Parcours féminins
Le sarment émondé
(Concerne
Melissa Stiévenart)
Peu de jours après le mariage de Justine,
Mme Vivien reçut une visite de
Melissa.
Anne-Laure vit immédiatement
qu'il y avait un problème. Le visage de
Melissa était
méconnaissable.
La jeune femme fondit en larmes en
disant:
- Dieu vient de nous reprendre notre
petit Paul. Je ne comprends pas !
- Que s'est-il passé ?
interrompit Anne-Laure, choquée de cette
affreuse nouvelle.
- Il jouait paisiblement dans le
jardin quand il a glissé sur un petit muret.
Il s'est tapé la tête et ! Oh
non ! C'est trop dur !
- Je comprends, reprit Anne-Laure
qui entourait Melissa de ses bras et de toute son
affection.
- Je ne pense pas que tu puisses
comprendre, sanglotait Melissa.
- Détrompe-toi, nous avons
perdu, il y a bien longtemps maintenant, notre seul
enfant ! répondit Anne-Laure à
son tour dans les larmes.
- Oh ! Excuse-moi, je ne savais
pas.
- Ce n'est rien, cet enfant
bien-aimé est avec le Sauveur, et ton petit
Paul est maintenant aussi dans la présence
du Sauveur.
- Chère Anne-Laure,
poursuivit Melissa qui avait beaucoup de peine
à ne plus pleurer, nous savions, Loïc
et moi, que nous aurions des afflictions dans ce
monde. Nous cherchions à remettre au
Seigneur la vie de nos chers petits. Ce n'est pas
parce que nous étions heureux que nous ne
nous préoccupions pas de tels sujets. Nous
avons prié chaque jour pour leur
sécurité et le salut de leur
âme. Mais malgré cette
préparation, je suis outrée de ce
deuil ! Dieu n'aurait-il pas pu retenir la
mort dans son oeuvre destructrice ? Je me
croyais forte, je me croyais pleine de foi ! mais
là, c'est trop pour mon coeur de maman. Je
sens que je me révolte contre le sort,
contre Dieu même !
- Ah ! Mon enfant, interrompit
Anne-Laure qui n'avait que ses bras pour consoler
son amie.
Les mots paraissaient si peu
appropriés en ce moment. Ils collaient
à son palais, et sa gorge serrée ne
pouvait les pousser à sortir.
- Loïc m'a dit que
c'était la volonté de Dieu, qu'il
fallait l'accepter, mais moi, je ne veux pas !
Non ! C'est trop injuste ! cria Melissa
toute tremblante.
- Seigneur, avec l'épreuve,
donne-leur la force ! murmurait
Anne-Laure.
- Ma belle-mère, dont Paul
était le préféré,
s'abandonne à un désespoir violent,
poursuivait Melissa, qui ne semblait pas
écouter ce qu'Anne-Laure pouvait dire. Elle
est aussi révoltée, elle ne comprend
pas que Dieu l'ait punie ainsi. Elle se demande
quelle faute elle a bien pu commettre pour
mériter une telle souffrance. Loïc a
bien essayé de lui parler, mais elle ne veut
rien entendre. Elle m'en veut aussi d'avoir
laissé Paul dans le jardin, de ne pas
l'avoir assez surveillé. C'est devenu
intenable à la maison ! Ma
belle-mère pousse des cris, et elle est
très amère dans ses
réflexions.
Anne-Laure consola tant bien que mal
Melissa, et la ramena chez elle.
L'ensevelissement eut lieu trois
jours plus tard. C'était un vendredi matin.
Une grande foule s'était
déplacée jusqu'au funérarium.
Et Monsieur Vivien y tint un discours à
l'attention de la famille et de tous ceux qui
étaient venus marquer leur sympathie. Cela
avait été un grand sujet de discorde
que celui-là. Comment un étranger, de
surcroît non ecclésiastique, avait-il
la priorité sur la famille ? La
mère de Loïc avait été
outrée, mais trop abattue pour
résister.
Daniel Vivien ouvrit sa Bible, et,
fixant du regard l'assistance, il y dit d'un ton
solennel: « Christ a détruit la mort
», « La mort a été
engloutie en victoire » ; «
Où est, ô mort, ton aiguillon?
Où est, ô mort, ta victoire ? »
(1 Corinthiens 15:54-55).
Les auditeurs étaient
médusés de l'assurance avec laquelle
cet homme prononçait de telles paroles qui
semblaient déplacées dans cette
circonstance. L'enfant était bien mort, et
voilà que l'on leur parlait de victoire.
« Où est donc cette
victoire ? » se dirent
plusieurs.
Daniel poursuivit par un appel
retentissant. Il invitait toute l'assistance
à venir au pied de la croix où Christ
avait donné sa précieuse vie. C'est
là, dans la mort du Sauveur, que la vie
était promise. Mais Christ était
ressuscité 36. Il avait vaincu la mort,
si bien que tous ceux et celles qui placent leur
confiance en son oeuvre sont assurés de
recevoir la vie pour
l'éternité.
« C'est une assurance
déjà pour le présent et le
futur, et non un espoir incertain. Oui ! Celui
qui ferme les yeux en Christ est vivant aux
siècles des siècles. 37
Jésus était venu pour
sauver ce qui était perdu (Matthieu
18 :11), et Paul était au nombre de
ceux pour qui Jésus a donné sa vie.
Il n'y avait pas de doute là-dessus. Ce
n'est qu'un corps que l'on dépose en terre,
l'âme de ce cher petit Paul est avec son
Sauveur, car bien qu'il fût jeune, il
connaissait déjà Jésus, et il
l'aimait de tout son coeur ».
Daniel termina par quelques mots aux
parents et aux soeurs de l'enfant. Il sut quelque
peu les consoler avec la Parole de Dieu, tandis que
la belle-mère de Melissa se cuirassait dans
sa douleur tout en se fermant à
l'évangile.
Loïc se montra fort, du moins
en façade, pour ne pas rendre les choses
plus difficiles pour les siens. Et les jours qui
suivirent furent bien sombres. Toutefois, Dieu sut
fortifier Loïc et Melissa dans leur
abattement. Il plaça le baume de ses
consolations en Christ dans le coeur de cette maman
si affligée et lui rendit un peu de joie
dans son mari et ses filles.
Mais pour la belle-mère, qui
ne s'ouvrait plus à personne et qui refusait
les paroles de grâce de Dieu, c'était
un enfer ! Elle se mourait de douleurs et de
chagrins.
Dieu soutint ce couple et
bénit leurs deux autres enfants. Qui d'autre
aurait pu leur être en aide ? Certes,
Daniel et Anne-Laure priaient et leur rendaient
visite plus régulièrement, mais ce
genre de peine ne pouvait être
partagée ou portée par
d'autres.
Jésus se tint donc
près d'eux, quand bien même ils n'en
avaient pas toujours conscience.
Les divines compassions, à
l'égard de ce foyer si durement
frappé, se renouvelèrent ainsi chaque
jour.
.
La plaie sondée
(Concerne
Justine Jaquemin )
Six mois s'écoulèrent, et les
craintes qu'avait conçues Anne-Laure, au
sujet de Bernard et de Justine, se
réalisèrent
entièrement.
Leurs bonnes résolutions
tinrent pendant trois ou quatre semaines. Ils
lurent la Parole de Dieu, ils travaillèrent,
ils envoyèrent régulièrement
leurs enfants à l'école ! et puis, un
soir que Bernard rentra tard, il se trouva si
fatigué qu'il se coucha sans ouvrir la Bible
et sans prier.
Dès ce jour, leur constance
s'effilocha, d'autant plus que Justine ne fut pas
vigilante pour redresser leurs mains
lâches.
Un autre jour, Bernard rencontra
quelques anciens camarades qui lui
proposèrent de boire un verre. Il
céda, passa la journée dans le
désordre, revint excité, fut mal
accueilli, recommença le lendemain pour
punir Justine, et bientôt se dévoya
tout à fait.
Justine, de son côté,
retournait à la vanité et à la
paresse; les enfants, peu ou pas surveillés,
ne suivaient plus l'école que de loin en
loin. Ils étaient redevenus sales,
indisciplinés, insolents. La misère
et les mauvaises passions avaient fait leur grand
retour dans le ménage. La rechute
était complète.
Le couple qui, dans les premiers
jours du mariage, soupirait après les
visites de Daniel et d'Anne-Laure, parce qu'ils se
sentaient soutenus par eux et qu'ils aimaient
à leur raconter leurs difficultés, ne
les voyaient plus revenir qu'avec ennui. A mesure
que l'ancien train de vie avait repris le dessus,
ces entretiens leur étaient devenus
pénibles. Bernard, qui autrefois avait
toujours quelque argument à l'encontre des
principes des Vivien, restait muet, ou
prononçait à grand peine un
« oui ». Justine cherchait
à détourner la conversation des
sujets sérieux sur lesquels Anne-Laure la
ramenait sans cesse, et bientôt tous deux en
vinrent à ne supporter leurs amis qu'en
raison des secours matériels qu'ils
représentaient.
Anne-Laure devinait ce qu'on ne lui
disait pas et suivait avec tristesse les
progrès évidents du mal. La bonne
semence de Dieu était tombée chez
Bernard sur un de ces terrains pierreux où
le grain lève vite, mais où il
sèche, brûlé par le soleil,
parce qu'il n'a point de racines. Quant à
Justine, elle avait besoin d'une plus forte
secousse peut-être pour sentir son
péché, et pour se repentir
sincèrement et enfin abandonner les
péchés qui la maintenaient esclave.
La plaie de ces coeurs n'était pas encore
sondée.
« Le mariage est honorable
entre tous », dit la Bible. Oui, dans le cas
du mariage que la crainte de Dieu cimente, et de
l'union qui s'appuie sur le rocher des
siècles ! Mais dans l'association de M.
et Mme Jaquemin, la pensée de Dieu qui, un
instant, avait semblé régner,
s'était vite amoindrie. Nous l'avons dit,
les feuillets de la Bible restaient collés
les uns aux autres. Ils ne priaient plus, ils ne
cherchaient plus la volonté de Jésus.
C'est comme s'ils voulaient oublier les engagements
antérieurs pris devant Dieu. Ils
étaient revenus au point de départ.
Il n'y avait rien de changé pour Justine et
pour Bernard dans l'union qui les rapprochait. Ils
revivaient les mêmes périodes de paix
et de désordre, de bon accord et de
querelles, avec un endurcissement, une
pauvreté, une dégradation qui
allaient croissant.
Si Justine voulait se
prévaloir de son titre d'épouse pour
réprimer la violence de son mari, que les
excès rendaient de plus en plus grossier,
Bernard lui rappelait son précédent
abaissement, et la traitait avec un dédain
qui irritait peut-être plus son orgueil qu'il
ne blessait son coeur.
Qu'avait-elle fait pour remonter de
la place indigne qu'elle occupait jadis
auprès de Bernard, à la place
honorée, à la sainte place
d'épouse? Quelle différence un homme
qui ne jugeait de la valeur des principes que par
leurs fruits, pouvait-il établir entre la
femme qui se livrait à toutes ses passions
en dehors de l'union conjugale, et la femme qui se
livrait à toutes ses passions au-dedans ?
Point de respect chez l'un, rien de ce qui
l'inspire chez l'autre, chez tous deux la
domination du péché; telle
était leur situation morale.
Dès le matin, Bernard, qui
n'aimait pas être chez lui, parce que tout y
était en désordre, que les enfants
criaient et se battaient, que sa femme le
querellait, qu'on n'y avait aucune attention pour
lui, aucune soumission à sa volonté,
quittait la maison pour aller au bistrot du coin
pour se réchauffer, comme il s'exprimait,
c'est-à-dire se brûler le sang et
s'abrutir en buvant de la bière.
Après quoi, il se rendait à son
travail, et là, de mauvaises conversations
avec ses collègues entretenaient chez lui
cette familiarité avec le vice qui
gangrène l'âme jusqu'au fond. Souvent,
ses camarades lui proposaient une sortie
après le boulot. Alors, on ne paraissait pas
même à la maison, on visitait les
bistrots, les endroits glauques, et la
soirée se terminait souvent par d'horribles
rixes, conséquences de l'ivresse et de la
débauche.
Il arrivait même que Bernard
ne rentrait pas pendant quelques jours. Il se
rendait directement au travail après ces
nuits de délabrement moral et
physique.
Quand après un jour, deux
jours passés hors de chez lui, Bernard
rentrait, dégoûté de tout, se
disposant d'avance à tenir tête
à sa femme, il trouvait Justine
exaspérée. On comprend bien quelles
scènes s'ensuivaient.
Avec de l'amour pour Dieu, la
douceur et l'ordre seraient rentrés dans le
ménage. Justine aurait exercé une
salutaire influence sur son mari, car, au fond, il
l'aimait. Il avait la conscience de sa faiblesse,
et il sentait le besoin d'un appui. Sans doute,
aussi longtemps que le péché ne
serait pas apparu dans toute sa laideur à
Bernard, aussi longtemps que l'affection du Sauveur
pour sa pauvre âme souillée ne
l'aurait pas pénétré de
gratitude, il aurait manqué de
persévérance, mais le mauvais exemple
de sa femme suffisait à détruire le
peu de bonne volonté qu'il avait.
Dans le cas d'une conversion, il
aurait peut-être encore fait bien des chutes,
mais il n'avait pas l'aide d'une épouse qui
lui aurait montré les principes de la foi.
Justine n'était pas là pour
l'évangéliser par l'exemple, car elle
avait elle-même renié Jésus
Christ, peut-être pas dans ses paroles, mais
bien dans son misérable
comportement.
Justine, hélas! ne lui
offrait que le spectacle d'une nature asservie par
le péché, par ce péché
qui la tenait en esclavage. Elle éclatait,
il est vrai, en reproches amers lorsque Bernard
l'abandonnait pendant des journées
entières, lorsqu'il dépensait en
mauvais plaisirs un argent péniblement
gagné, lorsqu'il brusquait ses enfants. Mais
elle était tout aussi coupable. Elle
négligeait ses enfants, elle s'achetait des
babioles et n'avait plus de quoi se procurer le
nécessaire. Elle rêvait à des
aventures amoureuses avec des acteurs, et elle se
nourrissait de séries
télévisées malsaines. Au lieu
d'adresser à Bernard des observations calmes
et sérieuses, elle se livrait à
l'emportement, notamment à cause de la
boisson. Elle écoutait les mauvais conseils
d'amies le plus souvent oisives, quand elles
n'étaient pas corrompues ou
méchantes, qui envenimaient le mal en
encourageant ses passions.
Elle étalait sa misère
au grand jour, sans aucune pudeur. Quel triste
spectacle que ces femmes se gavant de
détails intimes et de griefs formulés
sans aucune retenue !
Les paroles faisaient aussi leurs
ravages dans les coeurs des enfants qui ne
manquaient rien de ce venin. Ils le buvaient
à longs traits, et ils finirent par
mépriser leur père, mais aussi leur
mère !
Il y avait des moments où
Bernard éprouvait de l'horreur pour le genre
de vie qu'il menait, où son attachement pour
Justine se réveillait tout entier, où
il revenait à elle tout doux, repentant,
cherchant à entrer dans une voie meilleure.
Alors Justine, inspirée par le démon
de l'orgueil, de la vengeance, au lieu de penser
à ses propres fautes, au lieu d'oublier
celles de Bernard, au lieu de regarder à
Dieu, Justine n'avait qu'une pensée : faire
payer cher à son mari le chagrin qu'il lui
causait. Les mots acerbes, les manières
froides, les façons indépendantes,
elle mettait tout en oeuvre pour l'humilier
à son tour.
Bernard témoignait-il
dès le matin le désir de souper en
famille, Justine s'arrangeait pour manger avant le
retour de son mari qui trouvait les casseroles
vides. Le dimanche, il annonçait l'intention
de passer la journée auprès de sa
femme et de ses enfants.
- Désolée, disait
Justine, j'ai promis de faire une visite à
Mélanie, la soeur de Chloé, notre
voisine.
- J'irai avec toi.
- Non, tu as tes camarades, moi j'ai
mes amies, chacun de son côté, tu l'as
voulu !
Après quelques efforts
tentés pour se rapprocher de sa femme,
Bernard, piqué au vif, retournait à
ses tristes habitudes. Justine, satisfaite de
s'être vengée, mais irritée de
ce que Bernard s'arrangeait si vite de ses refus,
cherchait à se rendre de plus en plus
indifférente, à se séparer de
plus en plus de son mari, et tous deux se
perdaient.
Oh ! Bernard n'était en
rien moins coupable que Justine. Tout au
contraire ! Mais il n'avait pas reçu
l'enseignement biblique dont Justine avait
bénéficié. Et en cela, Justine
était gravement responsable de l'état
de délabrement de leur couple.
Si on avait contraint Justine
à voir son âme telle qu'elle
était, poussant un cri d'effroi, elle se
serait jetée aux pieds de Christ, elle
aurait murmuré de ses lèvres
tremblantes : « Sauve-moi, Seigneur,
sauve-nous, nous périssons. » Mais le
diable, qui est habile, étouffait dans son
coeur le très rare, le très faible
désir de s'examiner, que le Seigneur y
ranimait quelquefois. L'ennemi de son âme lui
rendait la pente si douce, que pas une secousse ne
venait l'avertir de la rapidité avec
laquelle elle roulait vers
l'abîme.
Cette secousse, Dieu permit
toutefois dans sa bonté qu'elle lui
fût donnée.
Justine était malheureuse,
malheureuse par les désordres de son mari,
malheureuse par leur séparation qui allait
croissant, malheureuse par les vices de ses enfants
qui se développaient d'une manière
effrayante, malheureuse par les privations que
cette vie de péché leur imposait
à tous, malheureuse par les humiliantes
demandes au moyen desquelles elle obtenait quelques
secours des autres, malheureuse par ses
défauts, malheureuse par ses plaisirs,
malheureuse par sa conscience, dont les cris se
faisaient de temps à autre entendre,
malheureuse par l'impossibilité où
elle se voyait de prier d'un coeur droit, de
chercher son Dieu avec la sincère envie de
le trouver.
Cette détresse d'âme,
ce trouble intérieur, ce secret
dégoût d'elle-même, qui auraient
dû l'amener aux pieds du seul consolateur, la
poussaient au contraire vers le monde.
Les films en tous genres et
l'habitude de la rêverie avaient
créé en elle le besoin des
émotions vives. Ce besoin lui faisait
trouver ennuyeuse, maussade, l'existence d'une
honnête famille ouvrière. Elle
s'irritait de leur vie toute simple, et l'envie de
vivre comme on le voyait à la
télévision, chez les riches de ce
monde, entraînait Justine dans un gouffre. Ce
besoin l'attachait à la compagnie de femmes
légères, qui avaient les mêmes
frustrations qu'elle. Ce besoin la portait à
souffrir de ne pas être convoitée, ou
même adulée.
Un ami de son mari, homme dont les
antécédents étaient louches,
mais dont les manières avaient un certain
vernis, s'était, par degrés,
introduit dans son intimité. Il avait
profité de la faiblesse de Bernard pour
prendre sur lui de l'ascendant. Il profitait de la
jalousie, du désordre intérieur de
Justine, pour lui exprimer une admiration dont
l'orgueil de celle-ci se repaissait avec
délices.
La coquetterie, l'esprit de
vengeance, l'avaient fait tendre l'oreille aux
flatteries 38 de cet homme. Justine
riait de ses paroles passionnées, elle en
riait et s'en délectait. Bientôt elle
les attendit avec une sorte d'impatience, puis elle
les provoqua. Parfois, une voix intérieure
lui criait: « Arrête !», mais
cette voix, elle l'étouffait, tantôt
en travaillant avec un peu plus d'ardeur, en
remplissant quelques devoirs envers son mari ou ses
enfants, essayant ainsi de donner le change
à sa conscience, tantôt en se
plongeant plus avant dans l'enivrement des faux
plaisirs, et en courant au devant du
danger.
Anne-Laure, qui suivait Justine
d'assez près, comptait avec effroi les
progrès de la corruption dans ce
désastreux ménage. Bernard ne se
laissait pas rencontrer tandis que Justine devenait
de jour en jour plus distante, plus
froide.
Anne-Laure résolut alors de
tenter un dernier effort pour sauver sa malheureuse
protégée. Elle se rendit chez elle,
déterminée à provoquer une
explication, à mettre ce coeur au plein
jour.
Au moment où elle entra,
Justine, seule, exaspérée par les
attitudes de son mari, plus troublée encore
par le poison du péché qu'elle
gardait dans son coeur, s'écria hors
d'elle-même:
- Anne-Laure, te voilà ! Je
désirais justement te voir. Tu as voulu que
je me marie ... eh bien ! c'est le naufrage ... je
quitte Bernard, c'est décidé. Cet
homme ira où il voudra, fera ce qui lui
plaît, moi, je reprends ma
liberté.
Anne-Laure, muette de douleur,
regarda Justine.
- C'est fini! reprit-elle avec
agitation, et en détournant les yeux, cet
homme n'est bon qu'à cuver son vin et
à sortir avec ses copains ! Il faut une
séparation, il en faut une ! Dieu merci, les
preuves de sa méchanceté ne manquent
pas !
- Mon Dieu ! répéta
Anne-Laure.
- Oh ! Je sais ce que tu vas me
dire. J'ai tort, c'est possible, mais c'est plus
fort que moi !
Anne-Laure ne se sentait pas la
liberté de discuter avec Justine, les
paroles humaines seraient tombées comme de
l'huile sur un brasier. Elle se contenta donc de
prononcer lentement ces mots de l'apôtre Paul
: « Quant à ceux qui sont
mariés, je leur commande, non pas moi, MAIS
LE SEIGNEUR, que la femme ne se sépare point
du mari » (1 Corinthiens
7 :10).
- Je sais tout cela, je sais tout
cela ! interrompit Justine de plus en plus
agitée. Mais il est trop tard... il faut
aller jusqu'au bout.
- Jusqu'au bout de la
rébellion, jusqu'au bout du vice !
s'écria Anne-Laure avec
fermeté.
- Cet homme s'enfonce dans la
corruption !
- Il s'y plongera moins, quand tu
l'auras abandonné ?
- J'ai besoin de paix ! Tu
comprends ?
- Tu l'auras ... en faisant la
guerre à Dieu ?
- Ce n'est pas que pour moi, il y a
aussi mes enfants !
- Tes enfants ! Ah ! Justine, tu
oses utiliser ce prétexte au moment
où tu détruis en eux les sentiments
les plus sacrés: le respect, l'amour filial,
la recherche des choses honorables ! Tes enfants !
C'est une hypocrisie ! Justine, la mauvaise
épouse, ne sera jamais qu'une mauvaise
mère !
- Mais ma
liberté...
- Oui, ta liberté, la
liberté de ta méchanceté,
voilà ce que tu veux !
A cet instant, un homme poussa la
porte, entra brusquement, et, sans voir Mme Vivien,
cachée dans l'ombre, jeta sur la table un
magazine, en adressant à Justine quelques
mots dont l'étrange familiarité fit
comprendre à Anne-Laure bien des choses.
Justine ne put retenir un regard inquiet. Elle
pâlit et présenta à son amie le
nouveau venu.
- C'est un ami de
Bernard...
La Bible ouverte, la figure
sévère d'Anne-Laure,
l'inquiétude de Justine, firent vaguement
comprendre à Patrick Leblanc que sa visite
était inopportune. Il pirouetta sur ses
talons, s'embarrassa dans une explication menteuse,
puis, comme personne ne lui répondait, que
Justine semblait absente, qu'Anne-Laure restait
sérieuse, il salua, chargea Justine d'une
commission insignifiante pour son mari, et
partit.
Après un silence solennel,
pendant lequel Anne-Laure pria Dieu de lui
prêter assistance, pendant lequel Justine,
bouleversée, voyait pour la première
fois son péché tout entier sortir de
l'obscurité où l'avait maintenu sa
mauvaise conscience :
- Je comprends, dit Anne-Laure,
d'une voix calme, mais profondément
altérée, je comprends pourquoi tu
veux te séparer de ton mari.
Ces mots
pénétrèrent comme une
épée à deux tranchants dans le
coeur de Justine.
- Oh pardonne-moi ! cria-t-elle avec
un accent déchirant, et elle tomba sur ses
genoux.
Anne-Laure lui tendit les mains et
la releva.
Lorsque les pleurs lui
laissèrent la possibilité de parler,
Justine continua :
- Oui, dit-elle, je suis une
misérable... j'ai négligé tous
mes devoirs... c'est moi qui ai perdu Bernard...
Voici quatre mois que je ne prie plus, que je ne
lis plus la Bible... aide-moi !
- Oh Justine ! C'est à
Dieu qu'il faut aller. C'est à lui qu'il
faut demander pardon. C'est Dieu qui te cherche
depuis si longtemps et qui seul peut te sortir de
ta misère. Humilie-toi devant lui, oui,
humilie-toi beaucoup.
- Je ne sais où me cacher
loin de sa face, s'écria Justine avec un
redoublement de douleur.
- Loin de sa face ! Si tu le fuis,
comment te dira-t-il : « Je ne te
condamne pas non plus... Va, et ne pèche
plus. » Ah ! Tu ne sais donc pas encore que
nous ne pouvons rien apporter à Christ en
échange du don de la vie éternelle !
Dieu t'a abandonnée à toi-même
pour t'apprendre jusqu'où va ta
corruption... pour t'apprendre aussi, oui, je
l'espère, jusqu'où vont ses
miséricordes. Son amour, Justine, son amour
dépasse notre péché de
partout.
Mais Justine n'avait pas la franche
volonté de recevoir cette bonne nouvelle,
tant de fois annoncée, jamais
acceptée. Elle était plongée
dans le désespoir que lui causait le fait
d'avoir été ainsi prise en
défaut. Ses joues se couvraient de rougeur.
Ce Sauveur si tendre, dont lui parlait Anne-Laure,
elle en avait peur. Elle aurait voulu pouvoir crier
aux montagnes : « Tombez sur moi ! »
(Apocalypse 6 :16). A la fin, une
espèce de stupeur remplaça son
agitation. Anne-Laure pria à voix haute, et
Justine accablée joignit les
mains.
Anne-Laure appela toutes les
compassions du Père sur cette pauvre brebis
égarée. Elle le remercia d'avoir
permis qu'un fort ébranlement vînt
secouer Justine. Elle le supplia, quand il l'aurait
assez abattue sous sa colère, de lui envoyer
la foi complète en celui qui a dit :
«Quiconque croit en moi a la vie
éternelle. » Elle remit à
Jésus cette âme éperdue, et
Justine se sentit un peu
soulagée.
- Que faut-il que je fasse? demanda
Justine dont l'âme était quelque peu
réveillée.
- Te repentir, prier, méditer
la Parole de Dieu, t'attacher de tout ton coeur au
roc inébranlable qu'est Christ. Et puis,
agir avec droiture, avouer 39 ta faute à
Bernard.
- A Bernard !
- Oui, à Bernard. Ma
chère Justine, te voici à
l'entrée d'une nouvelle vie, si tu le veux.
Une vie chrétienne, où la
vérité doit circuler partout. Un
mensonge, ou même un demi-mensonge, c'est une
forteresse laissée au démon, il en
profiterait. Ton existence, tes habitudes doivent
changer. Il faut que Bernard comprenne pourquoi. Il
faut qu'il connaisse tes luttes, la victoire que
Dieu te permet de remporter, bien que tu n'en aies
aucun mérite. Que se serait-il passé
si je n'avais pas été
là ? Comprends bien, Justine, que tu ne
dois plus revoir cet homme !
- O mon Dieu! comment pourrais-je !
s'écria Justine tremblante. Bernard me
méprisera !
- Écoute-moi ! Il ne
s'agit pas d'une confession
détaillée, cela serait inutile, cela
serait mauvais. Il s'agit d'un humble aveu que Dieu
t'aidera à faire. Ton mari te
méprisera ! Peut-être ? N'en
aurait-il pas le droit ? S'il le fait, tu
accepteras cette humiliation, quoi qu'il ait fait
de son côté. Tu porteras cela comme
une croix sous l'oeil du Sauveur. La
lumière, Justine, la lumière avant
tout !
Et puis, tu verras qu'il y a dans
l'épreuve des ressources secrètes
pour l'âme qui s'attache à la
vérité. La main de Dieu ne
s'appesantit pas sur l'enfant qu'Il veut ramener,
sans que d'abondantes grâces n'en
découlent aussitôt.
- Eh bien, oui ! dit tout à
coup Justine avec énergie, oui, je passerai
par où Dieu le veut. Cela me sera bon, je le
sens, Je dirai tout à Bernard. Il me verra
telle que je suis... qu'importe !
Rejetée ou sauvée, je veux me donner
à Christ.
- Oh ! Ma Justine, que le Seigneur
te fortifie !
Anne-Laure quitta l'appartement, et
Justine resta assise vers sa Bible ouverte,
tantôt lisant, tantôt priant, souvent
interrompue par ses larmes, fréquemment
navrée de tristesse quand elle rencontrait
des passages semblables à ceux-ci : «
Ne savez-vous pas que les injustes
n'hériteront point le royaume des
cieux ? » (1 Corinthiens 6 :9);
« Quiconque regarde une femme pour la
convoiter, il a déjà commis dans son
coeur un adultère avec elle » (Matthieu
5 :2). Plus souvent émue d'une
reconnaissance infinie, quand elle trouvait des
promesses pareilles à celles-ci : « Je
paîtrai mes brebis, et les ferai reposer. Je
rechercherai celle qui sera perdue, et je
ramènerai celle qui sera chassée; je
banderai la plaie de celle qui aura la jambe
rompue, et je fortifierai celle qui sera malade
» (Ezéchiel 34 :15-16), «
Venez maintenant, dit l'Eternel, et
débattons nos droits; quand vos
péchés seraient comme le cramoisi,
ils seront blanchis comme la neige; et quand ils
seraient rouges comme le vermillon, ils seront
blanchis comme la laine » (Esaïe
1 :18).
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