant qui vous aimera comme Christ a
aimé l'église. Il se donnera pour
vous, et il vous sera alors facile de lui
être soumise.
Je vous remets entre les mains du
Père céleste; qu'il vous
protège. Melissa, ne t'endors pas sur
l'oreiller de la grâce de Christ. Zoé,
méfie-toi de l'orgueil. Justine, prends
garde à la légèreté. Et
toi, Patricia - ici Mme Vivien prit les deux mains
de la seule jeune fille dont les yeux
restèrent secs - n'irais-tu pas à
Jésus pour avoir la vie éternelle
?
Patricia baissa la
tête.
- Adieu, dit Anne-Laure,
après un instant de silence, en serrant les
quatre jeunes filles dans ses bras. Adieu, je
prierai pour vous, mes jeunes amies. Vous aussi,
priez pour moi; je suis faible, je tombe souvent en
faute, et bien que j'aie fait avec vous la
prêcheuse, j'ai besoin comme vous des secours
journaliers du Saint Esprit. Qu'il nous les accorde
à toutes. Mon plus vif souhait est de vous
retrouver dans le futur comme de fidèles
chrétiennes, peut-être de pieuses
épouses et de bonnes mères. Et si je
ne devais pas vous revoir sur cette terre, oh ! que
pas une de vous ne manque à l'appel lorsque
le Sauveur viendra rechercher les siens!
Les jeunes filles, la larme à
l'oeil, quittèrent Mme Vivien. Patricia
essaya de prononcer quelques mots
indifférents ou gais, mais personne ne lui
répondit, et chacune emporta silencieusement
dans son coeur les sérieuses impressions de
cette soirée.
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