Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

IV
LES CHUTES DU NIAGARA

 L'après-midi de ce même jour, Anne parut sur la véranda, vêtue de sa plus belle robe : de mousseline blanche, très longue, la taille haute, avec des fronces au cou et au bas de la jupe. Sur la tête, une capote de paille blanche, avec un bouton de rose sous le bord.
Adoniram, qui avait abandonné son travail pour la voir partir, l'accompagna d'un regard adorateur.
- Je parais bien frivole pour une femme de missionnaire, dit Anne, avec une légère anxiété. À cause du bouton de rose, surtout. Mais, tu te rappelles, n'est-ce pas, que je le portais déjà avant de prendre mes grades à l'Académie de Bradford, ce qui me rend un peu sentimentale ? Et, si je l'enlevais, on verrait la marque sur la paille à Cet endroit.
- Chérie, tu sais bien que personne n'aime mieux la beauté que Dieu. Regarde les fleurs merveilleuses qu'Il crée.

Il embrassa le charmant visage sous le bouton de rose.
- Je suis sûr qu'Il aime à te voir dans tous tes atours.

Les yeux bruns d'Anne brillèrent de malice.
- M'as-tu dit récemment, oui ou non, que toute beauté, en Birmanie, recouvrait un sépulcre blanchi ? Il faut être conséquent, Don !
- La source de ta beauté n'est pas dans ce pays, répliqua Adoniram, et, si tu le désires, je te dirai plus encore...

Anne élevait ses mains blanches en manière de protestation.
- Non, non, je n'arriverai jamais jusqu'à la vice-reine, si tu commences à expliquer...

Il rit.
- Anne très chérie, si ma femme ne veut pas écouter mes sermons, qui les écoutera ?

Ils demeurèrent un instant, immobiles, souriant : tous deux beaux, jeunes, pleins d'amour, de foi et d'espoir. Puis elle se mit en route, suivie de Koo-chil qui portait le tableau, enveloppé dans un morceau de soie rouge de Bangkok.

Elle demeura absente près de deux heures. Adoniram arpentait furieusement les alentours du « palais » quand elle reparut.
- J'allais me ruer dans la maison avec mes souliers, s'exclama-t-il en saisissant le bras d'Anne sous le sien. Pourquoi as-tu été retenue si longtemps, Anne ? J'en étais presque arrivé à désirer que tu ne fusses pas aussi charmante !
- Je ne le suis, pas tant que ça, tu sais. Mais écoute mon histoire, dit-elle, en souriant.

Elle la lui raconta, tandis qu'ils rentraient tranquillement chez eux, sous les acacias roses.
La vice-reine était encore au lit quand elle était arrivée ; mais plusieurs des femmes de moindre rang avaient accueilli avec entrain la visiteuse. Elles l'avaient conduite jusqu'à une natte, et s'étaient accroupies autour d'elle. Elles lui avaient offert du thé au vinaigre qu'elle avait bu, bien qu'elle le détestât. Elles lui avaient demandé la permission d'essayer son chapeau, ses mitaines, ses escarpins.
Anne riait, et leur avait prêté avec bonne grâce, tout ce qu'elle avait pu enlever...

Adoniram l'interrompit. Il frissonnait.
- Sais-tu qu'elles ont toutes des poux, chérie ?
- Par bonheur, je n'en ai point vu. Et, de toutes façons, ce serait un crime de lèse-majesté de refuser de prête ses habits à une vice-reine, même si elle a de la vermine...

Les femmes avaient essayé les vêtements avec des cris de plaisir. La reine était alors apparue. Son teint de cire était encore jauni par de la poudre de bois de santal. Quand elle avait pénétré dans la chambre les épouses de moindre importance avaient rendu ses effets à Anne et s'étaient retirées à l'autre extrémité de la pièce. La vice-reine s'était excusée de l'avoir fait attendre. Elle avait été souffrante. Puis, une des femmes était venue disposer les fleurs d'hibiscus dans les cheveux d'Anne et dans ceux de la vice-reine. Cette dernière commença à questionner Anne.
Combien son mari avait-il de femmes ? Avait-elle des enfants ? Combien de temps resteraient-ils à Rangoon ?

Anne causait de la façon la plus agréable et la plus gaie, mais commençait à se demander comment elle parviendrait à voir le vice-roi, quand celui-ci, en personne, pénétra dans la chambre. Il portait une robe blanche; à la main, une lance. Elle fut effrayée par sa haute taille, son expression sombre et son air farouche.
Du regard, il fit le tour de ses femmes, fronçant de plus en plus le sourcil, jusqu'à ce qu'il aperçût la visiteuse. Ses lèvres épaisses s'ouvrirent alors en un sourire charmé ; il l'examina comme un enfant fasciné par un jouet nouveau. Personne n'éleva la parole, jusqu'au moment où le vice-roi dit, avec émotion :
- Amé, comme votre peau est belle ! Une des femmes de l'animal étranger ? Prendrez-vous la tasse de rhum que goûtent tous les étrangers ?

Anne lui affirma qu'elle ne le permettait jamais. Il n'en fut nullement offensé.
- Les vrais Bouddhistes n'en boivent pas non plus. Que puis-je vous donner, étrangère à la peau blanche ?

À l'étonnement de tous, Anne se leva alors, et fit une profonde révérence. Puis elle présenta le cadeau à Sa Majesté.
Il retira la soie rouge et tint le tableau à bras tendus, les yeux brillant de joie.
- Comment a-t-on fait cela ? Est-ce vous qui l'avez fait ? Où sont ces chutes d'eau ? Tous les Américains savent-ils donc peindre ? Les Birmans sculptent et travaillent la laque, mais ils ne savent pas faire de tableaux!
Regardez ! C'est comme si on entendait le grondement des grandes eaux ! Regardez ! Amé !

Ma Carey connaissait bien son vice-roi !
Sa Majesté demanda encore, avec une insistance nouvelle :
- Belle étrangère, que puis-je faire pour vous?
- Altesse, permettez à mon mari et à moi-même, de vivre en paix dans notre maison de la jungle, répondit-elle.

- Comment voulez-vous que ce soit possible? s'écria-t-il. Votre maison est ouverte à tous les voleurs qui passent. Vous êtes à proximité du lieu des exécutions, où les tigres font de fréquentes incursions. Les trente-sept esprits de Birmanie ne pourraient vous protéger sûrement, là où vous êtes. Mais, venez habiter dans l'enclos, je m'occuperai de vous.

Avant qu'Anne pût prononcer un mot de protestation, il appela son scribe et lui dicta l'ordre qu'elle tendait maintenant à Adoniram.
Celui-ci saisit le papyrus huilé sur lequel était consigné un message, qui ordonnait au trésorier de la province de « vendre à l'animal étranger la propriété déserte du prêtre portugais, près du vieux réservoir ».
- Mais, nous n'avons pas la moindre raison de déménager, s'exclama Adoniram.

Maintenant, ils étaient assis dans leur véranda, et contemplaient avec un orgueil de propriétaires, le jardin bien ordonné, la palissade réparée, les arbres fruitiers nouvellement plantés.
- Mais le lieu des exécutions? soupira Anne. Tu ne peux savoir à quel point je redoute la prochaine séance de torture.
- Chérie, pourquoi ne me l'as-tu pas dit?
- Parce que je savais bien que tu ressentais la même chose et... tu n'y pouvais rien. Mais maintenant - elle désigna du menton l'ordre du vice-roi - maintenant je n'aurai plus jamais à sentir l'horrible odeur. Elle termina dans un sanglot.

Adoniram l'étreignit.
- Nancy, pauvre amour, mon agneau ! Il la serrait dans ses bras et se mit à rire.
- Je suis si heureux de savoir enfin que tu as tant souffert de cette chose infecte ! C'est affreux pour un homme de se sentir moins fort que sa femme. Et quelquefois, chérie, j'ai peur d'être un peu maniaque...

Anne, très soulagée, dit avec une pointe d'ironie :
- En tous cas, c'est un trait de caractère dont ce pays te guérira.
- En effet, tu peux le laisser agir, admit Adoniram avec tristesse.

Avant le dîner, ils allèrent reconnaître les lieux qui leur avaient été désignés. C'était, à l'intérieur de la palissade, au bord du chemin qui menait à l'est de la pagode, un terrain planté d'arbres fruitiers abandonnés, sans aucune maison. Au centre, un magnifique figuier marquait l'endroit où ils décidèrent de construire.

L'état de leur budget les inquiétait l'un et l'autre. Ils étaient sûrs que les Baptistes américains verraient un signe de Dieu dans leur Mission, mais ils ne voulaient pas augmenter leur dette envers le Dr Carey. Leur fortune personnelle ne s'élevait pas à mille dollars. Mais, après une soirée de discussion, où Ma Carey les mit au courant du prix de la construction, ils décidèrent de recourir à leurs ressources personnelles pour cette entreprise hasardeuse.

Le lendemain, accompagné par Maung Shway-gnong comme conseiller, Adoniram acheta le terrain pour cinquante roupies, et convint avec l'entrepreneur qu'il lui construirait une maison semblable à celle du Carey pour deux cents roupies, ce qui élevait les frais à la somme de 125 dollars environ.
Adoniram, pour la première fois, eut une discussion avec son professeur, lorsqu'ils eurent conclu le marché avec l'entrepreneur. Il insistait pour choisir lui-même les pilotis de teck qui devaient soutenir sa maison.
- Je les veux symétriques, non pas tordus et renflés comme ceux des autres maisons.
- Leur conformation à la plus haute importance, ô mon élève ! Regardez.

Maung Shway-gnong traversa la cour.
- Chacun de ces pilotis a sa fonction propre. Les mâles sont symétriques, de bonne composition, mais un seul d'entre eux suffira sous votre maison. Les femelles ont la base large. Ils portent chance. Il en faut trois. Les neutres sont renflés au milieu, mais on ne les emploie que dans des cas spéciaux que vous ne pourriez comprendre.
- Je n'écouterai pas de telles sornettes, et choisirai mes poteaux, s'écria Adoniram.
- Si vous refusez de les choisir selon l'usage du pays, aucun indigène ne mettra les pieds dans votre demeure.

Adoniram observait le visage émacié.
- Et vous êtes l'homme dont j'admire l'intelligence! Ce que vous dites n'a aucun sens !

Le Birman se redressa avec arrogance:
- Vous feriez mieux de trouver un maître qui ne dise pas de sornettes. Puis il s'éloigna.

Adoniram, le visage rouge de colère, suivait des yeux le dos squelettique du professeur qui s'en allait ; pris de remords, il courut après Maung Shway-gnong et le prit par le bras.
- 0 mon maître, je regrette mes paroles. Ne m'abandonnez pas. Vous êtes mon seul ami dans ce pays.

Maung Shway-gnong examina Adoniram de haut en bas. S'arrêtant aux yeux clairs suppliants, il dit avec douceur :
- Je ne puis revenir que si vous me permettez de choisir les pilotis soigneusement avec l'entrepreneur.
- C'est bien, admit Adoniram, à contre-coeur.

Il rentra chez lui tandis que le professeur et l'entrepreneur se perdaient dans une discussion violente et obscure.
Comme l'on sait, Adoniram avait peu de patience. Aussi ces premiers contacts avec les méthodes de travail du pays furent-ils très usants pour lui. Bien que la maison eût été commandée en novembre, et que la construction eût pu en être achevée en une quinzaine de jours, les ouvriers furent retardés par de multiples superstitions. En décembre, alors que toutes les conditions semblaient bonnes pour terminer la construction, l'entrepreneur découvrit que ce mois était malchanceux pour lui et qu'il ne pouvait, par conséquent, rien commencer à ce moment-là. La maison ne devint habitable qu'à la mi-janvier.

Toute une tribu s'installa dans les nouveaux quartiers. Ma Carey voulait, à tout prix, vivre avec eux jusqu'au retour de son mari. Il y avait Koo-chil, naturellement, et le jardinier avec sa femme, une petite loucharde qu'il venait d'acheter. L'endroit était charmant, à la fois paisible et agréablement animé. Le figuier abritait des quantités de pigeons verts. Les poules de Koo-chil caquetaient sous la maison.

Ma Carey s'élança en avant du reste de la maisonnée et, gravissant rapidement les escaliers, ramena du fond de son tamein une noix de coco qu'elle accrocha sous le bord du toit, dans la partie sud de la véranda. Adoniram lui demanda quelle était la raison d'être de cet étrange ornement.
- C'est une maison pour les esprits, répondit-elle, avec une pointe de défi dans le ton.
- Ami étranger, il faut espérer qu'un bon esprit viendra l'habiter, car cette demeure a besoin de la protection magique. Si nous lui donnons un peu de riz bouilli et, de temps en temps, un tical d'argent, tout ira bien.
- Ceci résulte, sans doute, du compromis au sujet des pilotis, dit Adoniram, mécontent.
- Don chéri, n'oublie pas ton sens de l'humour, fit Anne en passant, les bras chargés de livres.

Adoniram la suivit.
- Mon sens de l'humour ne me fera pas abandonner la partie cette fois-ci. Mais, je ne discuterai pas, j'agirai.

Quand tout fut tranquille ce soir-là, il exécuta sa menace. Il rapporta la noix de coco dans la jungle d'où elle venait, et la déposa sous un palmier. Puis il rentra et se mit au lit.

Au matin, quand ils voulurent s'installer dans leur véranda où ils avaient ordonné à Koo-chil de leur servir leur déjeuner, il n'y avait pas plus de Koo-chil que de déjeuner.
Anne explora la maison et revint dire qu'elle était complètement déserte.
- La maison à esprits, comprit Adoniram.
- Je t'ai bien dit que cela nous créerait des difficultés, dit Anne. Même Koo-chil, qui méprise les Birmans, n'admet pas de travailler pour de sauvages étrangers qui insultent les esprits du pays.
- Anne, s'écria Adoniram, avec indignation, crois-tu que je puisse prêcher la doctrine du Christ avec une maison à esprits suspendue sur ma tête ? Sois donc raisonnable, ma chérie.
- C'est à ce but que tendent mes efforts, Don.

Anne pelait une banane.
- D'abord, tu es encore très loin du moment où tu pourras prêcher. Tu dis toi-même qu'il te faudra deux ou trois ans avant de parler assez bien la langue pour ne pas couvrir ta foi de ridicule. Tu ne peux vraiment vouloir supprimer leurs esprits avant de leur donner Dieu. Ils sont humains, et ils ont besoin de se cramponner à quelque chose, au-dessus d'eux.
- Ils ont Bouddha, s'écria Adoniram, qui fixait sans la voir la banane qu'Anne avait déposée sur son assiette. Elle ne répondit pas. Il continua à méditer tout haut.
- Comme je l'ai toujours dit, Bouddha est froid. Il personnifie la théorie : oeil pour oeil, dent pour dent. Il n'offre ni espoir, ni consolation. C'est vraiment absurde, Anne chérie, d'avoir ce ridicule objet suspendu dans notre véranda.
- C'est vrai, concéda-t-elle. Mais je ne ris pas plus de me passer de cuisinier que toi de Maung Shway-gnong.

Adoniram soupira profondément.
- Il faudra donc que j'ajoute cette nouvelle offense à l'énorme poids de toutes celles qui pèsent déjà sur ma conscience... Et, comme homme de Dieu, je n'ai guère d'excuse...

Il se leva et descendit lentement les escaliers.
- Tu seras un très grand homme de Dieu, dit-elle tendrement à la forme qui s'éloignait. D'un esprit tellement plus grand que je ne pourrais jamais l'être.

Il secoua tristement la tête. Dans le jardin, il se dirigea vers la porte qui s'ouvrait sur la jungle, vers le vieux réservoir. Ce matin-là, elle apparaissait dans toute sa séduction. Les fleurs de sambur retombaient en grappes des taillis de bambous. Les chants des loriots et des pinsons animaient l'atmosphère de leur jaillissement spontané.

Adoniram ramassa délicatement la maison des esprits et revint à la véranda où il l'accrocha à une poutre. Puis il se hâta vers la petite maison de Koo-chil pour aider Anne à préparer le déjeuner.
- Il faudra que je m'excuse devant tous les Européens qui viendront nous voir, dit-il, en tisonnant le feu.
- Espérons que l'esprit familier qui s'y installera saura apprécier le sacrifice que sa demeure impose à tes sentiments, laissa tomber Anne, ironiquement.
- Il profitera plutôt de ma faiblesse, et viendra s'installer avec une nombreuse famille, répondit Adoniram. Et voici l'un de ses adorateurs.

Koo-chil traversait en hâte le jardin, les bras chargés de fruits et de légumes, comme s'il venait tout droit du bazar.
Ma Baik, la femme du jardinier, balayait sa galerie, sans avoir l'air de rien, et Ma Carey apparut, à l'angle de la maison, avec ses enfants qui, comme elle, fumaient d'énormes cigares. Un peu plus tard, Anne et Adoniram s'installèrent pour le déjeuner dans une atmosphère d'approbation et de gaîté.
On ne reparla pas de l'incident, sauf quand Ma Carey, après avoir introduit un peu de riz dans le trou de la noix de coco, appuya une oreille attentive contre la coque et affirma qu'un cousin du roi des esprits y avait élu domicile.
- Comment l'appelle-t-on ? demanda Anne solennellement.
- Donnez-lui vous-même un nom, répondit Ma Carey.
- M. Beg Everybody's Pardon, suggéra Anne.

Ma Carey se donna une peine touchante pour prononcer les syllabes aux consonances étrangères. M. Beg Pardon pénétra ainsi dans la famille de la Mission, comme l'un de ses membres de condition inférieure.


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