Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SPLENDEUR DE DIEU

VI
NOVICES DE LA DOULEUR

 Anne apportait la lettre tant attendue des Baptistes Américains. Elle contenait un message encourageant au plus haut point.

En apprenant que les missionnaires de l'Inde, dont on avait tant parlé, s'étaient convertis à la foi baptiste, l'organisation américaine, dispersée jusqu'alors, avait été comme électrisée, amenée à une magnifique cohésion, Il avait fallu beaucoup de temps et de patience pour arriver à convoquer, à Philadelphie, une conférence constitutive. Une Société pour la Mission à l'étranger s'y était fondée, qui garantissait aux Judson un certain revenu. Ceux-là même qui leur assuraient ce revenu leur témoignaient encore toute leur gratitude.

Ce message d'approbation et de soutien fut infiniment précieux à Anne comme à Adoniram. Pour un temps, tout leur parut facile, même la conversion de Maung Shway-gnong!
Mais l'intérêt d'Anne pour l'étude du birman faiblit beaucoup durant les mois suivants. Elle attendait un bébé. Adoniram renonça aussi à l'obligation qu'il s'était imposée, d'entretenir chez sa femme une véritable activité intellectuelle. Il ne protesta même pas quand elle déserta les leçons de Maung Shway-gnong. Il y aurait bientôt un enfant à la mission! Ma Carey, pleine d'attentions, préparait la nourriture que, dans le pays, on estimait convenable aux futures mères. Ma Baik paya de sa poche un astrologue pour prédire le sexe de l'enfant. Ce devait être une fille. Koo-chil oublia tout préjugé de caste et soigna Anne comme une véritable infirmière. Maung Shway-gnong composa une berceuse en musique qu'elle ne réussit pas à apprendre.

Adoniram se tourmentait beaucoup au sujet de cette naissance. Il était impossible d'avoir un secours médical, et il se souvenait avec terreur des détails du drame du Georgiana. Mais Anne avait reçu à Serampore les conseils d'un docteur; et, durant tout l'été, elle passa bien des heures à mettre Ma Carey au courant des méthodes d'accouchement anglo-saxonnes.

Ce fut pour les Judson une épreuve d'autant plus grande, à cause de ces circonstances, de voir arriver Félix Carey vers la fin d'août. Comme il était aux ordres du roi, il emmena sa femme et ses enfants immédiatement, à bord d'un bateau, pour la longue remontée de l'Irrawaddy, jusqu'à Amarapura. L'absence de la petite Birmane se faisait encore cruellement sentir lorsque de tragiques nouvelles parvinrent à la Mission. Le bateau suivait la rivière depuis dix jours quand il s'était retourné et avait coulé. Ma Carey et les enfants étaient perdus. Félix écrivait pour raconter qu'il avait essayé désespérément de sauver son petit garçon, mais que, se sentant couler, il avait dû abandonner l'enfant.

Adoniram redouta les effets de ce choc sur Anne. Mais ses préoccupations pour la naissance du bébé contrebalancèrent le chagrin qu'elle ressentit de la mort de la chère petite Ma Carey et de ses enfants d'ivoire.

Quelques jours après ces tristes nouvelles, le 15 septembre 1815, très exactement, Roger-William Judson fit, normalement, et sans trop de souffrances, son arrivée à la Mission. Adoniram opéra comme médecin. L'aventure était presque pire pour lui que pour Anne, et son épuisement fut aussi grand que celui de sa femme. Koo-chil habilla l'enfant, car il obéissait strictement aux ordres donnés, alors qu'on pouvait toujours craindre quelque idée saugrenue de Ma Baik. Ce fut lui aussi le visage trempé de sueur, administra une tasse de thé chaud à Adoniram, et le mit au lit, quand celui-ci se fut assuré qu'Anne et le bébé s'assoupissaient paisiblement.

L'étude de la littérature Pali, et la traduction du Nouveau Testament furent ralenties par la présence du petit Roger. L'enfant aux yeux bleus occupait une place démesurée dans la vie de ses parents, affamés de jeu, de détente mentale, et ravis de ce nouveau compagnon. Anne savait bien qu'Adoniram s'était usé au travail. Elle l'encouragea délibérément à passer chaque jour bien des heures avec son enfant.
Il chantait à Roger, de sa voix profonde, les berceuses de Maung Shway-gnong, ou, marchant de long en large, il murmurait les cantiques les plus gais, tout en se plaignant à Anne qu'ils fussent tous trop tristes. Il fit, sur le modèle des voitures à buffle indigènes, un chariot à deux roues pour le petit homme. Dès le retour de la vice-reine à Rangoon, il alla lui présenter l'enfant.

Comme elle n'avait jamais vu de bébé blanc, son excitation fut si grande qu'elle fit appeler le vice-roi. Il siégeait à la cour; mais, loin de se formaliser de cette interruption, il s'amusa autant que sa femme. Il ignora la présence d'Adoniram, mais siffla et parla au bébé, et lui donna une grosse balle rouge, en osier tressé. La vice-reine apporta elle-même son cadeau à la Mission le lendemain : un berceau du pays finement sculpté. Pour s'assurer qu'on l'utiliserait, elle ordonna au jardinier de le suspendre à une poutre, et attendit que l'on plaçât l'enfant dans ce petit nid.

Maung Shway-gnong portait un austère intérêt à Roger. Chaque jour il faisait une cérémonieuse visite au berceau, le menton dans la main, et semblait échanger des idées avec quelque compagnon philosophe.
Bien qu'il fut délicat, le bébé était joyeux et souriait à tous ces visages bruns et jaunes qui se penchaient sur lui.

À huit mois, il eut la fièvre de la jungle. La lutte fut courte, malgré tous les efforts tentés pour le sauver. Les indigènes mirent chacun une roupie dans la maison de M. Beg Pardon. Koo-chil composa une breloque de cheveux, de graine de cardamone, d'huile de sésame et d'autres ingrédients mystérieux qu'il cacha sous l'oreiller de Roger. Le professeur surmonta sa frayeur et amena, en plein jour, un médecin sorcier. Mais le petit Roger mourut, avant même que l'on pût discuter les ordonnances magiques.
Anne était prostrée. Après qu'ils eurent enterré l'enfant, elle demeura sur son lit; dans un état d'inertie complète, dont Adoniram essayait en vain de la tirer.

Complètement désespéré, il s'occupa lui-même des soins funèbres, écrivit à Bradford et à Plymouth pour annoncer la triste nouvelle, mais il cacha leur désespoir à sa mère et à celle d'Anne. Il ne dévoila la profondeur de sa misère qu'au docteur Carey, à Serampore.

« Notre petit Roger est mort samedi dernier, le 16 mai 1816. Nous l'avons veillé durant la journée et, au crépuscule, l'avons couché dans sa tombe. Je suis novice dans la douleur. Si j'avais perdu ma femme, je ne me lamenterais pas tant de la mort d'un enfant de huit mois. Seule l'expérience peut vous faire sentir la douleur qui torture le coeur d'un père, lorsqu'il se penche sur le visage de son unique entant, pour écouter si un dernier souffle ne s'en échappe pas encore. Et quand la vérité devient évidente, quand l'espoir disparaît avec la vie, il essaye de faire monter la prière : « « 0 Dieu, je remets son esprit entre Tes mains. » Où cet esprit a-t-il fui? Dans quel endroit mystérieux? Qui peut soutenir et guider ses pas dans la vallée si sombre? Ceci ne pouvait-il nous être épargné? Il était tout notre réconfort et notre délassement dans cet affreux endroit. Priez pour nous... »

Après avoir cacheté sa lettre à Carey, Adoniram était en train de fixer, sans le voir, le jardin trempé de pluie lorsqu'il vit passer Anne. Elle tordait ses mains, et quand il s'élança vers elle, elle se jeta à terre, le visage sur la tombe de Roger. Anne avait bien besoin d'aide spirituelle.
C'était la première fois, depuis leur union, que l'amant cédait le pas au pasteur. Il vint s'agenouiller auprès d'elle.
- Anne! Anne!

Elle ne fit aucune attention à lui.
- Anne! mon amour!

Elle ne leva pas la tête. Son petit corps était comme une chrysalide vidée. Il la souleva dans ses bras, mais elle lui frappa violemment la poitrine.
- Va-t-en. Et laisse-moi mourir. Mourir...

Il la porta, sous les bananiers mouillés, à travers le jardin, monta l'escalier de la véranda et la posa sur son lit. Puis il la regarda sévèrement, en pasteur. Mais le mari, étouffé de pleurs, se reprochait l'avoir emmenée, elle, l'heureuse et jolie Anne Hasseltine, de sa Nouvelle-Angleterre dans cette jungle étrangère, empoisonnée, qui minait sa vitalité et avait tué son entant.

Comme mari, il était responsable de tout cela; comme pasteur, il était responsable de cet effondrement dans la douleur.
- Il allait avoir vingt-huit ans. Les belles joues naguère pleines étaient creuses et jaunes, les yeux noisette plus enfoncés et plus avides, la bouche plus ferme. Vingt-huit ans, pensait-il, six ans écoulés depuis la fin de ses études; et maintenant seulement, il commençait son ministère!

Il ravala ses larmes et, d'une voix que, tout d'abord, Anne n'entendit pas à travers ses sanglots :
- Jésus a dit : « Celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif, et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui comme une source d'eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. » Anne, ma chérie, Je tiens Sa coupe parfaite devant tes lèvres et tu dois la boire.

Sa belle voix, pleine et basse, révélait une tendresse infinie, mais demeurait, résolue et confiante.
Anne se retourna lentement et se mit sur le côté. De ses doigts tremblants elle pressait ses lèvres, comme pour y refouler ses sanglots.
- Jésus a dit : « Celui lui croit en Celui qui m'a envoyé a la vie éternelle. L'heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront. »

Il ne s'approchait pas d'elle. Seules, les paroles divines devaient l'aider.
- Anne, ma chérie, notre enfant vit. La mort n'existe pas. C'est une nouvelle Vie. L'âme de Roger est immortelle.

Anne se mit sur le dos et leva ses yeux bruns, aveuglés de larmes, vers le visage transporté d'Adoniram. Une lumière grise assombrissait la chambre, le lézard familier appelait « taktu » au pied du lit. Du monastère proche parvenaient les sons adoucis des gongs du soir.
- « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle. C'est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point. » 0 Dieu! Père Éternel, regarde à cette mère et console-la, au nom de la Mère qui a porté dans la douleur et dans la joie Ton Fils pour les hommes. Montre-lui qu'il n'y a pas de mort, que l'âme de Roger est née à nouveau pour vivre dans un plus grand bonheur. Donne-lui, ô Dieu, un autre enfant, au nom de la compréhension parfaite que Ton Fils a eue de toutes les douleurs des hommes.

Anne se redressa lentement, en fixant le visage de son mari. Elle ne pleurait plus et l'égarement avait disparu de son regard. Adoniram, avec son mouchoir, essuya les pauvres joues, et écarta les boucles sur son front. Au bout d'un instant de silence, elle demanda :
- Mais où est-il maintenant, Adoniram? Où donc est mon bébé?

Adoniram se sentit pâlir. Sa foi devait soutenir celle d'Anne, ses connaissances spirituelles lui porter secours. Pas de spéculations maintenant, la vérité.
Mais, quelle était cette vérité? Où donc était Roger? Une sueur froide le gagnait tandis qu'il cherchait à percer le mystère, à sonder l'inconnu.
Très lentement, avec peine, il parvint à traduire en mots ce pour quoi il n'y pas de mots.
- L'âme de Roger est fondue dans celle de Dieu.
Si Dieu le veut, il peut naître à nouveau. Seulement si c'est la volonté de Dieu.

Il s'arrêta, car il avait dit tout ce qu'il savait.
On entendait faiblement tinter les cloches, à travers la pluie.
Où donc était Dieu?
Levant les yeux vers le visage qui, désormais, était toute sa vie, Anne saisit la main d'Adoniram pour la mettre sur son coeur. Il posa son autre main sur ses cheveux et la bénit.


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